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20/10/2003 | SUISSE | N°1P.570/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 20 octobre 2003, 1P.570/2003


{T 0/2}
1P.570/2003 /col

Arrêt du 20 octobre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Juge présidant, Reeb
et Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.

T. ________,
recourant, représenté par Me Robert Assaël, avocat,
rue de Hesse 8-10, case postale 5715, 1211 Genève 11,

contre

Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 310

8, 1211 Genève 3.

détention préventive

recours de droit public contre l'ordonnance de la Cour de justice du
...

{T 0/2}
1P.570/2003 /col

Arrêt du 20 octobre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Juge présidant, Reeb
et Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.

T. ________,
recourant, représenté par Me Robert Assaël, avocat,
rue de Hesse 8-10, case postale 5715, 1211 Genève 11,

contre

Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.

détention préventive

recours de droit public contre l'ordonnance de la Cour de justice du
canton
de Genève du 29 août 2003.

Faits:

A.
T. ________, citoyen suisse, né en 1932 et domicilié à Genève,
exerçait à
titre indépendant la profession de conseiller financier depuis 1970.
Le 9 juillet 2001, il s'est présenté spontanément au Procureur
général du
canton de Genève pour s'accuser d'abus de confiance et de faux dans
les
titres. Il a exposé s'être constitué une clientèle privée, comptant
environ
une soixantaine de personnes, qui lui avait confié des fonds pour un
montant
total de l'ordre de 40 millions de francs. D'abord florissante, la
marche de
ses affaires s'était détériorée à partir de 1987. Pressé de demandes
de
remboursement, il s'était laissé aller à utiliser à cette fin des
fonds remis
par des tiers. Pour se procurer de l'argent frais, il avait fait
miroiter à
de nouveaux investisseurs des rendements très élevés. Incapable de
rembourser
les uns et de rétribuer les autres, il avait commencé à établir de
faux
relevés. La situation était devenue progressivement intenable, au
point qu'il
avait tenté de se suicider en mars 2001. Il a estimé les pertes
subies à
environ 20 millions de francs. Il a précisé avoir versé sur ses
comptes
bancaires personnels les fonds prêtés, tout en niant s'être enrichi
personnellement au détriment de ses clients. Sur ses instructions, un
dénommé
B.________ avait détruit la documentation bancaire relative à ses
comptes.
Inculpé d'escroquerie, de gestion déloyale et de faux dans les titres
par le
Juge d'instruction du canton de Genève le 10 juillet 2001, T.________
a été
placé immédiatement en détention préventive.
Soixante-douze plaintes pénales ont été déposées.
La suite de l'enquête a démontré que T.________ menait grand train de
vie. Il
avait l'habitude de porter sur lui de grosses sommes d'argent et de
dépenser
sans compter. Il était propriétaire d'un voilier et de vingt-six
véhicules
automobiles. Il disposait d'une villa sur la Côte d'Azur, richement
meublée.
Le Juge d'instruction a fait procéder à des investigations de grande
ampleur,
y compris en France où le prévenu détenait des comptes bancaires et
des biens
immobiliers.
La Chambre d'accusation a prolongé à plusieurs reprises la détention
de
T.________ pour les besoins de la procédure, en dernier lieu le 13
juin 2003.
Le 27 août 2003, T.________ a demandé sa libération provisoire, sans
conditions, requête que la Chambre d'accusation a rejetée le 29 août
2003. Se
référant à sa décision du 13 juin 2003, elle a retenu que T.________
ne
s'était pas conformé à l'engagement de fournir la liste de ses
clients et de
préciser la destination des fonds confiés, empêchant ainsi les
autorités de
vérifier leur usage. Au regard du principe de la proportionnalité, la
question d'une mise en liberté se posait sérieusement. Pour pallier
toutefois
le risque de fuite lié à "la lourde peine encourue" et au "manque de
transparence dans la localisation des fonds confiés", elle a
subordonné la
libération provisoire au versement d'une caution, d'un montant de
1'000'000
fr. Cette décision a été notifiée le 29 août 2003.

B.
Agissant personnellement le 26 septembre 2003 par la voie du recours
de droit
public, T.________ demande au Tribunal fédéral principalement
d'annuler la
décision du 29 août 2003, de supprimer la caution et d'ordonner sa
libération
provisoire. A titre subsidiaire, il conclut au renvoi de la cause à la
Chambre d'accusation pour nouvelle décision au sens des considérants.
Il
invoque les art. 8, 9, 10, 29, 31 et 32 Cst., ainsi que les art. 5
par. 3 et
6 par. 2 CEDH. Il se plaint en outre d'un déni de justice. Il requiert
l'assistance judiciaire.
Le 29 septembre 2003, le défenseur d'office désigné à T.________ dans
la
procédure cantonale a également formé un recours de droit public
contre la
décision du 29 août 2003, dont il a demandé l'annulation, ainsi que la
libération immédiate de son client. Il a invoqué les art. 9, 10 et 29
Cst.,
ainsi que les art. 5 par. 3 et 6 par. 2 CEDH. Il a requis l'assistance
judiciaire.
La Chambre d'accusation se réfère à sa décision. Le Ministère public
conclut
au rejet du recours.
Invité à répliquer, le recourant a maintenu ses conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 129 I 173 consid. 1
p. 174,
185 consid. 1 p. 188; 129 II 225 consid. 1 p. 227, et les arrêts
cités).

1.1 Le recours de droit public n'a qu'un effet cassatoire (art. 90
al. 1 let.
b OJ; ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131/132, 173 consid. 1.5 p. 176,
et les
arrêts cités). Il est fait exception à ce principe lorsque
l'admission du
recours ne suffit pas à rétablir une situation conforme à la
Constitution et
qu'une mesure positive est nécessaire (ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p.
131/132). Tel est le cas notamment lorsqu'une mesure de détention
préventive
n'est pas - ou n'est plus - justifiée (ATF 115 Ia 293 consid. 1a p.
297; 107
Ia 256 consid. 1 p. 257; 105 Ia 26 consid. 1 p. 29). Les conclusions
qui vont
au-delà de l'annulation de la décision attaquée sont ainsi recevables.

1.2 L'acte de recours doit être déposé devant le Tribunal fédéral
dans les
trente jours dès la communication, selon le droit cantonal, de
l'arrêté ou de
la décision attaqués (art. 89 al. 1 OJ). En l'occurrence, la décision
attaquée a été notifiée le 29 août 2003. Le délai a commencé à courir
le 30
août 2003 (art. 32 al. 1 OJ). Il a expiré le 28 septembre suivant qui
était
un dimanche, pour être reporté au lundi 29 septembre 2003 (art. 32
al. 2 OJ).
Les actes de recours des 26 et 29 septembre 2003, tous deux formés à
temps,
doivent être considérés comme se complétant l'un l'autre en une seule
écriture. T.________ est intervenu spontanément le 7 octobre 2003 pour
expliquer les raisons de cette démarche dédoublée. Il a ratifié le
recours du
29 septembre 2003.

2.
Sous l'angle de la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.), le
recourant
conteste les motifs pour lesquels la Chambre d'accusation a
subordonné sa
libération immédiate au versement d'une caution.

2.1 La libération provisoire peut être accordée moyennant des sûretés
et
obligations (art. 155 CPP/GE), qui ont pour but de garantir la
présence de
l'inculpé aux actes de la procédure et sa soumission au jugement
(art. 156
al. 1 CPP/GE). Cette disposition correspond à l'art. 5 par. 3,
dernière
phrase, CEDH, à teneur duquel la mise en liberté peut être
subordonnée à une
garantie assurant la comparution de l'inculpé à l'audience.
Comme succédané de la détention préventive, la caution est une
application du
principe de la proportionnalité; elle ne doit être ordonnée ou
maintenue que
si aucune mesure moins incisive pour la liberté n'est envisageable
(ATF 107
Ia 206 consid. 2a p. 208; art. 36 al. 3 Cst.; cf. ATF 124 I 208
consid. 6 p.
215; 123 I 268 consid. 3a p. 273; 107 Ia 256 consid. 1b p. 257, et
les arrêts
cités). Le dépôt de sûretés n'est exigible que si et aussi longtemps
que les
motifs de la détention préventive persistent (ATF 107 Ia 206 consid.
2b p.
208/209; 95 I 202 consid. 1 p. 204).

2.2 La Chambre d'accusation a retenu l'existence d'un risque de
fuite, lié au
fait que le sort d'une partie des fonds détournés n'a pu être
éclairci,
créant ainsi le soupçon que le recourant aurait caché une partie du
butin à
l'étranger qu'il serait tenté de gagner pour se soustraire à l'action
de la
justice.

2.2.1 L'importance de la garantie doit être appréciée au regard des
ressources du prévenu, de ses liens avec des personnes pouvant lui
servir de
caution, et de la confiance qu'on peut avoir que la perspective de
perdre le
montant agira comme un frein suffisamment puissant pour écarter toute
velléité de fuite (ATF 105 Ia 186 consid. 4a p. 187, citant l'arrêt
rendu le
27 juin 1968 par la Cour européenne des droits de l'homme dans
l'affaire
Neumeister c. Autriche, Série A, vol. 7, par. 14). Lorsque
l'instruction
pénale porte sur des détournements de fonds importants, dont une
grande
partie n'a pas pu être récupérée, l'autorité chargée de fixer la
caution doit
faire preuve d'une grande prudence, car il est toujours à craindre
que le
prévenu ne profite de sa mise en liberté pour tenter de récupérer le
produit
de l'infraction soustrait à la justice. L'autorité ne peut pas, dans
ce
cadre, faire abstraction du montant des sommes détournées et fixer le
montant
de la caution en tenant compte uniquement de la situation actuelle du
prévenu, indépendamment des agissements délictueux qu'il aurait commis
(arrêts 1P.419/2003 du 30 juillet 2003, consid. 1.1; 1P.429/2002 du 23
septembre 2002, consid. 2.2, 1P.691/2000 du 30 novembre 2000, consid.
3b; cf.
aussi l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme dans la
cause
Punzelt c. République tchèque, du 25 avril 2000, par. 85 ss).

2.2.2 Le recourant a admis les accusations portées contre lui. Il a
reconnu
avoir utilisé les fonds de certains clients afin d'en rembourser
d'autres.
Pour combler les pertes subies, il a démarché de nouveaux clients
dont les
apports ont servi au paiement des intérêts dus à des tiers ou au
remboursement d'investissements échus. Le recourant prétend que cet
engrenage
progressif l'aurait amené à dilapider environ 20 millions de francs,
soit la
moitié du montant total des capitaux qu'il gérait. Le prévenu a
collaboré à
l'enquête, qui a été compliquée par le fait que le recourant gérait
les fonds
par le truchement de ses comptes bancaires personnels, mélangeant
ainsi ses
propres biens avec ceux de ses clients. A la suite de sa tentative de
suicide, un tiers a, sur son ordre, détruit la documentation relative
à ces
comptes. Pour ces raisons, il n'a pour l'instant pas été possible de
déterminer avec précision ce qu'il est advenu du solde des capitaux
gérés par
le recourant, lequel n'a pas été en mesure de reconstituer l'ensemble
des
mouvements effectués sur ses divers comptes bancaires. Cette
obscurité a fait
naître le soupçon que le recourant aurait caché une partie des fonds.
Remis
en liberté, il pourrait être tenté de fuir, de récupérer le butin et
de se
soustraire à l'action de la justice.
Si ce risque ne doit pas être pris à la légère, il n'est toutefois pas
déterminant. Le recourant est âgé de soixante-douze ans. Suisse, il
vit
depuis cinquante ans à Genève, où sont aussi établies son ex-épouse
avec
laquelle il est resté lié, sa compagne et sa fille, bénéficiaire
d'une rente
de l'assurance-invalidité. Le recourant est atteint dans sa santé.
Selon un
certificat établi en août 2003 par le service de médecine
pénitentiaire, il a
subi en 2003 "trois accidents vasculaires cérébraux ischémiques"; il
souffre
depuis 1993 de la maladie de Ménière et présente des troubles
dépressifs
récurrents. A cela s'ajoute que même s'il fuyait à l'étranger, le
recourant
serait exposé à une demande d'extradition à laquelle sa nationalité
suisse ne
ferait pas obstacle.

2.3 Même à supposer un risque de fuite, la décision attaquée devrait
de toute
manière être annulée pour un autre motif. Selon la Chambre
d'accusation
elle-même, indépendamment de toute cause de détention, la durée de
celle-ci
ne paraît désormais guère compatible avec le principe de la
proportionnalité.
Dès lors, selon la jurisprudence qui vient d'être rappelée, le dépôt
de
sûretés n'entre plus en ligne de compte, puisque les conditions de la
détention préventive ne sont plus réunies.

3.
Le recours doit ainsi être admis et la décision attaquée annulée,
sans qu'il
soit nécessaire d'examiner de surcroît les autres griefs soulevés par
le
recourant, qui doit être libéré immédiatement. Il est statué sans
frais (art.
156 OJ). L'Etat de Genève versera au recourant une indemnité de 2'000
fr. à
titre de dépens. La demande d'assistance judiciaire a ainsi perdu son
objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et la décision attaquée annulée.

2.
La libération immédiate du recourant est ordonnée.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
L'Etat de Genève versera au recourant une indemnité de 2'000 fr. à
titre de
dépens.

5.
La demande d'assistance judiciaire a perdu son objet.

6.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant,
au
Procureur général et à la Chambre d'accusation de la Cour de justice
du
canton de Genève.

Lausanne, le 20 octobre 2003

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.570/2003
Date de la décision : 20/10/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-10-20;1p.570.2003 ?
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