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27/08/2002 | SUISSE | N°8G.66/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 août 2002, 8G.66/2002


{T 0/4}
8G.66/2002 /rod

Arrêt du 27 août 2002
Chambre d'accusation

Les juges fédéraux Corboz, président,
Nay, Raselli,
greffier Fink.

X. ________ et consorts,
plaignants, représentés par Me Reza Vafadar, avocat,
rue Massot 9, 1206 Genève,

contre

Ministère public de la Confédération, Taubenstrasse 16,
3003 Berne,
Procureur général du canton de Genève, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3.

refus de compétence,

plainte contre la "décision

" du 5 juin 2002.

Faits:

A.
Au mois d'octobre 1999, l'Office fédéral de la police a ordonné le
blocage
des comptes de...

{T 0/4}
8G.66/2002 /rod

Arrêt du 27 août 2002
Chambre d'accusation

Les juges fédéraux Corboz, président,
Nay, Raselli,
greffier Fink.

X. ________ et consorts,
plaignants, représentés par Me Reza Vafadar, avocat,
rue Massot 9, 1206 Genève,

contre

Ministère public de la Confédération, Taubenstrasse 16,
3003 Berne,
Procureur général du canton de Genève, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3.

refus de compétence,

plainte contre la "décision" du 5 juin 2002.

Faits:

A.
Au mois d'octobre 1999, l'Office fédéral de la police a ordonné le
blocage
des comptes de Sani Abacha (ex-président du Nigéria) et de ses
proches. Cette
mesure résultait d'une demande d'entraide judiciaire émanant de la
République
fédérale du Nigéria. Des comptes furent bloqués à Genève et à Zurich.

Le Nigéria a déposé une plainte pénale auprès du Parquet genevois
contre
diverses personnes qui auraient détourné des fonds publics, participé
à une
organisation criminelle et commis des brigandages

Au mois d'avril 2002, un règlement amiable entre le Nigéria et
certains
proches de feu Sani Abacha a été envisagé. Dans ce cadre, le Procureur
général du canton de Genève était prié d'ordonner aux banques suisses
de
virer un important montant à la Banque des règlements internationaux.

B.
Le 2 mai 2002, X.________, administrateur unique d'une société
canadienne, a
déposé devant le Procureur général du canton de Genève et
parallèlement
devant le Ministère public de la Confédération une plainte pénale
contre
différents proches de Sani Abacha dénoncés pour blanchiment d'argent,
recel,
participation à une organisation criminelle, faux dans les titres,
escroquerie, brigandage, séquestration et tentative d'extorsion,
voire toute
infraction à déterminer.

Le plaignant X.________ a déclaré agir tant en son nom personnel (en
sa
qualité d'administrateur unique de l'établissement précité), qu'en
tant que
trustee de plusieurs personnes morales et physiques.

Les plaignants se disent victimes de l'organisation criminelle mise
sur pied
par Sani Abacha et soupçonnent que les fonds bloqués en Suisse
proviennent de
ses activités délictueuses.

C.
Le 6 mai 2002, le Procureur général du canton de Genève a invité les
plaignants à apporter plus de précisions quant à une éventuelle
compétence
des autorités pénales suisses et a indiqué que l'argent devant
revenir aux
proches de Sani Abacha serait probablement versé par un pays autre
que la
Suisse.

D.
Par une décision du 24 mai 2002, le Procureur général du canton de
Genève a
informé les plaignants que leur cause était classée et que le
Ministère
public de la Confédération (abrégé MPC) admettait la compétence des
autorités
genevoises pour statuer sur ce dossier.

Le Procureur général du canton de Genève précisait notamment que les
personnes mises en cause, condamnées ou inculpées dans la poursuite
en cours
dans ce canton, ne correspondaient pas à celles incriminées par les
plaignants et que les valeurs patrimoniales saisies en Suisse
paraissaient
provenir d'infractions commises au préjudice de l'Etat du Nigéria
lui-même,
non pas au détriment de tiers.

E.
Par une lettre du 5 juin 2002 à l'avocat genevois des plaignants, le
MPC a
formellement décliné sa compétence car, dans l'hypothèse où il
pourrait y
avoir une relation entre les valeurs patrimoniales confisquées (dans
l'affaire Abacha et consorts) et le préjudice subi par les
plaignants, il
serait contraire à l'efficacité de la poursuite pénale de demander aux
autorités judiciaires fédérales de traiter cette nouvelle plainte; en
outre,
s'il n'y avait aucune relation entre les faits dénoncés dans celle-ci
et
l'enquête Abacha et consorts, il n'y aurait aucun lien avec la Suisse.

F.
Le 11 juin 2002, X.________ et consorts ont saisi la Chambre
d'accusation du
Tribunal fédéral d'une plainte contre la "décision" de refus de
compétence
prise le 5 juin 2002 par le MPC (art. 105bis al. 2 en liaison avec
l'art. 214
PPF et avec l'art. 340bis CP). Ils demandent l'annulation de cette
décision,
la suspension de tout transfert des fonds bloqués, cela jusqu'à droit
jugé
dans la présente procédure, et la réouverture de l'examen par le MPC
de sa
compétence, le tout sous suite de frais et dépens.

G.
Par une ordonnance du 14 juin 2002, le Président de la Chambre de
céans a
rejeté la demande de suspension, considérant qu'un éventuel effet
suspensif
relatif à la décision d'incompétence du MPC ne pouvait avoir pour
conséquence
de générer un blocage de fonds qui n'a pas été ordonné par le MPC.

H.
Dans ses observations du 20 juin 2002, le Procureur général du canton
de
Genève a conclu à l'irrecevabilité de la plainte du 11 juin 2002,
subsidiairement à son rejet sous suite de frais.

I.
Le 24 juin 2002, le MPC a conclu au rejet de la plainte et a indiqué
qu'il
renonçait à plaider.

La Chambre considère en droit:

1.
D'après les plaignants, en bref, le MPC aurait décliné sa compétence
en
violation de l'art. 340bis CP qui serait d'application immédiate,
faute de
dispositions transitoires contraires; ainsi, la plainte déposée après
le 1er
janvier 2002 serait régie par le nouveau droit, lequel serait
applicable à
toutes les procédures introduites depuis cette date. L'existence d'une
organisation criminelle et son activité de blanchiment en Suisse ne
feraient
aucun doute; le produit des infractions commises contre les
plaignants aurait
vraisemblablement été blanchi en Suisse et certains auteurs ou
complices de
ces actes figureraient parmi les inculpés de la procédure ouverte en
Suisse
pour blanchiment. La part prépondérante des crimes de cette
organisation
criminelle aurait été commise à l'étranger au sens de l'art. 340bis
al. 1
let. a CP. Vue sous l'angle d'une délégation du MPC aux autorités
genevoises,
la décision attaquée serait mal fondée car l'art. 18 PPF, en liaison
avec les
art. 340 et 340bis CP, ne permettrait pas un tel transfert de
compétence dans
une enquête, qui n'est pas simple au sens de l'art. 18bis al. 2 PPF.

2.
Dans un arrêt de principe du 25 juin 2002 (8G.46/2002) destiné à la
publication, la Chambre de céans a examiné certains aspects des
conflits de
compétence pouvant surgir à la suite de l'introduction des nouvelles
dispositions issues du "Projet d'efficacité" (FF 1998 p. 1253 ss,
Mesures
tendant à l'amélioration de l'efficacité et de la légalité dans la
poursuite
pénale). Il ressort de cet arrêt notamment que l'absence d'une
décision
formelle du MPC sur sa compétence - ce qui est la règle- rend la voie
de la
plainte prévue à l'art. 105bis PPF impraticable, que l'art. 260 PPF
(en
vigueur dès le 1er janvier 2002, RO 2001 p. 3073) est calqué sur
l'art. 264
PPF et qu'en conséquence les règles procédurales en matière de
conflits de
for intercantonaux sont applicables; il s'ensuit que les plaintes au
sujet de
la compétence doivent être traitées de la même façon que celles
relatives à
l'art. 351 CP, non pas comme une plainte prévue à l'art. 105bis PPF.

3.
En l'espèce, les plaignants s'en prennent, par un recours postérieur
au 31
décembre 2001, à un accord intervenu entre le MPC et le Procureur
général du
canton de Genève, aux termes duquel celui-ci a accepté sa compétence
vu la
connexité de la nouvelle plainte avec une instruction en cours à
Genève. Le
MPC n'a pas notifié aux plaignants une décision formelle déclinant sa
compétence; la lettre du 5 juin 2002 se limite à les informer des
raisons
pour lesquelles il a décliné sa compétence, sans mentionner une
éventuelle
voie de recours.

3.1 D'après les règles valables pour résoudre les conflits de for
intercantonaux au sens de l'art. 351 CP, le plaignant n'est pas tenu
d'agir
dans un délai précis mais dans un délai raisonnable à partir du
moment où il
a connaissance des éléments nécessaires (ATF 120 IV 146 consid. 1). La
plainte du 11 juin 2002 répond à cette exigence.

3.2 Le lésé, le plaignant ou le dénonciateur sont en principe
dépourvus de la
qualité pour porter plainte au sujet du for, sauf en cas de conflit
négatif;
ils ne sont d'ailleurs pas mentionnés à l'art. 264 PPF. Il en va
ainsi même
s'ils ont déposé une plainte pénale du chef d'infractions poursuivies
sur
plainte. L'ATF 116 IV 83 consid. 1b, où la qualité du plaignant pour
saisir
la Chambre de céans a été admise, est dépassé depuis la modification
de
l'art. 270 PPF entrée en vigueur le 1er janvier 2001. En effet, selon
la
jurisprudence, la qualité pour contester le for dépend étroitement de
la
qualité pour former un pourvoi en nullité.

Le simple dénonciateur, c'est-à-dire celui qui n'est ni lésé ni
victime, n'a
jamais eu la qualité pour former un pourvoi en nullité au Tribunal
fédéral.
Le lésé et le plaignant n'ont plus cette qualité pour recourir, cela
depuis
l'entrée en vigueur du nouvel art. 270 PPF, le 1er janvier 2001;
toutefois,
le plaignant peut se pourvoir en nullité pour autant qu'il s'agisse
de son
droit de porter plainte (RO 2000 p. 2719 et 2724; loi du 23 juin
2000).

L'ancienne jurisprudence découlant de l'art. 264 PPF (ATF 88 IV 143
p. 144) a
reconnu au plaignant le droit de saisir la Chambre d'accusation, bien
qu'il
ne soit pas mentionné dans cette disposition, cela parce qu'il
pouvait alors
se pourvoir en nullité au Tribunal fédéral. Ce motif a désormais
disparu, ce
qui conduit à dénier au plaignant et au lésé la qualité pour agir en
se
fondant sur l'art. 260 ou 264 PPF.

Il devrait en aller de même pour la victime au sens de l'art. 2 LAVI
car
celle-ci ne peut se pourvoir en nullité qu'à certaines conditions
prévues à
l'art. 270 let. e PPF, dans sa teneur en vigueur dès le 1er janvier
2001.
Cette question peut toutefois demeurer indécise ici.

3.3 En l'espèce, la plainte pénale déposée le 2 mai 2002 devant le
Procureur
général du canton de Genève dénonce des personnes pour blanchiment
d'argent,
recel, participation à une organisation criminelle, brigandage,
séquestration, tentative d'extorsion et toute infraction à
déterminer. Dans
la plainte au sujet de la compétence, du 14 juin 2002, adressée à la
Chambre
de céans, les plaignants ne donnent aucune explication établissant
qu'ils
seraient des victimes au sens de l'art. 2 LAVI et 270 let. e PPF et
on ne
discerne pas non plus en quoi ils le seraient. Ils se plaignent en
substance
d'avoir été spoliés, mais ils ne font pas valoir des atteintes
directes à
leur intégrité corporelle, sexuelle ou psychique (art. 2 LAVI). Dès
lors,
leur qualité de victime fait défaut. Ils doivent être considérés ici
comme
des lésés. Or, le lésé n'a pas qualité pour saisir la Chambre de
céans d'une
plainte au sujet de la compétence.
Ainsi, la plainte est irrecevable.

4. ---

Lausanne, le 27 août 2002


Synthèse
Numéro d'arrêt : 8G.66/2002
Date de la décision : 27/08/2002
Chambre d'accusation

Analyses

Art. 340bis CP et art. 260 PPF; contestation de la compétence; qualité pour porter plainte déniée au lésé. Les règles procédurales en matière de conflits de for intercantonaux sont applicables aux contestations au sujet de la compétence fédérale ou cantonale (consid. 2). Conformément à la jurisprudence relative à l'art. 351 CP, le plaignant doit agir dans un délai raisonnable à partir du moment où il a connaissance des éléments nécessaires (consid. 3.1). La qualité pour contester le for ou la compétence dépend étroitement de la qualité pour former un pourvoi en nullité prévue à l'art. 270 PPF; compte tenu de la nouvelle teneur de cette disposition, le lésé est désormais dépourvu de la qualité pour agir (consid. 3.2).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-08-27;8g.66.2002 ?
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