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21/10/2003 | SUISSE | N°4C.223/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 octobre 2003, 4C.223/2003


{T 0/2}
4C.223/2003 /ech

Arrêt du 21 octobre 2003
Ire Cour civile

Mme et MM. les Juges Corboz, président, Walter, Rottenberg
Liatowitsch,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

X. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me Paul Marville, avocat, case
postale
234, 1001 Lausanne,

contre

A.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par Me Serge
Morosow,
avocat, Grand-Chêne 8, case postale 2260, 1002 Lausanne,

Caisse de Chômage B.________,

intervenante et intimée.

contrat de travail; résiliation immédiate

(recours en réforme contre le jugement de la Cour...

{T 0/2}
4C.223/2003 /ech

Arrêt du 21 octobre 2003
Ire Cour civile

Mme et MM. les Juges Corboz, président, Walter, Rottenberg
Liatowitsch,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

X. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me Paul Marville, avocat, case
postale
234, 1001 Lausanne,

contre

A.________ S.A., défenderesse et intimée, représentée par Me Serge
Morosow,
avocat, Grand-Chêne 8, case postale 2260, 1002 Lausanne,

Caisse de Chômage B.________,
intervenante et intimée.

contrat de travail; résiliation immédiate

(recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal
cantonal
vaudois du 5 novembre 2002).

Faits:

A.
A. ________ S.A. (antérieurement L.________ S.A.), dont le siège est à
W.________, est une société commerciale qui offre du matériel divers
et des
prestations de service dans le domaine de l'industrie graphique. Elle
dispose
de bureaux et d'installations permanentes à Z.________.

Le 12 juin 1995, X.________ est entré au service de A.________ S.A. en
qualité de collaborateur de vente au service extérieur, attaché aux
bureaux
de Z.________. Il était sous les ordres de Y.________, directeur du
site de
Z.________.

La rémunération totale nette de X.________ s'est élevée à 123'929,30
fr. de
janvier à décembre 1999 et à 60'401,10 du 1er janvier au 26 juin 2000.

Jusqu'au 27 mars 2000, date du dernier rapport d'évaluation de
X.________,
celui-ci était très apprécié de son employeur et les rapports
antérieurs le
concernant étaient aussi généralement élogieux.

X. ________, qui occupait un poste clé à Z.________, s'est investi
sans
compter pour A.________ S.A., passant de nombreuses heures au bureau
devant
son ordinateur, aussi bien le soir que le week-end. X.________, qui
assumait
la vente et la technique, et Y.________, en tant que directeur,
formaient une
bonne équipe et ont contribué à l'augmentation des secteurs "Digital",
"Prépresse" et "Repro" de A.________ S.A.

Au cours du deuxième semestre 1999, Y.________ a été gravement
atteint dans
sa santé. Il a été incapable de travailler du mois d'octobre au mois
de
décembre 1999. Pendant l'absence du directeur, X.________ a été
chargé du
suivi des affaires de la société à Z.________. Le directeur a
cependant
continué à superviser la gestion de la société malgré sa maladie.

B.
Dans le courant de l'année 1998, une messagerie électronique a été
installée
à Z.________. Deux adresses ont été créées. L'adresse électronique
professionnelle Z.________@...ch, qui était ouverte à tous les
employés du
site, et une adresse privée pour Y.________, à savoir
Y.________@...ch.
Ces adresses électroniques étaient protégées par un nom d'utilisateur
et un
mot de passe.

L'idée de configurer une adresse privée pour le directeur émanait de
X.________, qui a procédé à l'installation de celle-ci. Y.________
pouvait
ainsi recevoir plus rapidement les messages qui lui étaient destinés,
sans
devoir prendre connaissance de tous les courriers électroniques reçus
sur
l'adresse Z.________ et subir les inconvénients liés à cette
messagerie. De
plus, les expéditeurs étaient assurés que le directeur recevait bien
tous les
messages.

L'adresse Y.________@...ch avait également une fonction privée pour le
directeur, ce qui ne faisait pas obstacle à son utilisation à des fins
professionnelles. Elle servait à l'échange d'informations sensibles de
Y.________ avec la direction de W.________ de A.________ S.A. et avec
des
tiers. Les différents messages traitaient des budgets annuels
relatifs aux
salaires des collaborateurs de l'entreprise, y compris celui de
X.________.
Ils concernaient aussi des échanges avec des collaborateurs au sujet
de
l'exécution de leur travail, ainsi qu'un rapport d'estimation de l'un
des
collaborateurs. Les messages renfermaient également des renseignements
réguliers donnés par Y.________ sur l'évolution de son état de santé
à la
direction de W.________, ainsi que des courriers de nature privée avec
d'autres correspondants. De telles informations n'étaient pas
destinées à
être connues de X.________ ni des autres collaborateurs de A.________
S.A.
Celui-ci ne pouvait ignorer le caractère privé de ce compte.

En raison de l'absence du directeur durant sa maladie, l'utilisation
du
compte Y.________@...ch a été intense.

Pendant son absence, Y.________ a autorisé X.________ à consulter et à
utiliser l'adresse électronique professionnelle Z.________@...ch, ce
qui
allait de soit, dans la mesure où cette adresse était ouverte à tous
les
employés de Z.________.

En juin 2000, le disque dur de l'ordinateur de Y.________ a subi une
panne
partielle. Au cours de la réparation qui a eu lieu en présence du
directeur,
le réparateur a découvert que l'adresse Y.________@...ch avait été
dupliquée
sur l'adresse privée de X.________, ce qui signifiait qu'une copie de
tous
les messages était envoyée sur l'adresse de ce dernier, ce que
Y.________ ne
pouvait pas remarquer en accédant à sa propre messagerie. Ce dernier
ignorait
la mise en place de la déviation et a été surpris de cette
découverte. La
copie de la configuration chez le fournisseur d'accès a révélé que
trois
adresses étaient déviées (dupliquées) sur l'adresse privée de
X.________. Il
s'agissait des adresses Z.________@...ch, X.________@...ch et
Y.________@...ch.

Grâce à ces déviations, X.________ s'était aménagé un accès à toute la
messagerie électronique de son patron. Aussi bien au bureau qu'à la
maison,
il pouvait consulter, depuis son ordinateur, sous son propre nom
d'utilisateur et mot de passe, les e-mails parvenant à ces adresses.
Il
n'avait pas besoin de taper le nom d'utilisateur de Y.________ ni le
mot de
passe de ce dernier. En principe, les messages envoyés ne peuvent
être lus
que sur l'installation qui les a créés et envoyés, mais, dans
l'hypothèse où
le destinataire d'un message envoyé par Y.________ lui répondait sans
supprimer le message initial, X.________ avait également accès aux
messages
envoyés par le directeur.

Il n'a pas été établi que X.________ ait pris connaissance d'e-mails
privés
ni qu'il ait divulgué une quelconque information sur l'état de santé
de
Y.________.

Par courrier du 15 juin 2000, expédié le lendemain, A.________ S.A.,
se
référant à un entretien du 13 juin courant, a confirmé le
licenciement avec
effet immédiat de X.________, en mentionnant le détournement des
messages
électroniques.

Le 21 juin 2000, X.________ a présenté au président de A.________
S.A. ses
offres de service et a contesté avoir atteint le domaine des affaires
privées
de Y.________, considérant son licenciement comme injustifié.

Le 30 juin 2000, A.________ S.A. a adressé à X.________ un certificat
de
travail qui ne faisait pas état des raisons de la résiliation.

Le 4 juillet 2000, A.________ S.A. a refusé l'offre de service de
X.________
et confirmé sa décision de le licencier avec effet immédiat.

C.
Le 12 septembre 2000, X.________ a introduit une action en justice,
demandant
à ce qu'il soit constaté que A.________ S.A. lui doit les montants de
38'175,05 fr. et de 58'233 fr. brut, tous deux portant intérêt à 5 %
l'an dès
le 15 juin 2000, et à ce que A.________ S.A. soit sommée, sous la
menace des
peines prévues par l'art. 292 CP, de lui délivrer un certificat de
travail
décrivant la nature, la durée de son emploi, les qualités du travail
fourni
et celles du travailleur, conformément à la vérité.

Le 14 novembre 2000, la Caisse de chômage B.________ a été autorisée à
intervenir à la procédure, en étant subrogée à concurrence de
14'066,55 fr.
net, montant qui correspondait aux indemnités de chômage versées à
X.________
pour la période allant du 22 juin au 31 août 2000.

Par jugement du 5 novembre 2002, la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois
a rejeté les conclusions de X.________ et de la Caisse de chômage
B.________,
considérant que A.________ S.A. était en droit de résilier avec effet
immédiat le contrat de travail la liant à cet employé.

D.
Contre ce jugement, X.________ (le demandeur) interjette un recours en
réforme au Tribunal fédéral. Il conclut à la réforme du jugement du 5
novembre 2002 dans le sens de l'admission des conclusions de sa
demande.

A. ________ S.A. (la défenderesse) conclut à l'irrecevabilité du
recours,
subsidiairement à son rejet.

Quant à la Caisse de chômage B.________ (l'intervenante), elle a
renoncé à
présenter des observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le jugement rendu par la cour civile cantonale revêt le caractère
d'une
décision finale qui ne peut faire l'objet d'un recours ordinaire de
droit
cantonal (cf. art. 451a CPC vaud.), soit d'un recours ayant effet
suspensif
et dévolutif (ATF 120 II 93 consid. 1b p. 94 s.), de sorte que la
voie du
recours en réforme au Tribunal fédéral est ouverte (art. 48 al. 1 OJ).

Interjeté par le demandeur, qui a été débouté de l'ensemble de ses
conclusions, le recours porte sur une contestation civile dont la
valeur
litigieuse atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ). Il a été
déposé en
temps utile (art. 54 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), de
sorte
qu'il est en principe recevable.

2.
2.1Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire
son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve
n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant
sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter
les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte
de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127
III 248
consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a). Dans la mesure où une partie
recourante
présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la
décision
attaquée sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui
viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte
(ATF 127
III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55
al. 1 let. c OJ).

A l'appui des violations du droit fédéral invoquées, le demandeur
présente
une argumentation qui ne repose pas toujours sur les faits constatés
dans le
jugement attaqué, sans se prévaloir d'une des exceptions lui
permettant de
s'en écarter. Tel est en particulier le cas lorsqu'il affirme qu'il
lui était
nécessaire, pour gérer la société en l'absence du directeur, d'avoir
accès à
la "boîte aux lettres" de celui-ci. Un tel procédé n'étant pas
admissible, la
Cour de céans n'examinera les griefs soulevés qu'à la lumière des
faits
résultant du jugement entrepris.

2.2 Il découle en outre de l'art. 55 al. 1 let. c OJ qu'en se fondant
sur la
décision attaquée, le recourant doit dire quelle règle de droit
fédéral est
violée et montrer en quoi consiste la violation (Corboz, Le recours en
réforme au Tribunal fédéral, SJ 2000 II p. 1 ss, p. 46). Le recourant
ne peut
se contenter d'énumérer une liste de questions qui, à son avis,
doivent faire
l'objet d'un examen juridique (ATF 116 II 92 consid. 2 p. 94), ni se
livrer
seulement à des développements juridiques abstraits ou à des
critiques toutes
générales de la décision attaquée (ATF 116 II 745 consid. 3 p. 749 et
les
arrêts cités).

Contrairement à ce que soutient la défenderesse, on ne peut
considérer que la
motivation du recours en réforme ne répond pas, dans son ensemble, à
ces
exigences, à tout le moins s'agissant de la violation de l'art. 337 CO
invoquée.

En revanche, la critique est fondée en ce qui concerne l'appréciation
juridique erronée des faits au sens de l'art. 43 al. 4 OJ invoquée
par le
demandeur. En effet, le recours ne permet pas de comprendre en quoi
cette
disposition, qui ne peut servir à remettre en cause l'appréciation des
preuves à laquelle s'est livrée la cour cantonale (ATF 127 IIII 543
consid.
2c p. 547; 126 III 189 consid. 2a), aurait été violée. Ce grief est
donc
irrecevable.

3.
La cour cantonale a considéré en substance que le seul fait, pour le
demandeur, d'avoir dévié sur son adresse privée l'adresse
Y.________@...ch
constituait une atteinte grave aux droits de la personnalité de son
supérieur
hiérarchique, alors que ni le consentement de la victime, ni la
mission
confiée ou l'intérêt prépondérant de la défenderesse ne permettait de
la
justifier. Un tel comportement constituait à lui seul un juste motif
de
licenciement immédiat, car il était de nature à rompre
irrémédiablement la
confiance de la défenderesse à l'égard de son employé. Dans cette
appréciation, il importait peu de savoir si le demandeur s'était
abstenu de
prendre connaissance des messages privés figurant sur ce compte, s'il
avait
divulgué des informations confidentielles ou si la défenderesse avait
subi un
dommage matériel.

4.
Invoquant une violation de l'art. 337 CO, le demandeur reproche en
substance
à la cour cantonale d'avoir admis l'existence d'un juste motif de
résiliation
immédiate, sans avertissement préalable, alors qu'il n'était pas
établi qu'il
ait pris connaissance de messages de nature privée reçus sur la
messagerie du
directeur ni a fortiori
qu'il les ait divulgués. En outre, le délai
entre la
découverte du détournement de la messagerie et son licenciement
serait trop
long.

4.1 Selon l'art. 337 al. 1 1ère phrase CO, l'employeur et le
travailleur
peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes
motifs. Doivent notamment être considérées comme tels toutes les
circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas
d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de
travail (cf. art. 337 al. 2 CO).

Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs
doit être
admise de manière restrictive (ATF 127 III 351 consid. 4a et les
références
cités). D'après la jurisprudence, les faits invoqués à l'appui d'un
renvoi
immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui
constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement
particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement
immédiat; si
le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation
immédiate
que s'il a été répété malgré un avertissement (ATF 129 III 380
consid. 2.1).
Par manquement du travailleur, on entend en règle générale la
violation d'une
obligation découlant du contrat de travail (ATF 127 III 351 consid.
4a p. 354
et les arrêts cités), mais d'autres incidents peuvent aussi justifier
une
résiliation immédiate (cf. ATF 129 III 380 consid. 2.2). Une
infraction
pénale commise au détriment de l'employeur constitue, en principe, un
motif
justifiant le licenciement immédiat du travailleur (ATF 117 II 560
consid. 3b
p. 562). Le comportement des cadres doit être apprécié avec une
rigueur
accrue en raison du crédit particulier et de la responsabilité que
leur
confère leur fonction dans l'entreprise (ATF 127 III 86 consid. 2c p.
89).

Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al.
3 CO).
Il applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). A cet
effet, il
prendra en considération tous les éléments du cas particulier,
notamment la
position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des
rapports contractuels, ainsi que la nature et l'importance des
manquements
(ATF 127 III 351 consid. 4a p. 354; 116 II 145 consid. 6a p. 150). Le
Tribunal fédéral revoit avec réserve la décision d'équité prise en
dernière
instance cantonale. Il intervient lorsque celle-ci s'écarte sans
raison des
règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de
libre
appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui, dans le cas
particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou à l'inverse,
lorsqu'elle n'a
pas tenu compte d'éléments qui auraient absolument dû être pris en
considération; il sanctionnera en outre les décisions rendues en
vertu d'un
pouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat
manifestement
injuste ou à une iniquité choquante (ATF 129 III 380 consid. 2 p.
382; 127
III 153 consid. 1a p. 155, 351 consid. 4a p. 354).

4.2 Selon l'art. 13 Cst., toute personne a droit au respect de sa vie
privée
et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations
qu'elle
établit par la poste et les télécommunications. Le Tribunal fédéral a
considéré que le courrier électronique par le biais d'Internet était
couvert
par le secret des communications (ATF 126 I 50 consid. 6a p. 65 s.).
Le
simple fait de connaître les adresses et la période à laquelle
l'utilisateur
a envoyé ou reçu des messages constitue déjà une violation de ce
secret (cf.
ATF 126 I 50 consid. 6b p. 66). Certes, les droits fondamentaux
servent en
premier lieu à défendre les individus contre les atteintes des
pouvoirs
publics, mais leur portée peut se révéler utile dans la détermination
de ce
qui est tolérable dans les relations entre particuliers (cf. ATF 119
Ia 28
consid. 2).

Sur le plan pénal, l'art. 143bis CP punit celui qui, sans dessein
d'enrichissement, se sera introduit sans droit, au moyen d'un
dispositif de
transmission de données, dans un système informatique appartenant à
autrui et
spécialement protégé contre tout accès de sa part. Tombe sous le coup
de
cette disposition la personne qui, généralement par défi, parvient à
pénétrer
dans un système informatique protégé contre tout accès indu. Il
suffit qu'il
n'y ait plus de barrières informatiques qui puissent sérieusement
l'empêcher
de prendre connaissance des données (cf. Corboz, Les infractions en
droit
suisse, vol. I, Berne 2002, art. 143bis CP no 5 ss). Il s'agit d'une
violation du domicile informatique d'autrui (Moreillon, Nouveaux
délits
informatiques sur Internet, Medialex 2001 p. 21 ss, 22).

Dans les relations entre particuliers enfin, l'art. 28 CC garantit le
droit
au respect de la sphère privée, qui comprend les événements que
chacun veut
partager avec un nombre restreint d'autres personnes (ATF 97 II 97
consid. 3
p. 101). En font parties les informations de nature personnelle
transmises au
moyen de la messagerie électronique (cf. en ce sens Geiser, Die
Beaufsichtigung des Internetbenutzers im Arbeitsrecht, Medialex 2001,
p. 201
s.). L'irruption d'un tiers dans cette sphère, notamment pour
rassembler des
informations, constitue une atteinte à la personnalité (Bucher,
Personnes
physiques et protection de la personnalité, 4e éd. Bâle 1999, p. 111
s.).
Cette atteinte est d'autant plus grave qu'elle concerne la sphère
secrète,
c'est-à-dire des événements dont l'individu n'entend partager la
connaissance
qu'avec des personnes auxquelles ces faits ont été spécialement
confiés,
telles les données sur la santé (ATF 119 II 222 consid. 2b/aa p. 225)
ou
relevant de la vie professionnelle (Bucher, op. cit., p. 112). Selon
l'art.
28 al. 2 CC, une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit
justifiée par
le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou
public,
ou par la loi.

4.3 En l'espèce, il ressort des constatations cantonales, d'une
manière qui
lie le Tribunal fédéral en instance de réforme (art. 63 al. 2 OJ),
que le
demandeur, auquel le suivi des affaires de la société avait été confié
pendant la maladie de son directeur, s'était aménagé un accès, depuis
son
ordinateur personnel, à toute la messagerie électronique de son
patron, alors
qu'il connaissait le caractère privé de l'adresse du directeur. Grâce
à ce
système, il pouvait, depuis le bureau ou la maison, entrer dans la
messagerie
de ce dernier sous ses propres données, sans avoir à taper le nom
d'utilisateur ni le mot de passe du directeur. Il a été relevé que
celui-ci
n'était pas au courant de la déviation, dont il n'a eu connaissance
qu'en
juin 2000, lors de la réparation de son ordinateur. Il ressort
également des
faits constatés que ni la mission de gestion confiée au demandeur, ni
un
intérêt prépondérant de la défenderesse ne justifiaient une telle
déviation.
Dans ce contexte, même s'il n'a pas été possible de prouver que le
demandeur
ait pris connaissance des messages de caractère privé ou, a fortiori,
qu'il
ait divulgué les informations s'y trouvant, le seul fait qu'il se soit
aménagé la possibilité d'y avoir librement accès porte déjà atteinte
au
secret des communications et constitue une violation de la sphère
intime du
directeur, voire une infraction pénale. La cour cantonale pouvait
donc, sans
abuser de son pouvoir d'appréciation, admettre qu'un tel comportement
était
de nature à entraîner la perte du rapport de confiance constituant le
fondement du contrat de travail, ce qui permettait à l'employeur d'y
mettre
fin avec effet immédiat, sans avertissement préalable.

Le comportement du demandeur, qui s'est créé la possibilité de
consulter des
informations de nature personnelle qui ne lui étaient pas destinées,
ne
saurait être assimilé au simple fait de copier une liste de clients
de son
employeur, sans exploiter ni communiquer ces données. La jurisprudence
cantonale dont le demandeur se prévaut (cf. référence citée in
Favre/Munoz/Tobler, Le contrat de travail, Lausanne 2001, art. 337 CO
no 1.55
p. 215) ne lui est donc d'aucun secours. Au demeurant, le Tribunal
fédéral
n'est pas lié par des précédents dont il n'a pas eu à connaître (ATF
129 III
225 consid. 5.4 et les arrêts cités).

4.4 Le demandeur invoque le caractère tardif du licenciement.

Comme le souligne la défenderesse, il s'agit d'un argument nouveau,
qui ne
relève toutefois pas du fait, mais du droit. Selon la jurisprudence,
une
argumentation juridique nouvelle est admissible, à condition qu'elle
reste
dans le cadre de l'état de fait ressortant de la décision attaquée
(cf. ATF
125 III 305 consid. 2e p. 311 s.; 123 III 129 consid. 3b/aa p. 133;
107 II
465 consid. 6a p. 472).

Le Tribunal fédéral considère que la partie qui résilie un contrat de
travail
en invoquant de justes motifs ne dispose que d'un court délai de
réflexion
pour signifier la rupture immédiate des relations (ATF 123 III 86
consid. 2a
et les arrêts cités). Un délai général de deux à trois jours
ouvrables de
réflexion est présumé approprié; un délai supplémentaire n'est
accordé à
celui qui entend résilier le contrat que lorsque les circonstances
particulières du cas concret exigent d'admettre une exception à la
règle (cf.
arrêts du Tribunal fédéral 4C.345/2001 du 16 mai 2002, consid. 3.2;
4C.382/1998 du 2 mars 1999 consid. 1a et b; cf. ATF 93 II 18).

L'examen du caractère tardif du licenciement supposerait ainsi, dans
le cas
d'espèce, de savoir précisément à quelle date la défenderesse a eu
connaissance du détournement de la messagerie du directeur opéré par
le
demandeur. Le jugement attaqué mentionne seulement le début du mois
de juin
2000, alors que la résiliation est intervenue le 13 juin suivant. Sur
la base
de ces seuls éléments, il n'est pas possible de déterminer si le
délai de
deux à trois jours ouvrables fixé par la jurisprudence a été respecté
et, si
tel n'était pas le cas, s'il existait des circonstances particulières
justifiant un délai plus long, comme l'absence du demandeur pour
cause de
vacances qu'évoque la défenderesse. Faute de constatations de fait
suffisantes, il ne sera par conséquent pas entré en matière.

5.
Dès lors que l'on ne peut reprocher à la cour cantonale d'avoir violé
l'art.
337 CO en admettant que la défenderesse pouvait mettre fin avec effet
immédiat au contrat de travail la liant au demandeur, le versement à
ce
dernier d'une indemnité au sens de l'art. 337c CO pour résiliation
injustifiée est d'emblée exclu.

Dans ces circonstances, le recours doit être rejeté dans la mesure où
il est
recevable.

6.
Comme la valeur litigieuse, selon les prétentions du demandeur à
l'ouverture
de l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b; 100 II 358 consid. a), dépasse
30'000
fr., la procédure n'est pas gratuite (art. 343 al. 2 et 3 CO).
Au vu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la
charge du
demandeur, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Il n'y a pas lieu de tenir compte de l'intervenante dans la
répartition des
frais et dépens, dès lors qu'elle n'a pas formulé d'observations.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge du demandeur.

3.
Le demandeur versera à la défenderesse une indemnité de 6'000 fr. à
titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Cour
civile du
Tribunal cantonal vaudois.

Lausanne, le 21 octobre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.223/2003
Date de la décision : 21/10/2003
1re cour civile

Analyses

Licenciement immédiat; juste motif; art. 337 CO; argument juridique nouveau. L'employeur est en droit de licencier avec effet immédiat et sans avertissement préalable le salarié qui a dévié sur sa propre messagerie tout le courrier électronique de son supérieur hiérarchique à son insu (consid. 3 et 4.1-4.3). Caractère tardif du licenciement invoqué comme un argument juridique nouveau. Question laissée ouverte, faute de constatations de fait suffisantes (consid. 4.4).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-10-21;4c.223.2003 ?
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