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21/10/2003 | SUISSE | N°4C.177/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 21 octobre 2003, 4C.177/2003


{T 0/2}
4C.177/2003 /ech

Arrêt du 21 octobre 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, président, Walter et Favre.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

X. ________ AG,
défenderesse et recourante, représentée par Me Gilles Crettol,
avocat, case
postale 3199, 1211 Genève 3,

contre

A.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Matteo Inaudi, avocat, avenue
Léon-Gaud 5, 1206 Genève.

contrat de travail; congé abusif; tort moral

(recours en réforme contre l'arrêt de la

Cour d'appel de la
juridiction des
prud'hommes du canton de Genève du 5 mai 2003).

Faits:

A.
X. ________ AG est ...

{T 0/2}
4C.177/2003 /ech

Arrêt du 21 octobre 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, président, Walter et Favre.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

X. ________ AG,
défenderesse et recourante, représentée par Me Gilles Crettol,
avocat, case
postale 3199, 1211 Genève 3,

contre

A.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Matteo Inaudi, avocat, avenue
Léon-Gaud 5, 1206 Genève.

contrat de travail; congé abusif; tort moral

(recours en réforme contre l'arrêt de la Cour d'appel de la
juridiction des
prud'hommes du canton de Genève du 5 mai 2003).

Faits:

A.
X. ________ AG est une entreprise spécialisée dans l'organisation de
transports internationaux de marchandises. Elle a été fondée en 1955
par
B.________, qui a présidé le conseil d'administration et dirigé la
société
jusqu'en été 2001. Elle a son siège à Bâle, mais dispose d'un réseau
de
succursales, dont une à Genève-Cointrin.

Né en 1944, A.________ a été engagé par X.________ AG en qualité de
directeur-adjoint de la succursale de Genève-Cointrin, chargé du fret
aérien
et terrestre. Le contrat de travail liant les parties prévoyait un
délai de
congé de six mois.

Jusqu'à fin 1994, A.________ a fourni un travail donnant entière
satisfaction
à son employeur. Sous son impulsion, la succursale de Genève-Cointrin
est
passée de 4 employés en 1969 à 18 au début des années 1990.

Dès 1995, la direction bâloise de X.________ AG n'a plus été
satisfaite des
prestations de A.________.

En automne 1995, la direction a ordonné la fusion de la succursale de
Genève-Cointrin chargée du fret aérien et terrestre, qui était passée
en-dessous du seuil de rentabilité, avec une autre succursale
genevoise.

Estimant que A.________ ne s'investissait plus dans ses tâches et
qu'il
demeurait totalement inactif, B.________ a fait parvenir à celui-ci,
de 1995
à 1997, des messages comportant des jugements de valeur, des
appréciations
quant à ses capacités, à son sérieux et à ses compétences sur un ton
inacceptable et humiliant. Ces écrits ont été remis en copie non
seulement
aux supérieurs de l'intéressé, mais aussi à ses pairs et à ses
subordonnés.

Bien que très affecté à l'époque par le contenu et la diffusion de ces
messages dépréciatifs, A.________ a gardé le silence par peur de
perdre son
emploi.

A partir de la fin de l'année 1997, B.________ n'a plus inséré ce
type de
messages dans les instructions écrites remises à A.________.
Dans le courant de l'année 1999, A.________ a été formellement nommé
directeur de la succursale "fusionnée" de Genève, faute d'une autre
personne
à disposition, selon B.________. Un délai d'un an a été imparti à
A.________
pour assainir la situation, sous peine d'être remplacé à la tête de la
succursale.

En octobre 2000, la situation à Genève ne s'étant pas améliorée,
X.________
AG a engagé C.________ pour seconder A.________, notamment dans le
domaine de
la prospection de clients.

La succursale de Genève a amélioré de façon significative son chiffre
d'affaires à la fin de l'année 2000. Seul le secteur du fret aérien,
réservé
à A.________, a continué à baisser.

Au début du mois de janvier 2001, B.________, persuadé que les
difficultés
persistantes de Genève étaient imputables principalement à l'inaction
de
A.________, a chargé D.________, le chef du réseau des succursales
suisses de
X.________ AG, d'examiner la situation avec celui-ci et de formuler
une
ultime mise au point.

Le 5 janvier 2001, D.________ a eu un entretien avec A.________ et
lui a
fixé, sur ordre du "patron", un délai de trois mois pour améliorer les
résultats d'ensemble de la succursale de Genève, à défaut de quoi il
y aurait
un changement à la tête de cette dernière.

Au début du mois de février 2002 (recte 2001), B.________ et
D.________ ont
décidé de relever A.________ de ses fonctions de directeur de
succursale et
de le remplacer, dès le 1er mars 2001, par C.________. Compte tenu de
l'âge
et de l'ancienneté dans l'entreprise de A.________, il a été convenu
de ne
pas se séparer de lui, mais, à partir du 1er mars 2001, de modifier
ses
attributions en le chargeant du fret aérien, ainsi que de la
prospection de
clientèle, et de réduire son salaire, le faisant passer de 9'450 fr.
brut par
mois à 7'450 fr.

Le 12 février 2002 (recte 2001), A.________ a été reçu à Bâle par
B.________,
accompagné de D.________. Très remonté, B.________ a d'entrée tancé
vertement
A.________. Il l'a traité de "nul", précisant que sa décision était
prise et
qu'il ne reviendrait plus en arrière, puis il a quitté la pièce.
D.________,
qui venait de proposer le poste de directeur de succursale à
C.________, qui
avait immédiatement accepté, a alors expliqué à A.________ les
changements
prévus dans son statut.
Celui-ci, tétanisé et blême, n'a pas réagi, mais a demandé un délai de
réflexion. D.________, sans formuler de délai, l'a encouragé à
réfléchir.

Le 14 février 2003 (recte 2001), D.________ a informé A.________ du
fait que
C.________ avait accepté de prendre la direction de la succursale. Les
modifications de son contrat lui seraient envoyées par courrier du
jour et il
viendrait à Genève le 22 mars 2001 pour informer sur place les
collaborateurs
des modifications décidées.

Par courrier du 14 février 2001, X.________ AG, se référant à
l'entretien du
12 février, a confirmé à A.________ ses nouvelles conditions de
travail à
partir du 1er mars 2001. Il en ressort notamment que, dès cette date,
la
direction de Genève serait reprise par C.________, que A.________ lui
serait
désormais subordonné et aurait d'autres attributions. Quant à sa
rémunération, elle s'élèverait, depuis le 1er mars 2001, à 7'450 fr.
brut par
mois versé 13 fois l'an. A.________ devait renvoyer une copie signée
de cette
lettre pour montrer son accord.

Le 21 février 2001, A.________ a demandé conseil à un avocat, qui a
adressé,
le jour même, une lettre, transmise par fax à X.________ AG. Usant de
termes
courtois, l'avocat a attiré au nom de son client l'attention de
l'entreprise
sur le fait qu'il n'était pas possible d'imposer unilatéralement,
avec effet
au 1er mars 2001, les changements contractuels décidés et il a incité
l'employeur à reconsidérer sa position.

La direction de X.________ AG a été très irritée des démarches
entreprises
par A.________. Son opposition aux modifications décidées, présentées
par
l'entremise d'un avocat, a été reçue comme une véritable déclaration
de
guerre.

A la suite de ce fax, X.________ AG a notifié, le jour-même, à
A.________ son
licenciement pour la fin du délai contractuel de congé de six mois,
qui
devait arriver à expiration le 31 août 2001. Il était fait référence
au refus
de cet employé d'accepter les modifications de son contrat.

A. ________ a été libéré immédiatement de son obligation de
travailler.

Le 16 mars 2001, A.________ s'est opposé à ce congé, indiquant qu'il
s'agissait d'une résiliation abusive.
Le 28 mars 2001, X.________ AG a répondu que le licenciement n'était
pas
abusif, mais qu'il était dû à des motifs purement commerciaux.

B.
Le 15 juin 2001, A.________ a saisi la juridiction des prud'hommes du
canton
de Genève, demandant le paiement par X.________ AG de 47'250 fr. avec
intérêt
à 5 % l'an dès le 31 mars 2001 à titre d'indemnité pour licenciement
abusif.
Le 15 août 2001, il a encore réclamé 30'000 fr. avec intérêt à titre
de
réparation pour tort moral.

Par jugement du 4 décembre 2001, le Tribunal de prud'hommes a débouté
A.________ de toutes ses conclusions.

Par arrêt du 5 mai 2003, la Cour d'appel de la juridiction des
prud'hommes du
canton de Genève a admis l'appel formé par A.________, annulé le
jugement du
4 décembre 2001 et, statuant à nouveau, elle a condamné X.________ AG
à
verser à A.________ 37'800 fr. net avec intérêt à 5 % l'an dès le 31
mars
2001, correspondant à quatre mois de salaire, à titre d'indemnité pour
licenciement abusif. En outre, elle a prononcé une réprobation
judiciaire en
raison de l'atteinte grave portée par X.________ AG à la personnalité
de
A.________ entre 1995 et 1997 par le biais d'appréciations et de
formulations
inacceptables contenues dans différents écrits qui étaient envoyés à
celui-ci, avec copies à des pairs et des subordonnés.

C.
Contre l'arrêt du 5 mai 2003, X.________ AG (la défenderesse)
interjette un
recours en réforme au Tribunal fédéral rédigé en langue allemande.
Elle
conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt
attaqué et
à la confirmation du jugement du tribunal de prud'hommes du 4
décembre 2001,
dans la mesure où il déboute A.________ de l'ensemble de ses
conclusions. A
titre subsidiaire, elle demande le renvoi de la cause à l'autorité
inférieure, pour qu'elle complète son état de fait.

A. ________ (le demandeur) propose le rejet du recours et, si besoin
est, la
confirmation de l'arrêt du 5 mai 2003, avec suite de frais et dépens.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions
libératoires et
dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale
par un
tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile
(cf. ATF
129 III 301 consid. 1.2.2; 128 III 250 consid. 1a) dont la valeur
litigieuse
atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le recours en réforme est
en
principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54
al. 1 OJ)
et dans les formes requises (art. 55 OJ).

Sur ce dernier point, il convient de préciser que la défenderesse
était en
droit de déposer un recours au Tribunal fédéral en allemand (cf. art.
30 al.
1 OJ; art. 4 Cst.), langue que maîtrise du reste le demandeur. Il n'y
a
cependant aucune raison de déroger en l'espèce à l'art. 37 al. 3 1ère
phrase
OJ, à teneur duquel l'arrêt est rédigé, en règle générale, dans la
langue de
la décision attaquée. Du reste, la procédure cantonale s'étant
déroulée en
français, la défenderesse ne saurait faire valoir qu'elle serait
incapable de
comprendre cette langue (cf. ATF 124 III 205 consid. 2).

2.
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit mener son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve
n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant
sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter
les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis
(art. 64
OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et l'arrêt cité). Dans la mesure où
une partie
recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu
dans la
décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des
exceptions
qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir
compte (ATF
127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55
al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme ne permet pas de remettre en
cause
l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en
découlent (ATF
128 III 271 consid. 2b/bb p. 277; 127 III 519 consid. 2a p. 522 in
fine).

La défenderesse complète l'état de fait ressortant de l'arrêt attaqué
par
d'autres éléments en précisant qu'il s'agit de circonstances
essentielles
qu'elle a alléguées et dont il n'a pas été tenu compte. Il ressort
toutefois
de son argumentation qu'elle formule d'une part des critiques de
nature
appellatoire, présentant en réalité sa propre version des événements
et
remettant en cause l'appréciation des preuves à laquelle a procédé la
cour
cantonale, ce qui n'est pas admissible. D'autre part, elle demande des
compléments sur des faits destinés à prouver que l'employeur était
matériellement en droit de mettre fin au contrat de travail du
demandeur. Or,
comme il le sera démontré ci-après, cette question n'est pas
pertinente (cf.
infra consid. 3.3).

C'est par conséquent exclusivement à la lumière des faits constatés
par la
cour cantonale que les griefs de la défenderesse seront examinés.

3.
Invoquant une violation de l'art. 336 al. 1 let. d CO, la défenderesse
reproche en premier lieu à la cour cantonale d'avoir admis
l'existence d'un
congé-modification abusif.

3.1 Le congé sous réserve de modification ou congé-modification
(Änderungskündigung) vise une résiliation prononcée à la suite du
refus du
salarié d'accepter une modification de ses conditions de travail. Il
y a
congé-modification au sens étroit lorsque la partie résilie le
contrat tout
en accompagnant sa déclaration de l'offre de poursuivre les rapports
de
travail à des conditions modifiées (ATF 123 III 246 consid. 3). Le
salarié
est ainsi placé devant l'alternative consistant soit à accepter une
péjoration de ses conditions de travail, soit à quitter l'entreprise.
Sur le
plan juridique, il s'agit d'une résiliation liée à une offre de
poursuivre
les rapports de travail à des conditions modifiées (arrêt du Tribunal
fédéral
non publié 4C.463/1995 du 17 décembre 1996, consid. 4b/aa in fine). Le
congé-modification au sens large vise, pour sa part, une résiliation
qui
n'est pas directement couplée avec la
proposition de modification
(ATF 123
III 246 consid. 3 p. 249; confirmé in arrêt du Tribunal fédéral non
publié
4C.385/1999 du 6 mars 2000, consid. 4a).

En l'espèce, on est en présence d'un congé sous réserve de
modification au
sens étroit. Les événements démontrent en effet que le demandeur
n'avait pas
d'autre choix que d'accepter sa rétrogradation dans l'entreprise et
une
diminution de son salaire à partir du 1er mars 2001. Le 12 février
2001, au
moment de lui présenter l'alternative, le directeur de la
défenderesse lui a
d'ailleurs indiqué que sa décision était prise et qu'il ne
reviendrait plus
en arrière. En outre, avant même de connaître la position du
demandeur, la
défenderesse a proposé le poste de directeur de succursale qu'il
occupait à
son adjoint à partir du 1er mars 2001, et ce dernier a immédiatement
accepté.
Enfin, lorsque, par le biais de son avocat, le demandeur a suggéré à
la
défenderesse, le 21 février 2001, de reconsidérer sa position, il a
été
immédiatement licencié.

3.2 La jurisprudence, suivant l'avis de la doctrine dominante, admet
le
principe d'un congé-modification, car, comme tout contrat, le contrat
de
travail n'est pas immuable; il peut cependant y avoir abus dans
certaines
circonstances (cf. ATF 123 III 246 consid. 3a et b p. 249 s. et les
références citées; arrêt du 17 décembre 1996 op. cit., consid.
4b/bb). Tel
est notamment le cas lorsque l'employeur propose des modifications qui
doivent entrer en vigueur immédiatement, soit avant l'expiration du
délai de
licenciement, et qu'il congédie le salarié qui n'a pas accepté. La
pratique
considère que le licenciement est abusif au sens de l'art. 336 al. 1
let. d
CO, car, en refusant une modification du contrat avant l'échéance,
l'employé
fait valoir de bonne foi une prétention découlant de son contrat de
travail
et c'est ce refus qui est à l'origine du licenciement. Selon le
Tribunal
fédéral, un tel procédé constitue toujours un congé abusif, car
l'employeur
doit fournir les mêmes prestations jusqu'à l'expiration du délai de
congé
(ATF 123 III 246 consid. 4a; arrêt du Tribunal fédéral 4C.7/1999 du
13 juin
2000, in SJ 2000 I 49, consid. 2; arrêt du 17 décembre 1996 op. cit.,
consid.
4b/bb). La doctrine partage cet avis (cf. Zoss, La résiliation
abusive du
contrat de travail, thèse Lausanne 1996, p. 207 s.; Wyler, Droit du
travail,
Berne 2002 p. 405 s.; Geiser, Die Änderungskündigung im
schweizerischen
Arbeitsrecht, AJP/PJA 1/99 p. 60 ss, no 3.14, qui rattache toutefois
ce cas
d'abus à l'art. 336 al. 1 let. c CO; Aubert, Commentaire romand, art.
336 CO
no 9, qui considère, pour sa part, que la problématique relève de
l'art. 337
CO).

En l'espèce, le demandeur bénéficiait d'un délai de congé contractuel
de six
mois et son employeur lui a proposé, le 12 février 2001, de le
rétrograder de
son poste de directeur et de réduire son salaire à partir du 1er mars
suivant, soit dans un délai d'à peine trois semaines. Le licenciement
donné
alors que le demandeur avait osé proposer que cette décision soit
reconsidérée apparaît ainsi comme abusif.

3.3 Il vient d'être exposé que l'abus réside dans le fait que
l'employeur met
fin au contrat, parce que le salarié n'accepte pas une péjoration
immédiate
de ses conditions de travail, alors qu'en vertu des dispositions
légales, il
était en droit de s'y opposer. C'est donc le procédé utilisé par
l'employeur
qui rend ce congé abusif, de sorte qu'il n'y a pas lieu de se
demander si, au
surplus, les modifications du contrat proposées étaient en elles-mêmes
admissibles (cf. en ce sens Geiser, op. cit., no 3.14) ou si
l'employeur
avait par ailleurs des raisons de mettre fin au contrat dans le délai
ordinaire de congé. La défenderesse ne peut donc reprocher à la cour
cantonale de ne pas avoir examiné si le comportement du demandeur
justifiait
son licenciement ou à tout le moins les modifications contractuelles
proposées.

De même, les motifs qui ont poussé l'employeur à proposer au
demandeur de
rester dans l'entreprise, mais avec un statut et un salaire
inférieurs ne
sont pas pertinents, contrairement à ce que soutient la défenderesse.
En
effet, même si sa proposition était dictée par le souhait d'éviter au
demandeur, compte tenu de son âge et de son ancienneté dans
l'entreprise, les
affres d'un licenciement, l'employeur n'était pas dispensé pour
autant de
respecter le délai légal de congé s'il entendait modifier le contrat
au
détriment de son salarié. Au demeurant, rien ne l'empêchait, lorsque
le
demandeur lui a courtoisement indiqué, par l'intermédiaire de son
avocat, que
sa proposition n'était pas conforme à la loi, de reporter les effets
des
modifications proposées au terme du délai contractuel de congé,
plutôt que de
licencier sur le champ son salarié.

Enfin, ce n'est pas parce que, depuis plusieurs années, le demandeur
avait
été avisé que, si les résultats de la succursale qu'il dirigeait ne
s'amélioraient pas, il serait licencié, que la défenderesse pouvait
modifier
le contrat à sa guise dans un délai de trois semaines.

3.4 La défenderesse se méprend lorsqu'elle cherche à se prévaloir des
considérations figurant dans l'ATF 123 III 246, selon lesquelles il
n'y a
abus que si l'employeur propose un congé-modification sans vouloir la
cessation des rapports de travail, mais qu'il recourt à ce moyen
seulement
pour imposer une modification du contrat en sa faveur au détriment du
salarié
en-dehors de toute justification matérielle. En effet, l'examen du
bien-fondé
matériel du congé-modification n'a d'intérêt que si celui-ci n'est
pas déjà
abusif pour un autre motif, par exemple parce que le procédé utilisé
par
l'employeur n'est pas admissible (cf. Geiser, op. cit., no 3.14). Or,
comme
on l'a vu (cf. supra consid. 3.2), tel est toujours le cas lorsque la
modification proposée doit intervenir immédiatement ou si les
nouvelles
conditions proposées violent la loi ou une convention collective (cf.
arrêt
du 13 juin 2000 précité, in SJ 2000 I 49, consid. 3).

3.5 Le congé-modification étant abusif, le demandeur pouvait
prétendre à une
indemnité en vertu de l'art. 336a al. 1 CO (Geiser, op. cit., no
5.14). En
fixant celle-ci à quatre mois de salaire, compte tenu de l'âge, de
l'ancienneté du demandeur dans la société défenderesse, ainsi que des
difficultés de réinsertion professionnelle rencontrées par celui-ci,
la cour
cantonale a pris en considération des circonstances pertinentes et
n'a pas
abusé du pouvoir d'appréciation dont jouit le juge en la matière (cf.
art.
336a al. 2 CO; arrêt 4C.310/1998 du 8 janvier 1999, in SJ 1999 I 277,
consid.
3c; ATF 123 III 391 consid. 3b et c). La défenderesse ne formule du
reste
aucune critique sur ce point.

Les griefs dirigés contre la partie de l'arrêt attaqué concernant le
congé
abusif sont donc infondés.

4.
En second lieu, la défenderesse soutient que la cour cantonale ne
pouvait, en
sus de l'indemnisation du demandeur pour licenciement abusif, la
sanctionner
en application des art. 49 et 328 CO.

4.1 Lorsque l'atteinte à la personnalité subie par le salarié congédié
abusivement découle du licenciement, l'indemnité de l'art. 336a CO
comprend
en principe la réparation du tort moral subi par le travailleur
licencié
(arrêt du Tribunal fédéral du 8 janvier 1999 précité, in SJ 1999 I
277,
consid. 4a; ATF 123 III 391 consid. 3). Cette indemnité ne laisse
guère de
place à une application cumulative de l'art. 49 CO. Le Tribunal
fédéral ne
l'exclut cependant pas dans des situations exceptionnelles, lorsque
l'atteinte serait à ce point grave qu'un montant correspondant à six
mois de
salaire ne suffirait pas à la réparer (consid. 9c non publié de l'ATF
126 III
395; arrêt du 22 décembre 1999 précité, in SJ 1999 I 277, consid. 4a).

En revanche, comme l'art. 336a al. 2 in fine CO réserve les
dommages-intérêts
qui pourraient être dus à un autre titre, le travailleur conserve le
droit de
réclamer la réparation du préjudice résultant d'une cause autre que le
caractère abusif du congé (cf. ATF 123 III 391 consid. 3c p. 394; cf.
Staehelin, Commentaire zurichois, art 336a no 8 p. 579; Streiff/von
Kaenel,
Leitfaden zum Arbeitsvertragsrecht, 5e éd. Zurich 1992, art. 336a no
8), par
exemple le tort moral résultant d'un harcèlement antérieur au congé
abusif
(Aubert, op. cit., art. 336a no 3).

En l'occurrence, l'atteinte à la personnalité du demandeur retenue
par la
cour cantonale était liée aux courriers rédigés sur un ton
inacceptable et
humiliant qui avaient été envoyés par le directeur général de la
défenderesse
entre 1995 et 1997. Cette cause est indépendante du
congé-modification qui a
justifié le versement d'une indemnité sur la base de l'art. 336a CO.
Par
conséquent, on ne peut considérer que l'indemnité pour licenciement
abusif
absorbe la réparation de l'éventuelle atteinte à la personnalité du
demandeur
liée à ces courriers. Rien n'empêchait donc la cour cantonale de faire
application de l'art. 49 CO parallèlement à l'art. 336a CO et elle
pouvait
allouer une réparation morale, sans qu'il soit nécessaire que
l'atteinte ait
une gravité telle que sa réparation dépasse le versement de
l'indemnité
maximale de l'art 336a CO.

4.2 Il reste à examiner s'il y a eu atteinte à la personnalité et si
celle-ci
pouvait être sanctionnée par une réprobation judiciaire.

4.2.1 Selon l'art. 328 al. 1 CO, l'employeur protège et respecte,
dans les
rapports de travail, la personnalité du travailleur. La violation des
obligations prévues à l'art. 328 CO entraîne l'obligation pour
l'employeur de
réparer le préjudice matériel et le tort moral causés par sa faute ou
celle
d'un autre employé (cf. ATF 125 III 70 consid. 3a; arrêt du Tribunal
fédéral
non publié 2C.2/2000 du 4 avril 2003, consid. 2.3). N'importe quelle
atteinte
légère à la réputation professionnelle d'une personne ne justifie pas
une
réparation (cf. ATF 125 III 70 consid. 3a in fine et les références
citées).

Il ressort des faits constatés que le fondateur et président du
conseil
d'administration de la défenderesse a, de 1995 à 1997, fait parvenir
au
demandeur des messages comportant des jugements de valeur, des
appréciations
quant à ses capacité, à son sérieux et à ses compétences en usant
d'un ton
inacceptable et humiliant. Des copies de ces écrits étaient adressées
non
seulement aux supérieurs du demandeur, mais également à ses pairs et
à ses
subordonnés. Il a été retenu qu'à l'époque, le demandeur avait été
très
affecté et avait souffert du contenu et de la diffusion de ces
messages
dépréciatifs, mais qu'il s'était tu, de peur de perdre sa place de
travail.
Ces circonstances démontrent que l'on se trouve manifestement en
présence
d'une atteinte à la personnalité du salarié, qui a non seulement reçu
pendant
environ trois ans des messages humiliants, mais qui a également dû
supporter
la diffusion de ces écrits parmi le personnel de l'entreprise. Le
fait que,
pour l'auteur des messages, le ton utilisé était habituel n'y change
rien. La
défenderesse a donc violé l'art. 328 CO et ce d'autant plus gravement
que
c'est elle-même, par l'intermédiaire de son fondateur et président du
conseil
d'administration, qui était à l'origine des messages attentatoires à
l'honneur de son employé. On est bien loin d'une atteinte
insignifiante à
l'image professionnelle dont la défenderesse cherche à démontrer
l'existence
dans son recours.

4.2.2 La réparation morale est régie par l'art. 49 CO. Cette
disposition
prévoit le versement d'une somme d'argent pour autant que la gravité
de
l'atteinte le justifie et que l'auteur n'ait pas donné satisfaction
autrement
à la victime (cf. al. 1). Le juge peut substituer ou ajouter à
l'allocation
de cette indemnité un autre mode de réparation (al. 2). S'agissant du
mode de
réparation, le juge n'est pas lié par les conclusions du demandeur
(Deschenaux/Tercier, La responsabilité civile, Berne 1982, p. 208 no
14). Les
conditions pour l'octroi d'un montant en espèces ou d'un autre mode de
réparation sont les mêmes (Brehm, Commentaire bernois, art. 49 CO no
98).
L'ampleur de la réparation morale dépend avant tout de la gravité des
souffrances physiques ou psychiques consécutives à l'atteinte subie
par la
victime (ATF 129 IV 22 consid. 7.2; 125 III 269 consid. 2a p. 273).
Selon la
jurisprudence, la fixation de l'indemnité et, a fortiori, le prononcé
d'un
autre mode de réparation par le juge, est une question d'équité et
non une
question d'appréciation au sens strict qui limiterait la cognition du
Tribunal fédéral à l'abus ou à l'excès du pouvoir d'appréciation.
Celui-ci
examine ainsi librement si la somme allouée ou la réparation
envisagée tient
suffisamment compte de la gravité de l'atteinte ou si elle est
disproportionnée par rapport à l'intensité des souffrances morales
causées à
la victime (cf. ATF 129 III 22 consid. 7.2 p. 37; 125 III 269 consid.
2a p.
273 s.).

Compte tenu de l'atteinte à la personnalité indéniablement subie par
le
demandeur en raison des courriers reçus à plusieurs reprises entre
1995 et
1997, on ne voit pas que l'on puisse reprocher à la cour cantonale
d'avoir
considéré qu'une réparation au sens de l'art. 49 CO s'imposait. En
outre, en
l'absence d'un recours joint (art. 59 al. 2 OJ), il n'est pas
nécessaire de
se demander si une réparation sous forme d'argent aurait été au
surplus
justifiée.

4.2.3
Il reste à examiner si la désapprobation judiciaire prononcée en
l'espèce peut constituer un mode de réparation au sens de l'art. 49
al. 2 CO.
Dans une jurisprudence ancienne, le Tribunal fédéral l'a admis (cf.
ATF 63 II
184 consid. 1c p. 187; 43 II 309 consid. 5 p. 325). La doctrine est
divisée
sur cette question. Invoquant le fait qu'une désapprobation
judiciaire ne
peut être l'objet d'une procédure et qu'elle ne constitue pas une
véritable
réparation, certains auteurs refusent cette possibilité (Rey,
Äusservertragliches Haftpflichtrecht, 2e éd. Zurich 1998, no 513;
Jäggi,
Fragen des privatrechtlichen Schutzes der Persönlichkeit, ZSR 1960 II
p. 10
ss, 189a/190a), alors que d'autres émettent seulement des doutes
(Deschenaux/Tercier, op. cit., p. 261 no 7; von Tuhr/Peter,
Allgemeiner Teil
des Schweizerischen Obligationenrechts, Zurich 1979, p. 129). Brehm
soutient,
pour sa part, que, par analogie avec les procédures en constatation
de droit,
le prononcé d'une telle mesure doit être admise dans le cadre de
l'art. 49
al. 2 CO (Brehm, op. cit., art. 49 CO no 106 s.).

Sans trancher définitivement cette controverse, il convient de
considérer
que, dans le cas particulier, le prononcé d'une réprobation
judiciaire doit
être admis. En effet, on ne se trouve pas dans la situation où le
jugement se
limiterait à cette seule réprobation, car la défenderesse a également
été
condamnée à verser au demandeur une somme d'argent en application de
l'art.
336a CO. Certes, l'atteinte à la personnalité subie par le demandeur
est
indépendante de la résiliation abusive, toutefois la réprobation
judiciaire a
été prononcée dans le même contexte. En outre, il ne faut pas oublier
que
l'art. 49 al. 2 CO laisse au juge une grande liberté dans la
détermination du
mode de réparation et que le prononcé de cette réprobation n'apparaît
en tous
les cas pas inéquitable en l'espèce.

Le recours doit par conséquent être rejeté.

5.
Comme la valeur litigieuse, selon les prétentions du demandeur à
l'ouverture
de l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b; 100 II 358 consid. a), dépasse
30'000
fr., la procédure n'est pas gratuite (art. 343 al. 2 et 3 CO).

Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la
charge
de la défenderesse, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la
défenderesse.

3.
La défenderesse versera au demandeur une indemnité de 2'500 fr. à
titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Cour
d'appel de
la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.

Lausanne, le 21 octobre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.177/2003
Date de la décision : 21/10/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-10-21;4c.177.2003 ?
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