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12/04/2012 | CEDH | N°001-110303

CEDH | CEDH, AFFAIRE LAGARDÈRE c. FRANCE, 2012, 001-110303


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LAGARDÈRE c. FRANCE

(Requête no 18851/07)

ARRÊT

STRASBOURG

12 avril 2012

DÉFINITIF

12/07/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Lagardère c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Elisabet Fura,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Ann Power-Forde,
Gan

na Yudkivska,
André Potocki, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 mars 2012,
...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LAGARDÈRE c. FRANCE

(Requête no 18851/07)

ARRÊT

STRASBOURG

12 avril 2012

DÉFINITIF

12/07/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Lagardère c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Elisabet Fura,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Ann Power-Forde,
Ganna Yudkivska,
André Potocki, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 mars 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 18851/07) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Arnaud Lagardère (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 avril 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par la SCP Piwnica et Molinié, avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, ainsi que par Me J.-P. Spitzer, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allégue en particulier la violation de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention.

4. Le 24 novembre 2009, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1961 et réside à Paris.

6. Le père du requérant, J.-L. Lagardère, fut président-directeur général des sociétés Matra et Hachette.

7. Le 29 décembre 1992, la société Lambda, représentant certains actionnaires des sociétés Matra et Hachette, déposa une plainte avec constitution de partie civile pour abus de biens sociaux.

8. Par une ordonnance du 21 juin 1999, J.-L. Lagardère fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris au motif qu’il aurait, en tant que président directeur général des sociétés Matra et Hachette, à Paris, de 1988 à 1992, fait, de mauvaise foi, un usage des biens et du crédit de ces sociétés qu’il savait contraire à leurs intérêts, en l’espèce, en leur faisant supporter le coût d’une redevance forfaitaire annuelle, en partie injustifiée, égale à 0,20 % du chiffre d’affaires de Matra et Hachette, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.

9. A cette fin, deux conventions avaient été signées : l’une, le 1er octobre 1988, entre Matra et Arjil Groupe et l’autre, le 1er novembre 1988, entre Hachette et Arjil Groupe. Elles furent approuvées par les assemblées générales de Hachette et de Matra les 20 juin 1989 et 26 juin 1989 respectivement.

10. Par un jugement du 22 juin 2000, le tribunal correctionnel de Paris déclara l’action publique engagée contre J.-L. Lagardère éteinte par prescription, le point de départ de celle-ci devant être fixée aux 20 et 26 juin 1989, dates de signature des conventions par les actionnaires. En conséquence, le tribunal déclara irrecevable la constitution de partie civile de la société Lambda.

11. Les 22 et 28 juin 2000, la société Lambda et le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris interjetèrent appel.

12. Par un arrêt du 25 janvier 2002, la cour d’appel de Paris confirma le jugement dans toutes ses dispositions. La société Lambda se pourvut en cassation.

13. Le 14 mars 2003, J.-L. Lagardère décéda.

14. Par un arrêt du 8 octobre 2003, la chambre criminelle de la Cour de cassation, après avoir constaté l’extinction de l’action publique, cette fois en raison du décès du prévenu, cassa et annula l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans toutes ses dispositions civiles, jugeant que le point de départ de la prescription était en réalité constitué par la présentation du rapport spécial des commissaires aux comptes aux assemblées générales, plus tardive que la date d’approbation des conventions. Elle renvoya la cause et les parties devant la cour d’appel de Versailles.

15. Devant la cour d’appel de renvoi, les héritiers de J.-L. Lagardère, sa veuve, E.P.L., et le requérant, dénoncèrent l’incompétence de la juridiction pour statuer sur l’action civile dirigée contre eux.

16. Par un arrêt du 30 juin 2005, la cour d’appel de Versailles rejeta l’exception d’incompétence, estimant que l’action civile se poursuivait devant la juridiction répressive si le décès de l’auteur de l’infraction intervient après le prononcé d’une décision statuant sur l’action publique.

17. Elle constata la prescription des faits d’abus de biens sociaux commis au cours de l’exercice 1988, mais considéra que ceux commis aux cours des exercices de 1989 à 1992 n’étaient pas prescrits.

18. La cour estima dès lors devoir rechercher si les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux étaient caractérisés à l’encontre du père du requérant. Pour ce faire, elle examina « l’intérêt personnel » à la conclusion et à l’exécution des contrats litigieux, « la contrariété à l’intérêt social des sociétés Matra et Hachette », puis « la mauvaise foi » de J.-L. Lagardère. Elle conclut sa motivation dans les termes suivants :

« le système mis en place (...) à la demande de M. [J.-L.] Lagardère (...) est constitutif du délit d’abus de biens sociaux au préjudice des sociétés Matra et Hachette. »

19. La Cour d’appel précisa que le bénéfice avait été de 94,1 millions de francs français, soit 14 345 452,52 euros (EUR) sans réelle valeur ajoutée pour les sociétés lésées.

20. Dans le dispositif de son arrêt, la cour d’appel s’exprima notamment comme suit :

« Dit que les éléments constitutifs des délits d’abus de biens sociaux au préjudice des sociétés Matra et Hachette étaient caractérisés pour cette période, à l’encontre de M. Jean-Luc Lagardère. »

21. Compte tenu de ce constat, la cour d’appel condamna E.P.L. et le requérant, en leur qualité d’ayants droit, à verser à la partie civile 14 345 452,52 euros au titre des dommages et intérêts.

22. Le requérant, E.P.L., la société Lambda et le procureur général près la cour d’appel se pourvurent en cassation. A l’appui de son pourvoi, le requérant dénonça notamment une violation de l’article 6 de la Convention en raison de l’incompétence de la juridiction pénale à statuer alors que son père était décédé.

23. Dans son avis sur le pourvoi, l’avocat général près la Cour de cassation, après avoir examiné les différentes solutions possibles, la doctrine et la jurisprudence, s’exprima en faveur de l’incompétence de la cour d’appel de Versailles pour statuer sur l’action civile après le décès de J.-L. Lagardère. Il justifia également son avis au plan des principes. En premier lieu, il précisa que quelle que soit la place réservée à la victime dans le procès pénal, le jugement sur l’action civile demeure l’accessoire du jugement sur l’action publique car il suppose la démonstration préalable de l’existence d’une infraction reprochable à une personne déterminée, ce qui interdit de poursuivre la procédure pénale contre les héritiers. Il cita un extrait d’un ouvrage de doctrine (Précis de procédure pénale, des professeurs Stefani, Levasseur et Bouloc, 19ème édition), aux termes duquel : « dans notre droit moderne, on ne fait plus de procès aux cadavres ni à la mémoire des morts ». En second lieu, il précisa que la nécessité d’une violation de la loi pénale, inhérente à toute décision du juge pénal, justifie que même pour ne statuer que sur l’action civile, il faut d’abord assurer au prévenu un procès pénal respectant le « principe de l’oralité des débats (...) et le caractère contradictoire des débats devant le juge répressif, composante essentielle du procès équitable. En d’autres termes, pour qu’un juge répressif puisse statuer au pénal comme au civil, il faut une condition préalable, la participation effective du prévenu à son procès ». Ainsi, pour que le juge pénal puisse statuer sur l’action civile seule, il aurait fallu « que le prévenu ait eu, à un moment ou à un autre, l’occasion effective de s’expliquer, de manière exhaustive, sur la consistance et la réunion de tous les éléments constitutifs de l’infraction reprochée ainsi que sur son imputabilité ».

24. Par un arrêt du 25 octobre 2006, la Cour de cassation déclara le pourvoi du procureur général irrecevable, rejeta celui du requérant et d’E.P.L.

25. Sur les arguments du requérant, l’arrêt était motivé comme suit :

« Attendu que, pour écarter l’exception d’incompétence de la juridiction répressive pour connaître de l’action civile prise, par les ayants-droit de [J.-L. Lagardère], de ce qu’aucune décision n’avait été rendue, au fond, sur l’action publique, avant le décès du prévenu, l’arrêt énonce, notamment, que les jugement et arrêt constatant la prescription de l’action publique ont statué sur celle-ci avant le décès du prévenu ; que les juges ajoutent que la juridiction correctionnelle, saisie sur renvoi après cassation, est seule compétente pour rechercher si la prescription est acquise et si, au regard des intérêts civils, les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux sont réunis ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision ;

Qu’en effet, les juridictions de jugement régulièrement saisies des poursuites avant l’extinction de l’action publique demeurent compétentes pour statuer sur l’action civile (...) »

26. Statuant sur le pourvoi de la partie civile, elle cassa et annula l’arrêt de la cour d’appel uniquement sur la question de la capitalisation des intérêts des sommes dues par les ayants droit de J.-L. Lagardère. A cette occasion, elle nota que la cour d’appel avait « retenu la culpabilité de Jean‑Luc Lagardère ».

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le code de procédure pénale

27. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisent comme suit :

Article 2

« L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction (...) »

Article 3

« L’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction. »

« Elle sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite. »

Article 4

« L’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction prévue par l’article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l’action publique.

Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.

La mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil. »

Article 5

« La partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive. Il n’en est autrement que si celle-ci a été saisie par le ministère public avant qu’un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile. »

Article 6

« L’action publique pour l’application de la peine s’éteint par la mort du prévenu, la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi pénale et la chose jugée. »

Article 10

« Lorsque l’action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l’action publique. Lorsqu’elle est exercée devant une juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du code civil.

Lorsqu’il a été statué sur l’action publique, les mesures d’instruction ordonnées par le juge pénal sur les seuls intérêts civils obéissent aux règles de la procédure civile. »

B. La jurisprudence de la Cour de cassation

28. Lorsque le juge répressif se trouve saisi en même temps de l’action publique et de l’action civile, le jugement de l’action civile est considéré comme l’accessoire du jugement de l’action publique (voir, notamment, Cass. crim, 19 mai 1969, Bull. crim. no 173).

29. L’action publique s’éteint par le décès du prévenu au cours de l’instance du pourvoi en cassation. Lorsque l’arrêt a été rendu par une juridiction d’instruction, les juges répressifs ne peuvent plus statuer sur l’action publique et sont dès lors incompétents pour connaître de l’action civile (Cass. crim., 5 mai 1998, Bull. crim. no 149). Quand le décès du prévenu se produit avant toute décision sur le fond, la juridiction correctionnelle est incompétente pour connaître de l’action civile (Cass. crim., 7 mars 1936 ; 9 septembre 2008, Bull. crim. no 177).

30. Les tribunaux répressifs ne peuvent se prononcer sur l’action civile qu’autant qu’il a été préalablement statué au fond sur l’action publique (Cass. crim., 9 septembre 2008, Bull. crim. no 177). Dans ce cas, et lorsque le décès se produit au cours de l’instance d’appel ou de pourvoi, l’action publique est éteinte mais la cour d’appel et la Cour de cassation restent compétentes pour statuer sur les seuls intérêts civils (Cass. crim., 18 février 1915 ; 29 mai 1978, Bull. crim. no 169 ; 13 mars 1997, Bull. crim. no 104 ; 15 juin 1977, Bull. crim. no 221 ; 8 avril 1991, Bull. crim. no 166 ; 13 mars 1995, Bull. crim. no 100 ; 22 mai 1995, Bull. crim. no 181). La cour d’appel reste compétente si le décès est survenu après cassation, mais avant que le prévenu ait été cité devant la cour de renvoi (Cass. crim., 3 février 1965, Bull. crim. no 32). La Cour de cassation doit examiner tant les moyens de cassation qui portent sur l’action civile que ceux qui portent sur l’action publique, celle-ci servant de fondement à celle-là (Cass. crim., 13 mars 1995, Bull. crim. no 100).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

31. Le requérant se plaint d’avoir été condamné, en sa qualité d’ayant droit, à payer des dommages-intérêts en raison de la culpabilité pénale de son père, culpabilité constatée pour la première fois après le décès de ce dernier par la cour d’appel de renvoi statuant sur l’action civile. Il dénonce une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

32. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

33. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, faisant valoir que le requérant n’a pas suffisamment mis les juridictions internes en mesure de se prononcer sur ses griefs formulés devant la Cour. Il estime que la seule disposition de la Convention qui semble avoir été évoquée est l’article 6 de la Convention, ce dernier étant cité dans le mémoire ampliatif du requérant sans la moindre précision ni commentaire.

34. Le requérant estime que l’argumentation du Gouvernement est inexacte, le premier moyen de cassation étant au contraire entièrement consacré à démontrer en quoi l’incompétence du juge pénal pour se prononcer sur l’action civile – dans l’hypothèse particulière du décès du prévenu avant toute décision rendue sur le fond – est de nature à garantir les règles du procès équitable. Il relève en outre que la question juridique posée dans son grief a également été traitée par l’avocat général dans son avis exprimé sur le pourvoi, ce qui a offert aux juges internes une occasion de remédier aux griefs en toute connaissance de cause.

35. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. A cet égard, elle souligne que tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que l’article 35 § 1 a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre lui (Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200). Cette règle se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Cette disposition doit s’appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif » ; il suffit que l’intéressé ait soulevé devant les autorités nationales « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne » les griefs qu’il entend formuler par la suite à Strasbourg (Castells c. Espagne, 23 avril 1992, série A no 236, § 27, Akdivar et autres c. Turquie,16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, §§ 65-69, et Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, CEDH 1999-I, § 37).

36. En l’espèce, la Cour relève que, devant la Cour de cassation, non seulement le requérant a expressément allégué une violation de l’article 6 de la Convention, mais il a dénoncé l’incompétence de la cour d’appel de renvoi pour statuer sur l’action civile exercée contre lui postérieurement à la mort de son père.

37. Dans ces circonstances, la Cour estime que le requérant a satisfait aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention.

38. L’exception d’irrecevabilité est donc rejetée.

39. Par ailleurs, la Cour relève que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

40. Le requérant indique tout d’abord que les intérêts de la partie civile auraient été aussi bien protégés par le juge civil. Ensuite, il estime justifié qu’en cas de mort du prévenu, présumé innocent faute d’avoir été déclaré coupable de son vivant, le contentieux de la réparation soit porté devant le juge civil car « dans notre droit moderne, on ne fait plus de procès aux cadavres ou à la mémoire des morts » (Stefani, Levasseur et Bouloc, Procédure pénale, Précis Dalloz, 19ème édition, p. 160).

41. Le requérant insiste sur le fait que l’action civile reste l’accessoire de l’action publique devant le juge répressif. Si l’extinction de l’action publique en raison du décès de la personne poursuivie n’affecte pas l’existence de l’action en réparation, elle a toutefois une incidence sur le juge compétent pour en connaître : par application de la jurisprudence interne, l’action civile ne se poursuit devant le juge pénal contre les héritiers que dans le seul cas où le décès du prévenu intervient après le prononcé d’un jugement sur le fond, qu’il s’agisse d’une décision de condamnation ou de relaxe ; à défaut, la partie civile doit porter son action devant le juge civil. Il renvoie d’ailleurs à l’avis de l’avocat général qui a conclu en ce sens, de manière très motivée, devant la Cour de cassation.

42. Le requérant estime donc avoir été victime d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Sa responsabilité en qualité d’héritier défendeur étant subordonnée à la constatation de la commission d’une infraction, il fallait que le prévenu, son père puisse se défendre en personne, puisqu’il n’avait pas le moyen d’assurer de manière équivalente la défense de son père décédé ; à défaut, l’affaire aurait dû être portée devant le juge civil.

43. Le Gouvernement estime d’emblée qu’aucune déclaration de culpabilité n’a été prononcée par les juridictions internes contre le père du requérant, tout en reconnaissant qu’elles se sont prononcées sur la constitution de l’infraction qui lui était reprochée. Il indique en outre que la position de la Cour de cassation s’inscrit dans sa jurisprudence plus générale concernant la poursuite de l’action civile après l’extinction des poursuites pénales. Il estime que cela permet de concilier de façon équilibrée les intérêts des parties à l’instance, en laissant leur juste place aux droits des victimes et en garantissant les exigences du procès équitable, tout en assurant l’unité et la simplicité des procédures, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Or en l’espèce, les deux décisions intervenues avant le décès du prévenu constataient la prescription de l’action publique ce qui, selon la Cour de cassation, constitue une décision sur le fond permettant la poursuite de l’action civile devant le juge répressif, en l’espèce la cour d’appel de renvoi.

44. Le Gouvernement estime que le requérant a bénéficié d’un procès équitable puisque, cité en qualité d’ayant droit de son père, il a eu accès à la procédure écrite et a pu exercer l’ensemble de ses droits, se faisant d’ailleurs représenter par les mêmes défenseurs que son père. Le Gouvernement en conclut que le droit de toutes les parties a donc été assuré, avant et après le décès du père du requérant. Il constate en outre qu’après avoir relevé que les délits d’abus de biens sociaux étaient caractérisés, les juridictions n’ont condamné le requérant qu’à indemniser la partie civile, sans faire peser sur lui des conséquences pénales des constatations opérées à l’égard de son défunt père.

2. Appréciation de la Cour

45. La Cour rappelle que la notion de « procès équitable », garantie par l’article 6 § 1 de la Convention, intègre le respect de l’égalité des armes. Ce principe, qui est l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable, au sens de l’article 6 § 1, exige un « juste équilibre entre les parties » : chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires (voir, notamment, Ankerl c. Suisse, 23 octobre 1996, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, § 23, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I, Kress c. France [GC], no 39594/98, § 72, CEDH 2001-VI, Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne, no 62543/00, § 56, CEDH 2004-III, et Yvon c. France, no 44962/98, § 31, CEDH 2003-V). La Cour rappelle également qu’il revient aux autorités nationales de veiller, dans chaque cas, au respect des conditions d’un « procès équitable » (Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 octobre 1993, § 33, série A no 274).

46. En l’espèce, la Cour note que J.-L. Lagardère, le père du requérant, a été poursuivi pour délits d’abus de biens sociaux et qu’il est décédé alors que la procédure pénale engagée à son encontre était encore pendante devant la Cour de cassation. Avant son décès, le tribunal correctionnel et la cour d’appel de Paris, statuant sur la validité de la poursuite, ont déclaré l’action publique éteinte par prescription, en application de l’article 6 du code de procédure pénale. La Cour de cassation a cependant cassé l’arrêt et renvoyé l’affaire devant le juge pénal pour statuer sur les intérêts civils, après avoir déclaré que l’action publique était éteinte en raison du décès du prévenu.

47. La Cour constate que la discussion entre les parties, tant devant les tribunaux que devant la Cour, a largement porté sur la question de savoir si, en l’espèce, une décision sur le fond concernant l’action publique avait été rendue avant le décès de J.-L. Lagardère, cette condition étant, au regard du droit interne, nécessaire pour que la juridiction répressive demeure compétente pour statuer sur l’action civile.

48. A cet égard, elle rappelle qu’il incombe d’abord aux autorités nationales, et spécialement aux cours et tribunaux, d’interpréter le droit interne et qu’elle ne substituera pas sa propre interprétation du droit à la leur en l’absence d’arbitraire (voir, mutatis mutandis, Ravnsborg c. Suède, 23 mars 1994, § 33, série A no 283-B, Bulut c. Autriche, 22 février 1996, § 29, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II, et Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, § 31, Recueil 1997‑VIII).

49. En l’espèce, le rôle de la Cour n’est donc pas de déterminer si les décisions rendues par le tribunal correctionnel et la cour d’appel de Paris étaient ou non des décisions sur le fond au sens du droit national – les juridictions internes étant mieux placées qu’elle pour se prononcer sur ce genre de question – mais de rechercher si, en l’espèce, la procédure, considérée dans son ensemble, a revêtu le caractère équitable voulu par l’article 6 § 1 et que les décisions internes ne sont pas manifestement déraisonnables ou arbitraires (Mantovanelli c. France, 18 mars 1997, § 34, Recueil 1997‑II, et Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 66, CEDH 2000-VIII).

50. A cet égard, la Cour note que la cour d’appel de Versailles, statuant sur renvoi, après avoir expressément constaté que le décès de la personne poursuivie entraîne l’extinction de l’action publique, a estimé que les décisions antérieures des juges du fond constatant la prescription des faits permettaient la poursuite de l’action civile, pour en déduire qu’elle avait compétence pour rechercher si les éléments constitutifs du délit d’abus de bien sociaux étaient réunis à l’encontre du prévenu.

51. Elle relève en outre que, dans son arrêt du 30 juin 2005, la cour d’appel de Versailles a ainsi apprécié la réunion des éléments constitutifs de l’infraction reprochée à l’encontre de J.-L. Lagardère, qu’il s’agisse de l’élément légal, mais également de l’élément matériel et de l’élément moral. Ce point n’est pas contesté par le Gouvernement, qui confirme à plusieurs reprises que la cour d’appel a caractérisé les éléments constitutifs de l’infraction d’abus de biens sociaux reprochée au défunt. Sur ce dernier point, alors même qu’aucune déclaration de culpabilité n’avait pu intervenir précédemment compte tenu des deux constats successifs de prescription des faits, la Cour note que la cour d’appel de Versailles a notamment fondé son constat aux termes duquel les faits poursuivis avaient bien été commis par le défunt sur le comportement de ce dernier, retenant expressément sa mauvaise foi.

52. Aux yeux de la Cour, en caractérisant les éléments constitutifs de l’infraction reprochée au prévenu défunt, notamment au regard de son comportement et de sa mauvaise foi, et en reprenant ce constat dans le dispositif, l’arrêt de la cour d’appel l’a déclaré coupable post-mortem, en des termes exempts d’ambigüité. La Cour de cassation a d’ailleurs elle‑même expressément constaté que la cour d’appel avait « retenu la culpabilité de J.-L. Lagardère ». Il importe peu à ce sujet, pour reprendre l’argument du Gouvernement à ce titre, que ce constat n’ait entraîné aucune conséquence pénale à l’égard du défunt ou du requérant : une sanction pénale était juridiquement impossible et, en tout état de cause, cela ne fait pas disparaître les développements et les conclusions de la cour d’appel sur la commission de l’infraction par J.-L. Lagardère. Un tel constat de culpabilité, à tout le moins au sens de l’article 6 de la Convention, est apparu pour la première fois dans la procédure devant la cour d’appel de renvoi, hors de tout débat contradictoire et de respect des droits de la défense du prévenu, celui-ci étant alors décédé depuis plus de deux ans.

53. A cet égard, la Cour rappelle que si une procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention, il demeure néanmoins qu’un déni de justice est constitué lorsqu’un individu condamné in absentia ne peut obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas établi qu’il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre (Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 29, série A no 89, Einhorn c. France (déc.), no 71555/01, § 33, CEDH 2001-XI, Krombach c. France, no 29731/96, § 85, CEDH 2001-II, et Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 66, CEDH 2004-IV), ou qu’il a eu l’intention de se soustraire à la justice (Medenica c. Suisse, no 20491/92, § 55, CEDH 2001‑VI). Il ne fait aucun doute que cette jurisprudence trouve nécessairement à s’appliquer, a fortiori, lorsqu’une déclaration de culpabilité intervient non seulement in absentia mais post‑mortem.

54. La Cour constate que la mise en cause civile du requérant en sa qualité d’ayant droit est la conséquence directe de ce constat de culpabilité post-mortem, préalable à la fois nécessaire et déterminant pour faire naître les obligations civiles à sa charge. Le requérant ne pouvait dès lors valablement discuter ni du bien-fondé des sommes susceptibles d’être mises à sa charge ni, du moins partiellement, de leur montant, dès lors que cela découlait nécessairement des constats faits par la cour d’appel sous le volet pénal. La Cour note d’ailleurs que la partie de l’arrêt consacrée à la mauvaise foi de J.-L. Lagardère précise le montant du bénéfice retiré par la commission du délit, tel qu’évalué par les experts pendant la procédure pénale, à savoir 94,1 millions de francs français : or il s’agit très exactement de la somme à laquelle le requérant a ensuite été condamné à payer en sa qualité d’ayant droit.

55. Aussi, tout en rappelant que le fait, pour une juridiction pénale, de statuer sur les intérêts civils de la victime est, en soi, conforme aux dispositions de l’article 6 de la Convention (Perez c. France [GC], no 47287/99, CEDH 2004-I), la Cour ne saurait admettre que les juridictions pénales appelées à juger l’action civile se prononcent pour la toute première fois sur la culpabilité pénale d’un prévenu décédé.

56. Dans ces circonstances, la Cour, qui rappelle que la Convention ne vise pas à garantir des droits théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs (voir, parmi beaucoup d’autres, Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37), considère que le requérant, mis en cause en sa qualité d’ayant droit dans le cadre de l’action civile exercée contre les héritiers de J.-L. Lagardère, n’était pas en mesure de défendre sa cause dans des conditions conformes au principe d’équité, étant à la fois privé de la possibilité de contester le fondement de sa mise en cause – à savoir la déclaration de culpabilité post-mortem de son père – et placé dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse. La Cour ne discerne d’ailleurs pas davantage les raisons pour lesquelles le Gouvernement tire argument de ce qu’il s’est fait représenter par les mêmes défenseurs que son père, le requérant n’ayant pas été poursuivi pénalement et ne pouvant en tout état de cause juridiquement être confondu avec son père, et ce avant comme après le décès de celui-ci.

57. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

58. Le requérant se plaint d’une atteinte au droit de son père à la présomption d’innocence. Il invoque l’article 6 § 2 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

A. Sur la recevabilité

59. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, le requérant ayant invoqué l’article 6 de la Convention d’une manière trop générale, notamment sans mentionner expressément le paragraphe 2.

60. Il s’interroge également sur la possibilité pour le requérant d’invoquer une éventuelle violation subie par une personne décédée, tout en s’en remettant à la sagesse de la Cour sur ce point.

61. Enfin, il considère que les dispositions de l’article 6 § 2 de la Convention ne sont pas applicables en l’espèce, dès lors qu’en l’espèce, comme dans l’affaire Ringvold c. Norvège (no 34964/97, CEDH 2003-II), la demande de dommages-intérêts constituait une demande civile, régie par des dispositions de caractère civil. L’issue de la procédure pénale n’était pas décisive pour la question de la réparation et aucune sanction pénale n’a d’ailleurs été prononcée par le juge à l’encontre de quiconque.

62. Le requérant considère que tant son mémoire ampliatif déposé devant la Cour de cassation que les conclusions de l’avocat général ont offert aux juridictions nationales toute latitude pour remédier, en toute connaissance de cause, au grief tiré de l’article 6 § 2 de la Convention.

63. De plus, il estime que la qualité de victime et l’applicabilité de l’article 6 § 2 ne font aucun doute, dès lors qu’en sa qualité d’héritier il est moralement lésé par le constat de culpabilité ayant frappé son père, dont il porte le nom. Il souligne son intérêt moral légitime, pour lui-même et sa famille, à voir son défunt père déchargé de tout constat de culpabilité.

64. La Cour rappelle d’emblée qu’elle a déjà considéré que le requérant avait épuisé les voies de recours internes concernant le grief tiré du l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 37 ci-dessus). Elle ne voit pas de raison de s’écarter de ce constat s’agissant du grief tiré du paragraphe 2 de l’article 6, bien que le paragraphe 2 n’ait pas été expressément invoqué par le requérant devant les juridictions internes. Le principe de la présomption d’innocence consacré par cette disposition figure parmi les éléments du procès pénal équitable exigé par le paragraphe 1 de la l’article 6 (voir, parmi beaucoup d’autres, Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, § 35, série A no 308) : or, la démarche de la cour d’appel de Versailles consistant à rechercher si les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux étaient caractérisés à l’encontre du père du requérant a expressément été critiqué par celui-ci dans son mémoire ampliatif.

65. Par ailleurs, la Cour rappelle que, par « victime », l’article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l’acte litigieux, l’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se concevant même en l’absence de préjudice (Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 50, CEDH 1999-VII).

66. La Cour a déjà eu à examiner des affaires dans lesquelles la victime est décédée au cours de la procédure interne et avant l’introduction de la requête. Dans ce genre de cas, elle examine si les proches ou les héritiers du défunt peuvent eux-mêmes se prétendre victime de la violation alléguée (Nölkenbockhoff c. Allemagne, 25 août 1987, § 33, série A no 123, Fairfield c. Royaume-Uni (déc.), no 24790/04, CEDH 2005-..., et Georgia Makri et autres c. Grèce (déc.), no 5977/03, 24 mars 2005).

67. La Cour constate que la violation alléguée du droit à un procès équitable a eu un effet direct sur les droits patrimoniaux du requérant, étant donné qu’en vertu de sa qualité d’héritier, le constat de la cour d’appel de Versailles selon lequel son père a commis le délit d’abus de bien sociaux a été déterminant pour faire naître ses obligations financières à l’égard des victimes. La Cour renvoie à ses conclusions sur la violation de l’article 6 § 1 de la Convention à ce titre (paragraphe 57 ci-dessus). De surcroît, dans la mesure où une question centrale soulevée par la cause dépasse les intérêts du cas d’espèce, le requérant peut avoir un intérêt légitime à veiller à ce que justice soit rendue. Le requérant peut donc se prétendre « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention.

68. Enfin, la Cour estime que la question de l’applicabilité de l’article 6 § 2, contestée par le Gouvernement, se confond en réalité avec le fond, dans le cadre duquel elle doit être examinée.

69. Partant, la Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

70. Le requérant considère qu’en se prononçant ainsi sur la responsabilité pénale de son père, alors que l’action publique était éteinte et qu’à la date de son décès il était toujours présumé innocent, les juridictions françaises ont violé son droit à la présomption d’innocence.

71. Il précise que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, la conclusion de la Cour dans son arrêt Nölkenbockhoff (précité) ne peut être transposée en l’espèce. Dans ce précédent, la non-violation se fondait sur le fait que les décisions attaquées impliquaient seulement la persistance d’un soupçon et non un constat de culpabilité (Nölkenbockhoff, précité, § 39). Or, en l’espèce, il relève que la cour d’appel de Versailles s’est expressément prononcée sur la mauvaise foi de son père et, par voie de conséquence, sur sa culpabilité. L’absence de peine importe peu, dès lors que son père a fait l’objet d’un arrêt qui retient sa mauvaise foi, et donc sa culpabilité personnelle, dans ses motifs puis, dans son dispositif, déclare que les éléments constitutifs de l’abus de biens sociaux étaient établis à son égard.

72. Le Gouvernement conclut à l’absence de violation au vu de l’arrêt Nölkenbockhoff (précité). En l’espèce, si le juge a certes caractérisé les éléments constitutifs de l’infraction des chefs d’abus de biens sociaux, il n’en a tiré aucune conséquence pénale et n’a prononcé aucune sanction pénale à l’égard du père du requérant, la réparation ne pouvant quant à elle être assimilée à une peine.

2. Appréciation de la Cour

73. La Cour rappelle que, si le principe de la présomption d’innocence consacré par le paragraphe 2 de l’article 6 figure parmi les éléments du procès pénal équitable exigé par le paragraphe 1 de la même disposition (voir, notamment, Deweer c. Belgique, 27 février 1980, § 56, série A no 35, Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, § 27, série A no 62, Kamasinski c. Autriche, 19 décembre 1989, § 62, série A no 168, Allenet de Ribemont c. France, précité, Bernard c. France, 23 avril 1998, § 37, et Kouzmin c. Russie, no 58939/00, § 59,18 mars 2010), il ne se limite pas à une simple garantie procédurale en matière pénale. Sa portée est plus étendue et exige qu’aucun représentant de l’Etat ou d’une autorité publique ne déclare qu’une personne est coupable d’une infraction avant que sa culpabilité ait été établie par un « tribunal » (Viorel Burzo c. Roumanie, nos 75109/01 et 12639/02, § 156, 30 juin 2009, et Moullet c. France (déc.), no 27521/04, 13 septembre 2007).

74. La présomption d’innocence se trouve méconnue si une déclaration officielle concernant un prévenu reflète le sentiment qu’il est coupable, alors que sa culpabilité n’a pas été préalablement légalement établie. Comme elle a jugé dans l’affaire Minelli c. Suisse (précité, § 37), concernant la motivation des décisions judiciaires, la présomption d’innocence peut être violée même en l’absence de constat formel : il suffit que la décision contienne une motivation donnant à penser que le juge considère l’intéressé comme étant coupable (voir également « public officials » ; Butkevičius c. Lituanie, no 48297/99, § 49, CEDH 2002-II (extraits)).

75. Toutefois, une distinction doit être faite entre les décisions ou les déclarations qui reflètent le sentiment que la personne concernée est coupable et celles qui se bornent à décrire un état de suspicion. Les premières violent la présomption d’innocence, tandis que les secondes ont été à plusieurs reprises considérées comme conformes à l’esprit de l’article 6 de la Convention (Nölkenbockhoff, précité, et Marziano c. Italie, no 45313/99, § 31, 28 novembre 2002).

76. La Cour rappelle également que l’article 6 § 2 de la Convention s’applique à des situations où la personne concernée n’a pas fait ou ne fait plus l’objet d’une accusation en matière pénale. Il est arrivé à la Cour de juger cette clause applicable à une décision de justice prise après l’arrêt des poursuites (voir notamment les arrêts Minelli c. Suisse du 25 mars 1983, série A no 62, et Lutz, Englert et Nölkenbockhoff c. Allemagne du 25 août 1987, série A no 123) ou après un acquittement (Sekanina c. Autriche, 25 août 1993, § 25, série A no 266-A, Rushiti c. Autriche, no 28389/95, 21 mars 2000, Lamanna c. Autriche, no 28923/95, 10 juillet 2001, Capeau c. Belgique, no 42914/98, § 24, 13 janvier 2005, et Puig Panella c. Espagne, no 1483/02, § 51, 25 avril 2006). Ces arrêts concernaient des procédures afférentes à des questions telles que l’opportunité de faire supporter à l’accusé les dépens de l’instance, de lui rembourser les frais nécessaires engagés par lui (ou par ses héritiers) ou de lui accorder une indemnité pour sa détention provisoire, toutes questions qui ont été jugées constituer un corollaire et un complément des procédures pénales concernées.

77. En outre, il existe une règle fondamentale du droit pénal, selon laquelle la responsabilité pénale ne survit pas à l’auteur de l’acte délictueux. Non seulement cette règle est aussi requise par la présomption d’innocence consacrée à l’article 6 § 2 de la Convention, mais en outre hériter de la culpabilité du défunt n’est pas compatible avec les normes de la justice pénale dans une société régie par la prééminence du droit (A.P., M.P. et T.P. c. Suisse et E.L., R.L. et J.O.-L. c. Suisse, 29 août 1997, respectivement §§ 48 et 53, Recueil 1997-V).

78. Enfin, la Cour a déjà examiné la situation de personnes condamnées à verser une réparation aux victimes d’une infraction pénale dont elles avaient été acquittées. Dans de telles hypothèses, elle recherche si la procédure en réparation dont il s’agit en l’espèce a donné lieu à une « accusation en matière pénale » à l’encontre du requérant et, dans la négative, si elle était néanmoins liée à la procédure pénale d’une manière propre à la faire tomber dans le champ d’application de l’article 6 § 2 (Ringvold c. Norvège, no 34964/97, § 36, CEDH 2003-II, et Y c. Norvège, no 56568/00, § 39, Recueil 2003-II (extraits)).

79. En l’espèce, la condamnation civile à verser une indemnité visait principalement, contrairement à une reconnaissance de responsabilité pénale, à compenser le préjudice subi par les victimes. Il paraît clair que ni le but de l’indemnité ni son montant n’ont conféré à cette mesure, en soi, le caractère d’une sanction pénale aux fins de l’article 6 § 2. Dans ces conditions, l’introduction de la demande en réparation n’équivalait pas à la formulation d’une autre « accusation en matière pénale » contre le père du requérant (Ringvold c. Norvège, no 34964/97, CEDH 2003-II).

80. Il reste à déterminer s’il existait entre la procédure pénale et la procédure en réparation des liens tels qu’il se justifierait d’étendre à cette dernière le champ d’application de l’article 6 § 2.

81. Sur ce point, la Cour rappelle que le prévenu est décédé avant que sa culpabilité ait été légalement établie par un « tribunal » et, partant, qu’il était présumé innocent de son vivant. L’action civile n’étant que l’accessoire de l’action publique, la cour d’appel de Versailles a néanmoins entrepris la démonstration préalable de la commission de l’infraction par le prévenu décédé et du bénéfice réalisé par lui, pour ensuite être en mesure de statuer sur l’action civile et condamner le requérant à payer des dommages-intérêts d’un montant identique au bénéfice indiqué ci-dessus. De l’avis de la Cour, un tel lien entre la procédure pénale et la procédure en réparation, au vu des circonstances de l’espèce, justifie d’étendre à cette dernière le champ d’application de l’article 6 § 2.

82. Par ailleurs et en tout état de cause, la Cour estime que tant par le langage utilisé que par son raisonnement, la cour d’appel de Versailles a créé, entre la procédure pénale et la procédure en réparation concomitante, un lien manifeste justifiant que l’on étende à la seconde le champ d’application de l’article 6 § 2.

83. Or, la Cour a déjà jugé que si la décision interne sur l’action civile devait renfermer une déclaration imputant une responsabilité pénale à la partie défenderesse, cela poserait une question sur le terrain de l’article 6 § 2 de la Convention (Y, précité, § 42, et Ringvold, précité, § 38).

84. La Cour constate en effet que la cour d’appel, dans son arrêt du 30 juin 2005, commence par indiquer qu’il lui appartient de rechercher si les éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux reproché au père du requérant, J.-L. Lagardère, sont caractérisés « à son encontre ». L’arrêt présente d’abord les arguments : de la partie civile, qui détaille le comportement personnel de J.-L. Lagardère, dont elle invoque la mauvaise foi ; du ministère public, pour lequel l’intérêt personnel de J.-L. Lagardère ne fait aucun doute, mais sans que sa mauvaise foi soit démontrée et que le délit soit constitué ; enfin, des ayants droits du prévenu décédé, notamment le requérant. Dans la partie suivante de l’arrêt, intitulée « Motifs de la Cour », la juridiction rappelle les conditions légales pour que le délit soit constitué, à savoir un comportement spécifique du dirigeant d’une société, en l’espèce J.-L. Lagardère, ainsi qu’un usage des biens sociaux contraire aux intérêts de la société, dans un intérêt personnel et de mauvaise foi. Le premier titre concerne d’ailleurs « l’intérêt personnel de M. Jean-Luc Lagardère » et la cour d’appel, à l’issue de son examen de la conclusion et de l’exécution de contrats litigieux, décide que l’intérêt personnel de J.-L. Lagardère est caractérisé. Le second titre s’attache à évaluer la contrariété de ces conventions avec l’intérêt social des deux sociétés lésées.

85. Surtout, le troisième titre de l’arrêt consacré aux motifs de la cour d’appel, qui traite de « la mauvaise foi » de J.-L. Lagardère et se lit à la lumière des deux premiers, constate expressément que le père du requérant a commis l’infraction reprochée. La cour d’appel commence par y rappeler qu’« il a déjà été relevé que M. Jean-Luc Lagardère avait maintenu le système (...) alors que son attention avait été attirée (...) sur la qualification possible d’abus de biens sociaux que pourrait revêtir un tel montage ». Elle en déduit que « le système mis en place (...) à la demande de M. Jean-Luc Lagardère (...) est constitutif du délit d’abus de biens sociaux ».

86. Enfin, le dispositif même de l’arrêt contient le texte suivant, qui ne diffère en rien de la formule susceptible d’être utilisée par une juridiction répressive statuant au plan pénal à l’encontre d’un prévenu vivant : « Dit que les éléments constitutifs des délits d’abus de biens sociaux au préjudice des sociétés Matra et Hachette étaient caractérisés pour cette période, à l’encontre de M. Jean-Luc Lagardère ».

87. Partant, la Cour estime que la teneur de tels propos ne laisse planer aucun doute sur le fait qu’elle a déclaré le père du requérant coupable des faits reprochés, alors même que l’action publique était éteinte du fait de son décès et que sa culpabilité n’avait jamais été établie par un tribunal de son vivant.

88. Partant, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, l’article 6 § 2 de la Convention est applicable et qu’il a été violé.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

89. Le requérant soulève également d’autres griefs tirés des articles 6, 7 et 8 de la Convention, ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1.

90. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

91. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

92. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

93. Le requérant réclame 14 345 452,52 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, outre 50 000 EUR au titre du préjudice moral.

94. Selon le Gouvernement, les demandes du requérant sont manifestement excessives et leur lien avec les violations alléguées de l’article 6 de la Convention n’est pas démontré.

95. La Cour note qu’en l’espèce, la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable et qu’il a été porté atteinte au droit de son père à la présomption d’innocence, en violation de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention.

96. Elle rappelle qu’elle n’octroie un dédommagement pécuniaire au titre de l’article 41 que lorsqu’elle est convaincue que la perte ou le préjudice dénoncé résulte réellement de la violation qu’elle a constatée (voir, parmi d’autres, Kingsley c. Royaume-Uni [GC], no 35605/97, § 40, CEDH 2002-IV). En l’espèce, la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure incriminée aurait abouti si la violation de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention n’avait pas eu lieu (voir, notamment, Mantovanelli, précité, § 40). En conséquence, rien ne justifie qu’elle accorde au requérant une indemnité de ce chef. Quant au préjudice moral, la Cour estime qu’il a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle décide de lui allouer 10 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

97. Le requérant demande le remboursement des frais et dépens exposés pour assurer sa défense devant la Cour de cassation et devant la Cour, soit un montant total de 103 693,20 EUR. Il produit cinq factures d’honoraires à l’appui de sa demande.

98. Le Gouvernement considère que la demande est injustifiée et que la somme de 8 000 EUR pourrait être retenue.

99. Selon la jurisprudence constante de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002, Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 176, CEDH 2008–..., et Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII). En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 10 000 EUR au titre des frais et dépens exposés pour dénoncer la violation constatée dans le cadre de la procédure interne et devant la Cour.

C. Intérêts moratoires

100. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, s’agissant de l’iniquité de la procédure en raison de la poursuite de l’action civile devant le juge pénal malgré le décès du père du requérant ;

2. Déclare, à la majorité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 2 de la Convention ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention ;

5. Dit, à l’unanimité,

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 10 000 EUR (dix mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 avril 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stephen PhillipsDean Spielmann
Greffier adjointPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente de la juge Power-Forde.

D.S.
J.S.P.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE
LA JUGE POWER-FORDE

(Traduction)

J’ai voté contre la recevabilité du grief soulevé par le requérant sur le terrain de l’article 6 § 2 et, partant, contre le constat de violation de son droit à la présomption d’innocence. J’ai déjà exprimé mes vues sur la jurisprudence de la Cour en la matière, au vu de son développement[1]. Le modèle d’interprétation de l’article 6 § 2 érigeant cette présomption en un principe détachable, survivant éternellement à l’acquittement, me semble poser certaines difficultés. Selon lui, un accusé acquitté à l’issue de son procès continue de jouir de la présomption d’innocence même après la clôture de celui-ci, dès lors qu’il existe un « lien » suffisant entre les observations d’un tribunal postérieures à l’acquittement et la responsabilité pénale de l’intéressé[2].

À mes yeux, le bon sens et le contexte global du « procès équitable », avec lequel la présomption d’innocence s’articule dans le cadre de la Convention, m’amènent à conclure que le modèle d’interprétation fondé sur les « faits survenus » est le meilleur. Selon ce modèle, la présomption est quelque chose qui doit être « déclenché », c’est-à-dire qu’elle ne produit d’effets juridiques que par la survenance de faits qui, concrètement, font peser ou risquent de faire peser sur une personne une accusation pénale sur laquelle il n’a pas encore été statué.

Dans son arrêt Allenet de Ribemont c. France, la Cour a dit que la présomption d’innocence consacrée à l’article 6 § 2 constitue l’un des éléments d’un procès pénal équitable exigé par le paragraphe 1 de ce même article[3]. Le principe de la présomption d’innocence est avant toute chose une garantie procédurale en matière pénale qui donne obligation à toutes les instances de l’État de veiller à ce qu’il ne soit jamais suggéré qu’un accusé est coupable des faits retenus contre lui avant qu’un jugement ne se prononce en ce sens conformément à la loi.

Je reconnais volontiers qu’il y a quelque chose d’injuste dans cette affaire en ce que le requérant a été pénalisé dans des circonstances où il n’avait eu aucune possibilité de répondre à ses accusateurs et c’est pour cela que j’ai voté en faveur d’un constat de violation de l’article 6 § 1. Je ne puis cependant accepter que le bénéfice de la présomption d’innocence qui, dans la jurisprudence antérieure, était restreint à la personne accusée d’une infraction pénale ou acquittée en définitive, puisse désormais passer à ses successeurs. Le requérant en l’espèce n’a à aucun moment été accusé pénalement. Le procès au cours duquel il a été victime d’une violation de l’article 6 § 1 n’était pas de nature pénale. Ce dont le requérant tire grief, c’est d’une atteinte à la présomption d’innocence subie par son père, qui est par ailleurs peut-être très bien avérée. Or son père n’est pas et n’a jamais été requérant devant la Cour. La présomption d’innocence en tant que garantie procédurale au pénal n’est pas un bien faisant partie du patrimoine d’une personne et transmissible, pour cause de mort, à ses successeurs. À mes yeux, en constatant une violation de l’article 6 § 2, la majorité a excessivement étendu la finalité de la présomption d’innocence telle que consacrée dans la Convention. Peut-être le moment est-il venu de reconsidérer la direction prise par la jurisprudence de la Cour sur ce point de principe important.

* * *

[1] Voir mon opinion concordante jointe à l'arrêt Bok c. Pays-Bas, no 45482/06, 18 janvier 2011.

[2] Voir, entre autres, Sekanina c. Autriche, 25 août 1993, § 30, série A no 266‑A ; Rushiti c. Autriche, no 28389/95, § 31, 21 mars 2000 ; Y c. Norvège, no 56568/00, §§ 39-47, CEDH 2003‑II (extraits) ; O. c. Norvège, no 29327/95, §§ 33-41, CEDH 2003‑II, et Orr c. Norvège, no 31283/04, § 47-55, 15 mai 2008.

[3] Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, § 35, série A no 308.


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