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26/08/2002 | SUISSE | N°5C.111/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 août 2002, 5C.111/2002


{T 0/3}
5C.111/2002 /frs

Arrêt du 26 août 2002
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Raselli, juge présidant,
Nordmann, Escher, Meyer, Hohl,
greffière Heegaard-Schroeter.

Dame M.________ (épouse),
défenderesse et recourante, représentée par Me Georges Reymond,
avocat,
avenue Juste-Olivier 11, case postale 1299, 1001 Lausanne,

contre

M.________ (époux),
demandeur et intimé, représenté par Me Henri Baudraz, avocat, avenue
Juste-Olivier 17, case postale 3293, 1002 Lausanne.

li

quidation du régime matrimonial; art. 208/209 CC; art. 239 CO;

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre des reco...

{T 0/3}
5C.111/2002 /frs

Arrêt du 26 août 2002
IIe Cour civile

Les juges fédéraux Raselli, juge présidant,
Nordmann, Escher, Meyer, Hohl,
greffière Heegaard-Schroeter.

Dame M.________ (épouse),
défenderesse et recourante, représentée par Me Georges Reymond,
avocat,
avenue Juste-Olivier 11, case postale 1299, 1001 Lausanne,

contre

M.________ (époux),
demandeur et intimé, représenté par Me Henri Baudraz, avocat, avenue
Juste-Olivier 17, case postale 3293, 1002 Lausanne.

liquidation du régime matrimonial; art. 208/209 CC; art. 239 CO;

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre des recours du
Tribunal
cantonal du canton de Vaud du 24 octobre 2001.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué tranche une contestation civile portant sur des
droits de
nature pécuniaire, dont la valeur litigieuse atteint manifestement
8'000 fr.
Formé en temps utile, contre une décision finale prise par le tribunal
suprême du canton de Vaud, le recours est recevable au regard des
art. 46, 48
al. 1 et 54 al. 1 OJ.

2.
La défenderesse s'oppose d'abord à ce que l'entretien de la maîtresse
de son
mari soit mis à la charge des acquêts de ce dernier. Elle conteste
également
l'estimation du montant consacré par le demandeur à son entretien et
à celui
de sa famille illégitime. Elle fait valoir la violation des art. 8,
202 et
209 al. 2 CC.

2.1
2.1.1En vertu des dispositions applicables au régime matrimonial de la
participation aux acquêts (art. 196 ss CC par le renvoi de l'art. 120
al. 1
CC), auquel les parties sont en l'espèce soumises, chaque époux a
notamment
la jouissance et la disposition de ses acquêts durant le mariage,
dans les
limites de la loi (art. 201 al. 1 CC). Envers les tiers, il répond de
ses
dettes sur tous ses biens (art. 202 CC). Selon la jurisprudence,
l'époux
n'est pas tenu de constituer des réserves d'acquêts; il est libre de
dépenser
ceux qu'il a économisés, tant qu'il ne porte pas atteinte à son
devoir de
participer à l'entretien de la famille. Le fait qu'un époux utilise
ses
acquêts d'une façon contraire au mariage, en violant en particulier
ses
obligations de fidélité et d'assistance, ne peut avoir de
conséquences sur la
liquidation du régime matrimonial qu'aux conditions prévues par la
loi (ATF
118 II 27 consid. 4b).

2.1.2 Il s'ensuit qu'en principe, les acquêts - comme les biens
propres - de
chaque époux sont disjoints dans leur composition au jour de la
dissolution
du régime (art. 207 al. 1 CC). Toutefois, dans deux cas, des biens
d'acquêts
qui n'existent plus à ce moment-là doivent être réunis, en valeur, aux
acquêts. Il s'agit, d'une part, des biens qui en faisaient partie et
dont
l'époux a disposé par libéralités entre vifs sans le consentement de
son
conjoint dans les cinq années antérieures à la dissolution du régime,
à
l'exception des présents d'usage (art. 208 al. 1 ch. 1 CC) et,
d'autre part,
des aliénations de biens d'acquêts qu'un époux a faites pendant le
régime
dans l'intention de compromettre la participation de son conjoint
(art. 208
al. 1 ch. 2 CC). Une action en réduction et en restitution des
montants
aliénés peut être ouverte contre les tiers bénéficiaires, si cela est
nécessaire pour que l'époux créancier reçoive effectivement sa part au
bénéfice (art. 220 CC).

L'art. 208 CC a pour but d'empêcher qu'un époux rende illusoire
l'expectative
de son conjoint, en distrayant des acquêts des biens qui auraient
contribué à
former un bénéfice (FF 1979 II 1296; Deschenaux, La protection de
l'expectative de bénéfice dans le régime de la participation aux
acquêts, in:
Mélanges Peter Jaeggi, Fribourg 1977, p. 183). Sous l'empire de
l'ancien
régime matrimonial de l'union des biens, l'expectative de la femme
n'était
pas protégée lorsque son mari faisait, durant le mariage, des
libéralités à
des tiers. Aucune disposition légale ne prévoyait expressément la
réunion de
telles libéralités, ni ne permettait de rechercher les tiers
concernés (ATF
107 II 119 consid. 2d p. 126; Deschenaux, op. cit., p. 168; Guinand,
Libéralités entre vifs et conjoint survivant, in: Mélanges Piotet,
Berne
1990, p. 58/59). Certains auteurs étaient toutefois d'avis que
l'expectative
de l'épouse devait être préservée et qu'elle pouvait fonder une
récompense en
faveur des acquêts, à charge des biens réservés ou des apports du mari
(Deschenaux, loc. cit. et les auteurs cités; Piotet, Les donations
d'acquêts
et le bénéfice dans l'union des biens et dans la participation aux
acquêts,
RDS 1987 I 285). Désormais, dans le régime de la participation aux
acquêts,
l'expectative de bénéfice de chaque époux est protégée par le système
des
réunions et réductions matrimoniales des art. 208 et 220 CC. Le
recours à la
technique de la récompense entre les acquêts et les biens propres
d'un même
époux est exclu: en effet, si les libéralités faites à des tiers au
moyen
d'acquêts devaient systématiquement donner lieu à une récompense des
acquêts
contre les propres sur la base de l'art. 209 al. 2 CC, la réunion
instituée
par l'art. 208 CC n'aurait plus de raison d'être
(Deschenaux/Steinauer/Baddeley, Les effets du mariage, Berne 2000, p.
497/498
note 62; Hausheer/Reusser/Geiser, Berner Kommentar, n. 33 ad art. 209
CC;
Stettler/Waelti, Le régime matrimonial, Droit civil IV, Fribourg
1997, n. 317
et n. 388; contra: Piotet, Le régime matrimonial suisse de la
participation
aux acquêts, Berne 1986, p. 80 et 82 ss et RDS 1987 I 286 ss).

2.1.3 Celui des époux qui demande la réunion selon l'art. 208 al. 1
ch. 1 CC
doit établir qu'un bien d'acquêts a fait l'objet d'une libéralité
entre vifs
dans les cinq ans précédant la dissolution du régime. Il appartient
ensuite à
l'auteur de la libéralité qui conteste la réunion de prouver le
consentement
de son conjoint (Hausheer/Reusser/Geiser, op. cit., n. 66 ad art. 208
CC;
Deschenaux/Steinauer/ Baddeley, op. cit., n. 1423; ATF 118 II 27
consid. 3b).
Constitue une libéralité entre vifs (unentgeltliche Zuwendung) l'acte
d'attribution volontaire entre vifs, qui a été effectué à titre
gratuit en
faveur d'un tiers, et qui n'est pas un présent d'usage (FF 1979 II
1297;
Deschenaux/Steinauer/Baddeley, op. cit., n. 1425 ss).

2.2
2.2.1En l'espèce, il n'est pas nécessaire de décider si l'entretien
de la
maîtresse du demandeur est une libéralité entre vifs qui doit être
réunie aux
acquêts de ce dernier, puisque le grief de la défenderesse doit de
toute
façon être déclaré irrecevable, faute d'intérêt. En effet, les
premiers
juges, dont la liquidation du régime matrimonial a été approuvée par
la
Chambre des recours, ont réuni aux acquêts du mari le montant de
395'600 fr.
Pour ce faire, ils se sont fondés sur une méthode de calcul
inadmissible au
regard de l'art. 208 CC, additionnant les revenus du demandeur
(1'386'800
fr.), desquels ils ont déduit les dépenses qu'ils ont jugé admissibles
(991'200 fr.). Or, le système des réunions matrimoniales, tel qu'il
est prévu
par l'art. 208 CC, veut au contraire que l'on ajoute aux acquêts
existants la
valeur des biens dont l'époux a disposé par des libéralités entre
vifs; la
loi autorisant les conjoints à utiliser librement leurs acquêts, sans
qu'ils
soient obligés de constituer des réserves, il ne saurait être
question de
réunir des montants que l'époux avait le droit de dépenser sans
justification. Toutefois, dans la mesure où la somme qui a été
effectivement
réunie, à savoir 395'600 fr., est supérieure à celle qui eût pu
l'être au
titre de l'entretien de la maîtresse - puisque le Tribunal de première
instance a retenu le montant de 390'000 fr. pour l'entretien du
demandeur et
de toute sa famille illégitime, y compris sa maîtresse -, la
défenderesse
n'est pas lésée par l'arrêt attaqué.

Dès lors que la méthode de calcul choisie par l'autorité cantonale est
contraire à la loi, le grief tiré de la violation de l'art. 8 CC du
fait de
l'estimation forfaitaire des coûts d'entretien est sans objet.

2.2.2 Enfin, on ne voit pas en quoi l'art. 202 CC pourrait avoir été
violé,
comme l'affirme la défenderesse sans aucune démonstration, puisqu'il
traite
de la responsabilité pour les dettes envers les tiers durant le
régime, et
non de la liquidation de celui-ci et des réunions.

3.
La défenderesse reproche ensuite à la Chambre des recours d'avoir
violé les
art. 8 et 197 CC, d'une part en n'intégrant pas la villa de Z.________
appartenant à la maîtresse de son époux dans les acquêts de celui-ci,
et,
d'autre part, en raison de l'estimation qu'elle a faite du revenu du
demandeur durant la période de novembre 1999 à juin 2000.

3.1 Les règles sur le fardeau de la preuve, notamment l'art. 8 CC,
désignent
celui qui, du titulaire du droit ou de sa partie adverse, doit
supporter les
conséquences de l'échec de la preuve d'un fait (ATF 125 III 78
consid. 3b).
Lorsque l'appréciation des preuves convainc le juge qu'une allégation
de fait
a été établie ou réfutée, la question du fardeau de la preuve devient
sans
objet, de sorte que le grief tiré de la violation de l'art. 8 CC est
alors
dépourvu de consistance. Cette disposition ne peut être invoquée pour
tenter
de faire corriger l'appréciation des preuves, qui ressortit au juge
du fait
(ATF 128 III 22 consid. 2d; 127 III 248 consid. 3a; 119 III 103
consid. 1;
119 II 114 consid. 4c; 118 II 142 consid. 3a; 114 II 289 consid. 2a).

3.2 S'agissant de la villa de Z.________, la défenderesse prétend
avoir
prouvé non seulement que la maîtresse de son mari n'avait pas les
moyens de
cette acquisition, mais également, contrairement à ce que l'autorité
cantonale a retenu, que le demandeur en a assuré le financement au
moyen de
deux prêts
hypothécaires de 550'000 fr., et qu'il a payé les intérêts
hypothécaires. Ne
pas considérer cette maison comme un bien acquis en remploi des
acquêts de
l'époux constituerait en outre une violation de l'art. 197 al. 6
(recte: 2)
ch. 5 CC.

Par cette critique, qui est identique à celle qu'elle a formulée dans
son
recours de droit public, la défenderesse s'en prend en réalité à
l'appréciation des preuves des juges cantonaux. Partant, son argument
pris de
la violation de l'art. 8 CC doit être écarté. Dans la mesure où elle
se fonde
sur un autre état de fait que celui retenu par l'autorité cantonale
(art. 63
al. 2 OJ), tel doit également être le sort de son grief relatif à
l'art. 197
al. 2 ch. 5 CC.

3.3 Quant aux revenus professionnels du demandeur, la Chambre des
recours a
déclaré s'en tenir à la liquidation du régime matrimonial telle
qu'elle a été
effectuée par les premiers juges. Ceux-ci ont considéré qu'il fallait
ajouter
aux revenus réalisés entre décembre 1998 et mai 2000 le montant de
5'675 fr.
perçu en octobre 1999 pour les heures de garde auprès de la
Permanence de
Y.________, ainsi que le salaire mensuel net de 5'145 fr. touché par
le
demandeur à la suite de son engagement comme médecin répondant par la
même
Permanence, en juillet 2000. Pour la période intermédiaire, à savoir
les mois
de novembre 1999 à juin 2000, durant lesquels le demandeur a également
travaillé pour cet établissement, sous un statut dont il savait
seulement
qu'il était moins bien rémunéré, le Tribunal de première instance a
comptabilisé un salaire mensuel net de 4'000 fr.

Selon la défenderesse, dès lors que son époux avait gagné 5'675 fr. en
octobre 1999, il n'existait aucune raison d'exclure qu'il avait
continué de
recevoir un salaire mensuel de cette importance jusqu'en juin 2000, ce
d'autant que son revenu était ensuite de 5'145 fr. par mois. Aucun
élément,
ni pièce, n'indiquerait que le demandeur a perçu une rémunération de
4'000
fr. seulement.

Par cette argumentation, la défenderesse remet à nouveau en question
l'appréciation des preuves des juges cantonaux, de sorte que son
grief, tiré
de la violation des art. 8 et 197 CC, doit être rejeté.

4.
Enfin, la défenderesse soutient que les juges cantonaux ont violé
l'art. 239
CO en refusant de considérer que les fonds déposés sur le compte
"X.________"
lui avaient été donnés par son mari.

4.1 Chaque époux peut, sauf disposition légale contraire, conclure
tous
actes juridiques avec son conjoint, en particulier lui faire une
donation
entre vifs (art. 168 CC; Deschenaux/Steinauer/Baddeley, op. cit., n.
281). Le
contrat de donation entre époux est régi par les art. 239 ss CO
(Hausheer/Reusser/Geiser, op. cit., n. 8-9 ad art. 168 CC). Il
suppose un
échange de manifestations de volonté réciproques et concordantes
entre le
donateur et le donataire (art. 1 al. 1 CO; ATF 49 II 96). Est en
particulier
essentielle l'intention de donner du donateur (animus donandi; ATF 98
II 352
consid. 3b). Lorsqu'il s'agit de déterminer si les parties sont
tombées
d'accord et ont conclu un contrat de donation, le juge doit
rechercher tout
d'abord leur réelle et commune intention, le cas échéant
empiriquement, sur
la base d'indices (cf. art. 18 al. 1 CO). S'il y parvient, il s'agit
d'une
constatation de fait, qui ne peut être remise en cause dans un
recours en
réforme (ATF 126 III 25 consid. 3c, 375 consid. 2e/aa; 125 III 435
consid.
2a/aa). Ce n'est que si cette volonté effective ne peut être établie,
ou si
le juge constate que l'un des contractants n'a pas compris la volonté
réelle
exprimée par l'autre, qu'il convient de rechercher le sens que les

parties
pouvaient et devaient raisonnablement donner à leurs manifestations de
volonté réciproques, en tenant compte des termes utilisés, ainsi que
du
contexte et de l'ensemble des circonstances dans lesquelles elles ont
été
émises (application du principe de la confiance; ATF 127 III 444
consid. 1b;
126 III 59 consid. 5b; 125 III 305 consid. 2b p. 308; 121 III 118
consid.
4b/aa). La détermination de la volonté objective est une question de
droit,
qui peut être revue librement dans un recours en réforme (ATF 126 III
25
consid. 3c).

4.2 Après avoir apprécié les preuves, la Chambre des recours est
parvenue à
la conclusion que le demandeur n'avait pas eu d'animus donandi
concernant les
avoirs déposés sur le compte "X.________" et, partant, que les époux
n'avaient pas, de manière concordante, exprimé la volonté de conclure
un
contrat de donation. Le recours de droit public connexe ayant été
rejeté,
dans la mesure où il était recevable (cf. supra, Fait D), cette
constatation
lie le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (art. 63 al. 2
OJ). Les
critiques de la défenderesse, qui tendent à faire admettre que
l'intention de
donner est établie par le comportement de son mari, sont donc
irrecevables.

5.
Vu le sort du recours, les frais judiciaires doivent être mis à la
charge de
la défenderesse (art. 156 al. 1 OJ). Le demandeur n'ayant pas été
invité à
répondre, il n'y a pas lieu de lui allouer de dépens, ni de statuer
sur sa
requête d'assistance judiciaire.

Il ne se justifie pas non plus d'accorder des dépens à la
défenderesse pour
ses observations sur la requête de sûretés du demandeur, puisqu'elle
n'avait
pas été invitée à en présenter (art. 156 al. 6 OJ par le renvoi de
l'art. 159
al. 5 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours en réforme est rejeté dans la mesure où il est recevable et
l'arrêt attaqué est confirmé.

2.
Un émolument judiciaire de 7'000 fr. est mis à la charge de la
défenderesse.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
ainsi
qu'à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 26 août 2002

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant: La greffière:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5C.111/2002
Date de la décision : 26/08/2002
2e cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-08-26;5c.111.2002 ?
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