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07/11/2022 | FRANCE | N°461152

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 07 novembre 2022, 461152


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 février, 5 août et 7 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Ciel calme pour Ramatuelle et ses environs " et M. A... B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les décisions implicites prises par le Premier ministre et les ministres des armées, de la transition écologique, de l'économie, de l'intérieur et des Outre-mer rejetant leur demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 6 mai 1995 relatif aux aérodromes

et autres emplacements utilisés par les hélicoptères ;

2°) d'enjoindre aux mi...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 février, 5 août et 7 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Ciel calme pour Ramatuelle et ses environs " et M. A... B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les décisions implicites prises par le Premier ministre et les ministres des armées, de la transition écologique, de l'économie, de l'intérieur et des Outre-mer rejetant leur demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 6 mai 1995 relatif aux aérodromes et autres emplacements utilisés par les hélicoptères ;

2°) d'enjoindre aux ministres concernés, dans un délai maximum de deux mois, d'abroger l'arrêté attaqué et de prendre un nouvel arrêté conforme aux règles de santé ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Chicago du 7 décembre 1944 sur l'aviation civile internationale ;

- le code de l'aviation civile ;

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- le décret n° 2022-746 du 27 avril 2022 ;

- l'arrêté du 6 mai 1995 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

Considérant ce qui suit :

1. Par courrier du 4 octobre 2021, l'association " Ciel calme pour Ramatuelle et ses environs " et M. B... ont demandé au Premier ministre et aux ministres des armées, de la transition écologique, de l'économie, de l'intérieur et des Outre-mer d'abroger l'arrêté du 6 mai 1995 relatif aux aérodromes et autres emplacements utilisés par les hélicoptères. Ils demandent au Conseil d'Etat l'annulation des décisions de rejet résultant du silence gardé par l'administration sur ces demandes.

Sur le cadre juridique :

2. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.

3. Aux termes de l'article L. 6212-1 du code des transports : " Hors le cas de force majeure et les cas prévus par décret en Conseil d'État, un aéronef ne peut atterrir et prendre le départ que sur les aérodromes régulièrement établis. ". Aux termes de l'article R. 132-1-3 du code de l'aviation civile, issu du décret du 27 avril 2022 modifiant les dispositions relatives à l'atterrissage et au décollage des aéronefs hors des aérodromes et créant un régime de sanction : " Les hélicoptères peuvent atterrir ou décoller ailleurs que sur un aérodrome. Ces emplacements sont dénommés " hélisurfaces ". / Les hélisurfaces ne peuvent être utilisées qu'à titre occasionnel. " L'article R. 132-1-4 du même code interdit les hélisurfaces " 1° Dans les agglomérations, sauf autorisation spéciale délivrée par arrêté préfectoral et réservée à certaines opérations de transport public ou de travail aérien ; / 2° Dans des zones situées aux abords des aérodromes définies par arrêté du ministre chargé de l'aviation civile, sauf accord de la personne dont relève l'aérodrome ; / 3° Dans les secteurs de sécurité des installations prioritaires de défense mentionnés à l'article L. 1321-2 du code de la défense, sauf dérogation accordée par le préfet, après avis conforme du ministre de la défense. ". Aux termes de l'article R. 132-1-6 de ce code : " En dehors des agglomérations, le préfet peut, par arrêté, soumettre à déclaration préalable l'utilisation d'hélisurfaces sur le territoire d'une commune, lorsque cette utilisation est susceptible de porter atteinte à la tranquillité publique ou à la protection de l'environnement. / Le préfet peut, dans les mêmes cas, réglementer l'utilisation des hélisurfaces. Cette réglementation peut porter, notamment, sur des limitations du nombre ou de la nature des mouvements d'hélicoptères, les plages horaires d'utilisation ou les manœuvres d'approche, de décollage et d'atterrissage. ". L'article R. 132-1-9 du même code dispose qu'" Un arrêté des ministres chargés des transports, de l'intérieur, de la défense, des douanes et de la mer détermine les prescriptions imposées aux pilotes et aux exploitants d'hélicoptères pour l'utilisation des hélisurfaces, en vue d'assurer le respect des dispositions de la présente sous-section, et fixe notamment : / 1° Les seuils et critères d'appréciation du caractère occasionnel de l'utilisation d'une hélisurface ; / 2° Les obligations d'information ou de communication mises à la charge des pilotes et exploitants d'aéronefs pour justifier du respect des obligations prévues à la présente sous-section ; / 3° Les conditions de délivrance de l'habilitation mentionnée à l'article R. 132-1-7 ; / 4° Les prescriptions encadrant l'utilisation des hélisurfaces en mer ".

4. Enfin, aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'environnement, les dispositions chapitre relatif à la lutte contre le bruit de ce code " ont pour objet, dans les domaines où il n'y est pas pourvu, de prévenir, supprimer ou limiter la pollution sonore, soit l'émission ou la propagation des bruits ou des vibrations de nature à présenter des dangers, à causer un trouble excessif aux personnes, à nuire à leur santé ou à porter atteinte à l'environnement ". L'article L. 571-6 du code de l'environnement dispose que : " Sans préjudice des autres dispositions législatives et réglementaires applicables, les activités bruyantes, exercées dans les entreprises, les établissements, centres d'activités ou installations publiques ou privées établis à titre permanent ou temporaire, et ne figurant pas à la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, peuvent être soumises à des prescriptions générales ou, lorsqu'elles sont susceptibles, par le bruit qu'elles provoquent, de présenter les dangers ou de causer les troubles mentionnés à l'article L. 571-1, à autorisation. (...) La liste des activités soumises à autorisation est définie dans une nomenclature des activités bruyantes établie par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil national du bruit. / Les prescriptions générales visées au premier alinéa et les prescriptions imposées aux activités soumises à autorisation précisent les mesures de prévention, d'aménagement ou d'isolation phonique applicables aux activités, les conditions d'éloignement de ces activités des habitations ainsi que les modalités selon lesquelles sont effectués les contrôles techniques. / Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article, notamment la procédure de délivrance de l'autorisation, les documents à fournir à l'appui de la demande d'autorisation et les modalités d'information ou de consultation du public ".

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. D'une part, il ressort des dispositions de l'article L. 571-6 du code de l'environnement citées au point 4 que la liste des activités qu'elles permettent de soumettre à un régime d'autorisation et la procédure de délivrance de cette autorisation sont fixées par un décret en Conseil d'Etat. Ainsi, les requérants ne sauraient utilement soutenir que l'arrêté litigieux, qui au demeurant a été pris en application de de l'article R. 132-1-9 du code des transports, serait illégal en tant qu'il ne prévoit pas d'autorisation pour la création et l'utilisation des hélisurfaces.

6. D'autre part, l'article 11 de l'arrêté contesté précise que le caractère occasionnel de l'utilisation d'une hélisurface résulte soit de l'existence de mouvements peu nombreux, soit de mouvements relativement nombreux pendant une période courte et limitée. Dans le premier cas, le nombre de mouvements doit être inférieur à 200 par an et à 20 par jour. Le quatrième alinéa de l'article 14 de cet arrêté, tel que modifié par l'arrêté du 24 avril 2022, dispose que " Tout mouvement d'hélicoptère effectué jusqu'à 150 mètres d'une hélisurface est comptabilisé comme effectué sur cette hélisurface. " La combinaison de ces dispositions a ainsi pour effet de traiter plusieurs hélisurfaces, en-deçà d'une certaine distance, comme n'en formant qu'une seule pour les besoins de l'application des dispositions de l'arrêté limitant le nombre de mouvements. Ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté contesté ne prendrait pas en compte la proximité entre les hélisurfaces pour fixer le nombre maximal de mouvements et serait pour ce motif entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'objectif de limitation des nuisances sonores qui justifie l'édiction de prescriptions générales en application des dispositions citées au point 4.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'environnement : " I. - Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. (...) / II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : / (...) 2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable (...) ".

8. Contrairement à ce qui est soutenu, l'arrêté contesté comporte des dispositions destinées à prévenir et à réduire les nuisances sonores liées à l'utilisation des hélisurfaces en complément des dispositions citées au point 3 relatives au pouvoir du préfet de réglementer l'utilisation de ces surfaces, en particulier en limitant le nombre de mouvements qui peuvent y être effectués, en mettant en place un dispositif de suivi de ces mouvements et en permettant au préfet d'en restreindre l'utilisation lorsqu'il en résulte des nuisances phoniques ayant porté une atteinte grave à la tranquillité du voisinage. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application du principe d'action préventive ne peut qu'être écarté.

9. En troisième lieu, l'article L. 122-3 du code de l'environnement, renvoie à un décret en Conseil d'Etat la définition des catégories de projets de travaux, d'ouvrages et d'aménagements qui, en fonction des critères et des seuils déterminés en application de l'article L. 122-1 du même code et, le cas échéant après un examen au cas par cas, font l'objet d'une évaluation environnementale. Ainsi, les requérants ne sauraient utilement contester la légalité de l'arrêté litigieux en tant qu'il ne prévoit pas de soumettre les hélisurfaces à l'exigence d'une évaluation environnementale après un examen au cas par cas.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 220-1 du code de l'environnement : " L'Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l'objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Cette action d'intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques, à préserver la qualité de l'air et, à ces fins, à économiser et à utiliser rationnellement l'énergie. La protection de l'atmosphère intègre la prévention de la pollution de l'air et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ". L'article L. 100-4 du code de l'énergie dispose que : " I.- Pour répondre à l'urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs : / 1° De réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050 (...) ".

11. D'une part, les requérants ne sauraient utilement se prévaloir, à l'encontre de l'arrêté contesté, des dispositions de l'article L. 100-4 du code de l'énergie, relatives aux objectifs de la politique énergétique. D'autre part cet arrêté n'est pas, par lui-même, contraire aux objectifs énoncés par l'article L. 220-1 du code de l'environnement.

12. Enfin, aux termes de l'article L. 571-1-A du code de l'environnement : " L'Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans son domaine de compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l'objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun de vivre dans un environnement sonore sain. / Cette action d'intérêt général consiste à prévenir, surveiller, réduire ou supprimer les pollutions sonores et à préserver la qualité acoustique. ".

13. L'ampleur des nuisances sonores mesurées en 2021 sur la propriété de M. B... ne saurait en elle-même être de nature à établir l'insuffisance de ces dispositions au regard de l'objectif énoncé par les dispositions de l'article L. 571-1-A du code de l'environnement, dans la mesure notamment où les arrêtés préfectoraux pris en application de l'article R. 132-1-6 du code de l'aviation civile pour réglementer l'utilisation des hélisurfaces concourent à cet objectif. Par suite, et compte tenu de ce qui a été dit aux points 6 et 8, les requérants ne sont en tout état de cause pas fondés à soutenir que l'arrêté contesté serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard du droit de vivre dans un environnement sonore sain.

14. Il résulte de tout ce qui précède que l'association " Ciel calme pour Ramatuelle et ses environs " et M. B... ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions implicites par lesquelles le Premier ministre et les ministres des armées, de la transition écologique, de l'économie, de l'intérieur et des Outre-mer ont rejeté leurs demandes d'abrogation des dispositions de l'arrêté du 6 mai 1995 en tant qu'elles concernent les hélisurfaces. Leurs conclusions à fin d'injonction ne peuvent par suite qu'être rejetées.

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête présentée par l'association " Ciel calme pour Ramatuelle et ses environs " et par M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association " Ciel calme pour Ramatuelle et ses environs ", à M. A... B..., à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre des armées.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 octobre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 7 novembre 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Alexandre Trémolière

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461152
Date de la décision : 07/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 nov. 2022, n° 461152
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alexandre Trémolière
Rapporteur public ?: M. Philippe Ranquet
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:461152.20221107
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