Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 octobre 2009 et 14 janvier 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, dont le siège est au 7 bis rue Riquet à Paris (75019) ; la requérante demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 juillet 2009 du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés et du ministre de la santé et des sports fixant le règlement intérieur du centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
Vu le décret n° 2008-1129 du 4 novembre 2008 ;
Vu les décisions du Conseil constitutionnel n° 2008-582 DC du 21 février 2008 et n° 2010-9 QPC du 2 juillet 2010 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Michel Thenault, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Spinosi, avocat de la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS,
- les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Spinosi, avocat de la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS ;
Considérant que l'article 706-53-21 du code de procédure pénale, issu de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat précise les conditions dans lesquelles s'exercent les droits des personnes retenues dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, y compris en matière d'emploi, d'éducation et de formation, de visites, de correspondances, d'exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. Il ne peut apporter à l'exercice de ces droits que les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l'ordre public ; qu'en application de cet article, le décret du 4 novembre 2008 a introduit dans la deuxième partie du code de procédure pénale un chapitre III intitulé De la surveillance de sûreté et de la rétention de sûreté dont les articles R. 53-8-66 à R. 53-8-74 sont relatifs aux droits des personnes retenues dans les centres socio-médico-judiciaires de sûreté ; que l'article R. 53-8-75, issu du même décret et inclus dans une sous-section du même chapitre relative au centre de Fresnes, a prévu qu'un centre socio-médico-judiciaire de sûreté serait créé au sein de l'établissement public de santé national de Fresnes ; que l'article R. 53-8-78, relatif lui aussi à ce centre, dispose que : Les règles de fonctionnement du centre et les conditions dans lesquelles s'exercent les droits des personnes retenues (...) sont précisés par son règlement intérieur qui est fixé par arrêté conjoint du ministre de la justice et du ministre chargé de la santé ;
Considérant qu'en application de ces dernières dispositions a été pris l'arrêté du 6 juillet 2009 fixant le règlement intérieur du centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes ; que la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (SFOIP) demande l'annulation de plusieurs dispositions de ce règlement intérieur ;
Sur les moyens tirés de l'incompétence des auteurs de l'arrêté du 9 juillet 2009 :
Considérant, en premier lieu, que le Premier ministre tenait des dispositions précédemment citées de l'article 706-53-21 du code de procédure pénale compétence pour définir les conditions dans lesquelles s'exercent les droits des personnes retenues, y compris en matière de visites, de correspondances et de libre disposition des biens, et pour apporter à l'exercice de ces droits les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l'ordre public ; que les articles R. 53-8-66 à R. 53-8-74 du code de procédure pénale issus, comme il a été dit ci-dessus, du décret du 4 novembre 2008 pris sur ce fondement, fixent la portée, le contenu et les limites des droits mentionnés à l'article 706-53-21 du même code ; qu'en renvoyant à un règlement intérieur fixé par arrêté le soin de préciser les conditions dans lesquelles s'exercent les droits des personnes retenues dans ce centre, l'article R. 53-8-78 issu de ce même décret n'a pas procédé à une subdélégation illégale qui entacherait, de ce seul fait, l'arrêté attaqué d'incompétence ;
Considérant, toutefois, qu'il résulte des termes mêmes de l'article 706-53-21 du code de procédure pénale qu'il n'appartenait qu'au décret dont il a prévu l'intervention de préciser les conditions dans lesquelles s'exercent les droits des personnes retenues dans un tel centre, notamment en matière de visites et de correspondances ; que le contrôle ou la limitation des droits que les dispositions du décret énumèrent ne peut intervenir que pour les seuls motifs et sous les conditions et garanties expressément prévus par les dispositions de l'article R. 53-8-66 aux termes duquel : L'exercice des droits reconnus aux personnes retenues ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles strictement nécessaires au maintien de l'ordre et de la sécurité dans les centres, à la protection d'autrui, à la prévention des infractions et de toute soustraction des personnes retenues à la mesure dont elles font l'objet ; qu'en particulier, les dispositions des 5° et 7° de l'article R. 53-8-68 ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet d'autoriser un contrôle général des correspondances et des communications téléphoniques des personnes retenues, à la seule exception de celles échangées avec leur avocat, et n'autorisent le directeur de l'établissement de procéder à un tel contrôle que dans le cas strictement prévu par le dernier alinéa de ce même article et par l'article R. 53-8-66 auquel il renvoie ; que, de la même façon, le droit de la personne retenue de recevoir chaque jour des visites de toute personne de son choix, énoncé au 6° de l'article, ne saurait recevoir de restriction en dehors des motifs indiqués par l'article R. 53-8-66 ;
Considérant, par suite, qu'en indiquant, à l'article 12 du règlement intérieur, que le courrier arrivé est remis aux personnes retenues après contrôle éventuel et que les communications téléphoniques, à l'exception de celles avec un avocat, peuvent être écoutées, enregistrées ou interrompues sur décision du directeur de l'établissement et en prévoyant dans le même article, par des règles générales, des restrictions aux visites qu'une personne retenue peut recevoir, les auteurs de l'arrêté ont apporté aux droits de ces personnes d'autres restrictions que celles que le décret avait limitativement définies et ont, ce faisant, pris des dispositions entachées d'incompétence ; que par suite, l'association requérante est fondée à demander l'annulation des dispositions de l'article 12 du règlement intérieur annexé à l'arrêté du 6 juillet 2009, en tant qu'elles concernent la correspondance, le téléphone et les visites ;
Considérant, en revanche, que, contrairement à ce que soutient la requérante, les dispositions du règlement intérieur qui apportent des précisions quant aux règles de fonctionnement du centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes, créé par le décret du 4 novembre 2008 au sein de l'établissement public de santé national du même nom institué en application de l'article L. 6141-5 du code de la santé publique, ne sont pas d'une portée telle qu'elles n'auraient pu légalement être définies par arrêté ;
Sur le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure :
Considérant que, si l'article 1er du règlement intérieur litigieux mentionne qu'un registre de rétention est tenu par le service administratif du greffe, où y sont notamment reportés la date d'arrivée dans le centre de la personne retenue, la date prévue pour la fin de la mesure, en cas de sortie provisoire, les motifs ainsi que les dates de sortie et de retour, la date effective de sa sortie du centre, ces dispositions ne font que rappeler l'existence de ce registre, prévu et défini par les dispositions de l'article R. 53-8-78 du code de procédure pénale, issues du décret du 4 novembre 2008 ; que par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué procèderait, ce faisant, à la création d'un traitement de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat, qui aurait dû être précédée d'une consultation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en vertu des dispositions combinées des articles 2 et 26 de la loi du 6 janvier 1978 ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;
Sur les moyens tirés de la méconnaissance de stipulations des articles 3, 5, 7 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 3 de cette convention : Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; que la requérante fait valoir que l'arrêté litigieux a été pris en application d'un décret lui-même pris pour l'application de la loi du 25 février 2008, laquelle porterait atteinte à ces stipulations ;
Considérant qu'il résulte cependant des dispositions de cette loi qu'une mesure de sûreté ne peut être prononcée que par une juridiction, dans les conditions et selon les modalités prévues par la loi, vis-à-vis de personnes présentant, après avoir effectué l'intégralité de leur peine privative de liberté, une particulière dangerosité, caractérisée par une probabilité très élevée de récidive, parce qu'elles souffrent d'un grave trouble de la personnalité, et seulement si aucun autre moyen ne s'avère efficace pour prévenir une récidive dont la probabilité est très élevée ; qu'une telle mesure est prononcée pour une durée d'un an uniquement et ne peut être renouvelée que pour la même durée, selon les modalités prévues par l'article 706-53-15 du code de procédure pénale, dès lors que les conditions fixées par l'article 706-53-14 du même code sont toujours remplies ; que si le nombre de renouvellements de la mesure n'est pas limité, le législateur a prévu qu'il était régulièrement tenu compte de l'évolution de la personne et que le renouvellement n'était possible que s'il constitue l'unique moyen de prévenir la commission des crimes visés à l'article 706-53-13 ; qu'enfin, il résulte de la réserve d'interprétation dont la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008 a assorti la déclaration de conformité à la Constitution des dispositions litigieuses, et qui s'impose à toutes les autorités administratives ou judiciaires pour leur application en vertu de l'article 62 de la Constitution, que la juridiction régionale de la rétention de sûreté ne pourra décider une mise en rétention de sûreté qu'après avoir vérifié que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l'exécution de sa peine, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la loi du 25 février 2008 aurait, en instituant la mesure de rétention de sûreté, porté atteinte aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme doit, en tout état de cause, être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu de l'article 5-1 de la même convention, toute personne a droit à la liberté et à la sûreté et que nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas énumérés par cet article et selon les voies légales, notamment : a) s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ; / b) s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi ; / c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ( ...) ;
Considérant que la loi du 25 février 2008 a prévu, dans ses dispositions introduites à l'article 706-53-19 du code de procédure pénale, que si la méconnaissance par la personne placée sous surveillance de sûreté des obligations qui lui sont imposées fait apparaître que celle-ci présente à nouveau une particulière dangerosité, caractérisée par une probabilité très élevée de commettre à nouveau l'une des infractions mentionnées à l'article 706-53-13, le président de la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut ordonner en urgence son placement provisoire dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, placement qui doit être confirmé dans un délai maximal de trois mois par la juridiction régionale ; que l'article R. 53-8-52 du même code précise que le juge de l'application des peines ou le procureur de la République saisit le président de la juridiction régionale afin qu'il ordonne, s'il y a lieu, le placement provisoire de la personne dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté ; que, si l'association requérante fait valoir que le placement en rétention de sûreté en cas de manquement aux obligations imposées dans le cadre d'une surveillance de sûreté ne peut être rattaché ni aux stipulations du a) du § 1 de l'article 5 de la convention ni à celles du c) du même article, les dispositions législatives contestées, qui ont pour objet de prendre, à l'encontre de la personne qui s'est soustraite à une mesure de surveillance de sûreté prononcée à son égard par une juridiction, des mesures en vue de l'application effective d'une surveillance destinée à éviter la commission de nouvelles infractions, ne sont pas contraires, en tant que telles, aux stipulations du b) du § 1 du même article 5 ; que par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de cet article doit également être écarté ;
Considérant, en troisième lieu, que le centre socio-médico-judiciaire de Fresnes accueille les personnes placées en rétention de sûreté ; qu'il résulte de la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008 que cette mesure ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi du 25 février 2008 ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ; que par suite, le moyen tiré de ce que le règlement du centre résultant de l'arrêté attaqué permettrait l'application d'une mesure de rétention de sûreté en méconnaissance de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut de même, en tout état de cause, qu'être écarté ;
Considérant, enfin, que le moyen tiré de ce que les dispositions que réitère l'arrêté seraient contraires aux stipulations de l'article 8 de la même convention n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien fondé ;
Sur les autres moyens :
Considérant que les obligations des personnes retenues sont clairement énoncées par la loi du 25 février 2008, par le décret du 4 novembre 2008 et par le règlement intérieur contesté, dont l'article 5 rappelle les dispositions des articles R. 53-8-72 et R. 53-8-73 du code de procédure pénale définissant les mesures qui peuvent être prises à l'égard des personnes retenues dont le comportement met en péril le bon ordre du centre, la sûreté des individus, la sécurité des biens ou cause des désordres persistants ; que par suite le moyen tiré de que le régime disciplinaire prévu par l'arrêté attaqué méconnaît le principe de légalité des délits et des peines, en ce que les obligations des personnes retenues ne sont pas énoncées et les sanctions encourues ne sont pas limitativement énumérées, ne peut qu'être écarté ;
Considérant que le moyen tiré de ce que les dispositions du règlement intérieur relatives aux pouvoirs de police du directeur de l'établissement public de santé national de Fresnes à l'intérieur du centre socio-médico-judiciaire de sûreté méconnaîtraient le principe de clarté et d'intelligibilité de la règle de droit n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
Considérant, enfin, que l'implantation du centre socio-médico-judiciaire au sein de l'établissement public de santé national de Fresnes résulte, ainsi qu'il a été dit, de l'article R. 53-8-75 du code de procédure pénale ; que par suite, la requérante ne peut utilement soutenir qu'en rappelant que le centre est situé dans l'enceinte de cet établissement, le règlement intérieur est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SECTION FRANÇAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS est seulement fondée à demander l'annulation des dispositions de l'article de l'article 12 du règlement du centre socio-médico- judiciaire de Fresnes annexé à l'arrêté du 6 juillet 2009 concernant la correspondance, le téléphone et les visites ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SECTION FRANÇAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS de la somme de 1 500 euros au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les dispositions de l'article 12 du règlement intérieur du centre socio-médico-judiciaire de Fresnes annexé à l'arrêté du 6 juillet 2009 sont annulées, en tant qu'elles concernent la correspondance, le téléphone et les visites.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1500 euros à la SECTION FRANÇAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à LA SECTION FRANÇAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés et au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.