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20/08/2002 | SUISSE | N°H.74/01

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 20 août 2002, H.74/01


{T 7}
H 74/01

Arrêt du 20 août 2002
IIIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Meyer et Kernen.
Greffier : M. Vallat

Hôpitaux X.________, recourants, représentés par Me Jacques-André
Schneider,
avocat, rue du Rhône 100, 1204 Genève,

contre

Caisse cantonale genevoise de compensation, route de Chêne 54, 1208
Genève,
intimée,

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève

(Jugement du 24 novembre 2000)

Faits :

A.
A.a Les Hôpita

ux X.________ (ci-après: les Hôpitaux X.________)
emploient de
nombreux médecins qui ont la possibilité, soumise à autorisation, de
se...

{T 7}
H 74/01

Arrêt du 20 août 2002
IIIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Meyer et Kernen.
Greffier : M. Vallat

Hôpitaux X.________, recourants, représentés par Me Jacques-André
Schneider,
avocat, rue du Rhône 100, 1204 Genève,

contre

Caisse cantonale genevoise de compensation, route de Chêne 54, 1208
Genève,
intimée,

Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève

(Jugement du 24 novembre 2000)

Faits :

A.
A.a Les Hôpitaux X.________ (ci-après: les Hôpitaux X.________)
emploient de
nombreux médecins qui ont la possibilité, soumise à autorisation, de
se
constituer dans le cadre de leur activité dans ces établissements une
clientèle privée stationnaire ou ambulatoire. Selon les règlements
antérieurs
au 1er juillet 1998, les médecins autorisés étaient considérés comme
indépendants dans l'exercice de leur activité privée.

Lors d'un contrôle, en 1994, la caisse cantonale genevoise de
compensation
(ci-après: la caisse) a constaté que plusieurs médecins avaient perçu
des
honoraires pour leur activité privée sans que des cotisations aient
été
versées à une caisse sur ces montants. Après examen approfondi et
systématique, la caisse a affilié en tant qu'indépendants tous les
médecins
qui n'avaient pas régularisé leur statut face à l'AVS pour leur
activité
privée aux Hôpitaux X.________ et leur a réclamé des cotisations
personnelles
pour les années 1989 à 1995, par décisions des mois de novembre et
décembre
1994.

Par jugements du 13 novembre 1996, la Commission de recours en
matière AVS/AI
du canton de Genève (ci-après: la commission) a admis les recours
formés par
trois médecins contre les décisions les concernant. Selon la
commission, les
revenus réalisés dans le cadre de l'activité privée ambulatoire et
stationnaire aux Hôpitaux X.________ constituaient des revenus
provenant
d'une activité dépendante.

Par arrêts du 10 février 1998, le Tribunal fédéral des assurances a
rejeté
les recours formés par la caisse et les Hôpitaux X.________ contre ces
jugements en tant qu'ils portaient sur les revenus tirés de
l'activité privée
stationnaire (dossiers H 23/97 et 24/97) et admis un recours
partiellement en
tant qu'il touchait l'activité privée ambulatoire (dossier H 26/97).

A.b La caisse a alors repris l'examen de la comptabilité des Hôpitaux
X.________; elle a établi le montant des honoraires versés aux
médecins entre
1993 et 1997 qui correspondent à des salaires au sens des arrêts du
TFA et
calculé le montant des cotisations paritaires et des intérêts
moratoires qui
auraient dû être versés sur ces montants. A fin novembre, début
décembre
1998, elle a revu les décisions de cotisations personnelles des
médecins
affiliés auprès d'elle pour les années 1993 à 1997 et a invité les
autres
caisses de compensation concernées à en faire de même pour les
médecins qui
leur sont affiliés.

Par décision du 22 décembre 1998, elle a réclamé aux Hôpitaux
X.________
4'292'340,90 fr. de cotisations paritaires, intérêts moratoires
compris,
calculées sur les revenus réalisés par les médecins des Hôpitaux
X.________
dans l'activité privée des années 1993 à 1997.

B.
Par jugement du 24 novembre 2000, notifié le 1er février 2001, la
commission
a rejeté le recours formé par les Hôpitaux X.________ contre cette
décision.

C.
Les Hôpitaux X.________ interjettent recours de droit administratif
contre ce
jugement, en concluant à son annulation ainsi qu'à celle de la
décision de la
caisse. Cette dernière conclut au rejet du recours.

L'OFAS a renoncé à se déterminer.

Les médecins appelés en procédure cantonale ont été invités à se
déterminer.

Considérant en droit :

1.
L'objet du litige est de savoir si la caisse est en droit, par sa
décision du
22 décembre 1998, de réclamer aux Hôpitaux X.________ des cotisations
paritaires sur les revenus perçus de 1993 à 1997 par les médecins de
ces
établissements au titre de leur clientèle privée.

La décision litigieuse n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance, le Tribunal fédéral des assurances doit se
borner à
examiner si les premiers juges ont violé le droit fédéral, y compris
par
l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation, ou si les faits
pertinents ont été constatés d'une manière manifestement inexacte ou
incomplète, ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles
de
procédure (art. 132 en corrélation avec les art. 104 let. a et b et
105 OJ).

2.
L'autorité cantonale a considéré, d'une part, que la caisse était en
droit de
réclamer aux Hôpitaux X.________ des cotisations paritaires sur les
revenus
perçus par les médecins dans l'exercice de leur activité «privée»
entre 1993
et 1997 - qualifiée jusqu'aux arrêts rendus par le TFA le 10 février
1998
comme une activité indépendante -, dans la mesure où la qualification
initiale était manifestement erronée, et que sa rectification
revêtait une
importance considérable. D'autre part, elle a estimé que les Hôpitaux
X.________ ne pouvaient se prévaloir du droit à la protection de la
bonne
foi, ni contester devoir payer des intérêts moratoires.

3.
3.1Selon un principe général du droit des assurances sociales,
l'administration peut reconsidérer une décision formellement passée
en force
de chose jugée et sur laquelle une autorité judiciaire ne s'est pas
prononcée
quant au fond, à condition qu'elle soit sans nul doute erronée et que
sa
rectification revête une importance notable (ATF 126 V 23 consid. 4b,
46
consid. 2b, 400 consid. 2b/aa et les arrêts cités).

En outre, par analogie avec la révision des décisions rendues par les
autorités judiciaires, l'administration est tenue de procéder à la
révision
d'une décision entrée en force formelle lorsque sont découverts des
faits
nouveaux ou de nouveaux moyens de preuve, susceptibles de conduire à
une
appréciation juridique différente (ATF 126 V 24 consid. 4b, 46
consid. 2b et
les références).

En d'autres termes, l'administration n'est pas libre d'annuler des
décisions
entrées en force; il faut que soient réunies les conditions d'une
reconsidération ou d'une révision. Ainsi, en particulier, un
changement de
statut de cotisant, impliquant la remise en cause de décisions de
cotisations
antérieures entrées en force, est soumis aux conditions qui président
à la
révocation des décisions, par la voie de la reconsidération ou de la
révision
procédurale. Un changement rétroactif de statut quant aux cotisations
relatives à de mêmes revenus n'est possible que si la décision entrée
en
force et selon laquelle certains revenus ont été qualifiés comme
provenant
d'une activité indépendante ou dépendante est sans nulle doute
erronée et que
sa rectification revête une importance notable, ou si sont découverts
des
faits nouveaux ou de nouveaux moyens de preuve. Si le changement de
statut
n'est pas de nature à produire ses effets dans le passé, mais au
contraire
dans le futur, il convient, en principe, d'examiner librement la
question du
statut de cotisant, tout en observant une certaine retenue dans les
cas
limites (RCC 1989 465 consid. 2b). Lorsque la question du changement
de
statut concerne à la fois des rémunérations sur lesquelles des
cotisations
d'assurances sociales ont déjà été prélevées, ainsi que des
rémunérations qui
n'ont pas encore fait l'objet d'une décision, il faut examiner, en ce
qui
concerne la part des rémunérations visées par une décision passée en
force,
si les conditions de la reconsidération ou de la révision procédurale
sont
réalisées. En revanche, la question du statut de cotisant doit être
examinée
librement s'agissant de la part des rémunérations au sujet desquelles
aucune
décision n'a été rendue (ATF 122 V 173 consid. 4b, 121 V 4 consid. 6).

3.2 A la suite des décisions de la caisse de 1994, affiliant
différents
médecins comme indépendants et leur réclamant des cotisations
personnelles
sur les honoraires perçus dans l'exercice de leur activité auprès de
la
clientèle privée, la qualification de cette activité au sein des
Hôpitaux
X.________ et des revenus que ces médecins en retirent a été examinée
par la
commission cantonale et par le Tribunal fédéral des assurances.

Dans les trois arrêts rendus le 10 février 1998 (arrêts H 26/97 Caisse
cantonale genevoise de compensation et Hôpitaux X.________ c/ L. [ATF
124 V
97], H 24/97 idem c. F. [SVR 1998 AHV 25 p. 73] et H 23/97 idem c/
W., non
publié) l'autorité de céans a retenu, à l'examen des conditions
propres à
l'activité privée des médecins pour la clientèle stationnaire au sein
des
Hôpitaux X.________, que les éléments en faveur d'une activité
lucrative
dépendante apparaissaient prédominants au sens de la LAVS et de la
jurisprudence; aussi les honoraires perçus par ces médecins pour les
traitements prodigués à la clientèle privée stationnaire
constituaient-ils un
salaire déterminant et le jugement cantonal s'avérait-il conforme au
droit
fédéral. En revanche, s'agissant de l'activité privée pour la
clientèle
ambulatoire, les indices d'une activité dépendante étaient relégués à
l'arrière plan et les honoraires perçus constituaient la rémunération
d'une
activité indépendante.

3.3 La qualification de l'activité des médecins autorisés des Hôpitaux
X.________, auprès de leur clientèle privée stationnaire, à laquelle
la
caisse avait procédé était ainsi erronée. Elle n'était cependant pas
manifestement ou sans nul doute erronée. Le statut de cotisant à
l'AVS est
déterminé selon différents critères relevant de l'organisation du
travail et
des circonstances économiques de l'activité qui donne lieu à
rétribution. La
jurisprudence a précisé certains indices, facteurs ou caractéristiques
propres à l'une ou l'autre de ces activités. Toutefois ces principes
n'aboutissent pas à eux-seuls à des solutions uniformes, applicables
schématiquement, tant les manifestations de la vie économique
revêtent des
formes diverses. Aussi, faut-il décider dans chaque cas particulier
si l'on
est en présence d'une activité dépendante ou d'une activité
indépendante, en
considérant toutes les circonstances de ce cas. Souvent on trouvera
des
caractéristiques appartenant à ces deux genres d'activités et, pour
trancher
la question, on se demandera quels éléments sont prédominants dans le
cas
considéré (ATF 122 V 171 consid. 3a, 283 consid. 2a, 119 V 161
consid. 2 et
les arrêts cités).

Dans les arrêts précités du 10 février 1998, la cour de céans s'est
penchée
sur les conditions d'exercice de l'activité des médecins autorisés
auprès de
la clientèle privée aux Hôpitaux X.________ et les circonstances
économiques
dans lesquelles se déroulait cette activité. Elle est arrivée à la
conclusion, dans le cas des médecins autorisés des Hôpitaux
X.________, que
les facteurs parlant pour une activité dépendante apparaissaient
prédominants, tout en relevant que l'on pouvait accorder un certain
poids à
divers éléments en faveur d'une activité indépendante; à cet égard,
les
médecins autorisés supportaient le risque d'encaissement et pouvaient
devoir
éventuellement supporter les frais d'une franchise contractuelle en
responsabilité civile. En présence d'éléments secondaires non
négligeables en
faveur d'une activité indépendante, la qualification initiale ne peut
ainsi
être considérée comme manifestement ou sans nul doute erronée.

Aussi, un motif de réexamen n'est pas réalisé dans le cas d'espèce et
la
caisse ne saurait, par la voie de la reconsidération, exiger le
paiement de
cotisations paritaires sur des revenus ayant déjà été soumis par une
décision entrée en force à des cotisations personnelles.

4.
4.1Il ne ressort cependant ni des faits constatés, ni des pièces du
dossier
que les versements effectués par les Hôpitaux X.________ aux médecins
autorisés, entre 1993 et 1997, aient effectivement fait l'objet de
décisions
passées en force. Il résulte certes des contrôles effectués par la
caisse en
1994 et 1998 que la totalité des médecins autorisés percevant les
revenus en
cause étaient affiliés comme indépendants auprès d'une caisse.
Toutefois, le
but de l'examen de la conformité juridique de la décision attaquée
n'est pas
de définir si des cotisations sociales ont fait l'objet d'une
décision pour
une même période, mais de clarifier si des cotisations ont déjà été
réclamées, par une décision entrée en force, sur le revenu soumis à
cotisations. Aussi le fait que les médecins autorisés ont été
considérés de
1993 à 1997 comme indépendants est-il, en soi, sans pertinence; seul
importe
de savoir s'il ont dû payer, par des décisions entrées en force, des
cotisations personnelles sur les revenus perçus entre 1993 et 1997.
Si de
telles décisions existent, il n'y a alors aucune base juridique,
selon ce qui
précède, qui autorise un réexamen de ces décisions, ni par conséquent
un
changement rétroactif de statut.

4.2 Si, en revanche, aucune décision passée en force n'a été rendue
sur ces
revenus - ce qui ne peut être exclu sans autre instruction s'agissant
des
revenus versés en 1997, voire 1996 - rien ne s'oppose au prélèvement
de
cotisations paritaires sur ces sommes.

5.
En ce qui concerne les cotisations arriérées, les recourants ne
peuvent se
prévaloir efficacement du droit à la protection de la bonne foi. Il
est vrai
qu'à certaines conditions cumulatives (ATF
121 V 66 consid. 2a et les
références), l'administré est en droit d'exiger de l'autorité qu'elle
respecte ses promesses et qu'elle évite de se contredire. Toutefois,
en
l'espèce, si la caisse a recouru avec les Hôpitaux X.________ en 1996
contre
le jugement cantonal, elle n'en avait pas moins informé préalablement
les
recourants que les chances de succès étaient de 50 % et qu'en cas de
décision
définitive défavorable (activité qualifiée de salariée) elle
réclamerait
alors les cotisations paritaires aux Hôpitaux X.________
(procès-verbal de
l'audition de L.________ par la commission, du 22 mars 2000). Les
recourants
ne peuvent dès lors pas faire valoir qu'ils ont pris des dispositions
sur
lesquelles ils ne peuvent revenir dans la certitude que les
cotisations
paritaires arriérées ne leur seraient pas réclamées.

Les recourants ne peuvent non plus se prévaloir d'un cas limite, où
ni les
caractéristiques d'une activité dépendante ni celles d'une activité
indépendante ne sont prédominantes (RCC 1989 465), ni d'une inégalité
de
traitement face aux situations rencontrées dans d'autres cantons.
Ainsi que
cela a été rappelé plus avant, il n'existe pas, en matière de
cotisations à
l'AVS, un statut unique ou générique de médecin employé dans un
établissement
public ayant la faculté de se constituer une clientèle privée. La
qualification se fait de cas en cas, au regard des particularités
d'organisation du travail et des conditions économiques propres à
chaque
établissement.

6.
La procédure n'est pas gratuite, s'agissant d'un litige qui ne porte
pas sur
l'octroi ou le refus de prestations d'assurance (art. 134 OJ a
contrario).

Le recourant, bien qu'il soit un établissement de droit public
cantonal, n'en
fait pas moins valoir un intérêt pécuniaire propre et n'agit pas en
qualité
d'organisme chargé de tâches de droit public. Il s'ensuit que des
frais de
justice peuvent être mis à sa charge (art. 156 al. 2 OJ; ATF 98 V
230) et
qu'il peut prétendre l'allocation de dépens dans la mesure où il
obtient gain
de cause et s'est fait assister d'un avocat (art. 159 al. 2 OJ).

Aucune des parties n'obtenant entièrement gain de cause, il convient
de
répartir les frais par moitiés entre elles (art. 156 al. 3 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce :

1.
Le recours est partiellement admis, en ce sens que le jugement
attaqué, du 24
novembre 2000, est annulé, la cause étant renvoyée à la commission
pour
instruction complémentaire et nouveau jugement au sens des
considérants.

2.
Les frais de justice, consistant en un émolument de 28 000 fr., seront
supportés par les parties, par moitié chacune; la part de ces frais à
charge
des Hôpitaux X.________ est couverte par l'avance de frais de 28 000
fr.
qu'ils ont versée; la différence, d'un montant de 14 000 fr. leur est
restituée.

3.
La caisse versera aux Hôpitaux X.________ la somme de 2500 fr. (y
compris la
taxe à la valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'ensemble de la
procédure.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la Commission
cantonale
genevoise de recours en matière d'assurance-vieillesse, survivants et
invalidité, aux parties intéressées ainsi qu'à l'Office fédéral des
assurances sociales.

Lucerne, le 20 août 2002
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIIe Chambre: Le Greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : H.74/01
Date de la décision : 20/08/2002
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-08-20;h.74.01 ?
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