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09/10/2003 | SUISSE | N°4P.138/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 octobre 2003, 4P.138/2002


{T 0/2}
4P.138/2002 /ech

Arrêt du 9 octobre 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Chaix, Juge suppléant.
Greffier: M. Ramelet.

A. ________ Ltd.,
recourante, représentée par Me Dominique Henchoz, avocate, Python
Schifferli
Peter & Associés, rue Massot 9, 1206 Genève,

contre

B.________ Inc.,
intimée, représentée par Maître Pierre-André Béguin et Maître Silvia
Tevini
Du Pasquier, avocats, Budin & Associés, rue Sénebier 20, 1205 Genève,
Chambre civile

de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (procédure civile; appréci...

{T 0/2}
4P.138/2002 /ech

Arrêt du 9 octobre 2003
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Walter et Chaix, Juge suppléant.
Greffier: M. Ramelet.

A. ________ Ltd.,
recourante, représentée par Me Dominique Henchoz, avocate, Python
Schifferli
Peter & Associés, rue Massot 9, 1206 Genève,

contre

B.________ Inc.,
intimée, représentée par Maître Pierre-André Béguin et Maître Silvia
Tevini
Du Pasquier, avocats, Budin & Associés, rue Sénebier 20, 1205 Genève,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case
postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (procédure civile; appréciation arbitraire des preuves),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la
Cour de
justice du canton de Genève du 19 avril 2002.

Faits:

A.
A.a Le 2 avril 1996, A.________ Limited (ci-après: A.________),
société de
droit bermudien ayant son siège aux Bermudes, a vendu à B.________
Inc.
(ci-après: B.________), société de droit du Delaware ayant son siège
au Texas
(Etats-Unis d'Amérique), 253'000 barils d'essence normale sans plomb
(M2) et
84'000 barils d'essence super sans plomb (R2). Ce contrat a été
conclu par
téléphone et confirmé le jour même par télécopie envoyée aux deux
parties par
C.________, intervenu à titre de courtier dans la transaction.

Comme la marchandise était destinée au marché nord-américain, elle se
référait aux spécifications américaines de la D.________; l'essence
vendue
devait notamment présenter une certaine teneur en octanes ainsi
qu'une valeur
RVP ("Reid Vapour Pressure" ou pression vapeur Reid) inférieure à 9.0
psi
("pound per square inch", ou livre par pouce carré). Quant à la
méthode de
test de RVP, elle devait également répondre à une procédure bien
précise,
imposée par les spécifications de la D.________ et dénommée ASTM
D5191.

La télécopie valant confirmation de contrat comportait plusieurs
clauses.
Dans celle intitulée "Détermination de la qualité", il était prévu que
celle-ci serait examinée au port d'embarquement, soit à Coryton
(Angleterre)
par la branche anglaise de la société internationale d'inspection
E.________.
Dans la clause concernant le paiement, il était prévu que celui-ci,
qui
ferait l'objet de l'ouverture d'un accréditif par l'acheteur, aurait
lieu
contre présentation, entre autres documents, du rapport d'inspection
des
quantités et qualités de la marchandise par la branche américaine de
E.________. La livraison, prévue pendant la période du 13 au 20 avril
1996,
était fixée à New York (Etats-Unis d'Amérique), la cargaison devant
être
transportée par le navire X.________. Enfin, les Incoterms (édition
1990)
pour les contrats "Ex Ship droits acquittés" devaient s'appliquer à
tout
point non spécifiquement réglé dans le contrat.

A.b Entre le 30 mars et le 2 avril 1996, E.________ a procédé à
Coryton,
selon la méthode ASTM D323, aux analyses du contenu des quatre
citernes du
bateau X.________ - soit trois citernes d'essence normale (M2) et une
citerne
d'essence super (R2) - ainsi que d'un mélange effectué à terre
représentant
un assemblage des trois citernes d'essence normale ("shore composite
blend"
ou mélange à terre): les résultats relatifs au RVP ont été tous
conformes, à
l'exception de la citerne "61X4", pour laquelle la société
d'inspection a
indiqué que la marchandise ne remplissait pas les spécifications
(certificat
du 2 avril 1996).

Dans une télécopie du 4 avril 1996, A.________ a informé B.________,
s'agissant des spécifications de l'essence normale (M2), que les
valeurs
moyennes du mélange à terre présentaient un RVP de 8,22 psi. II n'a
pas été
fait mention des résultats de chacune des citernes. Cette
communication n'a
pas appelé de réaction de la part de B.________.

Le 11 avril 1996, la banque Y.________, Genève a ouvert, à la demande
de
B.________, un crédit documentaire irrévocable en faveur de
A.________ à
concurrence d'un montant maximum de 10'405'409,19 US$ correspondant au
paiement de la cargaison.

A.c Le navire X.________ est arrivé à New York le 14 avril 1996.
Selon les
analyses effectuées au moyen de la méthode ASTM D5191 par E.________
USA, la
valeur RVP des trois citernes d'essence normale (M2) était comprise
entre
9,11 et 9,56 psi. Des contrôles supplémentaires effectués par
E.________ USA
et la société G.________ ont abouti également à des résultats
supérieurs à 9
psi pour l'essence normale. En ce qui concerne l'essence super (R2),
l'indice
d'octanes était trop bas.

Au vu de ces résultats, B.________ a signifié à A.________, le 16
avril 1996,
qu'elle refusait de prendre livraison de l'essence normale (M2).
A.________ a
répondu à B.________ qu'il fallait s'en tenir aux analyses effectuées
au port
d'embarquement de la marchandise et a informé ladite société, le 22
avril
1996, qu'elle avait donné l'ordre au capitaine du X.________ de
décharger la
cargaison litigieuse, au nom de l'acheteur, au terminal de IMTT
Bayonne.

A.d Le 22 avril 1996, B.________ a requis et obtenu du Tribunal de
première
instance de Genève, à titre préprovisoire et avant audition des
parties, le
blocage du paiement du crédit documentaire ouvert auprès de la banque
Y.________. Pour obtenir cette mesure, B.________ a été contrainte de
produire une garantie de 1'300'000 fr. délivrée par une banque
genevoise; sur
le fond, elle a exposé que soit les certificats établis par
E.________ UK
étaient des faux, soit ces documents avaient trait à un chargement de
pétrole
différent de celui convenu avec A.________. A la suite de l'audience
contradictoire au cours de laquelle A.________ s'est opposée à la
mesure
sollicitée, le Tribunal a révoqué sa précédente décision et levé la
mesure de
blocage le 1er juillet 1996; en revanche, il a maintenu les sûretés à
concurrence de 1'300'000 fr. pour le cas où A.________ réclamerait
réparation
de son préjudice. La banque de A.________ a été immédiatement
créditée de la
somme de 9'729'925 US$ correspondant au prix de la cargaison.

B. ________ a finalement accepté la cargaison d'essence super sans
plomb
(R2). Quant à l'essence normale sans plomb (M2), qui n'a jamais été
acceptée,
B.________ l'a vendue au titre de "produit de mélange" pour un prix
inférieur
à celui de l'essence M2, dans le but de réduire les frais
d'entreposage de
cette marchandise.

B.
B.aEstimant qu'elle avait subi un dommage du fait de la mesure
provisionnelle
de blocage des fonds, A.________ a saisi, le 16 septembre 1996, le
Tribunal
de première instance de Genève d'une demande dirigée contre
B.________ et
fondée sur la responsabilité aquilienne de cette dernière. B.________
s'est
opposée à cette demande et a conclu, à titre reconventionnel, au
paiement de
dommages-intérêts découlant de l'inexécution du contrat de vente. La
compétence pour trancher cette dernière question a été admise par le
Tribunal
genevois dans une décision du 5 juin 1997, non frappée d'appel.
A.________ a
conclu au déboutement de B.________ de ses, conclusions
reconventionnelles et
pris elle-même des conclusions "re-reconventionnelles" en paiement
fondées
sur une responsabilité contractuelle de B.________.

Par jugement du 14 septembre 2000, le Tribunal de première instance a
fait
partiellement droit à la demande de A.________, a débouté B.________
de ses
conclusions reconventionnelles et l'a condamnée au paiement de la
somme
totale de 418'530,90 US$ représentant des frais de stockage, des
frais de
douane et des surestaries consécutives au refus de l'acheteur de
prendre
livraison de la marchandise.

B.b Par arrêt du 19 avril 2002, la Chambre civile de la Cour de
justice de
Genève a annulé ce jugement et, statuant à nouveau, condamné
A.________ à
verser à B.________ les sommes de 1'165'037,62 US$ avec intérêts à 5%
dès le
15 avril 1996 et 51'036,72 US$ avec intérêts à 5% dès le 22 juillet
1996. La
cour cantonale a encore ordonné que la garantie bancaire de 1'300'000
fr.
soit restituée à B.________.
Sur le plan des faits, les juges cantonaux ont notamment retenu que
la valeur
RVP de l'essence normale (M2) n'était, lors de l'embarquement déjà,
pas
conforme aux spécifications américaines; que A.________ savait, au vu
du
résultat de l'inspection de la citerne "61X4", qu'elle avait embarqué
de
l'essence qui n'était pas conforme; qu'en matière de RVP, il fallait
procéder
à une détermination de sa valeur pour chaque citerne; qu'au surplus,
il
n'avait pas été prévu contractuellement que seul le "shore composite
blend"
serait déterminant pour le contrôle de qualité; enfin, que A.________
n'avait
jamais produit le certificat relatif à la citerne "61X4", démontrant
ainsi
qu'elle était consciente d'avoir agi de manière incorrecte.

En droit, les magistrats genevois ont estimé que B.________ - qui
avait des
raisons tout à fait suffisantes d'agir comme elle l'a fait - n'a
commis aucun
acte illicite en sollicitant les mesures provisionnelles du 22 avril
1996;
que la livraison d'une chose de genre différente de celle convenue
entraînait
l'obligation pour A.________ de réparer le dommage, la venderesse
ayant agi
fautivement; qu'enfin, le droit de procédure genevois n'autorisait pas
A.________ à faire valoir des prétentions de nature contractuelle
dans le
cadre de la demande reconventionnelle formée par B.________. La cour
cantonale a admis l'existence d'un dommage subi par B.________ à
raison de
1'165'037,62 US$ (différence entre le prix de l'essence M2 et le prix
du
produit de mélange) et de 51'036,72 US$ (frais d'entreposage à la
suite du
déchargement effectué par A.________); en revanche, elle a écarté -
pour
défaut de preuve - les postes représentant le manque à gagner sur
l'essence
M2 allégué par B.________, ainsi que les frais judiciaires encourus
dans
d'autres pays que la Suisse.

C.
Parallèlement à un recours en réforme, A.________ forme un recours de
droit
public au Tribunal fédéral contre l'arrêt précité, dont elle requiert
l'annulation. Elle reproche à la cour cantonale d'avoir
arbitrairement établi
les faits et apprécié les preuves, ainsi que d'avoir appliqué de
manière
insoutenable le droit de procédure cantonal, au point que le résultat
de
l'arrêt querellé serait totalement inique.

L'intimée conclut principalement à l'irrecevabilité du recours et,
subsidiairement, à son rejet.

La cour cantonale s'est référée aux considérants de son arrêt.
Sur requête de B.________, le Tribunal fédéral, par ordonnance du 2
septembre
2002, a astreint A.________ à fournir des sûretés à hauteur de 12'000
fr. en
garantie des dépens. Les sûretés ont été déposées en temps voulu.

D.
Le 19 août 2002, alors que l'instruction du présent recours était
pendante
devant le Tribunal fédéral, A.________ a saisi la Cour de justice
d'une
demande de révision dirigée contre l'arrêt du 19 avril 2002. Elle y
soutenait
que B.________ n'avait plus d'existence légale depuis le 1er mars
2000, date
à laquelle elle avait été radiée du registre des sociétés de I'Etat du
Delaware.

Par ordonnance du 28 novembre 2002, le Président de la Ie Cour civile,
conformément à l'art. 57 al. 1 OJ, a suspendu l'instance de recours
de droit
public jusqu'à droit connu sur la demande de révision cantonale.

Se fondant sur les dispositions légales de l'Etat du Delaware ainsi
que sur
un avis de droit de l'Institut Suisse de droit comparé, la Cour de
justice a
rejeté cette demande par arrêt du 13 juin 2003. Aucune des parties
n'a formé
de recours contre cette décision.

A la suite du rejet de la demande de révision, le Tribunal fédéral
n'a pas
autorisé d'écritures supplémentaires.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Conformément à la règle générale de l'art. 57 al. 5 OJ, il y a
lieu de
statuer d'abord sur le recours de droit public.

1.2 Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité
des
recours qui lui sont soumis (ATF 129 I 173 consid. 1, 185 consid. 1;
129 II
225 consid. 1; 129 III 288 consid. 2.1, 415 consid. 2.1; 129 IV 206
consid.
1).

1.3 Le jugement rendu par la cour cantonale, qui est final, n'est
susceptible
d'aucun autre moyen de droit sur le plan fédéral ou cantonal dans la
mesure
où la recourante invoque la violation directe d'un droit de rang
constitutionnel, de sorte que la règle de la subsidiarité du recours
de droit
public est respectée (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ). La recourante est
personnellement touchée par la décision attaquée, qui la condamne à
paiement,
de sorte qu'elle a un intérêt personnel, actuel et juridiquement
protégé à ce
que cette décision n'ait pas été prise en violation de ses droits
constitutionnels; en conséquence, elle a qualité pour recourir (art.
88 OJ).
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que
les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 113 consid. 2.1; 128
III 50
consid. 1c et les arrêts cités, p. 53/54).

1.4 Les pièces nouvelles produites sans que les parties y aient été
autorisées - comme le courrier de B.________ du 15 août 2003 - sont
irrecevables.

2.
La recourante se plaint de l'appréciation arbitraire des preuves par
la cour
cantonale.

2.1 Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst.,
ne
résulte pas du seul fait
qu'une autre solution pourrait entrer en
considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral
ne
s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci est
manifestement
insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la
situation de
fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique
indiscuté,
ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la
justice
et de l'équité. Pour qu'une décision soit annulée pour cause
d'arbitraire, il
ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable; encore
faut-il
que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 8
consid.
2.1; 128 I 273 consid. 2.1).
En matière d'appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque
l'autorité
ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve
propre à
modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur le sens
et la
portée d'un tel élément, ou encore lorsqu'elle tire des constatations
insoutenables des éléments recueillis (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 127 I
38
consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4a). Le grief tiré de
l'appréciation
arbitraire des preuves ne peut être pris en considération que si son
admission est de nature à modifier le sort du litige, ce qui n'est
pas le cas
lorsqu'il vise une constatation de fait n'ayant aucune incidence sur
l'application du droit (ATF 127 I 38 consid. 2a).

2.2 Dans la partie "Les faits" de son mémoire, la recourante entend
énumérer
les constatations de fait de la cour cantonale qui seraient
manifestement
contraires aux pièces du dossier et aux témoignages recueillis par le
premier
juge. Pourtant, la recourante n'expose pas en quoi l'état de fait
retenu
procéderait de l'arbitraire et omet d'indiquer si les constatations
auxquelles elle se réfère sont réellement pertinentes pour l'issue du
litige.
Il s'agit donc de critiques purement appellatoires, qui n'ont pas à
être
examinées dans la présente instance.

2.3 La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir fait montre
d'arbitraire en retenant que la qualité de l'essence vendue devait
s'examiner
tant au port d'embarquement qu'au port de débarquement. A la suivre,
contrairement à ce qui ressort de la confirmation écrite du contrat en
relation avec la clause de paiement, le seul examen de qualité
convenu par
les parties était celui exécuté à l'embarquement, soit à Coryton, par
E.________ UK.

La recourante derechef ne démontre pas en quoi cet élément de fait
aurait une
incidence sur la solution du litige. En effet, il est constant que la
qualité
promise de l'essence n'était déjà pas présente au port
d'embarquement, ce qui
rend de toute manière vaine la présente argumentation de la
recourante.

2.4 En retenant que la recourante savait dès l'embarquement que la
marchandise ne respectait pas les spécifications contractuelles, la
cour
cantonale aurait à nouveau versé dans l'arbitraire. Cette
constatation de
fait reposerait uniquement sur la lecture d'une conversation
téléphonique
enregistrée à l'insu de la venderesse entre l'un des responsables de
celle-ci
et un employé de E.________ UK.

Cette critique tombe à faux. D'une part, les termes de la conversation
téléphonique ont été confirmés en commission rogatoire par le témoin
W.________, employé de E.________ UK. D'autre part, la cour cantonale
s'est
également fondée sur le certificat du 2 avril 1996 envoyé par la
société
d'inspection à la venderesse, lequel démontre la non- conformité de la
marchandise au port d'embarquement. Sur la base de ces éléments, le
grief
d'appréciation arbitraire des preuves n'est pas fondé.

3.
3.1La recourante invoque une violation arbitraire du droit cantonal de
procédure. Elle expose qu'elle a fait valoir à l'encontre de
l'intimée - en
réponse à sa demande reconventionnelle - des prétentions découlant de
la
violation par celle-ci de ses obligations contractuelles. En refusant
de
payer le prix de vente dans le délai convenu, l'intimée se serait
ainsi
retrouvée en demeure et serait ainsi tenue au paiement de
dommages-intérêts
représentant des frais de stockage et des surestaries. La recourante
reproche
à la cour cantonale d'avoir déclaré ces prétentions irrecevables, au
motif
qu'elles auraient dû faire l'objet d'une demande nouvelle au sens de
l'art. 5
de la loi de procédure civile genevoise (LPC gen.).
3.2 En matière d'application du droit cantonal, arbitraire et
violation de la
loi ne sauraient être confondus; une violation de la loi doit être
manifeste
et reconnue d'emblée pour être considérée comme arbitraire. Le
Tribunal
fédéral n'a pas à déterminer quelle est l'interprétation correcte que
l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables;
il doit
uniquement examiner si l'interprétation qui a été faite est
défendable. II
n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution paraît
également
concevable, voire même préférable (ATF 128 II 259 consid. 5 p. 280;
127 I 60
consid. 5a p. 70; 124 I 247 consid. 5 p. 250/251).

La loi de procédure civile genevoise ne mentionne pas la notion de
demande
re-reconventionnelle; il n'en est pas non plus fait état dans la
jurisprudence cantonale. A juste titre, l'autorité intimée a donc
examiné
cette question sous l'angle de l'art. 5 LPC gen., qui autorise
l'amplification de la demande, la formation d'une demande
additionnelle ou
d'une demande reconventionnelle par la remise au greffe de conclusions
motivées (al. 2). En règle générale, en effet, le débat est limité aux
conclusions au fond qui figurent dans l'assignation et qui, sauf faits
nouveaux, devront être reprises sans modification au moment de la
plaidoirie
(art. 133 LPC gen.). C'est là le principe de l'immutabilité de
l'objet du
litige. L'admission de la demande reconventionnelle consacre une
exception à
ce principe, pour des motifs d'économie de procédure. Afin d'éviter
des abus,
sous la forme de demandes dilatoires, la jurisprudence cantonale
reconnaît au
juge un large pouvoir d'appréciation pour statuer sur la recevabilité
d'une
demande reconventionnelle (cf. SJ 1976 p. 148 ss, spéc. p. 156,
consid. IX).
Sauf faits nouveaux, une demande reconventionnelle ne peut être
formée après
l'administration des enquêtes (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt,
Commentaire
de la loi de procédure civile du canton de Genève du 10 avril 1987,
n. 5 ad
art. 5 LPC gen.).
Il appert ainsi qu'en déclarant irrecevables les conclusions
re-reconventionnelles formées par la demanderesse dans ses écritures
après
enquêtes, la cour cantonale n'a certainement pas donné une
interprétation
indéfendable du droit de procédure genevois. En l'absence de
disposition
légale topique et de tout précédent sur la question, elle a choisi une
solution juridique parfaitement soutenable. Cette solution, qui
s'inscrit
dans le large pouvoir d'appréciation laissé au juge en la matière, est
d'ailleurs expressément consacrée par d'autres codes de procédure
cantonaux
(cf., notamment, art. 133 al. 4 du Code de procédure civile
fribourgeois et
art. 172 des Gesetzes über die Zivilprozessordnung für den Kanton
Bern; pour
le surplus, Fabienne Hohl, Procédure civile, Tome I, n. 381, p. 88).
Le
simple fait que certaines jurisprudences cantonales et quelques
auteurs
admettent l'institution des conclusions re-reconventionnelles ne
permet
évidemment pas de retenir que l'autorité intimée a violé un principe
juridique indiscuté en retenant la solution contraire. Au surplus, le
moment
où ont été émises pour la première fois les conclusions litigieuses,
à savoir
lors des dernières écritures après enquêtes, devait de toute manière
conduire
à une décision d'irrecevabilité.

Par conséquent, le grief de violation arbitraire du droit cantonal
n'est pas
fondé.

4.
Les moyens de la recourante concernant la prétendue absence
d'existence
légale de l'intimée se recoupent avec les griefs émis dans le cadre
de la
procédure de révision intentée contre l'arrêt cantonal. Le présent
recours
n'étant pas dirigé contre l'arrêt du 13 juin 2003, qui a rejeté la
demande de
révision, ces critiques n'ont pas à être examinées dans la présente
instance.

5.
Compte tenu de l'issue de la cause, la recourante supportera
l'émolument de
justice et versera à l'intimée une indemnité à titre de dépens (art.
156 al.
1 et 159 al. 1 OJ). Les dépens dus par la recourante seront imputés
sur les
sûretés qu'elle a versées à la Caisse du Tribunal fédéral.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 10 000 fr. est mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 12 000 fr. à titre
de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 9 octobre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.138/2002
Date de la décision : 09/10/2003
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-10-09;4p.138.2002 ?
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