La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/11/2022 | FRANCE | N°468458

France | France, Conseil d'État, 02 novembre 2022, 468458


Vu la procédure suivante :

L'association de l'école démocratique Ma Voie a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre au préfet de la Savoie de prendre toutes mesures pour que cessent les atteintes à la liberté d'enseignement, à la liberté d'entreprendre et à l'intérêt supérieur de l'enfant à l'encontre de l'école Ma Voie et, d'autre part, de suspendre l'arrêté de fermeture administrative de cette école.

Par une ordonnance n° 22

06738 du 22 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Grenob...

Vu la procédure suivante :

L'association de l'école démocratique Ma Voie a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre au préfet de la Savoie de prendre toutes mesures pour que cessent les atteintes à la liberté d'enseignement, à la liberté d'entreprendre et à l'intérêt supérieur de l'enfant à l'encontre de l'école Ma Voie et, d'autre part, de suspendre l'arrêté de fermeture administrative de cette école.

Par une ordonnance n° 2206738 du 22 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2022, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association de l'école démocratique Ma Voie demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il est porté atteinte à la liberté d'enseignement, à la liberté d'entreprendre et à l'intérêt supérieur de l'enfant dès lors que l'exécution de l'arrêté de fermeture administrative édicté par le préfet de la Savoie conduira à la disparition définitive de l'école Ma Voie, à la fin de la pédagogie dite démocratique portée par cette école et affectera la situation de tous les élèves, notamment de ceux pour lesquels le choix pédagogique procède d'une expérience jugée insurmontable dans le parcours public ;

- l'atteinte portée est grave et manifestement illégale ;

- en prononçant la fermeture administrative de l'école au motif qu'elle ne respecterait pas l'objet de l'instruction obligatoire, le préfet de la Savoie a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'enseignement et à la liberté d'entreprendre ;

- en l'absence de menace pour le droit à l'instruction des enfants, l'atteinte portée à la liberté pédagogique de l'école Ma Voie est grave et illégale ;

- plusieurs exigences de la mise en demeure ont remis en cause le projet pédagogique de l'école en violation de la liberté pédagogique reconnue aux écoles hors contrat ;

- le constat de carence, en exigeant un enseignement anticipé, programmé, planifié et/ou structuré, a porté atteinte de manière manifeste à la liberté d'enseignement de l'école Ma Voie ;

- le format et les modalités des deux inspections pratiquées n'ont pas tenu compte des spécificités pédagogiques de l'établissement ;

- la fermeture administrative prononcée est particulièrement préjudiciable aux enfants scolarisés dans l'école eu égard, notamment, à leur difficulté voire leur impossibilité de suivre leur scolarité dans un établissement scolaire classique, et n'a aucunement pris en compte les personnalités et les besoins spécifiques des enfants accueillis, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à l'intérêt supérieur de l'enfant ;

- la procédure prévue par l'article L. 442-2 du code de l'éducation a été manifestement méconnue, dès lors que la mise en demeure avait été intégralement exécutée et que le constat de carence ne pouvait faire état d'exigences ou manquements qui ne figuraient ni dans cette mise en demeure ni dans le premier rapport d'inspection ;

- la condition d'urgence est remplie, les conséquences de l'arrêté de fermeture administrative étant pour l'école et les élèves accueillis particulièrement lourdes en raison de l'injonction faite aux parents, sous peine de sanctions pénales, d'inscrire leurs enfants dans un autre établissement scolaire, du risque pour le directeur de l'école d'être exposé à une lourde sanction pénale en cas de maintien de l'ouverture de l'école et de la probable fermeture définitive de l'école privée des frais de scolarité nécessaires au financement de son fonctionnement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 131-1-1 du code de l'éducation : " Le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté (...) ". En vertu de l'article L. 122-1-1 du même code : " La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l'acquisition d'un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l'ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité. Le socle doit permettre la poursuite d'études, la construction d'un avenir personnel et professionnel et préparer à l'exercice de la citoyenneté (...) ". Selon l'article L. 442-3 de ce code : " Les directeurs des établissements d'enseignement privés qui ne sont pas liés à l'Etat par contrat sont entièrement libres dans le choix des méthodes, des programmes, des livres et des autres supports pédagogiques, sous réserve de respecter l'objet de l'instruction obligatoire tel que celui-ci est défini par l'article L. 131-1-1 et de permettre aux élèves concernés l'acquisition progressive du socle commun défini à l'article L. 122-1-1 ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 442-2 du code de l'éducation : " I.- Mis en œuvre sous l'autorité conjointe du représentant de l'Etat dans le département et de l'autorité compétente en matière d'éducation, le contrôle de l'Etat sur les établissements d'enseignement privés qui ne sont pas liés à l'Etat par contrat se limite (...) à l'instruction obligatoire, qui implique l'acquisition progressive du socle commun défini à l'article L. 122-1-1 (...). / (...) III.- L'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation prescrit le contrôle des classes hors contrat afin de s'assurer que l'enseignement qui y est dispensé respecte les normes minimales de connaissances requises par l'article L. 131-1-1 et que les élèves de ces classes ont accès au droit à l'éducation tel que celui-ci est défini par l'article L. 111-1 ./ Ce contrôle a lieu dans l'établissement d'enseignement privé dont relèvent ces classes hors contrat./ Un contrôle est réalisé au cours de la première année d'exercice d'un établissement privé. / IV.- L'une des autorités de l'Etat mentionnées au I peut adresser au directeur ou au représentant légal d'un établissement une mise en demeure de mettre fin, dans un délai qu'elle détermine et en l'informant des sanctions dont il serait l'objet en cas contraire : / (...) 2° Aux insuffisances de l'enseignement, lorsque celui-ci n'est pas conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, tel que celui-ci est défini à l'article L. 131-1-1, et ne permet pas aux élèves concernés l'acquisition progressive du socle commun défini à l'article L. 122-1-1 (...). / S'il n'a pas été remédié à ces manquements, après l'expiration du délai fixé, le représentant de l'Etat dans le département peut prononcer, par arrêté motivé, la fermeture temporaire ou définitive de l'établissement ou des classes concernées. Il agit après avis de l'autorité compétente de l'Etat en matière d'éducation, pour les motifs tirés du 1° du présent IV, et sur sa proposition, pour les motifs tirés des 2° à 5° du présent IV. (...) VI. - Lorsqu'est prononcée la fermeture de l'établissement en application des IV et V, l'autorité compétente de l'Etat en matière d'éducation met en demeure les parents des élèves scolarisés dans l'établissement d'inscrire leurs enfants dans un autre établissement d'enseignement scolaire dans les quinze jours suivant la notification de la mise en demeure ".

4. Il résulte de l'instruction conduite par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble que l'association de l'école démocratique Ma Voie, qui a pour objet de " réaliser, promouvoir et soutenir des actions éducatives ouvertes à tous dont celles de l'école Ma voie et celles impliquant des apprentissages libres et autonomes " et qui vise " à voir se développer un modèle éducatif basé sur la liberté et l'autonomie dans les apprentissages, la coopération entre les apprenants entre eux ainsi qu'avec les personnes en position d'enseignement, un partage du pouvoir le plus équitable possible au sein de cette communauté éducative réduisant au maximum les inégalités liées à l'âge et enfin une proximité avec la nature ", gère l'école Ma Voie, un établissement d'enseignement privé hors contrat ouvert en septembre 2021. A la suite d'un contrôle effectué le 21 octobre 2021, une mise en demeure a été adressée par la rectrice de l'académie de Grenoble à la directrice de cet établissement, en vue de la mise en place d'actions correctrices visant à assurer la conformité à l'objet de l'instruction obligatoire et à permettre l'acquisition progressive par les élèves du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Après un nouveau contrôle réalisé le 16 mai 2022, la rectrice de l'académie de Grenoble a proposé au préfet de la Savoie de prononcer la fermeture définitive de l'établissement au regard des manquements constatés dans l'enseignement dispensé et de l'absence d'amélioration. Après recueil des observations des représentants de l'établissement lors d'une réunion à la préfecture, le préfet de la Savoie a, par arrêté du 28 septembre 2022, prononcé la fermeture de l'établissement.

5. L'association de l'école démocratique Ma Voie a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Savoie de prendre toutes mesures pour que cessent les atteintes à la liberté d'enseignement, à la liberté d'entreprendre et à l'intérêt supérieur de l'enfant à l'encontre de l'école Ma Voie et de suspendre l'arrêté de fermeture administrative de cette école. Elle relève appel de l'ordonnance du 22 octobre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

6. Si, ainsi que le fait valoir l'association requérante, il est loisible aux établissements privés hors contrat de choisir, en fonction de leur parti éducatif, leurs méthodes et supports pédagogiques sous les réserves énoncées à l'article L. 442-3 du code de l'éducation et rappelées au point 2, l'arrêté préfectoral contesté ne porte pas par lui-même contestation de la " philosophie " de l'école démocratique ni de la pédagogie propre à l'école. Il ressort de ses termes mêmes qu'il est fondé sur le fait que les deux contrôles réalisés à plusieurs mois d'intervalle, le second après mise en demeure, avaient fait ressortir des manquements dans l'enseignement dispensé au sein de l'école mettant en cause la capacité de celle-ci à mettre ses élèves en mesure d'acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, tel que défini à l'article D. 122-1 du code de l'éducation, notamment en ce qui concerne le premier domaine de formation intitulé les " langages pour penser et communiquer " et le deuxième domaine dénommé " méthodes et outils pour apprendre ". A cet égard, les attestations des parents et des enseignants décrivant l'épanouissement des enfants accueillis et la prise en compte des besoins particuliers de ceux-ci ne sont pas de nature à remettre en cause ce motif. Par ailleurs, l'association requérante, qui se borne pour l'essentiel à reprendre ses écritures de première instance avec quelques reformulations et précisions, n'apporte, en appel, pas d'élément susceptible d'infirmer l'appréciation portée par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble quant à l'absence de caractère manifeste des illégalités invoquées.

7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il est manifeste que l'appel de l'association de l'école démocratique Ma Voie ne peut être accueilli. Par suite, il y a lieu de rejeter sa requête selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de l'association de l'école démocratique Ma Voie est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association de l'école démocratique Ma Voie.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Fait à Paris, le 2 novembre 2022

Signé : Anne Courrèges


Synthèse
Numéro d'arrêt : 468458
Date de la décision : 02/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 02 nov. 2022, n° 468458
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 09/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:468458.20221102
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award