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09/07/2010 | SUISSE | N°6B_330/2010

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 juillet 2010, 6B 330/2010


{T 0/2}
6B_330/2010
Arrêt du 9 juillet 2010
Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges Favre, Président,
Schneider et Wiprächtiger.
Greffière: Mme Angéloz.
Participants à la procédure
X.________, représenté par Me Alain Vuithier,
avocat,
recourant,
contre
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, 1014 Lausanne,
intimé.
Objet
Frais; présomption d'innocence, arbitraire,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale,
du 15 fÃ

©vrier 2010.
Faits:

A.
Par jugement du 21 janvier 2009, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de l'Est v...

{T 0/2}
6B_330/2010
Arrêt du 9 juillet 2010
Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges Favre, Président,
Schneider et Wiprächtiger.
Greffière: Mme Angéloz.
Participants à la procédure
X.________, représenté par Me Alain Vuithier,
avocat,
recourant,
contre
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, 1014 Lausanne,
intimé.
Objet
Frais; présomption d'innocence, arbitraire,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale,
du 15 février 2010.
Faits:

A.
Par jugement du 21 janvier 2009, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de l'Est vaudois a libéré X.________ des accusations d'escroquerie et de faux dans les titres et l'a condamné, pour banqueroute frauduleuse (art. 163 CP), à 90 jours-amende, d'un montant unitaire de 50 fr., avec sursis pendant 2 ans. Il a en outre condamné deux coaccusés, A.________ et B.________, pour la même infraction, à des peines similaires. Il a mis les frais par 1050 fr. à la charge de X.________, par 1050 fr. aussi à la charge de A.________ et par 4442,55 fr. à la charge de B.________, laissant le solde à la charge de l'Etat.
Saisie d'un recours de X.________, qui concluait à son acquittement, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois l'a rejeté par arrêt du 31 mars 2009.
X.________ a formé un recours en matière pénale au Tribunal fédéral, qui, par arrêt 6B_565/2009 du 14 janvier 2010, l'a admis, a annulé la décision attaquée et acquitté le recourant.

B.
Le 15 février 2010, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois, statuant à nouveau suite à l'arrêt 6B_565/2009, a admis le recours formé contre le jugement de première instance. Elle a acquitté le recourant et l'a libéré des frais de seconde instance. Elle a en revanche estimé qu'il se justifiait, en application de l'art. 158 CPP/VD, de laisser à la charge de celui-ci une part des frais de première instance, dont elle a toutefois réduit le montant à 800 fr.

C.
Ce dernier arrêt retient, en substance, ce qui suit.
C.a Le 5 avril 2004, X.________, C.________ et D.________ ont créé, à la demande du couple E.________, la société F.________ SA, dont le but était l'achat, la vente et la location de tout commerce. Les époux E.________, qui ne voulaient pas apparaître comme actionnaires dans cette nouvelle entité, ont libéré le capital-actions de 100'000 fr. Toutefois, trois mois après sa création et alors que la société n'avait pas encore eu d'activité, ils ont récupéré leurs fonds propres, laissant subsister ainsi un manteau d'actions sans actif.
X.________ a racheté au couple ce manteau d'actions pour la somme de 4'500 fr., montant correspondant aux frais de constitution de la société. Le 14 septembre 2004, il l'a revendu, pour le prix de 6'000 fr., à B.________, qui lui avait été présenté par A.________. En annexe au contrat figurait un bilan mensonger, selon lequel 97'500 fr. se trouvaient en caisse. Le bilan montrait ainsi, avec les frais de constitution de la société, un actif total de 100'000 fr., contrebalancé au passif par un capital du même montant.
A.________, dirigeant effectif de la société F.________ SA, a cherché un local à Vevey pour l'exploitation du magasin F.________ SA. Il a fourni l'agencement du magasin et a assuré la fourniture des vêtements durant la brève vie de la société. F.________ SA a conclu avec G.________ SA une convention, par laquelle cette dernière s'engageait à fournir des habits jusqu'au 31 décembre 2014 à son cocontractant, moyennant le versement d'une licence d'achat pour la somme de 50'000 fr. X.________ a vérifié la réalité comptable de cette opération, tant sous l'angle de F.________ SA, dont il était le comptable et le réviseur par le truchement de sa société H.________ Sàrl, que sous l'angle de G.________ SA, pour laquelle il assumait les mêmes fonctions.
F.________ SA a cessé son activité à la fin 2004. Sa faillite a été prononcée le 18 août 2005. Le 16 janvier 2006, l'Office des poursuites et faillites de Vevey a requis du Président du Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois la suspension de la faillite faute d'actifs, lequel a dénoncé X.________, A.________ et B.________ le 17 janvier 2006. Finalement, l'un des créanciers a fait des avances de frais qui ont permis le traitement de la faillite. Le découvert de la faillite s'élève à 466'495 fr.
C.b En première instance déjà, X.________ a été libéré de l'accusation d'escroquerie, au motif que, selon les explications qu'il avait fournies à B.________, ce dernier ne pouvait ignorer qu'il n'y avait pas 97'500 fr. dans la caisse. Il a également été libéré de l'accusation de faux dans les titres, sur la base du constat que le bilan annexé au contrat de vente n'avait pas été communiqué à d'autres personnes que les cocontractants, qui n'ignoraient pas le contexte particulier de la transaction, car ce bilan n'avait pas été présenté pour obtenir un financement ni avalisé par un organe de révision, mais constituait en réalité un bilan sans valeur probante accrue, qui n'était pas examiné par l'organe de contrôle ni approuvé par l'assemblée générale. Condamné pour banqueroute frauduleuse, il a été acquitté de cette infraction par le Tribunal fédéral, qui a considéré que, sur le vu des faits retenus dans l'arrêt cantonal du 31 mars 2009, le recourant ne pouvait se voir reprocher d'avoir diminué fictivement l'actif de la société F.________ SA.
C.c En bref, la maintien de la condamnation de X.________ au paiement d'une part des frais de première instance a été justifié par le fait que celui-ci, bien que l'infraction de banqueroute frauduleuse n'était pas réalisée, avait néanmoins adopté un comportement répréhensible de point de vue civil, en n'assumant pas ses obligations de réviseur d'une société anonyme, et avait ainsi provoqué la procédure pénale ouverte contre lui.

D.
X.________ forme un recours en matière pénale, pour violation de la présomption d'innocence et application arbitraire de l'art. 158 CPP/VD. Il conclut à la réforme de l'arrêt attaqué en ce sens qu'il soit libéré de la part des frais mise à sa charge, subsidiairement à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.
Des déterminations n'ont pas été requises.
Considérant en droit:

1.
Le recourant soutient que sa condamnation à supporter une part des frais de première instance viole la présomption d'innocence et procède d'une application arbitraire de l'art. 158 CPP/VD. Il fait valoir qu'elle repose sur une motivation identique à celle par laquelle il avait été reconnu coupable de banqueroute frauduleuse et que c'est de manière arbitraire qu'il lui a été fait grief d'un comportement civilement répréhensible.

1.1 A teneur de l'art. 158 CPP/VD, "lorsque le prévenu est libéré des fins de la poursuite pénale, il ne peut être condamné à tout ou partie des frais que si l'équité l'exige, notamment s'il a donné lieu à l'ouverture de l'action pénale ou s'il en a compliqué l'instruction". Cette disposition confère au juge un pouvoir d'appréciation étendu, qui est toutefois limité par les garanties découlant du droit constitutionnel.
Ainsi, la condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 ch. 2 CEDH, qui interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Elle n'est admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours, par un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés (ATF 119 Ia 332 consid. 1b p. 334; 116 Ia 162 consid. 2c p. 168).
Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO (ATF 119 Ia 332 consid. 1b p. 334; 116 Ia 162 consid. 2c p. 168 ss). La relation de causalité est réalisée lorsque, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement de la personne concernée était de nature à provoquer l'ouverture de la procédure pénale et le dommage ou les frais que celle-ci a entraînés. Le juge doit se référer aux principes généraux de la responsabilité délictuelle (ATF 116 Ia 162 consid. 2c p. 169) et fonder son prononcé sur des faits incontestés ou déjà clairement établis (ATF 112 Ia 371 consid. 2a in fine p. 374). Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation (ATF 116 Ia 162 consid. 2c p. 171).
Le Tribunal fédéral examine l'application du droit cantonal sous l'angle de l'arbitraire. Il ne s'écarte donc pas de la solution retenue du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable, et cela non seulement dans sa motivation mais dans son résultat (ATF 135 V 2 consid. 1.3 p. 4/5; 134 I 140 consid. 5.4 p. 148 et les arrêts cités).

1.2 Le recourant a été acquitté de l'infraction de banqueroute frauduleuse au motif qu'il ne pouvait lui être reproché d'avoir diminué fictivement l'actif de la société. En effet, le bilan et la comptabilité de la société F.________ SA ne contenait pas de manipulations visant à diminuer fictivement l'actif. La restitution du capital-actions aux époux E.________ constituait une diminution effective de l'actif. L'inscription, à l'actif du bilan, d'un montant en caisse de 97'500 fr., permettant de dissimuler la restitution du capital-actions, correspondait à une augmentation fictive de l'actif. Le défaut de recapitalisation de la société n'équivalait pas à une diminution (fictive) de l'actif. Enfin, l'omission d'avertir le juge en cas de surendettement de la société relevait en principe de la gestion fautive, et non de la banqueroute frauduleuse.
Il en résulte que le recourant a été libéré de l'infraction en cause parce que les agissements dont il pouvait lui être fait grief, faute d'être constitutifs d'une diminution fictive de l'actif, ne tombaient pas sous le coup de l'art. 163 CP. Or, l'arrêt attaqué, tel qu'il est motivé sur le point litigieux, ne laisse nullement entendre le contraire. Le fait que les agissements retenus ne soient pas assimilables à une diminution fictive de l'actif n'infirme pas leur existence, ni leur possible caractère répréhensible du point de vue civil. En les reprenant et en indiquant en quoi ils étaient, selon elle, civilement répréhensibles, la cour cantonale n'a donc pas violé la présomption d'innocence.

1.3 La cour cantonale a justifié la condamnation du recourant à supporter une part des frais par le fait qu'il n'avait pas assumé ses obligations de réviseur d'une société anonyme. A l'appui, elle a exposé que le recourant, après avoir, par l'établissement d'un bilan mensonger, attesté faussement de l'existence en caisse de la quasi-totalité du capital de 100'000 fr. afin de dissimuler la restitution du capital actions aux époux E.________, avait vendu le manteau d'actions de la société, dont il savait donc qu'elle n'avait plus de substance, sans s'assurer que le capital serait reconstitué. Il avait ainsi failli au devoir qui lui incombait, en tant que réviseur, de veiller à la reconstitution du capital et n'avait au demeurant pas agi conformément au prescrit de l'art. 725 CO.
Ce raisonnement n'est pas critiquable. Dès le moment où, trois mois après la création de la société, soit au début juillet 2004, les époux E.________ avaient récupéré l'intégralité de leurs fonds propres, la société n'avait plus de substance. Il ne restait qu'un manteau d'actions, sans capital. Sa solvabilité n'avait plus aucune garantie. Elle devait être recapitalisée ou liquidée. Si, en tant que réviseur, le recourant n'avait pas à reconstituer le capital, il devait, comme tel, veiller à ce qu'il le soit. Cela impliquait qu'il procède au besoin conformément à l'art. 725 CO. Or, il n'en a rien fait. Plus est, il a dressé un bilan mensonger, qui permettait d'éviter la recapitalisation, et a vendu, le 14 septembre 2004, soit deux mois plus tard, le manteau d'actions, pour le prix de 6000 fr., à B.________. Autrement dit, il a laissé subsister, en toute connaissance de cause, une situation de surendettement, sans prendre les mesures qui lui incombaient, en pareil cas, en sa qualité de réviseur.
A cela, le recourant objecte vainement que A.________ a fourni l'agencement du magasin et assuré la fourniture de vêtements et que F.________ SA a conclu avec G.________ SA une convention par laquelle cette dernière s'engageait à fournir des habits jusqu'au 31 décembre 2014, moyennant le versement d'une licence d'achat pour la somme de 50'000 fr.. Il n'est aucunement établi que la capital de F.________ SA aurait été reconstitué de la sorte, comme il le prétend, et à bref délai depuis la récupération de leurs fonds propres par les époux E.________. Sur ce point, le recours se réduit à des allégations non démontrées et, partant, irrecevables.
Sur le vu de ce qui précède, il n'était pas manifestement insoutenable de retenir que le recourant a adopté un comportement civilement répréhensible, par lequel il a donné lieu à la procédure pénale ouverte contre lui, ni, partant, de mettre une part des frais à sa charge en application de l'art. 158 CPP/VD.

2.
Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable.
Le recourant, qui succombe, supportera les frais (art. 66 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale.

Lausanne, le 9 juillet 2010
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:
Favre Angéloz


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6B_330/2010
Date de la décision : 09/07/2010
Cour de cassation pénale

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2010-07-09;6b.330.2010 ?
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