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27/10/2022 | FRANCE | N°464832

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 27 octobre 2022, 464832


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 janvier 2021 par laquelle la préfète de l'Ariège a refusé de faire droit à sa demande de renouvellement de son titre de séjour.

Par un jugement n° 2100835 du 9 juillet 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21BX03681 du 15 février 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par Mme A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire

complémentaire, enregistrés les 9 juin et 7 juillet 2022 au secrétariat du contentieux d...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 janvier 2021 par laquelle la préfète de l'Ariège a refusé de faire droit à sa demande de renouvellement de son titre de séjour.

Par un jugement n° 2100835 du 9 juillet 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21BX03681 du 15 février 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par Mme A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 juin et 7 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un mémoire, enregistré le 8 juillet 2022, présenté en application de l'article R. 771-16 du code de justice administrative, Mme A... conteste le refus qui lui a été opposé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du second alinéa du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction issue de l'article 55 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Clément Tonon, auditeur,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme A... et de l'Association des avocats pour la défense des droits des étrangers ;

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 18 janvier 2021, la préfète de l'Ariège a refusé à Mme A..., ressortissante nigériane, le renouvellement du titre de séjour qui lui avait été délivré en qualité de parent d'enfant français. Par un jugement du 9 juillet 2021, le tribunal administratif de Toulouse, après avoir refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle avait soulevée à l'encontre du second alinéa du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'article 55 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision. Par un arrêt du 15 février 2022, contre lequel Mme A... se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a écarté la contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité et rejeté son appel.

Sur l'intervention de l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers :

2. L'association des avocats pour la défense des droits des étrangers justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêt attaqué, notamment en tant qu'il porte refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité. Ainsi, son intervention est recevable.

Sur la contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Il résulte en outre des dispositions de l'article 23-5 de cette ordonnance que, lorsque le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. A l'appui de son pourvoi, Mme A... demande au Conseil d'Etat, d'une part, d'annuler l'arrêt du 15 février 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle avait soulevée à l'encontre du second alinéa du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige, d'autre part, de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

5. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'article 55 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, dont les dispositions sont désormais reprises aux articles L. 423-7 et L. 423-8 de ce code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France (...) / Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ; (...) ". Aux termes de l'article 316 du code civil : " Lorsque la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l'être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance. (...) ".

6. En premier lieu, Mme A... soutient que les dispositions du second alinéa du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point précédent, portent atteinte au principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et l'article 1er de la Constitution, en ce qu'elles n'auraient vocation à s'appliquer qu'aux seules mères étrangères d'enfants français reconnus par un père français, de sorte qu'il en résulterait une différence de traitement selon le sexe du parent étranger. Toutefois, les dispositions litigieuses n'opèrent par elles-mêmes aucune distinction entre la situation des pères ou mères d'enfants français qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent étranger d'enfant français lorsque la filiation a été établie, conformément aux dispositions de l'article 316 du code civil, par une reconnaissance de paternité ou de maternité de l'autre parent.

7. En deuxième lieu, si le législateur a prévu que la preuve de la contribution effective du parent auteur de la reconnaissance à l'entretien et à l'éducation de l'enfant peut être apportée dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, il a également permis qu'elle le soit par la production d'une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Dans ce dernier cas, il appartient seulement au demandeur de produire la décision de justice intervenue, quelles que soient les mentions de celle-ci, peu important notamment qu'elles constatent l'impécuniosité ou la défaillance du parent auteur de la reconnaissance, et sans avoir à justifier de son exécution. Le législateur a ajouté que lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant qui se trouvent ainsi préservés. Ce faisant, au regard de l'objectif recherché de prévention des reconnaissances frauduleuses, le législateur, qui n'a pas fait peser une charge déraisonnable sur le parent étranger demandeur de la carte de séjour temporaire " vie privée et familiale ", n'a pas porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale et à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.

8. Enfin, les dispositions litigieuses, qui ne régissent pas l'éloignement du parent étranger, ne méconnaissent pas, par elles-mêmes, la liberté d'aller et venir.

9. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il confirme le refus de transmission opposé par le tribunal administratif à la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle avait soulevée.

Sur les autres moyens du pourvoi :

10. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

11. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, Mme A... soutient que la cour administrative d'appel de Bordeaux a :

- dénaturé les pièces du dossier en estimant que la preuve de sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans n'était pas apportée et commis une erreur de droit en ne retenant pas, en conséquence, le vice de procédure tiré du défaut de consultation de la commission du titre de séjour ;

- commis une erreur de qualification juridique et une erreur de droit en jugeant que le refus de séjour opposé ne méconnaissait pas l'intérêt supérieur de l'enfant, au sens de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- entaché sa décision d'une erreur de qualification juridique en estimant que le refus de séjour ne portait pas une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers est admise.

Article 2 : La contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause le second alinéa du 6° de L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'article 55 de la loi du 10 septembre 2018, est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme A... n'est pas admis.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Copie en sera adressée à l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers, au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 octobre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Clément Tonon, auditeur-rapporteur.

Rendu le 27 octobre 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Clément Tonon

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 464832
Date de la décision : 27/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 oct. 2022, n° 464832
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Clément Tonon
Rapporteur public ?: M. Philippe Ranquet
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 03/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:464832.20221027
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