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13/10/2003 | SUISSE | N°1P.490/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 13 octobre 2003, 1P.490/2003


{T 0/2}
1P.490/2003 /col

Arrêt du 13 octobre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

B. ________,
recourante, représentée par Me Louis-Marc Perroud, avocat, case
postale 1161,
1701 Fribourg,

contre

D.________,
intimé, représenté par Me Dominique Morard, avocat,
rue Rieter 9, case postale 236, 1630 Bulle,
Juge d'instruction du canton de Fribourg,
place Notre-Dame 4,

1700 Fribourg,
Ministère public du canton de Fribourg,
rue de Zaehringen 1, 1700 Fribourg,
Vice-Président de l'Office ...

{T 0/2}
1P.490/2003 /col

Arrêt du 13 octobre 2003
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du
Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

B. ________,
recourante, représentée par Me Louis-Marc Perroud, avocat, case
postale 1161,
1701 Fribourg,

contre

D.________,
intimé, représenté par Me Dominique Morard, avocat,
rue Rieter 9, case postale 236, 1630 Bulle,
Juge d'instruction du canton de Fribourg,
place Notre-Dame 4, 1700 Fribourg,
Ministère public du canton de Fribourg,
rue de Zaehringen 1, 1700 Fribourg,
Vice-Président de l'Office des juges d'instruction, place Notre-Dame
4, 1700
Fribourg,
Tribunal cantonal du canton de Fribourg,
Chambre pénale, case postale 56, 1702 Fribourg.

art. 9 Cst., art. 6 § 1 CEDH, récusation d'un juge d'instruction,

recours de droit public contre la décision du Tribunal cantonal
fribourgeois
du 30 juin 2003.
Faits:

A.
Le 21 mars 2003, B.________ a demandé la récusation du Juge
d'instruction
fribourgeois, chargé d'instruire une plainte pour actes d'ordre
sexuel avec
des enfants contre D.________, en évoquant un échange qui aurait eu
lieu
entre le juge et l'avocat de l'inculpé.
Par décision du 29 avril 2003, le Vice-président de l'Office des Juges
d'instruction du canton de Fribourg (ci-après: le Vice-président) a
rejeté la
requête, en retenant que le magistrat instructeur s'était contenté de
répondre à une interpellation de l'avocat quant à la suite de la
procédure,
et n'avait pas délivré d'information à une partie au détriment d'une
autre.

B.
Se conformant à l'indication des voies de droit figurant dans cette
décision,
B.________ a saisi la Chambre pénale du Tribunal cantonal
fribourgeois. Par
arrêt du 30 juin 2003, cette dernière a déclaré le recours
irrecevable.
L'art. 202 al. 1 du code de procédure pénale fribourgeois (CPP/FR) ne
prévoyait pas de recours contre la décision de récusation prise par le
Président ou le Vice-président, celle-ci ne relevant pas de la
poursuite
pénale proprement dite. Dans plusieurs arrêts précédents non publiés,
la
Chambre pénale était entrée en matière sur de tels recours, en dépit
d'un
arrêt publié du 21 mai 1999 consacrant la solution inverse. Cela
n'empêchait
pas un revirement de jurisprudence, afin de se conformer à la volonté
du
législateur. Puisqu'elle constatait l'inexistence d'une voie de
recours,
l'autorité n'était pas tenue d'annoncer préalablement ce changement de
jurisprudence. L'arrêt a été rendu sans frais ni dépens.

C.
B.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt,
ainsi
que contre la décision du Vice-président, en demandant, s'agissant de
cette
dernière, que le délai pour former le recours de droit public lui soit
restitué.
Le Tribunal cantonal, le Ministère public et le juge d'instruction
renoncent
à formuler des observations. L'intimé D.________ conclut au rejet du
recours
dans la mesure où il est recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt du Tribunal cantonal statue en dernière instance sur
l'existence d'un
recours contre la décision sur récusation. Il s'agit d'une décision
incidente
contre laquelle le recours de droit public est ouvert (art. 87 al. 1
OJ).
L'auteur de la demande de récusation a qualité pour contester l'arrêt
attaqué
(art. 88 OJ).

2.
Il convient d'examiner en premier lieu le bien-fondé du revirement de
jurisprudence opéré par la cour cantonale. La recourante invoque à ce
sujet
l'interdiction de l'arbitraire et la garantie du juge naturel. Le
grief
n'apparaît toutefois pas suffisamment motivé au regard des exigences
de
l'art. 90 al. 1 let. b OJ.

2.1 Selon cette disposition, il appartient au recourant d'indiquer
quels sont
les droits ou principes constitutionnels violés, et de préciser en
quoi
consiste la violation. De jurisprudence constante, la simple
invocation de
l'interdiction de l'arbitraire est insuffisante: le recourant doit en
tout
cas indiquer quelles sont les normes cantonales en jeu, et démontrer,
de
manière succincte mais suffisamment claire, que leur application
serait
arbitraire, non seulement dans la motivation de l'arrêt attaqué, mais
aussi
dans son résultat (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts
cités).

2.2 En l'occurrence, la recourante estime que la suppression de la
voie de
recours contre les décisions relatives à la récusation des juges
d'instruction constituerait une limitation "inacceptable" des droits
du
justiciable, et des victimes LAVI; cela n'est manifestement pas
suffisant,
alors que l'arrêt cantonal est fondé sur un examen détaillé de
l'ancien et du
nouveau droit de procédure cantonale, ainsi que de la doctrine.
La recourante évoque certes l'art. 202 al. 1 CPP/FR (recours à la
Chambre
pénale), en estimant que cette disposition s'appliquerait à toute
décision,
mesure ou omission du juge d'instruction. La Chambre pénale a pour sa
part
considéré que cette disposition concernait uniquement les actes de
poursuite
accomplis par le magistrat instructeur, et non les décisions rendues
par le
Président ou le Vice-président en tant que juge unique. Cette
interprétation
paraît certes discutable, mais elle est compatible avec le texte
légal et ne
saurait être qualifiée d'insoutenable. Même si la pratique suivie
jusque-là
pourrait être jugée préférable du point de vue de la protection
judiciaire,
cela ne suffit pas pour rendre arbitraire la solution adoptée.

2.3 A propos de la garantie du juge naturel (art. 30 al. 1 Cst. et 6
par. 1
CEDH), la recourante rappelle le devoir d'impartialité du juge, mais
n'en
tire aucun argument sur la nécessité d'aménager une voie de recours
cantonale
en matière de récusation. Les garanties de l'art. 6 CEDH ne
s'appliquent
d'ailleurs pas à la procédure de récusation proprement dite (JAAC
1995 n° 122
p. 994), et le droit à un recours effectif (art. 13 CEDH, non invoqué
par la
recourante) est assuré par l'intervention successive du Président ou
du
Vice-président, puis, le cas échéant, du Tribunal fédéral saisi
directement,
dans les délais et formes utiles par la voie du recours de droit
public. Dans
la mesure où il est recevable, ce premier grief doit être écarté.

3.
Invoquant l'art. 9 Cst. (interdiction de l'arbitraire et protection
de la
bonne foi), la recourante estime que le revirement de jurisprudence
opéré par
la cour cantonale devait être précédé d'un avertissement. La
recourante
relève qu'elle s'est conformée à l'indication des voies de droit
figurant
dans la décision du Vice-président, ainsi qu'à la pratique constante
suivie
jusque-là.

3.1 La cour cantonale n'a pas méconnu les exigences découlant du
principe de
la bonne foi en matière de changement de pratique. Après avoir
rappelé la
nécessité de motifs objectifs, elle relève qu'un avis préalable n'est
pas
nécessaire, selon la jurisprudence, lorsque le changement de pratique
consiste à nier l'existence d'une voie de recours; le justiciable n'a
pas,
dans ce cas, à adapter sa démarche afin de la rendre recevable (ATF
122 I 57
consid. 3c/bb p. 60).

3.2 La recourante ne critique nullement cette dernière jurisprudence.
Elle se
borne à en contester l'application en l'espèce, en soutenant que
c'est à tort
que l'existence d'une voie de recours cantonale a été niée, sans
nullement
remettre en cause les conditions dans lesquelles, selon l'arrêt
précité, il
peut être renoncé à un avertissement en cas de changement de
pratique. Son
argument se recoupe dès lors entière-ment avec le grief précédent, et
doit
être rejeté dans la même mesure.

4.
Le recours de droit public doit par conséquent être rejeté dans la
mesure où
il est recevable, en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt de la
Chambre
pénale.

5.
A titre subsidiaire, la recourante entend également recourir contre la
décision du Vice-président. A cet effet, elle demande la restitution
du délai
de trente jours (art. 35 al. 1 et 89 al. 1 OJ), et se réfère sur le
fond à
son recours cantonal du 12 mai 2003, en demandant l'annulation de la
décision
sur récusation.

5.1 Aux termes de l'art. 35 al. 1 OJ, la restitution pour
inobservation d'un
délai ne peut être accordée que si le requérant ou son mandataire a
été
empêché sans sa faute d'agir dans le délai fixé. La demande de
restitution
doit indiquer l'empêchement et être présentée dans les dix jours à
compter de
celui où il a cessé. L'acte omis doit être exécuté dans ce délai.

5.2 Pour la recourante, l'empêchement de former un recours de droit
public
directement contre la décision du 29 avril 2003 résiderait dans
l'indication
erronée des voies de droit figurant dans cette décision, et la
nécessité
d'épuiser les instances cantonales avant de saisir le Tribunal
fédéral (art.
86 al. 1 OJ). Ainsi compris, l'empêchement a cessé dès le prononcé
par lequel
la Chambre pénale a nié l'existence d'une voie de recours.
Contrairement à ce
que soutient l'intimé, on ne saurait reprocher à la recourante de
n'avoir pas
directement recouru contre la décision de première instance, dès lors
que
celle-ci indique une voie de recours erronée, et que cette erreur
n'était pas
manifeste, même pour un justiciable assisté d'un avocat. Dès la
notification
de l'arrêt cantonal, la recourante disposait donc de dix jours pour
requérir
la restitution et pour exécuter l'acte omis, c'est-à-dire déposer son
recours
de droit public contre la décision de première instance. Or, selon les
indications de la recourante, l'arrêt cantonal lui a été notifié le 23
juillet 2003. Compte tenu des suspensions prévues à l'art. 34 al. 1
let. b
OJ, le délai arrivait à échéance le 25 août 2003. Le recours de droit
public,
dirigé également contre la décision du Vice-président, a été déposé à
cette
date, de sorte que la demande de restitution de délai apparaît
recevable.

5.3 Selon la jurisprudence relative à l'art. 90 OJ, la motivation doit
figurer dans l'acte de recours lui-même. Une motivation par renvoi
n'est pas
admissible (ATF 115 Ia 27 consid. 4b p. 30; 109 Ia 304 consid. 1b p.
306).
Cette jurisprudence s'applique aux cas où le recours cantonal a fait
l'objet
d'une décision au fond, laquelle devient l'objet du recours de droit
public.
Lorsqu'au contraire le recours cantonal n'a pas fait l'objet d'une
décision
au fond, le procédé consistant à renvoyer au recours cantonal
pourrait être
admis, dans la mesure toutefois où cet acte contient une motivation
d'ordre
constitutionnel suffisante au regard des exigences spécifiques de
l'art. 90
al. 1 let. b OJ. Sur plusieurs point, le recours cantonal du 12 mai
2003 ne
satisfait pas à ces exigences. Pour le surplus, il apparaît
manifestement mal
fondé.

5.4 Dans son recours cantonal, la recourante réitère ses reproches à
l'égard
du magistrat instructeur. Elle met en doute la version des faits
retenus,
mais ne démontre pas que cette constatation serait arbitraire. Elle
estime en
outre qu'une audition de témoin aurait dû avoir lieu, sans toutefois
prétendre qu'elle aurait formellement requis un tel moyen de preuve.
L'ensemble de ces griefs, de nature appellatoire, est par conséquent
irrecevable, et le Tribunal fédéral doit s'en tenir aux faits tels
qu'ils
ressortent de la décision du Vice-président.

5.5 Selon les explications du juge d'instruction, tenues pour
crédibles par
le Vice-président, le mandataire du prévenu avait demandé si une
ordonnance
de classement serait prochainement rendue, ce dont les parties avaient
d'ailleurs déjà été informées le 22 octobre 2002. Or, un magistrat
peut
difficilement éviter ce genre d'interpellation, à laquelle le juge
instructeur n'a d'ailleurs répondu que de manière minimale, sans
favoriser
d'aucune manière une partie au détriment d'une autre. Sur la base des
faits
retenus, la décision attaquée ne viole donc pas la garantie du juge
impartial, telle qu'elle découle des art. 6 CEDH et 30 al. 1 Cst.

6.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être
rejeté dans
la mesure où il est recevable, en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt
cantonal. Il doit connaître le même sort en tant qu'il est dirigé
contre la
décision de première instance, Conformément aux art. 156 al. 1 et 159
al. 1
OJ, un émolument judiciaire est mis à la charge de la recourante qui
succombe, de même que l'indemnité de dépens allouée à l'intimé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public dirigé contre l'arrêt de la Chambre pénale
du
Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg du 30 juin 2003 est rejeté
dans la
mesure où il est recevable.

2.
La demande de restitution de délai est admise.

3.
Le recours dirigé contre la décision du Vice-président de l'Office
des Juges
d'instruction du 29 avril 2003 est rejeté dans la mesure où il est
recevable.

4.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

5.
Une indemnité de dépens de 1000 fr. est allouée à l'intimé
D.________ à
titre de dépens, à la charge de la recourante.

6.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
au Juge
d'instruction, au Ministère public, au Vice-président de l'Office des
Juges
d'instruction et à la Chambre pénale du Tribunal cantonal du canton de
Fribourg.

Lausanne, le 13 octobre 2003


Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.490/2003
Date de la décision : 13/10/2003
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-10-13;1p.490.2003 ?
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