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06/03/2001 | FRANCE | N°00/00549

France | France, Cour d'appel de bourges, 06 mars 2001, 00/00549


Vu le jugement rendu le 27 janvier 2000 par le Tribunal de Grande Instance de NEVERS déboutant la S.A. P de sa demande d'annulation d'un avis de recouvrement du 17 mars 1997 faisant suite à un redressement,

Vu la déclaration d'appel remise au greffe de la Cour le 16 mars 2000,

Vu les dernières écritures d' appel signifiées le 10 novembre 2000 par la S.A. P tendant à voir déclarer la procédure de redressement irrégulière et en tout état de cause les redressements prononcés non justifiés,

Vu les conclusions signifiées le 30 août 2000 par la Direction Régi

onale des Impôts de Bourgogne sollicitant la confirmation.

Attendu que le litige...

Vu le jugement rendu le 27 janvier 2000 par le Tribunal de Grande Instance de NEVERS déboutant la S.A. P de sa demande d'annulation d'un avis de recouvrement du 17 mars 1997 faisant suite à un redressement,

Vu la déclaration d'appel remise au greffe de la Cour le 16 mars 2000,

Vu les dernières écritures d' appel signifiées le 10 novembre 2000 par la S.A. P tendant à voir déclarer la procédure de redressement irrégulière et en tout état de cause les redressements prononcés non justifiés,

Vu les conclusions signifiées le 30 août 2000 par la Direction Régionale des Impôts de Bourgogne sollicitant la confirmation.

Attendu que le litige trouve son origine dans les éléments de faits suivants :

Par acte sous seing privé en date du 29 avril 1996, enregistré à la Recette divisionnaire des impôts de Nevers Nord le 27 mai suivant, la S.A. A, et la société en nom collectif A et Cie ont vendu à la Société P en cours de formation un fonds de commerce de fabrication et commercialisation de matériels destinés aux laiteries qu'elles exploitaient à cette dernière adresse.

Cette cession a été consentie moyennant le prix de 2 348 555 F pour le matériel de 35 125 081 F pour le stock de marchandises. La valeur de la clientèle a été indiquée pour "0 franc", tandis que la valeur d'inscription ou licence, ainsi que le droit au bail a été mentionnée pour "néant".

Le même jour, un contrat de concession de licence a été conclu par acte sous sein privé entre la Société P et les Sociétés A INTERNATIONAL,. A S.A. et A etamp; Cie.

Par cette convention, le concédant a concédé à la S.A. P le droit

exclusif d'utiliser les brevets et le savoir-faire développés par la Société A, précédent exploitant, ainsi que le droit d'utiliser les marques commerciales A-C pendant cinq ans et A-D pendant un an. Les licences ont été concédées moyennant le versement d'une redevance fixée annuellement à 1 200 000 F pendant tune durée de six ans à compter de 1996.

L'Administration a considéré que le caractère concomitant de la cession du matériel et des marchandises d'une part, de conclusion d'autre part d'un contrat de concession conférant au concessionnaire le droit d'utiliser les brevets, les marques commerciales et le savoir-faire, moyennant le versement pendant une durée déterminée d'une redevance annuelle, faisait apparaître que la clientèle attachée à ces différents droits incorporels et les autres éléments du fonds de commerce se sont trouvés volontairement réunis en même temps dès 1986 entre les mains de la société P, les deux actes précités constituant en réalité une cession globale de fonds de commerce.

La mutation secrète de fonds de commerce ainsi déguisée sous forme d'un contrat de concession de licence a été soumise aux droits d'enregistrement, en application de l'article 719 du Code Général des Impôts, le montant des redevances versées pendant six ans constituant le prix de cession taxable.

Un rappel de 1 195 200 F a été notifié à la Société P le 23 avril 1996 selon la procédure contradictoire, assorti de pénalités de mauvaise foi en raison de l'importance des droits éludés dans le cadre d'une cession de fonds de commerce déguisée par un acte de concession de licence.

Attendu que pour fonder sa décision de rejet de la contestation de la S.A. P, le Tribunal a considéré d'une part que la prescription du droit de reprise n'était pas acquise dès lors que le délai de 10 ans

prévu par l'article L 186 du Livre des Procédures Fiscales était applicable et d'autre part qu'il y avait bien eu cession de l'ensemble des éléments constituant le fonds de commerce sous couvert d'une simple concession de licence, ce qui justifiait le redressement ;

Attendu que devant la Cour, la S.A. P soutient en premier lieu que la procédure de redressement est irrégulière au double motif, d'une part que l'Administration fiscale a implicitement mais nécessairement invoqué les dispositions relatives à la procédure de l'abus de droit, d'autre part qu'elle a prononcé un redressement sur une période prescrite ;

Attendu que l'appelante fait ainsi valoir que le redressement opéré par l'Administration en matière de droits d'enregistrement a été notifié selon la procédure contradictoire définie à l'article L 55 LPF alors que compte tenu de la nature du redressement en cause, elle aurait dû indiquer qu'elle mettait en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L 64 du même livre ; Qu'elle soutient que l'Administration a en effet écarté le contrat de concession de licence comme constituant un acte fictif et opéré une requalification des actes passés en une cession globale de fonds de commerce et qu'en procédant ainsi, elle aurait dû nécessairement se placer sur le terrain de l'abus de droit;

Que la S.A. P en tire la conclusion que faute de l'avoir informée qu'elle fait usage de ce texte, l'Administration l'a privée d'une garantie qu'il institue, à savoir la possibilité de saisir le Comité consultatif pour la répression des abus de droit, et commis un vice de procédure substantiel devant entraîner la décharge de l'imposition litigieuse ;

Mais attendu que l'abus de droit suppose l'existence d'un (ou

plusieurs) acte juridique apparemment régulier, mais dont le seul dessein est de masquer le véritable caractère d'une opération en vue d'éluder, en totalité ou en partie, l'impôt qui aurait été exigible si cette opération avait été normalement constatée par un acte juridique sincère ;

Qu'il est de principe que l'Administration fiscale est tenue de démontrer soit la fictivité des actes, soit le but exclusivement fiscal de l'opération ;

Qu'en l'espèce cette même Administration n'a pas invoqué la fictivité de l'acte de concession de licence mais uniquement considéré que l'opération prise dans son entier était constitutive d'une cession globale de fonds de commerce taxable aux droits d'enregistrement ;

Que la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L 64 du LPF précité avait donc pas à s'appliquer en l'espèce ;

Attendu que la S.A. P prétend encore que l'Administration a commis un vice de procédure de nature à entraîner la décharge de l'imposition litigieuse, en excluant à tort le régime de la prescription abrégée définie à l 'article L 180 du LPF, alors qu'elle avait pleinement connaissance dès 1986 de l'existence des actes passés entre elle-même et les sociétés du groupe A, dont elle aurait pu contrôler la portée, les recherches effectuées postérieurement ayant simplement eu pour objet de déterminer la base imposable ;

Mais attendu que le Tribunal a à juste titre considéré que le droit de reprise de l'Adminstration au regard des droits d'enregistrement devait être soumis à la prescription décennale, de droit commun en matière fiscale, prévue à l'article L 186 du LPF alors que les conditions d'application de la prescription abrégée de l'article 181 de ce même LPF n'étaient pas réunies ;

Attendu que la prescription abrégée ne peut commencer à courir qu'après l'enregistrement ou la publication d'un acte permettant à

l'Administration de constater l'existence des droits omis et que pour que celle-ci soit applicable, il faut que l'acte ou la déclaration établisse d'une manière complète l'exigibilité certaine des droits omis et que l'Administration soit mise à même de constater immédiatement au seul vu du document enregistré ou publié l'existence du fait juridique imposable ;

Que si un doute subsiste quant à l'exigibilité des droits et s'il est nécessaire, pour en apporter la preuve, de procéder à des recherches quelconques, notamment par rapprochement de divers actes ou déclarations et examen de circonstances intrinsèques, le délai de prescription abrégé ne s'applique pas ;

Qu'en l'espèce, la prescription abrégée doit être écartée car les deux conditions mises à son application ne sont pas réunies ;

Que si un acte sous seing privé en date du 29 avril 1986 portant mutation de fonds de commerce entre les sociétés A, A etamp; Cie (vendeurs) d'une part et P (acquéreur) d'autre part a bien été enregistré le 27 mai 1986 à la Recette des Impôts de Nevers Nord, l'Administration a dû procéder à des recherches ultérieures afin de rapprocher cet acte du contrat de concession de licence conclu le même jour entre les sociétés A INTERNATIONAL , A S.A. A etamp; Cie ("AGRI COOL") et P qui n'a fait l'objet d'aucun enregistrement ;

Que si l'acte de vente de fonds de commerce mentionne bien en page 3 que les enseignes, noms commerciaux, marques, brevets, savoir-faire, dessins et modèles ayant trait à ce fonds de commerce feront l'objet d'un accord de licence entre les société A et P, ce document n'a été porté à la connaissance de l'Administration que lors des opérations de vérification ;

Que le seul fait de savoir qu'un accord de licence serait signé entre les parties n'était pas suffisant pour révéler l'exigibilité des droits sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches

ultérieures, l'Administration ne pouvant pas constater immédiatement l'existence du fait imposable au seul vu de l'acte de cession de fonds de commerce ;

Qu'elle n'a donc pas été informée de l'existence réelle de cette convention avant la vérification de comptabilité ; qu'en outre le contenu, indispensable à la détermination de l'exigibilité des droits n'en a été connu que dans les mêmes circonstances, la convention étant de surcroît rédigée en langue anglaise, ce qui a nécessité une tradiction préalable ;

Que c'est alors qu'il a été considéré que le contrat de concession de licence déguisait en réalité une cession de clientèle soumise aux droits d'enregistrement ;

Qu'ainsi la prescription décennale est applicable, le point de départ du délai de reprise étant constitué par le fait générateur de l'impôt, à savoir la date de l'acte, étant toutefois observé que les actes sous seing privé n'ayant pas acquis date certaine sont inopposables à l'Administration ;

Attendu sur le fond, que la S.A. P prétend que l'Administration a fait une évaluation erronée du fonds de commerce acquis le 29 avril 1986, en considérant qu'il n'avait pas une valeur égale à zéro, mais une valeur égale au montant cumulé des redevances versées en application de la concession de licence, soit 7 200 000 F.

Que cette appréciation présenterait selon l'appelante un caractère arbitraire, au regard de la situation économique de la Société A et Cie dont la S.A. P reprenait l'activité ;

Qu'en outre l'Administration aurait fait une interprétation abusive des conventions conclues entre les parties, dont les stipulations font clairement ressortir d'une part que la Sté P n'acquérait aucun droit de propriété sur les brevets et marques concédés, quand bien même elle continuerait à les utiliser gratuitement après l'expiration

de la période de concession, et d'autre part que la Société A gardait la main mise sur ses marchés à l'exportation ;

Attendu que la S.A. P conteste encore l'existence d'une dissimulation permettant de retenir la mauvaise foi à l'appui des pénalités infligées en sus des droits éludés ;

Mais attendu que pour l'exploitation de brevets, d'un savoir-faire et d'une marque support de clientèle, la Société P n'a pas repris l'ensemble des dettes grevant la société précédemment exploitante ; que dès lors, estimer la valeur de la clientèle à zéro ne correspond pas à la réalité, d'autant plus qu'elle a versé des redevances pour un montant total de 7 200 000 F pendant une durée de six ans, période correspondant en fait à un étalement dans le temps du paiement du prix de la clientèle acquise dès le 29 avril 1986, qu'il ne peut donc être admis que ladite clientèle ait été valorisée à zéro franc ;

Attendu que l'Administration a considéré que les deux actes (cession de fonds de commerce et contrat de concession de licence) constituaient en réalité une cession globale de fonds de commerce taxable aux droits d'enregistrement en vertu de l'article 719 du C.G.I, aux termes duquel les mutations de propriété à titre onéreux de fonds de commerce ou de clientèles sont soumises à un droit d'enregistrement ;

Que les éléments concernés par le contrat de concession ont été concédés à une date concomitante à celle de la vente des autres éléments et au même acquéreur, de sorte qu'il résulte une convention unique qui, bien que réalisée par actes séparés, porte sur l'ensemble du fonds de commerce ; que cette constatation est d'autant plus évidente qu' en raison de la nature de l'industrie envisagée, l'élément que l'on a prétendu isoler ou céder séparément était indispensable à l'exploitation du fonds ;

Que la S.A. P par le contrat de concession de licence a en effet

acquis le droit de vendre les matériels objet de la concession à tous les clients auxquels les Sociétés concessionnaires les vendaient elles-mêmes ; qu'elle a acquis l'exploitation pendant six ans des marques A-C et A-D et qu'elle disposait du droit de faire figurer cette marque conjointement avec la marque P sur ses documents commerciaux ; qu'elle avait le droit de fabriquer en France les matériels sur lesquels les Stés concédantes détenaient des brevets ; Qu'il en résulte que dans la réalité, la S.A. P a poursuivi la même activité que la Société en charge auparavant de l'établissement de NEVERS, avec le même matériel, le même personnel, les mêmes dirigeants, et en conservant des liens commerciaux étroits avec le Groupe A ;

Que la clientèle attachée à ces différents droits mobiliers incorporels a donc bien été cédée en même temps que les autres éléments du fonds de commerce par deux actes conclus de manière concomitante ;

Que l'exploitation de la marque A-C, utilisée auparavant par la Société A dans sa branche d'activité et cédée à la Société P, a produit à l'égard de la clientèle un transfert de notoriété au profit de cette dernière, d'autant plus que les deux marques A-C et P ont coexisté sur les factures et les produits fabriqués pendant six ans ; Qu'à l'issue de cette période, même si la marque était toujours la propriété D'A, elle n'est utilisée par aucun autre concessionnaire, ce qui signifie qu'elle se trouve désormais assimilée à la marque P ; Attendu que l'appelante soutient encore que l'utilisation gratuite du savoir-faire et des brevets à l'expiration de la période de concession ne vaut en aucun cas transfert de propriété des droits

concédés ;

Que cependant en considérant l'opération globalement et non pas comme le fait la Société P en isolant les contrats les uns des autres, il apparaît qu'en pratique celle-ci devait avoir à l'expiration du contrat, parfaitement assimilé et intégré à sa propre culture le savoir-faire ainsi que les techniques ayant fait l'objet des brevets ;

Que la convention de licence constituait pour la S.A. P une garantie car, même si juridiquement elle n'est pas devenue propriétaire de certains brevets nécessaires à son activité, leur utilisation gratuite en a permis d'assurer la production dans de bonnes conditions et de satisfaire la clientèle ;

Attendu que le jugement qui a constaté la validité du redressement opéré sera ainsi confirmé ;

Que l'application d'une majoration de 40 % pour absence de bonne foi est également justifiée ; qu'il est résulté de la conclusion de l'acte de concession de licence une mutation secrète de clientèle alors que l'acte déposé à l'enregistrement faisait apparaître une valeur nulle pour celle-ci ;

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Déclare l'appel recevable mais non fondé ;

Confirme le jugement déféré ;

Condamne la S.A. P aux dépens ; alloue à Maître R, Avoué, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de bourges
Numéro d'arrêt : 00/00549
Date de la décision : 06/03/2001

Analyses

IMPOTS ET TAXES - Enregistrement - Prescription - Prescription abrégée - Conditions - Enregistrement d'un acte ou d'une déclaration - Dispense de recherches ultérieures - /

Le droit de reprise de l'Administration au regard des droits d'enregistrement doit être soumis à la prescription décennale lorsque les conditions d'application de la prescription abrégée de l'article 181 du livre des procédures fiscales ne sont pas réunies. La prescription abrégée ne peut commencer à courir qu'après l'enregistrement ou la publication d'un acte permettant à l'Administration de constater l'existence des droits omis ; pour que cette prescription soit applicable, il faut que l'acte ou la déclaration établisse d'une manière complète l'exigibilité certaine des droits omis et que l'Administration soit mise à même de constater immédiatement au seul vu du document enregistré ou publié l'existence du fait juridique imposable


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bourges;arret;2001-03-06;00.00549 ?
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