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30/09/2003 | SUISSE | N°4P.100/2003

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 septembre 2003, 4P.100/2003


{T 0/2}
4P.100/2003 /ech

Arrêt du 30 septembre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mmes les juges Walter, juge présidant, Klett, Rottenberg
Liatowitsch,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme de Montmollin.

A. ________,
recourante, représentée par Me Charles Poncet, avocat, cours des
Bastions 14,
case postale 18, 1211 Genève 12,

contre

B.________ Limited,
C.________ GmbH,
D.________ Ltd,
E.________ Ltd,
intimées,
toutes les quatre représentées par Me Peter Hafter, avocat, Lenz et


Staehelin,
Bleicherweg 58, 8027 Zurich,
Tribunal arbitral, Zurich,

art. 85 let. c OJ et art. 190 al. 2 let. d LDI...

{T 0/2}
4P.100/2003 /ech

Arrêt du 30 septembre 2003
Ire Cour civile

MM. et Mmes les juges Walter, juge présidant, Klett, Rottenberg
Liatowitsch,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme de Montmollin.

A. ________,
recourante, représentée par Me Charles Poncet, avocat, cours des
Bastions 14,
case postale 18, 1211 Genève 12,

contre

B.________ Limited,
C.________ GmbH,
D.________ Ltd,
E.________ Ltd,
intimées,
toutes les quatre représentées par Me Peter Hafter, avocat, Lenz et
Staehelin,
Bleicherweg 58, 8027 Zurich,
Tribunal arbitral, Zurich,

art. 85 let. c OJ et art. 190 al. 2 let. d LDIP (arbitrage
international;
principe du contradictoire)

recours de droit public contre la sentence du Tribunal arbitral,
Zurich, du
11 mars 2003.

Faits:

A.
A. ________ et B.________ Ltd (ci-après: B.________) ont conclu le 18
octobre
1994 un contrat portant sur la fabrication et la vente de cigarettes
sous
licence en Croatie. Comme certaines des marques de cigarettes qui
devaient
être produites par A.________ n'étaient pas propriété de B.________,
mais de
sociétés de son groupe, des accords annexes ont été passés avec
C.________
GmbH à T.________, E.________ Ltd à U.________, F.________ Ltd et
D.________
Ltd à V.________. Tous ces contrats, à l'exception de celui passé avec
F.________, contiennent une clause d'arbitrage se référant aux règles
de la
CNUDCI et sont soumis au droit suisse.

La coopération entre les parties s'était bien déroulée durant les
premières
années. Par lettre du 12 mars 1999, B.________ a reproché à
A.________ de ne
pas effectuer suffisamment de commandes pour approvisionner le marché
croate
en cigarettes des marques de son groupe; référence était faite dans ce
courrier à la possibilité aménagée pour une partie, à l'art. 15 (A) du
contrat du 18 octobre 1994, de mettre un terme anticipé aux relations
contractuelles. Le 17 mars 1999, A.________ a contesté le grief qui
lui était
adressé et a proposé, mais vainement, à son interlocutrice de
procéder à un
contrôle conjoint du marché. Un nouvel échange de correspondances a
suivi,
sans que les parties ne trouvent de solution.

Le 15 juin 1999, l'Agence croate pour la protection de la concurrence
(ci-après: l'Agence) a rendu un décret provisionnel déclarant nulles
plusieurs dispositions contractuelles liant A.________ et les
différentes
sociétés du groupe. B.________ a recouru auprès du Tribunal
administratif de
la République de Croatie. La décision provisoire a été remplacée par
un
décret du 5 novembre 1999 annulant certaines clauses du contrat du 18
octobre
1994. B.________ a derechef recouru contre cette décision.

Par courrier du 16 février 2000, B.________ a déclaré mettre un terme
immédiat au contrat du 18 octobre 1994 ainsi qu'aux accords conclus
dans le
cadre de celui-ci. Elle faisait valoir que le comportement de
A.________ et
les décisions de l'Agence rendaient impossible et inacceptable la
poursuite
des relations contractuelles. Elle se référait à l'art. 15 (A) du
contrat lui
conférant un droit de résiliation anticipée et à l'art. 15 (C) lui
donnant le
droit de résilier le contrat dans l'hypothèse où un acte ou une
décision
administrative en affecterait l'exécution, de même qu'à l'art. 20 du
contrat
obligeant les parties à obtenir toutes les autorisations nécessaires
à la
mise en oeuvre du contrat en Croatie. A.________ a contesté la
rupture des
relations contractuelles, mais B.________ a maintenu sa position par
courrier
du 8 mars 2000, en se prévalant à nouveau de l'art. 15 (C) (force
majeure en
cas d'acte ou de décision administrative) du contrat du 18 octobre
1994.

B. ________ a retiré ses recours contre les décisions de l'Agence en
juillet
2000.

B.
A.________ a contesté cette résiliation devant les juridictions
croates, qui
ont rendu le 7 juin 2000 une ordonnance de mesures provisionnelles
faisant
interdiction à B.________ et aux autres sociétés du groupe
d'autoriser des
tiers à produire ou distribuer les cigarettes visées dans les
contrats passés
entre les parties. La décision impartissait un délai de soixante
jours à la
requérante pour ouvrir une procédure arbitrale.

A. ________ a mis en oeuvre la procédure arbitrale par requêtes du 1er
novembre 2000 contre B.________, C.________ GmbH, E.________ Ltd, et
D.________ Ltd. Un tribunal composé des arbitres Y.________ et
Z.________,
sous la présidence de X.________, a été formé, avec siège à Zurich. Il
ressort en particulier de l'acte de mission signé le 24 avril 2001
que les
quatre procédures sont jointes, et qu'il sera fait abstraction de la
clause
du contrat conclu avec B.________ déclarant applicables les lois du
canton de
Zoug. La langue de l'arbitrage est l'anglais.

Dans son mémoire de demande du 30 mai 2001, A.________ a conclu à la
constatation du caractère abusif de la résiliation qui constituerait
une
violation du contrat principal, ainsi qu'au paiement de 5 775 364, 70
DEM à
titre de dommages-intérêts, somme ramenée en cours de procédure à au
moins 2
247 468, 67 DEM ou 1 149 108, 29 euros, intérêts moratoires en sus.
Les
défenderesses ont conclu au rejet de l'action et ont déposé une
demande
reconventionnelle tendant à ce que le tribunal arbitral déclare nuls
les
différents contrats passés dans le cadre de la production et de la
distribution des cigarettes du groupe B.________. Les parties ont
encore
échangé une réplique et une duplique, puis ont produit des mémoires
après
enquête.

Par sentence finale du 11 mars 2003, le tribunal arbitral a rejeté
tant la
demande que la demande reconventionnelle, mettant à la charge de la
demanderesse 75% des frais de procédure ainsi qu'une indemnité de
dépens de
100 000 fr. Cette sentence était accompagnée d'une opinion dissidente
émanant
de l'un des arbitres.

C.
A.________ a déposé un recours de droit public au Tribunal fédéral
fondé sur
l'art. 190 al. 2 let. d LDIP. Elle conclut à l'annulation de la
sentence du
11 mars 2003.

Dans leur réponse du 4 juillet 2003, les intimées invitent le Tribunal
fédéral à rejeter le recours.

Le président du tribunal arbitral et l'arbitre auteur de l'opinion
dissidente
présentent chacun des observations datées respectivement des 9 et 10
juillet
2003 dans lesquelles ils maintiennent en substance leurs positions
respectives.

Par écriture du 10 juillet 2003, la recourante a sollicité un second
échange
d'écritures. Le 6 août 2003, elle a en outre requis la production du
dossier
de correspondance entre arbitres.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Déposé dans les formes et délai légaux, le recours est recevable.

2.
D'après l'art. 37 al. 3 OJ, le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans
une
langue officielle, en règle générale celle de la décision attaquée.
Lorsque,
comme en l'occurrence, la décision attaquée est rédigée dans une autre
langue, le Tribunal fédéral utilise la langue officielle choisie par
les
parties. Si celles-ci se sont exprimées dans deux langues
différentes, ici en
français et en allemand, le Tribunal fédéral a pour pratique
d'adopter la
langue du recours (ATF du 2 mars 2001 4P. 260/ 2000, consid. 1). Le
présent
arrêt sera par conséquent rendu en français.

3.
Dès lors que les règles de procédure sont celles du recours de droit
public,
la partie recourante doit invoquer ses griefs conformément à l'art.
90 al. 1
let. b OJ (ATF 128 III 50 consid. 1c et les références). Le Tribunal
fédéral
n'examine que les moyens admissibles qui ont été expressément
soulevés et
suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF 127 I 38 consid. 3c;
127 III
279 consid. 1c; 126 III 524 consid. 1c; 126 III 534 consid. 1b).

4.
La recourante reproche au tribunal arbitral d'avoir adopté une
argumentation
juridique entièrement nouvelle, qui n'a pas été débattue dans la
procédure.
Le droit des parties d'être entendues en procédure contradictoire
garanti par
les art. 182 al. 3 et 190 al. 2 let. d LDIP aurait ainsi été violé.

Le tribunal arbitral a retenu que la décision de l'Agence annulant
certaines
clauses du contrat du 18 octobre 1994 constituait un cas
d'application de
l'art. 20 de ce même contrat, qui prévoit l'obligation pour chaque
partie
contractante d'obtenir les autorisations gouvernementales nécessaires
à
l'exécution du contrat ainsi que la possibilité pour l'autre partie de
résilier celui-ci selon l'art. 15 si l'une des autorisations requises
vient à
manquer pendant les relations contractuelles. Or, pour la recourante,
cette
argumentation n'a jamais été soulevée par les défenderesses qui ont
pourtant
fondé leur position sur plusieurs motivations juridiques
alternatives, à
savoir que l'annulation de certaines clauses du contrat principal par
la
décision de l'Agence entraînait la nullité des contrats dans leur
ensemble
selon l'art. 20 al. 2 CO, ou constituait un cas de force majeure au
sens de
l'art. 15 du contrat principal, voire tombait sous le coup de la
"clausula
rebus sic stantibus". La recourante explique qu'elle a entrepris
quant à elle
de démontrer que la résiliation était intervenue alors que l'intimée
n° 1
venait de fusionner avec une société tierce et qu'elle avait
l'intention de
racheter une usine en Croatie pour produire et distribuer directement
des
cigarettes sur ce marché, que les décisions de l'Agence auraient pu
être
évitées si les intimées avaient collaboré pour négocier une solution
plus
favorable, que de toute façon les clauses annulées n'étaient pas
essentielles, que l'on n'était pas en présence d'un cas d'application
de
l'art. 20 al. 2 CO, que ni la décision de l'Agence ni l'augmentation
des
taxes ne constituaient des cas de force majeure selon l'art. 15 du
contrat du
18 octobre 1994 ou relevaient de la "clausula rebus sic stantibus";
les
intimées avaient ainsi résilié de façon illicite les contrats qui les
liaient.

5.
Selon l'art. 190 al. 2 let. d LDIP, une sentence arbitrale peut être
attaquée
lorsque l'égalité des parties ou leur droit d'être entendues en
procédure
contradictoire n'a pas été respecté. Ce motif de recours sanctionne
les seuls
principes impératifs de procédure réservés par l'art. 182 al. 3 LDIP
(Bernard
Dutoit, Commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987, 3e éd.,
n° 7 ad
art. 190). Le "droit d'être entendu en procédure contradictoire"
combine deux
notions, à savoir celui d'être entendu proprement dit, dont le
contenu n'est
en principe pas différent de celui consacré en droit constitutionnel
fédéral,
et le principe de la contradiction (ATF 119 II 386 consid. 1b). Le
droit
d'être entendu confère à chaque partie la faculté d'exposer tous ses
moyens
de fait et de droit sur l'objet du litige et de rapporter les preuves
nécessaires, ainsi que le droit de participer aux audiences et de se
faire
représenter ou assister devant les arbitres. Quant au principe de
contradiction, particulièrement affirmé dans les droits anglais ou
français,
un peu moins en Belgique ou en Allemagne (Poudret/Besson, Droit
comparé de
l'arbitrage international, n° 551), il garantit à chaque partie la
faculté de
se déterminer sur les moyens de son adversaire, d'examiner et de
discuter les
preuves rapportées par lui et de les réfuter par ses propres preuves
(ATF 117
II 346 consid. 1a; 116 II 639 consid. 4c). En droit français, par
exemple, il
suppose qu'aucun moyen de fait ou de droit ne soit soulevé d'office
par le
tribunal arbitral sans que les parties n'aient été invitées à le
commenter,
encore que plusieurs arrêts récents semblent avoir sensiblement
atténué
l'obligation pour le tribunal arbitral de provoquer un débat
contradictoire
au sujet des questions juridiques (Catherine Kessedjian, Principe de
la
contradiction et arbitrage, in Revue de l'arbitrage 1995, p. 381 ss,
p. 403
ss; Serge Guinchard, L'arbitrage et le respect du principe du
contradictoire,
in Revue de l'arbitrage 1997 p. 185 ss, p. 191 ss). Dans d'autres
Etats, la
jurisprudence a au contraire considéré que l'arbitre, comme le juge,
devait
appliquer d'office le droit et qu'il n'était en principe pas tenu de
provoquer des explications des parties à ce sujet. Telle est
l'orientation de
la jurisprudence belge récente. Il en va de même en Allemagne, où l'on
s'accorde cependant sur la nécessité d'un débat contradictoire
lorsque le
tribunal arbitral envisage de s'écarter des règles juridiques
auxquelles
toutes les parties avaient fait référence jusque-là (Poudret/Besson,
ibidem).

En Suisse, le "droit d'être entendu en procédure contradictoire"
connaît
également d'importantes restrictions en ce qui concerne les questions
de
droit. Le Tribunal fédéral considère en effet que l'arbitre n'a, pas
davantage que le juge étatique, à soumettre à la discussion des
parties les
principes juridiques sur lesquels il va fonder son jugement (ATF 126
I 97
consid. 2b; 126 I 19 consid. 2c). En vertu de la règle "jura novit
curia", il
n'est en principe pas lié par les moyens de droit développés par les
parties
- sous réserve de l'hypothèse dans laquelle elles auraient convenu de
limiter
la mission du tribunal aux moyens juridiques qu'elles invoqueraient
(avec la
possibilité pour un plaideur qui contesterait une sentence ne
respectant pas
cette limitation de recourir pour violation de la règle "ne eat judex
ultra
petita partium" ou de
soulever le moyen pris de l'incompétence du
tribunal
arbitral, soit les motifs des let. b et c de l'art. 190 al. 2 LDIP,
cf. Hans
Peter Walter, Praktische Probleme der staatsrechtlichen Beschwerde
gegen
internationale Schiedsentscheide, in Bull ASA 2001, p. 2 ss; ATF 120
II 172
consid. 3a). Le juge peut ainsi appliquer d'office, sans avoir à
attirer
préalablement l'attention des parties sur l'existence de tel ou tel
problème
de droit, une autre disposition de droit matériel pour allouer les
conclusions du demandeur (arrêt du 22 février 1999 in RSDIE 4/2000 p.
575,
consid. 3d; arrêt 4P.7/1998 du 17 juillet 1998, consid. 2a/bb). Le
juge n'a
pas non plus à aviser spécialement une partie du caractère décisif
d'un
élément de fait sur lequel il s'apprête à fonder sa décision, pour
autant que
celui-ci ait été allégué et prouvé selon les règles (ATF 126 I 97
consid. 2b;
126 I 19 consid. 2c; 108 Ia 293). La jurisprudence aménage cependant
une
exception au principe "jura novit curia" lorsque le juge s'apprête à
fonder
sa décision sur une norme ou un principe juridique non évoqué dans la
procédure antérieure et dont aucune des parties en présence ne s'est
prévalue
et ne pouvait supputer la pertinence in casu (arrêt 4P.260/2000 du 2
mars
2001, consid. 6a et les arrêts cités). D'après le Tribunal fédéral -
auquel
certains adressent le reproche de ne pas faire de délimitation claire
entre
le droit d'être entendu et le principe "jura novit curia", (Philippe
Schweizer, in RSDIE 4/1996 p. 549, 4/2000 p. 582 et 4/2002 p. 583 et
590, qui
voudrait une application sans réserve du principe "jura novit curia"
dans la
mesure où, le plus souvent, les parties sont assistées de conseils
expérimentés) - savoir ce qui est imprévisible est une question
d'appréciation et il convient de se montrer plutôt restrictif dans le
domaine
de l'arbitrage international, pour tenir compte de ses particularités
(volonté des parties de faire trancher le litige par des arbitres, et
non par
les tribunaux étatiques; coopération d'arbitres de traditions
juridiques
différentes); il s'agit également d'éviter que l'argument tiré de
l'imprévisibilité du raisonnement adopté par le tribunal arbitral ne
soit
détourné pour imposer à l'autorité de recours une révision au fond des
sentences arbitrales (arrêt 4P.260/2000 du 2 mars 2001, consid. 6b).
Cette
attitude restrictive est combattue par Poudret et Besson, qui
soulignent que
la pratique arbitrale, certes variée, révèle une tendance à laisser
aux
parties la responsabilité d'apporter au débat les explications et
même les
preuves concernant leurs arguments juridiques; dans un tel contexte,
ces
auteurs estiment que les arbitres doivent se montrer plus prudents,
et non
plus audacieux, que le juge avant de substituer leurs arguments de
droit à
ceux des parties (Poudret /Besson, ibidem). La nécessité pour
l'arbitre de
provoquer un débat contradictoire au sujet des questions de droit
auxquelles
les parties n'ont pas fait référence jusque-là est également
soulignée par
Michael E. Schneider (Commentaire bâlois, n° 60 ad art. 182 LDIP et
les
références).

6.
6.1En l'occurrence, le tribunal arbitral considère qu'il faut d'abord
examiner les arguments des défenderesses pour qui la décision de
l'Agence du
5 novembre 1999 rendrait nuls les contrats litigieux en application
de l'art.
20 CO. Dans l'affirmative, la question du bien-fondé de la
résiliation de
ceux-ci deviendrait sans objet.

Ainsi, les arbitres retiennent qu'on est en présence d'une
impossibilité
subséquente due à un changement de loi et de son interprétation par
une
autorité gouvernementale. Selon la jurisprudence le juge doit
déterminer ce
que les parties auraient convenu de bonne foi si elles avaient
envisagé, lors
de la signature du contrat, l'éventualité des circonstances
survenues. Cette
opération n'est évidemment pas nécessaire, souligne le tribunal, si
les
parties avaient songé à la situation en question dans leurs contrats.

De l'avis du tribunal, tel est le cas. Outre les trois motifs
permettant aux
parties de résilier le contrat énumérés à l'art. 15 auquel les
intéressées se
sont référées dans la procédure, l'accord du 18 octobre 1994
contient, en son
art. 20, une clause qui prévoit que si, durant les relations
contractuelles,
l'une des parties ne peut remplir son obligation d'obtenir toutes les
autorisations gouvernementales nécessaires, l'autre partie peut
mettre un
terme au contrat conformément à l'art. 15 de celui-ci. Assimilant le
décret
de l'Agence du 5 novembre 1999 à un retrait d'autorisation, le
tribunal
arbitral parvient à la conclusion que la défenderesse n° 1 était en
droit de
résilier celui-ci avec effet immédiat.

6.2 Il est vrai que la mise en oeuvre éventuelle de l'art. 20 CO
relève du
droit, de même que l'interprétation et la portée de la décision du 5
novembre
1999 de l'Agence croate et qu'à ce propos la règle "jura novit curia"
paraît
s'appliquer sans autre. Mais en l'occurrence l'analyse juridique qu'a
faite
le tribunal arbitral était effectivement sans relation avec tous les
éléments
sur lesquels le débat avait porté devant lui. La référence à l'art.
20 du
contrat contenue dans la lettre de résiliation du 16 février 2000, à
part
deux mentions dans la demande (allégué n° 24) et dans le mémoire après
enquêtes de la demanderesse, qui simplement la conteste (p. 25), n'a
nullement été prise en compte ou discutée par les parties, les
défenderesses
ne reprenant pas l'allusion à cette disposition dans leurs courriers
postérieurs à la lettre du 16 février 2000 ou dans leurs écritures
lors de la
procédure arbitrale. Durant toute celle-ci, les parties se sont
attachées à
démontrer quels étaient à leur sens les véritables motifs de la
rupture des
contrats et quelles devaient en être les conséquences juridiques.
Elles ne
pouvaient s'attendre à ce que le tribunal arbitral prenne prétexte
d'une
référence à une disposition qu'aucune des parties n'avait trouvée
déterminante - effectivement il ne tombe pas sous le sens que la
déclaration
de nullité d'une clause ou de plusieurs clauses contractuelles par un
organe
administratif équivaut à un défaut d'autorisation étatique - pour
construire
un raisonnement juridique très éloigné des thèses qu'elles avaient
l'une et
l'autre soutenues. Cela est d'autant plus vrai que le tribunal
arbitral a
finalement rejeté non seulement la demande, mais aussi la demande
reconventionnelle, pour le motif que les contrats litigieux n'étaient
pas
nuls ("null and void") comme les défenderesses l'avaient affirmé
devant lui.
Dans ces circonstances, le grief fondé sur l'art. 190 al. 2 let. d
LDIP est
bien fondé. Le recours doit être admis.

7.
Vu l'admission du recours, il n'est pas nécessaire de donner suite à
la
requête de la recourante tendant à un second échange d'écritures, de
même
qu'à sa requête de production du dossier de correspondance entre
arbitres.

8.
Les intimées, solidairement entre elles, supporteront les frais de
justice et
verseront une indemnité de dépens à la recourante.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et la sentence attaquée est annulée.

2.
Un émolument judiciaire de 20 000 fr. est mis à la charge des
intimées,
solidairement entre elles.

3.
Les intimées, solidairement entre elles, verseront à la recourante une
indemnité de 22 000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et au
président du Tribunal arbitral.

Lausanne, le 30 septembre 2003

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.100/2003
Date de la décision : 30/09/2003
1re cour civile

Analyses

Art. 190 al. 2 let. d LDIP; arbitrage international; droit des parties d'être entendues en procédure contradictoire. Portée du droit d'être entendu et du principe de la contradiction (consid. 5). Violation de celui-ci admise en l'occurrence, l'analyse juridique du tribunal arbitral reposant sur une disposition contractuelle qu'aucune des parties n'avait trouvée déterminante et discutée devant lui (consid. 6).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2003-09-30;4p.100.2003 ?
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