Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 6 janvier 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs (ANPIHM) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-1326 du 5 novembre 2014 modifiant les dispositions du code de la construction et de l'habitation relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées et son protocole facultatif ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'habitation et de la construction ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
- l'ordonnance n° 2014-1090 26 septembre 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Laurence Franceschini, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et du ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité ;
1. Considérant que l'Association de défense et d'entraide des personnes handicapées, le Groupement pour l'insertion des handicapés physiques et l'Association des paralysés de France justifient, eu égard à la nature et à l'objet du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête de l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs (ANPIHM) ; que leurs interventions sont, par suite, recevables ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-7 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées, ratifiée par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " Les dispositions architecturales, les aménagements et équipements intérieurs et extérieurs des locaux d'habitation, qu'ils soient la propriété de personnes privées ou publiques, des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public et des lieux de travail doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap (...). " ; qu'en vertu de l'article L. 111-7-1 du même code des décrets en Conseil d'Etat fixent les modalités relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées prévue à l'article L. 111-7 que doivent respecter les bâtiments ou parties de bâtiments nouveaux ; que l'article L. 111-7-3 du même code dispose : " Les établissements recevant du public situés dans un cadre bâti existant doivent être tels que toute personne handicapée puisse y accéder, y circuler et y recevoir les informations qui y sont diffusées, dans les parties ouvertes au public.(...) / Des décrets en Conseil d'Etat fixent pour ces établissements, par type et par catégorie, les exigences relatives à l'accessibilité prévues à l'article L. 111-7 et aux prestations que ceux-ci doivent fournir aux personnes handicapées (...). / Les établissements recevant du public dans un cadre bâti existant devront répondre à ces exigences dans un délai, fixé par décret en Conseil d'Etat, qui pourra varier par type et catégorie d'établissement, sans excéder dix ans à compter de la publication de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. / Ces décrets, pris après avis du Conseil national consultatif des personnes handicapées, précisent les dérogations exceptionnelles qui peuvent être accordées aux établissements recevant du public situés dans un cadre bâti existant après démonstration de l'impossibilité technique de procéder à la mise en accessibilité ou en raison de contraintes liées à la conservation du patrimoine architectural ou lorsqu'il y a disproportion manifeste entre les améliorations apportées par la mise en oeuvre des prescriptions techniques d'accessibilité, d'une part, et leurs coûts, leurs effets sur l'usage du bâtiment et de ses abords ou la viabilité de l'exploitation de l'établissement, d'autre part. Ces décrets précisent également les conditions dans lesquelles des dérogations peuvent exceptionnellement être accordées pour l'ouverture d'un établissement recevant du public dans un immeuble collectif à usage principal d'habitation existant lorsque les copropriétaires refusent les travaux de mise en accessibilité dans les conditions prévues à l'article 24 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. / Ces dérogations sont accordées après avis de la commission départementale consultative de la protection civile, de la sécurité et de l'accessibilité, et elles s'accompagnent obligatoirement de mesures de substitution pour les établissements recevant du public et remplissant une mission de service public. L'avis est conforme et la demande de dérogation fait nécessairement l'objet d'une décision explicite quand elle concerne un établissement recevant du public répondant à des conditions de fréquentation définis par décret. / Une dérogation est accordée pour les établissements recevant du public situés dans un immeuble collectif à usage principal d'habitation existant à la date de publication de l'ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 lorsque les copropriétaires refusent les travaux de mise en accessibilité dans les conditions prévues à l'article 24 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. " ;
3. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait méconnu la portée de la loi d'habilitation du 10 juillet 2014 sur le fondement de laquelle a été adoptée l'ordonnance précitée du 26 septembre 2014 est inopérant ; qu'en effet, ce décret a été pris en application des dispositions du code de la construction et de l'habitation de valeur législative issues de l'ordonnance du 26 septembre 2014 ratifiée par la loi du 6 août 2015 ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que l'ordonnance du 26 septembre 2014 mentionnée ci-dessus a modifié les dispositions de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation, afin de substituer à la notion " d'établissement recevant du public existant " celle " d'établissement recevant du public dans un cadre bâti existant " ; que, du fait de cette modification, les obligations de mise en accessibilité immédiate résultant, pour les bâtiments ou parties de bâtiments nouveaux, des articles L. 111-7 et L. 111-7-1, ne s'appliquent plus aux établissements recevant du public dans un cadre bâti existant ; que, par suite, les dispositions de l'article R. 111-19-7, en ce qu'elles prévoient de ne soumettre qu'à des obligations progressives ou aménagées de mise en accessibilité tant les établissements recevant du public existants que ceux devant être créés dans un cadre bâti existant, n'ont pas fait une inexacte application de la loi ; que les moyens tirés de la méconnaissance par le décret attaqué des articles L. 111-7 et L. 111-7-1 du code de la construction et de l'habitation doivent être écartés ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du III de l'article R. 111-19-7 du code de la construction et de l'habitation, issu du décret attaqué, le ministre chargé de la construction " fixe, par arrêté, les obligations auxquelles doivent satisfaire les constructions et les aménagements propres à assurer l'accessibilité des établissements et de leurs abords en ce qui concerne les cheminements extérieurs, le stationnement des véhicules, les conditions d'accès et d'accueil dans les bâtiments, les circulations horizontales et verticales à l'intérieur des bâtiments, les locaux intérieurs et les sanitaires ouverts au public, les portes et les sas intérieurs et les sorties, les revêtements des sols et des parois ainsi que les équipements et mobiliers intérieurs et extérieurs susceptibles d'y être installés, notamment les dispositifs d'éclairage et d'information des usagers " ; qu'aux termes des mêmes dispositions, l'arrêté en cause prévoit la possibilité pour le maître d'ouvrage de satisfaire à ces obligations " par des solutions d'effet équivalent aux dispositions techniques correspondantes de l'arrêté ", sous réserve que ces solutions répondent aux objectifs poursuivis en matière d'accessibilité ; que, contrairement à ce qui est soutenu, en prévoyant cette possibilité pour le maître d'ouvrage de satisfaire à ces obligations, le pouvoir réglementaire n'a méconnu ni l'étendue de sa compétence, ni l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité des normes, ni le principe de sécurité juridique ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'en vertu du sixième alinéa de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation, une dérogation aux obligations de mise en accessibilité est accordée pour ceux de ces établissements qui sont situés dans un immeuble collectif à usage principal d'habitation existant à la date de publication de l'ordonnance du 26 septembre 2014, lorsque les copropriétaires refusent les travaux de mise en accessibilité dans les conditions prévues à l'article 24 de la loi du 10 juillet 1965 ; qu'en application de ces dispositions, le pouvoir réglementaire a indiqué au 4° du I de l'article R. 111-19-10 de ce code que, lorsque les copropriétaires d'un bâtiment à usage principal d'habitation existant au 28 septembre 2014 réunis en assemblée générale s'opposent, dans les conditions prévues par l'article 24 de la loi du 10 juillet 1965, à la réalisation des travaux de mise en accessibilité d'un établissement recevant du public existant dans ce bâtiment, la dérogation est accordée de plein droit ; que ces dernières dispositions réglementaires se bornent ainsi à préciser, sans les méconnaître, les dispositions du sixième alinéa de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation ; que les moyens, tirés de la méconnaissance par ces mêmes dispositions réglementaires des articles L. 111-7 et suivants du code de la construction et de l'habitation, de l'erreur manifeste d'appréciation, d'une rupture d'égalité devant la loi et d'une atteinte illégale et injustifiée au droit de propriété des copropriétaires doivent en conséquence être écartés comme inopérants ;
7. Considérant, en quatrième lieu, que la directive 2000/78/CE précitée a pour objet de fixer un " cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail " et ne traite que des obligations des employeurs en ce domaine ; que par suite les dispositions contestées n'entrent pas dans le champ d'application de la directive ; que dès lors, les moyens tirés de ce que les articles R. 111-19-7 et R. 111-19-10 du code de la construction et de l'habitation issus du décret attaqué seraient incompatibles avec ces articles de la directive, en ce qu'ils restreindraient les possibilités d'accès des handicapés aux établissements recevant du public ne peuvent, qu'être écartés ;
8. Considérant, en cinquième lieu, que les moyens tirés de ce qu'en restreignant les possibilités d'accès des handicapés aux établissements recevant du public les dispositions attaquées méconnaîtraient les stipulations de diverses conventions internationales et notamment de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ensemble l'article 1er de son premier protocole additionnel tel qu'amendé par le protocole n° 11 et la convention des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées et son protocole facultatif ne sont, en tout état de cause, pas assortis de précisions de nature à permettre d'en apprécier le bien fondé ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs n'est pas fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ; que ces mêmes dispositions font également obstacle à de qu'il soit fait droit aux conclusions des associations intervenant au soutien de la requête, qui n'ont pas la qualité de partie à l'instance ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de l'Association de défense et d'entraide des personnes handicapées, du Groupement pour l'insertion des handicapés physiques et de l'Association des paralysés de France sont admises.
Article 2 : La requête de l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'Association de défense et d'entraide des personnes handicapée, le Groupement pour l'insertion des handicapés physiques et l'Association des paralysés de France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4: La présente décision sera notifiée à l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs, à l'Association de défense et d'entraide des personnes handicapée, au Groupement pour l'insertion des handicapés physiques, à l'Association des paralysés de France, au Premier ministre, à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et à la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.