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30/12/2020 | FRANCE | N°411507

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 30 décembre 2020, 411507


Vu la procédure suivante :

Par une décision du 15 février 2019, le Conseil d'Etat, statuant sur le pourvoi du ministre de l'agriculture et de l'alimentation dirigé contre l'arrêt n° 15NT02613 du 14 avril 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par lui contre le jugement n° 1400485 du 25 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé le titre de perception émis le 22 février 2013 en vue du recouvrement de la somme de 84 550,08 euros mise à la charge de la société Compagnie des pêches de Saint-Malo, a annulé cet a

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Vu la procédure suivante :

Par une décision du 15 février 2019, le Conseil d'Etat, statuant sur le pourvoi du ministre de l'agriculture et de l'alimentation dirigé contre l'arrêt n° 15NT02613 du 14 avril 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par lui contre le jugement n° 1400485 du 25 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé le titre de perception émis le 22 février 2013 en vue du recouvrement de la somme de 84 550,08 euros mise à la charge de la société Compagnie des pêches de Saint-Malo, a annulé cet arrêt et ce jugement et a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

1°) La décision de la Commission européenne du 14 juillet 2004 doit-elle être interprétée comme ne déclarant incompatibles avec le marché commun que les allègements de cotisations patronales, au motif que les allègements de cotisations salariales ne bénéficient pas aux entreprises et ne sont donc pas susceptibles d'entrer dans le champ d'application de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ou comme déclarant également incompatibles les allègements de cotisations salariales '

2°) Dans l'hypothèse où la Cour jugerait que la décision de la Commission doit être interprétée comme déclarant également incompatibles les allègements de cotisations salariales, l'entreprise doit-elle être regardée comme ayant bénéficié de l'intégralité de ces allègements ou seulement d'une partie d'entre eux ' Dans cette dernière hypothèse, comment cette partie doit-elle être évaluée ' L'Etat membre est-il tenu d'ordonner le remboursement par les salariés concernés de tout ou partie de la part d'aide dont ils auraient bénéficié '

Par un arrêt C-212/19 du 17 septembre 2020, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 13 octobre et le 24 novembre 2020, la société Compagnie des pêches de Saint Malo reprend ses conclusions précédentes et demande en outre, dans le dernier état de ses écritures, le paiement des intérêts au taux légal ayant couru, entre avril 2013 et juillet 2017, sur la somme mise à sa charge par le titre de perception contesté. Elle soutient en outre que la déclaration d'invalidité de la décision 2005/239/CE de la Commission du 14 juillet 2004, prononcée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-212/19 du 17 septembre 2020, entraîne par voie de conséquence l'illégalité du titre de perception contesté.

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 15 février 2019.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- l'arrêt C-549/09 du 20 octobre 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- l'arrêt C-212/19 du 17 septembre 2020 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de la société Compagnie des pêches de Saint-Malo ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision 2005/239/CE du 14 juillet 2004, concernant certaines mesures d'aide mises à exécution par la France en faveur des aquaculteurs et des pêcheurs, la Commission européenne a déclaré incompatibles avec le marché commun les aides accordées par la République française sous forme d'allègements de charges sociales entre le 15 avril et le 15 octobre 2000 aux pêcheurs afin de remédier aux dommages causés par le naufrage du navire Erika le 12 décembre 1999 et par la tempête des 27 et 28 décembre 1999. Elle a ordonné la récupération immédiate et effective de ces aides. Par un arrêt Commission c/ France du 20 octobre 2011 (C-549/09), la Cour de justice de l'Union européenne a constaté que la France avait manqué à ses obligations en ne récupérant pas auprès des bénéficiaires les aides déclarées illégales et incompatibles avec le marché commun par la décision du 14 juillet 2004. Pour l'exécution de la décision de la Commission, un titre de perception a été émis le 22 février 2013 à l'encontre de la société Compagnie des pêches de Saint-Malo en vue de la récupération du montant des allègements de cotisations salariales consenties entre le 15 avril et le 15 octobre 2000, assorti des intérêts de retard. Par un jugement du 25 juin 2015, le tribunal administratif de Rennes a annulé ce titre de perception. Par un arrêt du 14 avril 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer contre ce jugement. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a formé un pourvoi contre cet arrêt.

2. Par une décision avant dire droit du 15 février 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes et le jugement du tribunal administratif de Rennes et, après avoir écarté la fin de non-recevoir opposée par le ministre et les autres moyens de la requête de la société Compagnie des pêches de Saint-Malo, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne ait statué sur les questions qu'il lui a renvoyées.

3. Par un arrêt du 17 septembre 2020 Compagnie des Pêches de Saint-Malo (C-212/19) par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que la décision 2005/239/CE de la Commission est invalide en tant qu'elle qualifie d'aide d'Etat incompatible avec le marché commun l'allègement de cotisations salariales accordé aux pêcheurs pour la période du 15 avril au 15 octobre 2000 et en exige la récupération. Elle a jugé que la Commission avait commis une erreur de droit en retenant que les allègements de cotisations salariales en cause étaient des mesures procurant un avantage aux entreprises de pêche en ce qu'elles auraient été dispensées de certaines charges qu'elles auraient normalement dû supporter alors que, les cotisations salariales n'étant pas supportées par les entreprises en leur qualité d'employeur, mais étant à la charge des salariés, ces derniers sont les bénéficiaires effectifs de ces allègements.

Sur la demande d'annulation du titre de perception du 22 février 2013 :

4. En raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé. Il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l'acte annulé et de celles dont l'acte annulé constitue la base légale. Il incombe au juge administratif, lorsqu'il est saisi de conclusions recevables dirigées contre de telles décisions consécutives, de prononcer leur annulation par voie de conséquence, le cas échéant en relevant d'office un tel moyen qui découle de l'autorité absolue de chose jugée qui s'attache à l'annulation du premier acte. Lorsque les juridictions de l'Union ont annulé ou déclaré invalide un acte émanant des institutions et organes de l'Union, ces règles sont applicables devant le juge administratif saisi de conclusions recevables dirigées contre les décisions administratives consécutives prises par les autorités nationales.

5. La déclaration d'invalidité de la décision 2005/239/CE de la Commission, prononcée par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt du 17 septembre 2020, en tant qu'elle qualifie d'aide d'Etat incompatible avec le marché commun l'allègement de cotisations salariales accordé par la France aux pêcheurs pour la période du 15 avril au 15 octobre 2000 et en exige la récupération, emporte, par voie de conséquence, l'illégalité du titre de perception émis le 22 février 2013 pour l'exécution de cette décision et tendant à la restitution du montant des allègements de cotisations salariales pendant cette période, assorti des intérêts de retard. Par suite, la société Compagnie des pêches de Saint-Malo est fondée à en demander l'annulation.

Sur la demande de paiement des intérêts moratoires :

6. Les intérêts moratoires dus en application des dispositions de l'article 1153 du code civil, repris à l'article 1231-6 du même code, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.

7. Il résulte de l'instruction que la société Compagnie des pêches de Saint-Malo a réglé, le 16 avril 2013, la somme mise à sa charge par le titre de perception attaqué. Elle a présenté une réclamation préalable, reçue le 7 juin 2013, tendant à la décharge de cette somme, laquelle lui a été remboursée par l'Etat. Dans ces conditions, il y a lieu d'allouer à cette société les intérêts au taux légal ayant couru sur cette somme à compter du 7 juin 2013, date de réception de sa réclamation préalable par l'administration, jusqu'à la date à laquelle l'Etat a procédé à son remboursement.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Compagnie des pêches de Saint-Malo au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le titre de perception émis le 22 février 2013 en vue du recouvrement de la somme de 84 550,08 euros mise à la charge de la société Compagnie des pêches de Saint-Malo est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à la société Compagnie des pêches de Saint-Malo les intérêts au taux légal ayant couru sur la somme de 84 550,08 euros à compter du 7 juin 2013 jusqu'à la date de son remboursement par l'Etat.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société Compagnie des pêches de Saint-Malo au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Compagnie des pêches de Saint-Malo est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et à la société Compagnie des pêches de Saint-Malo.


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 411507
Date de la décision : 30/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2020, n° 411507
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Mathieu Le Coq
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 08/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:411507.20201230
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