La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/12/2021 | FRANCE | N°453600

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 21 décembre 2021, 453600


Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral, a saisi le tribunal administratif de Mayotte de sa décision du 21 janvier 2021 constatant que Mme C... A..., candidate tête de liste aux élections municipales qui se sont tenues les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Sada (Mayotte), avait déposé son compte de campagne au-delà du délai légal. Par un jugement n° 2100460 du 27 mai 2021, le tribunal administratif de Mayotte a, d'une part, jugé que la Commissi

on nationale des comptes de campagne et des financements politiqu...

Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral, a saisi le tribunal administratif de Mayotte de sa décision du 21 janvier 2021 constatant que Mme C... A..., candidate tête de liste aux élections municipales qui se sont tenues les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Sada (Mayotte), avait déposé son compte de campagne au-delà du délai légal. Par un jugement n° 2100460 du 27 mai 2021, le tribunal administratif de Mayotte a, d'une part, jugé que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques avait constaté à bon droit le dépôt hors délai du compte de campagne de Mme A..., d'autre part, a déclaré celle-ci inéligible à tout mandat pour une durée de dix-huit mois.

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 juin 2021 et 15 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Mayotte du 27 mai 2021 et de rejeter la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;

2°) de ne pas prononcer son inéligibilité ;

3°) de mettre à la charge de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que, par une décision du 21 janvier 2021, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a constaté le dépôt hors délai du compte de campagne de Mme A..., tête de la liste " SADA MANGAJOU SOLIDAIRE ", qui a recueilli 32,46 % des suffrages exprimés et obtenu cinq sièges au conseil municipal et un siège au conseil communautaire à l'issue des opérations électorales qui se sont tenues le 28 juin 2020 dans la commune de Sada (Mayotte). Saisi par cette commission sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral, le tribunal administratif de Mayotte a, par un jugement du 27 mai 2021, déclaré Mme A... inéligible à tout mandat pour une durée de dix-huit mois à compter de la date à laquelle sa décision deviendrait définitive. Mme A... relève appel de ce jugement.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 118-3 du code électoral, dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral : " Saisi par la commission instituée par l'article L. 52-14, le juge de l'élection peut prononcer l'inéligibilité du candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales. (...) / Saisi dans les mêmes conditions, le juge de l'élection peut prononcer l'inéligibilité du candidat ou des membres du binôme de candidats qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12. / Il prononce également l'inéligibilité du candidat ou des membres du binôme de candidats dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales. ". Aux termes de ce même article dans sa rédaction issue de cette loi : " Lorsqu'il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible : 1° Le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12 ; / 2° le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales ; / 3° le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. (...) "

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 15 de la loi du 2 décembre 2019 : " La présente loi, à l'exception de l'article 6, entre en vigueur le 30 juin 2020 ". Aux termes du XVI de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " A l'exception de son article 6, les dispositions de la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral ne sont pas applicables au second tour de scrutin régi par la présente loi ". Il résulte de ces dispositions que les dispositions de la loi du 2 décembre 2019 modifiant celles du code électoral, à l'exception de son article 6, ne sont pas applicables aux opérations électorales en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires organisées les 15 mars et 28 juin 2020, y compris en ce qui concerne les comptes de campagne.

4. Toutefois, l'inéligibilité prévue par les dispositions de l'article L. 118-3 du code électoral constitue une sanction ayant le caractère d'une punition. Il incombe dès lors au juge de l'élection, lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à ce qu'un candidat dont le compte de campagne est rejeté soit déclaré inéligible et à ce que son élection soit annulée, de faire application, le cas échéant, d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date des faits litigieux et celle à laquelle il statue. Le législateur n'ayant pas entendu, par les dispositions citées au point 3, faire obstacle à ce principe, le juge doit faire application aux opérations électorales mentionnées à ce même point des dispositions de cet article dans sa rédaction issue de la loi du 2 décembre 2019. En effet, cette loi nouvelle lui laisse désormais, de façon générale, une simple faculté de déclarer inéligible un candidat en la limitant aux cas où il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, alors que l'article L. 118-3 dans sa version antérieure, d'une part, prévoyait le prononcé de plein droit d'une inéligibilité lorsque le compte de campagne avait été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité et, d'autre part, n'imposait pas cette dernière condition pour que puisse être prononcée une inéligibilité lorsque le candidat n'avait pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits par l'article L. 52-12 de ce même code.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Mayotte s'est fondé sur les dispositions de l'article L. 118-3 du code électoral dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 décembre 2019 pour infliger à Mme A... une sanction d'inéligibilité de dix-huit mois.

6. Il appartient au Conseil d'Etat, saisi du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A....

7. Aux termes de l'article L. 52-15 du code électoral : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l'article L. 52-11-1. / (...) / Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit (...), la commission saisit le juge de l'élection. (...) ". Aux termes de l'article L. 52-12 du même code : " Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu d'établir un compte de campagne (...) / Au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour dépose à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques son compte de campagne et ses annexes accompagné des justificatifs de ses recettes (...) ". En vertu du 4° du XII de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, la date limite de dépôt du compte de campagne a été reportée au 11 septembre 2020 à 18 heures pour les listes de candidats présentes au second tour.

8. En premier lieu, il est constant que Mme A... a déposé son compte de campagne le 30 septembre 2020, postérieurement au délai prescrit par l'article L. 52-12 du code électoral qui expirait le 11 septembre 2020 à 18 heures. Par suite, c'est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a constaté le dépôt tardif du compte de campagne de Mme A... et a saisi, comme elle y était tenue, le tribunal administratif de Mayotte.

9. En deuxième lieu, en application des dispositions précitées de l'article L. 118-3 du code électoral, dans sa rédaction issue de la loi du 2 décembre 2019, en dehors des cas de fraude, le juge de l'élection ne peut prononcer l'inéligibilité d'un candidat sur le fondement de ces dispositions que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Il lui incombe à cet effet de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce et d'apprécier s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s'il présente un caractère délibéré.

10. Mme A..., maire sortante, ne peut se prévaloir de l'inexpérience de son mandataire financier et de son expert-comptable pour s'exonérer de la méconnaissance, qu'au demeurant elle ne conteste pas, d'une règle qui, aux termes mêmes des dispositions citées au point 7, constitue une responsabilité personnelle du candidat tête de liste. En outre, si, pour justifier cette méconnaissance, elle invoque sa charge de travail au sein de l'agence régionale de santé de Mayotte, accrue en raison des épidémies de covid-19 et de dengue, ces circonstances ne permettent pas d'écarter le caractère délibéré de ce manquement. Elles ne sont par ailleurs, comme l'a relevé le tribunal, étayées par aucun élément de preuve. Enfin, il résulte de l'instruction que le montant des dépenses payées directement par la candidate s'élève à 3 278 euros, soit 15,8 % des dépenses et 13,1 % de leur plafond, alors que ces dernières ne peuvent être réglées que par le mandataire. Ainsi, eu égard à la méconnaissance de la règle substantielle fixée par l'article L. 52-12 du code électoral, et alors même qu'aucune fraude ne saurait être reprochée à Mme A... et que celle-ci a, comme elle le rappelle, satisfait aux obligations de présentation de ses comptes par un expert-comptable, la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte l'a déclarée inéligible à tout mandat. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, la période d'inéligibilité, fixée à dix-huit mois par le tribunal, doit être ramenée à neuf mois. Cette période commencera à courir à compter de la date de la présente décision. Par suite, Mme A... est fondée à demander que le jugement du tribunal administratif de Mayotte soit réformé sur ce seul point.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Mme A... est déclarée inéligible à tout mandat pendant neuf mois à compter de la date de la présente décision.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Mayotte du 27 mai 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme C... A... et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 décembre 2021 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Anne Egerszegi, conseillère d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 21 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Thomas Andrieu

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme B... D...


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 453600
Date de la décision : 21/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 déc. 2021, n° 453600
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Saby
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 23/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:453600.20211221
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award