La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/11/2002 | SUISSE | N°4P.206/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 novembre 2002, 4P.206/2002


{T 0/2}
4P.206/2002 /ech

Arrêt du 26 novembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz, Klett, Nyffeler et Favre,
greffier Ramelet.

X. ________ SA,
recourante,

contre

Fondation Y.________,
intimée, représentée par Me Jean-Jacques Martin, avocat, Etude Martin
&
Davidoff, place du Port 2, 1204 Genève,
Tribunal de première instance du canton de Genève, place du
Bourg-de-Four 1,
case postale 3736, 1211 Genève 3.

arbitraire

(recours de droit public contre le jugement du Tribunal de première
instance
du canton de Genève du 30 juillet 2002)

Faits...

{T 0/2}
4P.206/2002 /ech

Arrêt du 26 novembre 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz, Klett, Nyffeler et Favre,
greffier Ramelet.

X. ________ SA,
recourante,

contre

Fondation Y.________,
intimée, représentée par Me Jean-Jacques Martin, avocat, Etude Martin
&
Davidoff, place du Port 2, 1204 Genève,
Tribunal de première instance du canton de Genève, place du
Bourg-de-Four 1,
case postale 3736, 1211 Genève 3.

arbitraire

(recours de droit public contre le jugement du Tribunal de première
instance
du canton de Genève du 30 juillet 2002)

Faits:

A.
A la requête de la Fondation Y.________, un commandement de payer le
montant
de 173'600 fr. a été notifié le 22 août 2001 à X.________ SA,
correspondant à
une rente de superficie impayée pendant la période du 1er mars au 31
décembre
2001.

X. ________ SA ayant formé opposition, la mainlevée provisoire fut
prononcée
par jugement du 19 avril 2002.

Le 10 mai 2002, X.________ SA a déposé une demande en libération de
dette
adressée au Tribunal de première instance de Genève, soutenant
principalement
qu'elle n'était pas la débitrice de la somme en poursuite.

Une formule a été remplie par le Tribunal de première instance, datée
du 22
mai 2002 et signée par une greffière, invitant X.________ SA à
effectuer une
avance de frais de 100 fr. au plus tard le 13 juin 2002, sous peine
d'irrecevabilité de sa demande.

Constatant que l'émolument de mise au rôle n'avait pas été payé dans
le délai
imparti par le courrier du 22 mai 2002, le Tribunal de première
instance, par
jugement du 30 juillet 2002, a déclaré irrecevable l'action en
libération de
dette.

B.
X.________ SA forme un recours de droit public au Tribunal fédéral
contre le
jugement précité. Soutenant qu'elle n'a jamais reçu l'invitation à
effectuer
l'avance des frais, elle conclut à l'annulation du jugement attaqué
et à ce
qu'un nouveau délai lui soit imparti. La recourante invoque
l'arbitraire dans
l'appréciation des preuves et l'établissement des faits, le formalisme
excessif et la violation du droit d'être entendu.

L'intimée conclut au rejet du recours et à la confirmation du jugement
attaqué.

L'autorité cantonale renonce à formuler des observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit public au Tribunal fédéral est ouvert contre
une
décision cantonale pour violation des droits constitutionnels des
citoyens
(art. 84 al. 1 let. a OJ).
Selon la jurisprudence et la doctrine cantonales, la décision
prononçant
l'irrecevabilité d'une demande pour le motif que l'avance de
l'émolument
d'introduction n'a pas été effectuée à temps constitue une décision
d'administration judiciaire, qui ne peut pas faire l'objet d'un
appel, ni sur
la base de l'art. 291, ni sur celle de l'art. 292 de la loi genevoise
de
procédure civile (SJ 1994 p. 518; Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt,
Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, n. 5 ad art.
291). Il
faut donc admettre que le jugement attaqué est une décision prise en
dernière
instance cantonale au sens de l'art. 86 al. 1 OJ.

Comme la décision attaquée, qui repose entièrement sur le droit
cantonal,
n'est susceptible d'aucun autre recours fédéral, la règle de la
subsidiarité
du recours de droit public est respectée (art. 84 al. 2 OJ).

La recourante est personnellement touchée par la décision attaquée,
qui a
pour effet de la priver de la possibilité d'agir en libération de
dette, de
sorte qu'elle a un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé
à ce
que cette décision n'ait pas été prise en violation de ses droits
constitutionnels; en conséquence, elle a qualité pour recourir (art.
88 OJ).

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 et 32 al. 2 OJ) et dans la
forme
prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), le recours est en principe
recevable.

Hormis certaines exceptions qui ne sont pas réalisées en l'espèce, il
revêt
un caractère purement cassatoire et ne peut tendre qu'à l'annulation
de la
décision attaquée (ATF 127 II 1 consid. 2c; 127 III 279 consid. 1b;
126 III
534 consid. 1c).

1.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine
que les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans
l'acte
de recours (ATF 128 III 50 consid. 1c; 127 I 38 consid. 3c; 127 III
279
consid. 1c).

2.
2.1La recourante se plaint en premier lieu d'arbitraire dans
l'appréciation
des preuves et l'établissement des faits.

Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne
résulte
pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en
considération ou
même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral n'annulera la
décision
attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle
se
trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle
viole
gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore
lorsqu'elle
heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de
l'équité; pour
qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit
pas que la
motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 127 I 54 consid. 2b, 60
consid.
5a p. 70; 126 I 168 consid. 3a; 125 I 166 consid. 2a).

Lorsque la partie recourante - comme c'est le cas en l'espèce - s'en
prend à
l'appréciation des preuves et à l'établissement des faits, la
décision n'est
arbitraire que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la
portée
d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir
compte d'un
moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si,
sur la
base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables.

2.2 Selon l'art. 3 al. 1 du Règlement genevois du 9 avril 1997 fixant
le
tarif des greffes en matière civile (E 3 05.10), l'émolument de mise
au rôle
et les sûretés destinées à garantir le paiement de l'émolument
complémentaire
ou de décision sont perçus auprès de la partie demanderesse sous peine
d'irrecevabilité de la demande.

Il ne ressort pas des dispositions cantonales citées par les parties -
conformément à l'exigence déduite de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF
110 Ia 1
consid. 2a) - que la partie demanderesse devrait elle-même déterminer
le
montant de l'émolument de mise au rôle et le verser spontanément soit
au
moment du dépôt de la demande, soit dans un délai qui serait fixé
directement
par une norme applicable. On doit donc en déduire qu'il incombe à la
juridiction de déterminer le montant de l'émolument et d'impartir un
délai au
demandeur pour lui permettre d'en effectuer le paiement sous peine
d'irrecevabilité. Cette manière d'opérer est d'ailleurs usuelle en
Suisse.
L'existence de la formule figurant dans le dossier cantonal confirme
que le
Tribunal de première instance procède habituellement de cette façon.
La
recourante pouvait donc se fier à cette pratique selon le principe de
la
bonne foi due par l'administration.

Dans son jugement, le tribunal se réfère expressément au courrier du
22 mai
2002, admettant ainsi, au moins implicitement, que la formule avait
été
déposée à la poste et acheminée à son destinataire. Il ressort
clairement de
la motivation cantonale que la demande a été déclarée irrecevable
parce que
la recourante n'a pas payé l'émolument de mise au rôle "dans le délai
qui lui
a été imparti".

Or, la recourante conteste qu'un délai lui ait été fixé, puisqu'elle
affirme
n'avoir pas reçu le courrier du 22 mai 2002 (la formule) auquel se
réfère la
décision attaquée.

L'autorité cantonale, qui n'a pas présenté d'observations, n'invoque
aucun
élément de preuve concret d'où il ressortirait que cette formule a été
déposée à la poste et qu'elle a été notifiée à son destinataire. Elle
ne
semble pas contester que le greffe envoie ces formules sous pli
simple.

Le fardeau de la preuve de la notification et de la date de celle-ci
incombe
en principe à l'autorité qui entend en tirer une conséquence
juridique (ATF
124 V 400 consid. 2a; 122 I 97 consid. 3b; 114 III 51 consid. 3c et
4).
Le jugement querellé entraîne des conséquences juridiques évidentes,
puisque,
en raison du délai légal, il prive la recourante de la possibilité
d'agir en
libération de dette (art. 83 al. 2 LP). Dès lors que le constat que
l'avance
n'avait pas été effectuée en temps utile devait entraîner la perte de
cette
action en justice, la juridiction intimée devait procéder de manière à
pouvoir établir que le délai avait été correctement imparti à la
demanderesse.

Il n'existe aucune présomption de fait selon laquelle la production
d'une
copie d'un message suffirait pour admettre que l'original a été
déposé à la
poste et acheminé à son destinataire. C'est d'ailleurs bien pour
cette raison
que les particuliers usent, pour les messages importants, de la voie
de la
lettre-signature et que les tribunaux utilisent la notification par
acte
judiciaire avec accusé de réception. Le Tribunal fédéral procède
lui-même de
cette façon pour requérir les avances de frais.

Il est certes peu probable que l'original ait été égaré au greffe,
qu'un
fonctionnaire ait oublié de le déposer à la poste ou que cette
dernière se
soit trompée dans l'acheminement. De telles hypothèses ne peuvent
cependant
pas être exclues. En l'absence de tout autre élément de preuve, le
tribunal,
au moment de rendre son jugement, ne disposait manifestement que de
l'exemplaire non signé de la formule qui se trouve dans le dossier.
Un tel
document est impropre à fonder la conviction qu'il existait un
original, que
celui-ci a été déposé à la poste et correctement acheminé à son
destinataire.

En déclarant la demande irrecevable pour le motif que la recourante
n'avait
pas versé l'avance dans le délai qui lui avait été imparti, le
tribunal s'est
fondé sur un état de fait arrêté arbitrairement, puisqu'il ne
disposait
d'aucune preuve sérieuse que l'avis était parvenu dans la sphère
d'influence
de la recourante.

Dès lors qu'il y a eu arbitraire dans la constatation des faits
pertinents,
le recours doit être admis et le jugement déféré annulé, sans qu'il
soit
nécessaire d'examiner les autres griefs invoqués par la recourante.

3.
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires seront mis à la charge de
l'intimée qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu
d'allouer des
dépens à la recourante, puisqu'elle n'a pas fait appel aux services
d'un
avocat et qu'elle n'a pas établi avoir assumé des frais particuliers
pour sa
défense (cf. art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement attaqué est annulé.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de l'intimée.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Tribunal de
première instance du canton de Genève.

Lausanne, le 26 novembre 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.206/2002
Date de la décision : 26/11/2002
1re cour civile

Analyses

Art. 9 Cst., art. 3 du Règlement genevois du 9 avril 1997 fixant le tarif des greffes en matière civile; application arbitraire du droit cantonal. Il appartient à la juridiction, qui doit déterminer le montant de l'avance des frais judiciaires et impartir un délai au plaideur pour en opérer le paiement, de procéder de manière à pouvoir établir que le délai en cause a été correctement fixé au justiciable (consid. 2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-11-26;4p.206.2002 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award