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29/08/2002 | SUISSE | N°H.277/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 29 août 2002, H.277/01


{T 7}
H 277/01

Arrêt du 29 août 2002
IVe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Ferrari.
Greffier : M.
Berthoud

1. A.________,

2. B.________,

3. C.________,

4. D.________,

5. E.________,
recourants, tous représentés par Me Lucien Masmejan, avocat, avenue de
Montbenon 2, 1002 Lausanne,

contre

Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS, Service juridique, rue
du Lac
37, 1815 Clarens, intimée

Tribunal des assurances d

u canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 4 mai 2001)

Faits :

A.
La société X.________, devenue par la suite Y.________, a ...

{T 7}
H 277/01

Arrêt du 29 août 2002
IVe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Ferrari.
Greffier : M.
Berthoud

1. A.________,

2. B.________,

3. C.________,

4. D.________,

5. E.________,
recourants, tous représentés par Me Lucien Masmejan, avocat, avenue de
Montbenon 2, 1002 Lausanne,

contre

Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS, Service juridique, rue
du Lac
37, 1815 Clarens, intimée

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 4 mai 2001)

Faits :

A.
La société X.________, devenue par la suite Y.________, a été
affiliée en
qualité d'employeur à la Caisse cantonale vaudoise de compensation (la
caisse) dès sa constitution, le 1er mai 1986. Jusqu'à l'ouverture de
la
faillite, elle a été dirigée par B.________, en qualité de président
du
conseil d'administration, et par C.________, comme directeur;
A.________ a
été administratrice du 14 janvier 1992 au 16 mai 1997; D.________ a
été
administrateur à partir du 22 mai 1989; quant à E.________, il a été
directeur du 31 mars 1995 au 16 mai 1997, puis secrétaire du conseil.

La faillite de Y.________ a été ouverte le 25 août 1997. Dans
celle-ci, la
caisse a produit une créance de cotisations, d'intérêts moratoires,
de frais
de poursuite et de sommation d'un montant total de 312 243 fr. 85.

Par décision du 22 avril 1998, la caisse a informé les prénommés
qu'elle les
rendait responsables du préjudice qu'elle avait subi dans la faillite
de
Y.________ (perte de cotisations paritaires) et qu'elle leur en
demandait
réparation jusqu'à concurrence de 299 219 fr. 40.

B.
Les cinq administrateurs ayant fait opposition, la caisse a porté le
cas
devant le Tribunal des assurances du canton de Vaud, le 10 juin 1998,
en
concluant à ce que les défendeurs fussent condamnés à lui payer la
somme
précitée. En cours de procédure, la caisse a ramené ses conclusions à
165 260
fr. 40 à l'encontre de A.________; elle a admis qu'une somme de 18
328 fr.
75, représentant une part pénale, avait été payée par les défendeurs
en cours
de procédure.

Par jugement du 4 mai 2001, «rectifié» le 26 juillet 2001, la
juridiction
cantonale a pris le dispositif suivant :
I.Les conclusions de la demanderesse Caisse cantonale vaudoise de
compensation sont admises partiellement.
II.Les défendeurs B.________, C.________, D.________, E.________ et
A.________, solidairement entre eux, sont débiteurs de la
demanderesse de la
somme de 165 260 fr. 40.
III.Les défendeurs B.________, C.________, D.________ et E.________,
solidairement entre eux, sont débiteurs de la demanderesse de la
somme de 133
959 fr.
IV.Toutes autres ou plus amples conclusions sont rejetées.

C.
B.________, C.________, D.________, E.________ et A.________
interjettent
recours de droit administratif contre ce jugement dont ils demandent
l'annulation, avec suite de dépens, en concluant principalement à leur
libération, subsidiairement au renvoi de la cause aux premiers juges
pour
complément d'instruction et nouveau jugement.

L'intimée conclut au rejet du recours. Elle fait observer que son
dommage se
monte à 280 890 fr. 65, en raison du paiement de 18 328 fr. 75.
L'Office
fédéral des assurances sociales ne s'est pas déterminé.

Considérant en droit :

1.
Le litige porte sur la responsabilité des recourants dans le
préjudice subi
par l'intimée, au sens de l'art. 52 LAVS et de la jurisprudence (ATF
123 V
170 consid. 2a, 122 V 66 consid. 4a et les références).

La décision litigieuse n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance, le Tribunal fédéral des assurances doit se
borner à
examiner si les premiers juges ont violé le droit fédéral, y compris
par
l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation, ou si les faits
pertinents ont été constatés d'une manière manifestement inexacte ou
incomplète, ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles
de
procédure (art. 132 en corrélation avec les art. 104 let. a et b et
105 al. 2
OJ).

2.
En vertu de l'art. 52 LAVS, l'employeur qui, intentionnellement ou par
négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un
dommage à
la caisse de compensation est tenu à réparation. Si l'employeur est
une
personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre
subsidiaire, aux
organes qui ont agi en son nom (ATF 123 V 15 consid. 5b, 122 V 66
consid. 4a,
119 V 405 consid. 2 et les références).
La condition essentielle de l'obligation de réparer le dommage
consiste,
selon le texte même de l'art. 52 LAVS, dans le fait que l'employeur a,
intentionnellement ou par négligence grave, violé des prescriptions
et ainsi
causé un préjudice. L'intention et la négligence constituent
différentes
formes de la faute. L'art. 52 LAVS consacre en conséquence une
responsabilité
pour faute résultant du droit public. Il n'y a obligation de réparer
le
dommage, dans un cas concret, que s'il n'existe aucune circonstance
justifiant le comportement fautif de l'employeur ou excluant
l'intention et
la négligence grave. A cet égard, on peut envisager qu'un employeur
cause un
dommage à la caisse de compensation en violant intentionnellement les
prescriptions en matière d'AVS, sans que cela entraîne pour autant une
obligation de réparer le préjudice. Tel est le cas lorsque
l'inobservation
des prescriptions apparaît, au vu des circonstances, comme légitime
et non
fautive (ATF 108 V 186 consid. 1b, 193 consid. 2b; RCC 1985 p. 603
consid. 2,
647 consid. 3a). Ainsi, il peut arriver qu'en retardant le paiement de
cotisations, l'employeur parvienne à maintenir son entreprise en vie,
par
exemple lors d'une passe délicate dans la trésorerie. Mais il faut
alors,
pour qu'un tel comportement ne tombe pas ultérieurement sous le coup
de
l'art. 52 LAVS, que l'on puisse admettre que l'employeur avait, au
moment où
il a pris sa décision, des raisons sérieuses et objectives de penser
qu'il
pourrait s'acquitter des cotisations dues dans un délai raisonnable
(ATF 108
V 188; RCC 1992 p. 261 consid. 4b).

3.
3.1Parmi les faits qu'ils ont constatés de manière à lier la Cour de
céans,
les premiers juges ont tout particulièrement retenu que Y.________
avait
rencontré des périodes difficiles dès les années 1992 et 1993 et
qu'elle
avait obtenu des facilités de paiement pour les cotisations aux
assurances
sociales.

Se fondant sur ces faits, les juges cantonaux ont considéré qu'un
redressement de la société n'apparaissait plus suffisamment
vraisemblable au
moment où les recourants avaient différé le paiement des cotisations.
Ces
derniers devaient ainsi être tenus pour responsables du dommage causé
par
leur grave négligence (consid. 4c du jugement attaqué).

3.2 Les recourants soutiennent qu'ils avaient les meilleures raisons
de
penser que les arriérés de charges sociales pourraient être
régularisés. Ils
en veulent pour preuve, notamment, qu'ils avaient - pour certains
d'entre eux
- consenti à des investissements importants dans la société et
souscrit à des
cautionnements qu'ils ont dû assumer après la faillite.

Par ailleurs, ils font observer que la dette de cotisations, qui
s'élevait à
plus de 700 000 fr. en 1993, a pu être réduite à moins de 300 000 fr.
au
cours des années suivantes, à la suite des efforts qu'ils ont
déployés.

3.3 Les recourants ne peuvent toutefois pas s'exculper en alléguant
qu'ils
ont, postérieurement à 1993, diminué la dette de cotisations. En
effet, si
l'on suivait leur raisonnement, il suffirait qu'une entreprise ayant
accumulé
des arriérés de cotisations importants durant une longue période
commence à
rembourser une partie même importante de sa dette pour que ses
dirigeants ne
puissent, pour ce seul motif, plus être tenus pour responsables par
l'administration de l'AVS. Ce n'est cependant pas le sens de l'art.
52 LAVS
tel que rappelé plus haut (cf. consid. 2).

Y. ________ a bénéficié de fonds privés lors d'une recapitalisation
en 1993
(environ deux millions de francs). Les recourants n'ont pourtant pas
saisi
l'occasion de les utiliser pour éteindre entièrement la dette de
cotisations
envers l'intimée; ils les ont affectés à d'autres buts. A partir de ce
moment-là, il était dès lors patent que les recourants faisaient
supporter à
l'assurance sociale le risque inhérent au financement - durable, en
l'espèce
- d'une entreprise en difficulté (ATF 108 V 96-197 consid. 4), ce
qui, de
jurisprudence constante, n'est pas admissible.

Le critère déterminant pour qualifier le comportement des recourants,
au sens
de l'art. 52 LAVS, réside dans le fait que les retards dans le
paiement des
cotisations sociales se sont étendus de l'année 1992 jusqu'à
l'ouverture de
la faillite en 1997. En effet, en pareilles circonstances, les
recourants ne
peuvent être considérés comme ayant eu des raisons sérieuses et
objectives de
penser que le retard dans le règlement des cotisations aux assurances
sociales n'était que passager, au sens de la jurisprudence rappelée
ci-dessus
au consid. 2 in fine (a contrario, voir aussi ATF 121 V 243). Ils
n'étaient
donc pas autorisés, aux conditions posées par la jurisprudence et sur
une
aussi longue période, à différer le paiement des cotisations qu'ils
avaient
retenues sur les salaires payés, sous peine de commettre une
négligence grave
sanctionnée par l'art. 52 LAVS.

4.
4.1En ce qui concerne E.________, le Tribunal des assurances a
considéré que
l'état d'insolvabilité de Y.________ n'était ni établi ni
vraisemblable, au
moment où le prénommé avait pris ses fonctions de directeur de la
société, si
bien qu'il était également responsable des cotisations déjà échues ce
jour-là
(cf. ATF 119 V 405 consid. 4, RCC 1992 p. 269 consid. 7b).

E. ________ ne conteste pas les faits constatés par les premiers
juges. Il
leur fait en revanche grief d'avoir mal appliqué la jurisprudence et
soutient, en se fondant notamment sur les arrêts ATF 123 V 172 et 119
V 401,
qu'il n'est pas responsable des dettes antérieures à son entrée en
fonction.

4.2 Lorsque le prénommé a débuté sa charge de directeur, le 31 mars
1995, la
société Y.________ n'était pas surendettée au sens de l'art. 725 al.
2 CO. En
effet, à la lecture des bilans de cette société qui ont été versés au
dossier
en procédure cantonale (voir un rapport de la Multifiduciaire
Z.________ du
24 juillet 1998), il apparaît que les actifs couvraient les passifs,
tant en
1995 qu'en 1996. C'est dire qu'au moment où E.________ a pris ses
fonctions,
en 1995, le dommage n'était pas encore réalisé et que sa
responsabilité ne
pouvait, pour ce motif, pas être exclue d'entrée de cause (cf. ATF
119 V 405
consid. 4, a contrario).

Dans le cadre de ses fonctions de directeur administratif et
financier, où il
disposait de la signature individuelle (cf. contrat de travail du 5
juillet
1994 et extrait du Registre du commerce de T.________ du 20 février
1998),
E.________ s'occupait notamment des relations de la société
Y.________ avec
la caisse de compensation. Cela découle, en particulier, d'une lettre
du 14
juin 1996, dans laquelle il confirmait les modalités d'un
remboursement
échelonné des arriérés de cotisations, à teneur d'un entretien qu'il
avait eu
précédemment avec l'intimée. S'il n'était à cette époque pas encore
administrateur de Y.________ (il l'est devenu le 16 mai 1997), il
avait en
revanche assurément la qualité d'organe de fait de cette société, ce
qu'il
admet du reste implicitement.

En conséquence, E.________ répond non seulement de la perte des
cotisations
qui étaient échues au 16 mai 1997, mais également de celles qui
l'étaient
déjà au 31 mars 1995.

5.
Les recourants reprochent également à l'intimée d'avoir tardé à
recouvrer ses
créances. A leurs yeux, elle serait donc responsable d'une partie du
dommage
qu'elle a subi, en vertu de l'art. 44 CO.

Les conditions d'application de cette disposition légale (cf. ATF 122
V 185
et Praxis 1997 n° 48 p. 250) ne sont pourtant pas réunies. En effet,
les
recourants reconnaissent eux-mêmes que l'intimée leur a fait notifier
plusieurs commandements de payer dès 1992, soit à partir de l'année
où les
retards étaient avérés. Par ailleurs, ainsi que l'intimée le souligne
à juste
titre dans sa réponse, les recourants sont malvenus d'invoquer
aujourd'hui
les facilités de paiement dont ils avaient jadis bénéficié à leur
demande.

6.
Le montant du dommage imputable à B.________, C.________, D.________
et
E.________ n'est ni contesté ni sujet à discussion. Il représente les
cotisations d'assurances sociales impayées, afférentes aux années
1994, 1996
et 1997 (voir le décompte figurant dans la décision en réparation du
dommage
du 22 avril 1998), sous déduction de la somme de 18 328 fr. 75 dont
les
premiers juges ont omis de tenir compte.

Quant à A.________, qui a quitté ses fonctions d'administratrice le
16 mai
1997, elle ne conteste pas non plus la part du dommage dont les
premiers
juges l'ont rendue responsable.

7.
La procédure n'est pas gratuite, s'agissant d'un litige qui ne porte
pas sur
l'octroi ou le refus de prestations d'assurance (art. 134 OJ a
contrario).
L'émolument judiciaire doit être calculé en fonction de la valeur
litigieuse
(art. 153a OJ), soit 165 260 fr. 40 en ce qui concerne A.________,
et
299 219
fr. 40 pour les quatre autres recourants.

L'intimée supportera un 1/15e des frais de justice et versera une
indemnité
réduite de dépens aux recourants. Le solde des frais de justice
(14/15e) sera
mis à la charge des recourants qui succombent en grande partie (art.
156 al.
1 et 3, 159 al. 1 et 3 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce :

1.
Le recours est partiellement admis et le ch. III du dispositif du
jugement du
Tribunal des assurances du canton de Vaud du 26 juillet 2001 est
réformé en
ce sens que les défendeurs B.________, C.________, D.________ et
E.________,
solidairement entre eux, sont débiteurs de la demanderesse de la
somme de
115'630 fr. 25. Le recours est rejeté pour le surplus.

2.
Les frais de justice, d'un montant total de 10 000 fr., sont mis à la
charge
des recourants comme suit :

- A.________ : 1500 fr.
- B.________ : 2000 fr.
- C.________ : 2000 fr.
- D.________ : 2000 fr.
- E.________ : 2000 fr.

Les frais mis à la charge des recourants sont compensés avec les
avances de
frais respectives de 6000 fr. qu'ils ont effectuées. La différence
leur est
restituée comme suit :

- A.________ : 4500 fr.
- B.________ : 4000 fr.
- C.________ : 4000 fr.
- D.________ : 4000 fr.
- E.________ : 4000 fr.

Les frais mis à la charge de l'intimée sont fixés à 500 fr.

3.
L'intimée versera aux recourants la somme de 800 fr. à titre de
dépens (y
compris la taxe à la valeur ajoutée) pour l'instance fédérale.

4.
Le Tribunal des assurances du canton de Vaud statuera sur les dépens
pour la
procédure de première instance, au regard de l'issue du procès de
dernière
instance.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des
assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 29 août 2002
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IVe Chambre: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : H.277/01
Date de la décision : 29/08/2002
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-08-29;h.277.01 ?
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