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27/05/2021 | FRANCE | N°424513

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 27 mai 2021, 424513


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 424513, par une requête, enregistrée le 26 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des syndicats de transports CGT, Mme AC... L..., M. AD... M..., M. Z... AA..., M. A... C..., M. AP... U..., M. AQ... V..., M. D... AB..., M. AG... F..., Mme T... W..., M. X... O..., M. B... G..., M. R... AF..., Mme T... AI..., Mme AK... H..., M. AH... I..., M. AE... J..., Mme P... Q..., Mme K... AM..., Mme Y... S..., Mme N... AJ... et M. E... AO... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour ex

cès de pouvoir l'arrêté du 19 juillet 2018 de la ministre du travail...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 424513, par une requête, enregistrée le 26 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des syndicats de transports CGT, Mme AC... L..., M. AD... M..., M. Z... AA..., M. A... C..., M. AP... U..., M. AQ... V..., M. D... AB..., M. AG... F..., Mme T... W..., M. X... O..., M. B... G..., M. R... AF..., Mme T... AI..., Mme AK... H..., M. AH... I..., M. AE... J..., Mme P... Q..., Mme K... AM..., Mme Y... S..., Mme N... AJ... et M. E... AO... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 juillet 2018 de la ministre du travail et du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, portant extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires de transport ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 424548, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 septembre et 27 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ambulances Huet demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 juillet 2018 de la ministre du travail et de la ministre auprès du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports, portant extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires de transport ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code des transports ;

- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

- le décret n° 2009-32 du 9 janvier 2009 ;

- l'arrêté du 19 décembre 2001 concernant l'horaire de service dans le transport sanitaire ;

- l'arrêté du 12 décembre 2017 fixant les caractéristiques et les installations matérielles exigées pour les véhicules affectés aux transports sanitaires terrestres ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Roux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Ambulances Huet ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 19 juillet 2018, la ministre du travail et la ministre auprès du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports, ont étendu, sous plusieurs réserves et exclusions, pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans son champ d'application, les stipulations de l'accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l'organisation du travail dans les activités du transport sanitaire conclu dans le cadre de la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires de transport. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, la fédération nationale des syndicats de transport CGT et vingt-et-un autres requérants d'une part, et la société Ambulances Huet d'autre part, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

Sur les moyens dirigés contre l'arrêté dans sa totalité :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, les directeurs d'administration centrale " peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité ". Il ressort des pièces du dossier que par décret du 20 mars 2014 publié au Journal officiel de la République française du 21 mars 2014, M. AL... a été nommé directeur général du travail et que par décret du 2 août 2017 publié au Journal officiel de la République française du 3 août2017, M. AN... a été nommé directeur des services de transport. Par suite, M. AL... et M. AN... étaient compétents pour signer au nom respectivement du ministre chargé du travail et du ministre chargé des transports l'arrêté attaqué.

3. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué, compte tenu du nombre d'exclusions et de réserves qu'il prévoit, porterait atteinte au principe de sécurité juridique et dénaturerait l'économie générale de l'accord qu'il étend n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

4. En troisième lieu, d'une part, à la date de la signature de l'accord en litige, l'article L. 3121-9 du code du travail disposait qu' " une durée du travail équivalente à la durée légale peut être instituée dans les professions et pour des emplois déterminés comportant des périodes d'inaction soit par décret, pris après conclusion d'une convention ou d'un accord de branche, soit par décret en Conseil d'Etat " et habilitait ainsi une convention ou un accord de branche à proposer à l'autorité investie du pouvoir réglementaire l'institution ou la modification d'un " régime d'équivalence " dans le décompte du temps de travail. D'autre part, si ces dernières dispositions ont été modifiées par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, les articles L. 3121-14 et L. 3121-15 du code du travail, dans leur rédaction issue de cette loi et applicable à la date de la signature de l'arrêté attaqué, prévoient qu'un accord de branche étendu peut instituer une durée de travail équivalente à la durée légale pour les professions et emplois comportant des périodes d'inaction et, qu'à défaut d'accord, le régime d'équivalence peut être institué par décret en Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué est entaché d'illégalité en ce qu'il étend un accord affectant le " régime d'équivalence " des ambulanciers, alors que celui-ci est prévu à l'article D. 3312-31 du code des transports et que les partenaires conventionnels ne sont pas habilités à en traiter ne soulève pas une question sérieuse et peut être écarté.

Sur les moyens dirigés contre l'arrêté en tant qu'il procède à l'extension de certaines stipulations de l'accord :

En ce qui concerne les stipulations de l'accord relatives à l'amplitude de la journée de travail :

5. Aux termes de l'article R. 3312-2 du code des transports : " L'amplitude de la journée de travail est l'intervalle existant entre deux repos quotidiens successifs ou entre un repos hebdomadaire et le repos quotidien immédiatement précédent ou suivant ". La fédération requérante soutient que les stipulations du dernier alinéa du B de l'article 3 de l'accord étendu, aux termes desquelles : " La durée des pauses ou coupures visées à l'article 5 ci-dessous ne peut pas avoir à elle seule pour effet d'augmenter la durée de l'amplitude " méconnaissent les dispositions de l'article R. 3312-2 du code des transports, au motif qu'elles permettraient de ne pas prendre en compte les temps de pause et de coupure dans le calcul de l'amplitude de la journée de travail des ambulanciers. Toutefois, il résulte clairement des stipulations de l'article 3 prises dans leur ensemble, lesquelles reproduisent d'ailleurs les dispositions de l'article R. 3312-2 du code des transports, que le calcul de l'amplitude journalière inclut les pauses, conformément aux dispositions réglementaires du code du travail. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué est entaché d'illégalité au motif qu'il étend les stipulations du dernier alinéa du B de l'article 3 de l'accord, qui ne soulève pas une question sérieuse, ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les stipulations de l'accord relatives aux temps de pause et aux temps d'habillage et de déshabillage :

6. En premier lieu, les requérants soutiennent que les stipulations des articles 4 et 5 de l'accord, relatifs au temps de travail effectif et aux pauses et coupures, ne pouvaient légalement être étendues, au motif qu'elles prévoient que durant les pauses et coupures, les ambulanciers doivent pouvoir être joints par tout moyen de communication par leur employeur et que, par suite, elles méconnaissent les dispositions de l'article L. 3121-1 du code du travail, aux termes desquelles " La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ", et celles de l'article L. 3121-16 du même code, en vertu desquelles le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes consécutives quand son temps de travail quotidien atteint six heures.

7. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation que la période de pause s'analyse comme un arrêt de travail de courte durée sur le lieu de travail ou à proximité, durant lequel le salarié vaque librement à ses occupations personnelles et n'est pas à la disposition de son employeur. Cette même jurisprudence retient toutefois que la période de pause n'est pas incompatible avec des interventions éventuelles ou exceptionnelles demandées durant cette période au salarié, en cas de nécessité, notamment pour des motifs de sécurité.

8. Au cas d'espèce, il résulte clairement des stipulations de l'accord du 16 juin 2016 que les ambulanciers peuvent prendre leur temps de pause en tous lieux, vaquer, durant cette période, librement à leurs occupations et que s'ils doivent pouvoir être joints par tout moyen de communication par leur employeur, il ne peut, durant cette période, en vertu des stipulations figurant au E de l'article 5, leur être demandé d'intervenir qu'à titre exceptionnel et urgent, pour des motifs de sécurité et de santé publique, en l'occurrence, dans le seul cadre d' " urgences pré-hospitalières " et qu'en outre, lorsque, du fait de telles interruptions, la durée de la pause est ramenée à moins de vingt minutes ou, s'agissant de la pause-repas, à moins de trente minutes, le temps de pause est requalifié en temps de travail effectif. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué est entaché d'illégalité, au motif que les stipulations de l'article 4 et de l'article 5 de cet accord sont contraires aux articles L. 3121-1 et L. 3121-16 du code du travail, qui, contrairement à ce qui est soutenu en défense, sont applicables aux entreprises de transport sanitaire, ne présente pas à juger une question sérieuse et peut être écarté.

9. En deuxième lieu, il résulte clairement des stipulations des articles 5 et 6 de l'accord litigieux, relatives aux pauses et coupures et aux temps d'habillage et de déshabillage, que celles-ci, qui prévoient notamment la durée de ces périodes, n'ont ni pour objet, ni pour effet de préciser la tenue que doivent alors revêtir les ambulanciers. Par suite, et en tout état de cause, en étendant leurs stipulations sous certaines réserves, l'arrêté litigieux n'a pas méconnu les dispositions de l'annexe 6 de l'arrêté de la ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'économie et des finances du 12 décembre 2017 fixant les caractéristiques et les installations matérielles exigées pour les véhicules affectés aux transports sanitaires terrestres, lequel a abrogé l'arrêté du 10 février 2009 mentionné par les requérants, aux termes duquel " en dehors de l'activité professionnelle, le port de la tenue est proscrit ".

10. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait entaché d'illégalité au motif que les stipulations de l'article 5-C de l'accord qu'il étend entraîneraient un risque de confusion entre la pause-repas et la pause légale n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

En ce qui concerne les stipulations de l'accord relatives à l'information du salarié sur l'horaire de prise de service :

11. Les 5ème et 6ème alinéas de l'article 2 de l'accord stipulent que " L'employeur fixe l'heure de prise de service la veille pour le lendemain et la communique aux personnels ambulanciers au plus tard à 19 heures. / Toutefois, en cas de nécessité de modification d'horaire et sans que cela puisse revêtir un caractère systématique ou trop fréquent, l'employeur informe le salarié dès qu'il en a connaissance ".

12. Ces stipulations n'ayant clairement ni pour objet, ni pour effet d'imposer au salarié d'être joignable en permanence y compris pendant son temps de repos, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir qu'elles seraient contraires au " droit à la déconnexion " et créeraient une astreinte devant donner lieu à contrepartie en application de l'article L. 3121-9 du code du travail et que, par suite, l'arrêté attaqué serait entaché d'illégalité en ce qu'il procède à leur extension.

En ce qui concerne les stipulations de l'accord relatives au travail de nuit :

13. Il résulte clairement des stipulations du dernier alinéa de l'article 9 de l'accord que celui-ci, après avoir rappelé qu'un salarié qui n'a pas pu bénéficier en totalité de sa période de pause doit pouvoir bénéficier de son remplacement sous forme de repos compensateur, a pour seul objet de renvoyer aux entreprises la détermination des modalités selon lesquelles ce remplacement est opéré. En revanche, ces stipulations n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre aux entreprises de fixer ces modalités de manière dérogatoire à l'article L. 1321-10 du code des transports, qui dispose que ce repos compensateur doit être attribué, au plus tard, avant la fin de la journée suivante. Dès lors, le moyen tiré de ce que, en étendant ces stipulations, les ministres auraient méconnu l'article L. 1321-10 du code des transports en permettant aux entreprises de remplacer les reliquats de pause non pris par un repos compensateur attribué après la fin de la journée suivante ne soulève pas une question sérieuse et doit être écarté.

En ce qui concerne les stipulations de l'accord abrogeant les stipulations de l'accord-cadre du 4 février 2000 relatives aux feuilles de route :

14. La fédération requérante soutient que les ministres ne pouvaient pas étendre les stipulations de l'article 14 de l'accord, en tant qu'elles abrogent les stipulations des articles 7a) à 7c) de l'accord-cadre du 4 février 2000 relatives aux " feuilles de route " destinées à enregistrer les temps de travail et de repos des salariés, dès lors qu'une telle suppression portait atteinte à l'économie de l'accord, ce dispositif d'enregistrement étant indispensable à la mise en oeuvre du nouveau régime de temps de travail qu'il organisait, lequel persiste à titre temporaire pour les services de permanence. Toutefois, d'une part, l'existence de feuilles de route est prévue par l'article R. 3312-33 du code du travail, aux termes duquel : " La durée hebdomadaire de service des personnels ambulanciers roulants des entreprises de transport sanitaire est décomptée au moyen de feuilles de route hebdomadaires individuelles " et, d'autre part, l'arrêté du 19 décembre 2001 concernant l'horaire de service dans le transport sanitaire précise la nature et la structuration de ces documents. Par suite, et en tout état de cause, en étendant les stipulations de l'accord abrogeant les stipulations antérieures de l'accord-cadre relatives aux feuilles de route, les ministres n'ont pas porté atteinte à la faculté des entreprises de mettre en oeuvre l'accord négocié par les partenaires conventionnels.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de la Fédération nationale des syndicats de transports CGT et autres et de la société Ambulances Huet doivent être rejetées, y compris leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de la Fédération nationale des syndicats de transports CGT et autres et de la société Ambulances Huet sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des syndicats de transports CGT, Mme AC... L..., M. AD... M..., M. Z... AA..., M. A... C..., M. AP... U..., M. AQ... V..., M. D... AB..., M. AG... F..., Mme T... W..., M. X... O..., M. B... G..., M. R... AF..., Mme T... AI..., Mme AK... H..., M. AH... I..., M. AE... J..., Mme P... Q..., Mme K... AM..., Mme Y... S..., Mme N... AJ..., M. E... AO..., la société Ambulances Huet, la Fédération nationale des transporteurs sanitaires, la Fédération nationale des artisans ambulanciers, l'Organisation des transporteurs routiers européens, la Chambre nationale des services d'ambulances, la Fédération générale des transports et de l'environnement, la Fédération générale CFTC des transports, le syndicat national des activités du transport et du transit CFE-CGC, la Fédération nationale des ambulanciers privés, la Fédération nationale des transports et de la logistique FO-UNCP, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et la ministre de la transition écologique.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 424513
Date de la décision : 27/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mai. 2021, n° 424513
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Céline Roux
Rapporteur public ?: M. Frédéric Dieu

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:424513.20210527
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