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19/08/2002 | SUISSE | N°4C.145/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 19 août 2002, 4C.145/2002


{T 0/2}
4C.145/2002/sch

Arrêt du 19 août 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz, Klett, Rottenberg Liatowitsch et Favre,
greffier Carruzzo.

X. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me François Zutter, avocat,
boulevard
Helvétique 27, case postale 3055,
1211 Genève 3,

contre

Y.________,
défendeur et intimé, représenté par Me Olivier Cramer, avocat, rue de
la
Fontaine 9, case postale 3781, 1211 Genève 3.

modificat

ion conventionnelle du loyer en cours de bail

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière
de baux
...

{T 0/2}
4C.145/2002/sch

Arrêt du 19 août 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour,
Corboz, Klett, Rottenberg Liatowitsch et Favre,
greffier Carruzzo.

X. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me François Zutter, avocat,
boulevard
Helvétique 27, case postale 3055,
1211 Genève 3,

contre

Y.________,
défendeur et intimé, représenté par Me Olivier Cramer, avocat, rue de
la
Fontaine 9, case postale 3781, 1211 Genève 3.

modification conventionnelle du loyer en cours de bail

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière
de baux
et loyers du canton de Genève du 18 mars 2002)

Faits:

A.
Y. ________ a pris à bail des locaux commerciaux ä Genève, dans
lesquels il a
exploité jusqu'à fin avril 1994 un café-restaurant.

Par un contrat de gérance libre signé le 10 septembre 1993,
Y.________ a cédé
l'exploitation de son commerce à X.________ pour une durée de cinq
ans, soit
du 1er mai 1994 jusqu'au 30 avril 1999. Il était convenu que le
gérant devait
verser une redevance mensuelle de 10 000 fr. et que toute
augmentation de
loyer qui serait notifiée par le bailleur devrait être supportée par
le
gérant.

Avant que le contrat de gérance libre ne commence à déployer ses
effets, les
parties ont signé, le 14 septembre 1993, un document intitulé
"modifications
des contrats", qui prévoit que la redevance mensuelle due par le
gérant
s'élève à 12 000 fr.

Il est constant que X.________, dès le début de la gérance, a payé
mensuellement à Y.________ la somme de 10 000 fr., et non pas de 12
000 fr.

Le 1er janvier 1995, les parties ont signé un avenant au contrat de
gérance
libre, portant le montant de la gérance mensuelle à 12 000 fr.

Dès le 1er janvier 1995, X.________ a payé à Y.________ une redevance
mensuelle de 12 000 fr.

Le contrat a pris fin à son échéance, le 30 avril 1999.

Les parties ont alors formulé des prétentions réciproques sur
lesquelles il
n'y a pas lieu de revenir, parce qu'elles ne sont aujourd'hui plus
litigieuses. En revanche, les parties restent divisées sur la
validité de la
modification de la redevance intervenue le 1er janvier 1995. Le gérant
soutient qu'il s'agit d'une augmentation du fermage, qui est nulle
pour
n'avoir pas été notifiée sur une formule officielle; il réclame en
conséquence, à ce titre, la restitution de 104 000 fr. avec intérêts
à 5 %
dès le 1er mars 1997. Y.________ s'oppose à cette demande en faisant
valoir
qu'il s'agit d'une convention valablement conclue.

B.
X.________ ayant déposé devant les tribunaux genevois une demande en
paiement
datée du 14 septembre 1999, le Tribunal des baux et loyers du canton
de
Genève, par jugement du 21 juin 2001, a condamné le défendeur
Y.________ à
verser au demandeur la somme de 104 000 fr. avec intérêts à 5 % dès
le 1er
mars 1997 sous imputation de 8971 fr.70 avec intérêts à 5 % dès le
1er mai
1999 (cette somme se rapportait aux prétentions réciproques qui ne
sont
aujourd'hui plus litigieuses). En substance, le Tribunal a retenu
qu'il y
avait eu une majoration du fermage, laquelle était nulle pour n'avoir
pas été
notifiée sur la formule officielle requise.

Saisie d'un appel du défendeur, la Chambre d'appel en matière de baux
et
loyers, par arrêt du 18 mars 2002, a condamné le demandeur à verser au
défendeur la somme de 8971 fr.70, avec intérêts à 5 % dès le 1er mai
1999, et
ordonné la libération en faveur du demandeur de la garantie bancaire,
sous
imputation du montant dû au défendeur. La cour cantonale a retenu que
le
montant de 12 000 fr. était déjà prévu dans l'accord du 14 septembre
1993 et
constituait donc un fermage initial, pour lequel la formule officielle
n'était pas exigée; par ailleurs, elle a considéré que l'objection du
demandeur constituait un abus de droit dès lors qu'il s'était
acquitté du
nouveau fermage pendant près de quatre ans et demi sans l'avoir
jamais remis
en cause.

C.
Le demandeur interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral.
Invoquant
une violation de l'art. 269d al. 2 let. a CO et de l'art. 2 al. 2 CC,
il
conclut à l'annulation de la décision attaquée et à ce que sa partie
adverse
soit condamnée à lui verser la somme de 104 000 fr. avec intérêts à 5
% dès
le 1er mars 1997, sous imputation du montant de 8971 fr.70 avec
intérêts à 5
% dès le 1er mai 1999, la garantie bancaire devant être libérée en sa
faveur.

Le défendeur propose le rejet du recours et la confirmation de
l'arrêt
attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions en
paiement
et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance
cantonale par
un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile
dont la
valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ), le
recours en
réforme est en principe recevable, puisqu'il a été formé en temps
utile (art.
54 al. 1 et 34 al. 1 let. a OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).

1.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral,
mais
non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art.
43 al. 1
OJ) ou pour violation du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c;
126 III
189 consid. 2a, 370 consid. 5).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve
n'aient
été violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations
reposant sur
une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille
compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis
(art. 64
OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a). Lorsque,
comme c'est
le cas en l'espèce, la cour cantonale adopte l'état de fait dressé par
l'instance inférieure, le Tribunal fédéral est également lié par
celui-ci
(Corboz, Le recours en réforme, SJ 2000 II p. 61). Dans la mesure où
une
partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui
contenu dans
la décision attaquée sans se prévaloir avec précision de l'une des
exceptions
qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir
compte (ATF
127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les
constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux
(art. 55
al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est pas ouvert pour
remettre en
cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en
découlent (ATF 127 III 547 consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a; 125
III 78
consid. 3a).

Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des
parties, mais
il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1
OJ), ni par
l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al.
3 OJ;
ATF 128 III 22 consid. 2e/cc p. 29; 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59
consid. 2a). Le Tribunal fédéral peut donc admettre un recours pour
d'autres
motifs que ceux invoqués par le recourant; il peut aussi rejeter un
recours
en opérant une substitution de motifs, c'est-à-dire en adoptant une
autre
argumentation juridique que celle retenue par la cour cantonale (ATF
127 III
248 consid. 2c).

2.
2.1 Il ressort des constatations souveraines des juridictions
cantonales que
les parties sont convenues que le défendeur cédait au demandeur
l'exploitation de son café-restaurant entièrement équipé, moyennant
paiement
d'une redevance mensuelle.

La première question à résoudre est de savoir si le contrat doit être
qualifié de bail à loyer (art. 253 CO) ou de bail à ferme non
agricole (art.
275 CO).

Le bail à ferme se distingue du bail à loyer par l'objet du contrat.
Le
bailleur ne cède pas à son cocontractant l'usage de n'importe quelle
chose,
mais l'usage d'un bien ou d'un droit productif, dont le fermier peut
percevoir les fruits ou les produits (cf. art. 275 CO). Il y a bail à
ferme
notamment lorsque le bailleur cède l'exploitation d'une entreprise
entièrement équipée, c'est-à-dire d'un outil de production; en
revanche, il
faut retenir la qualification de bail à loyer s'il cède des locaux
qu'il
appartient au cocontractant d'aménager pour en faire une entreprise
productive (arrêt 4C.43/2000 du 21 mai 2001, consid. 2a). La mise en
gérance
libre d'un établissement public complètement équipé donne lieu à un
bail à
ferme non agricole (Lachat, Le bail à loyer, p. 55 n. 2.1; Tercier,
Les
contrats spéciaux, 2e éd., n. 2172). Compte tenu des prestations
convenues en
l'espèce, il n'est pas douteux que le contrat conclu entre les
parties doit
être qualifié de bail à ferme non agricole.

2.2 Après la conclusion du bail à ferme du 10 septembre 1993, qui
prévoit une
redevance mensuelle de 10 000 fr., les parties ont signé deux autres
documents, datés respectivement du 14 septembre 1993 et du 1er
janvier 1995,
qui portent la redevance mensuelle à 12 000 fr. Le litige qui oppose
les
parties concerne partiellement l'interprétation de ces deux documents
et il
convient préalablement de rappeler les principes applicables.

En présence d'un litige sur l'interprétation d'un contrat, le juge
doit tout
d'abord s'efforcer de déterminer la commune et réelle intention des
parties,
sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles
ont pu
se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de
la
convention (art. 18 al. 1 CO; ATF 127 III 444 consid. 1b). Il faut
rappeler
qu'un accord peut résulter non seulement de déclarations expresses
concordantes, mais aussi d'actes concluants (art. 1 al. 2 CO).

Déterminer ce qu'un cocontractant savait et voulait au moment de
conclure
relève des constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral (ATF
118 II 58
consid. 3a; 113 II 25 consid. 1a p. 27). Si la cour cantonale
parvient à se
convaincre d'une commune et réelle intention des parties, il s'agit
d'une
constatation de fait qui ne peut être remise en cause dans un recours
en
réforme (ATF 126 III 25 consid. 3c, 375 consid. 2e/aa; 125 III 305
consid.
2b, 435 consid. 2a/aa).

Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si elle
est
divergente, le juge doit interpréter les déclarations et les
comportements
selon la théorie de la confiance (cf. ATF 127 III 444 consid. 1b). Il
doit
donc rechercher comment une déclaration ou une attitude pouvait être
comprise
de bonne foi en fonction de l'ensemble des circonstances (cf. ATF 126
III 59
consid. 5b p. 68, 375 consid. 2e/aa p. 380). Il doit être rappelé que
le
principe de la confiance permet d'imputer à une partie le sens
objectif de sa
déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond
pas à sa
volonté intime (ATF 127 III 279 consid. 2c/ee p. 287; Wiegand,
Commentaire
bâlois, n. 8 ad art. 18 CO; Kramer, Commentaire bernois, n. 101 s. ad
art.
1er CO; Eugen Bucher, Commentaire bâlois, n. 6 ad art. 1er CO; Engel,
Traité
des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 216 s.).

L'application du principe de la confiance est une question de droit
que le
Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, peut examiner
librement (ATF
127 III 248 consid. 3a; 126 III 25 consid. 3c, 59 consid. 5a, 375
consid.
2e/aa). Pour trancher cette question de droit, il faut cependant se
fonder
sur le contenu de la manifestation de volonté et sur les
circonstances,
lesquelles relèvent du fait (ATF 126 III 375 consid. 2e/aa; 124 III
363
consid. 5a; 123 III 165 consid. 3a).

En l'espèce, il n'apparaît pas que la cour cantonale se soit
convaincue d'une
réelle et commune intention des parties; elle s'est au contraire
efforcée
d'interpréter, selon le principe de la confiance, les documents
produits et
les circonstances. Il s'agit donc d'une question de droit que le
Tribunal
fédéral peut revoir librement.

2.3 Le bail à ferme est daté du 10 septembre 1993 et prévoit une
redevance
mensuelle de 10 000 fr. L'accord intitulé "modifications des
contrats" est
daté du 14 septembre 1993 et prévoit une redevance mensuelle de 12
000 fr.
Comme les deux contenus sont incompatibles (10 000 ou 12 000 fr.), il
ne peut
s'agir d'un complément, mais bien d'une modification. Eu égard à la
chronologie des documents (10 septembre 1993 et 14 septembre 1993),
il faut
retenir que le second document est destiné à modifier le premier, ce
qui est
d'ailleurs conforme à son sens littéral, puisqu'il parle de
modification. Il
faut donc en déduire que les parties sont convenues, le 14 septembre
1993,
que la redevance mensuelle serait de 12 000 fr., et non pas de 10 000
fr.
comme le prévoyait l'accord antérieur daté du 10 septembre 1993.

Il n'en demeure pas moins que dès le début de l'exploitation (le 1er
mai
1994), et pendant huit mois (jusqu'au 1er janvier 1995), le demandeur
a payé
10 000 fr. par mois, et non pas 12 000 fr., sans qu'aucune opposition
de la
part du défendeur n'ait été établie ni même alléguée. Les parties ont
estimé
nécessaire de conclure un avenant, le 1er janvier 1995, pour porter la
redevance à 12 000 fr., ce qui montre bien que, dans leur esprit,
l'accord du
14 septembre 1993 n'avait pas cet effet.
Il est vraisemblable que les parties ont conclu, après le
14
septembre 1993,
un accord oral - qui n'a pas été prouvé dans la procédure - à l'effet
d'annuler la redevance prévue le 14 septembre 1993 et de s'en tenir au
chiffre initial figurant dans le contrat du 10 septembre 1993. Quoi
qu'il en
soit, il résulte de manière suffisante des circonstances (le paiement
pendant
huit mois sans opposition et la conclusion d'un nouvel accord le 1er
janvier
1995) que les parties sont convenues, au moins par actes concluants,
de
renoncer au chiffre figurant dans l'accord du 14 septembre 1993 et de
s'en
tenir à celui prévu dans le contrat initial.

Sur ce point, l'opinion du demandeur doit être approuvée. Cela ne
suffit
cependant pas pour conclure à l'admission du recours, puisque - comme
on l'a
vu - un recours peut être rejeté par substitution de motifs.

2.4 Il faut ensuite s'interroger sur la validité juridique de
l'avenant signé
par les parties le 1er janvier 1995 et portant la redevance, dès
cette date,
à 12 000 fr. par mois.

Il résulte de l'art. 253b al. 1 CO que les dispositions sur la
protection
contre les loyers abusifs s'appliquent par analogie aux baux à ferme
non
agricoles. Le recourant se prévaut de l'art. 269d al. 2 let. a CO, qui
prévoit que les majorations de loyer sont nulles lorsqu'elles ne sont
pas
notifiées au moyen de la formule officielle. Il est constant en
l'espèce
qu'il n'y a pas eu de notification à l'aide d'une formule officielle.
La
question qu'il faut cependant résoudre - et qui semble avoir échappé
à la
cour cantonale - est de savoir si l'on se trouve dans un cas
d'application de
l'art. 269d CO.

2.4.1 Cette disposition s'intitule "augmentations de loyer et autres
modifications unilatérales du contrat par le bailleur". S'agissant de
la
majoration du loyer, elle vise l'hypothèse où le bailleur veut
majorer le
loyer pour le prochain terme de résiliation (cf. art. 269d al. 1 1ère
phrase
CO). La référence au prochain terme de résiliation s'impose parce que
les
parties, en vertu du principe de la fidélité contractuelle, sont
liées par
leur accord jusqu'à l'échéance et que le bailleur ne pourrait donc pas
modifier unilatéralement le loyer avant l'échéance (Weber/ Zihlmann,
Commentaire bâlois, 2e éd., n. 5 ad art. 269d CO; SVIT-Kommentar, n.
10 ad
art. 269d CO; Lachat, op. cit., p. 267 n. 3.1.8), sous réserve d'une
clause
d'indexation ou d'échelonnement (SVIT-Kommentar, n. 8 ad art. 269d CO
;
Lachat, ibid.).

Il est donc admis que l'art. 269d CO n'est pas applicable dans le cas
d'un
contrat de bail de durée déterminée, parce que celui-ci, par
définition,
prend fin à l'échéance et qu'il n'est donc pas question d'une
majoration de
loyer dite unilatérale à partir du prochain terme de
résiliation
(arrêt 4C.496/1994 du

28 mars 1995, consid. 2a, publié in Pra 1996 n° 129 p. 425;
Weber/Zihlmann,
op. cit., n. 1 ad art. 269d CO; SVIT-Kommentar, n. 7 ad art. 269d;
Higi,
Commentaire zurichois, n. 20 ad art. 257 CO; Honsell, Schweizerisches
Obligationenrecht, BT, 6e éd., p. 235).

En l'espèce, l'arrêt cantonal et le jugement de première instance
(auquel
l'arrêt se réfère) décrivent le bail à ferme comme un contrat de durée
déterminée. Il apparaît cependant que les autorités cantonales n'ont
pas
saisi le problème juridique qui se posait et qu'il est possible de
compléter
l'état de fait sur ce point secondaire en fonction du contrat versé au
dossier, auquel les deux parties et les juridictions cantonales se
réfèrent
expressément (cf. art. 64 al. 2 OJ). Il résulte de l'art. 3 du
contrat de
gérance libre que celui-ci devait être reconduit tacitement d'année
en année,
sauf congé donné trois mois avant l'échéance. Il s'agit donc d'un
contrat de
durée indéterminée et l'application de l'art. 269d CO n'est pas
exclue pour
ce motif.

Il reste cependant à examiner si le bailleur a voulu augmenter le
fermage
"pour le prochain terme de résiliation" selon la formule de l'art.
269d al. 1
CO. On sait qu'une erreur sur la date d'échéance peut conduire à un
simple
report à la première date utile si on peut penser que ce report reste
compatible avec la volonté du bailleur (cf. ATF 107 II 189 consid.
3). En
l'espèce, les parties sont convenues le 1er janvier 1995 d'une
modification
du fermage prenant effet immédiatement. Selon le principe de la
confiance, on
ne peut pas déduire de l'attitude du défendeur que celui-ci voulait
une
augmentation du fermage qui ne prendrait effet qu'à l'échéance, soit
le 30
avril 1999. L'importance du délai d'attente (plus de quatre ans) ne
permet
pas de penser que telle était la volonté des parties; il n'y avait
d'ailleurs
aucune certitude que le contrat serait reconduit à son échéance et il
ne l'a
effectivement pas été.

On ne peut donc pas déduire des circonstances, selon le principe de
la bonne
foi, une volonté du défendeur de majorer le montant du fermage pour le
prochain terme de résiliation, soit le 30 avril 1999. On ne se trouve
donc
pas dans l'hypothèse visée par l'art. 269d CO, à savoir celle d'une
augmentation unilatérale par le bailleur pour le prochain terme de
résiliation. Cette disposition n'est dès lors pas applicable.

2.4.2 Les dispositions sur la protection contre les loyers abusifs
n'empêchent pas les parties, en vertu de la liberté contractuelle, de
convenir en tout temps de modifier le contenu de leur contrat, et
cela même
en cours de bail (SVIT-Kommentar, n. 14 ad art. 269d CO).

La faculté donnée au bailleur de demander unilatéralement une
augmentation du
loyer pour le prochain terme de résiliation (sur cette figure
juridique: cf.
Honsell, op. cit., p. 236) n'exclut pas que les parties puissent
convenir
valablement, sans l'usage d'une formule officielle, d'augmenter le
loyer pour
l'échéance (arrêt 4C.496/1994 du 28 mars 1995, consid. 2b, publié in
Pra 1996
n° 129 p. 425, in mp 1995 p. 145 et in MRA 1995 p. 256; arrêt
4C.117/1998 du
28 août 1998, consid. 2, publié in Pra 1999 n° 8 p. 44; arrêt
4C.134/2001 du
18 octobre 2001, consid. 2b; Higi, op. cit., n. 13 ad art. 269d CO;
Lachat,
op. cit., p. 265 s. n. 3.1.4).

Les dispositions impératives de la loi ne doivent cependant pas être
éludées.
Il ne suffirait pas, pour admettre une majoration conventionnelle,
qu'un
bailleur, dans une situation de majoration unilatérale, fasse signer
au
locataire un document qu'il a lui-même préparé. Pour respecter le but
protecteur de l'art. 269d al. 2 CO, une modification consensuelle du
contrat
de bail n'est admissible que s'il résulte des circonstances que le
locataire
(ou le fermier) était suffisamment informé de ses droits et qu'il n'a
pas
consenti sous la menace d'une résiliation (arrêt 4C.134/2001 du 18
octobre
2001, consid. 2b; ATF 123 III 74 consid. 3b).

Il apparaît cependant d'emblée en l'espèce que l'on ne se trouve pas
dans une
hypothèse où l'avenant conclu le 1er janvier 1995 pourrait avoir
éludé le
régime de protection prévu par les art. 269 ss CO. En effet, la
formule
officielle, exigée par l'art. 269d al. 1 2ème phrase CO, ne vise que
l'hypothèse où le bailleur veut majorer le loyer pour le prochain
terme de
résiliation (art. 269d al. 1 1ère phrase CO). Dès lors que le
défendeur ne
voulait pas modifier le fermage pour le prochain terme de
résiliation, soit
le 30 avril 1999, il ne pouvait utiliser la formule officielle. La
possibilité pour le fermier de demander à l'autorité de s'assurer que
le
rendement n'était pas excessif (art. 269 s. CO) n'existait pas étant
donné
que, en l'absence d'une clause d'indexation ou d'échelonnement, toute
possibilité d'augmenter unilatéralement le fermage en cours de bail
est
exclue. En réalité, le recourant se trouvait dans une situation bien
plus
confortable que le locataire qui, recevant une majoration
unilatérale, est
exposé à ce que la hausse soit déclarée non abusive; il lui suffisait
en
effet de refuser de signer l'avenant pour que toute modification du
fermage
soit exclue avant l'échéance, le 1er avril 1999.

Ses droits étaient tellement évidents qu'ils ne nécessitaient aucune
information par le moyen d'une formule officielle. Qu'on lui ait
demandé de
signer un avenant montre bien que la modification n'était pas
possible sans
sa signature. Chacun sait qu'il ne doit pas signer un document avec
lequel il
n'est pas d'accord. En tant que commerçant, le demandeur ne pouvait
pas
ignorer qu'il avait conclu un contrat jusqu'au 30 avril 1999 et que
les
contrats doivent être respectés. Il était donc à l'abri d'une
résiliation
avant longtemps et n'avait de toute manière aucune assurance que le
contrat
serait renouvelé après son échéance. Les montants en jeu étaient
relativement
importants (le fermage a été augmenté de 10 000 à 12 000 fr. par mois
et le
bail à ferme évoque un chiffre d'affaires mensuel minimum de 60 000
fr.), de
sorte que l'on pouvait attendre du demandeur qu'il s'entoure de
conseils
éclairés; il était d'ailleurs parfaitement en mesure de le faire,
puisqu'il
résulte des constatations cantonales qu'il était assisté d'une
fiduciaire à
l'époque de la conclusion et qu'il a consulté l'ASLOCA dès les
premières
difficultés à l'échéance du contrat; or, il a déjà été jugé que l'on
pouvait
admettre qu'un commerçant assisté d'une fiduciaire est en principe au
courant
de ses droits (arrêt 4C.496/1994 du 28 mars 1995, consid. 2c, publié
in Pra
1996 n° 129 p. 425). On ne trouve d'ailleurs, dans l'état de fait
déterminant, aucun élément qui puisse donner à penser que la
signature du
demandeur, sur l'acte du 1er janvier 1995, ne résulterait pas d'une
volonté
libre et éclairée.

On peut certes se demander pourquoi le demandeur a accepté, en cours
de bail,
une augmentation du fermage. Il l'avait cependant déjà acceptée par
l'acte du
14 septembre 1993. Il est probable que les parties ont renoncé
consensuellement à cette augmentation parce que le demandeur ne
voulait pas
s'engager avant de connaître le chiffre d'affaires qu'il pouvait
effectivement réaliser; il est vraisemblable que les parties, en
renonçant à
la modification du 14 septembre 1993, étaient convenues sur l'honneur
d'en
rediscuter ultérieurement et c'est sans doute ce qui explique
l'acceptation
de l'avenant du 1er janvier 1995, le demandeur souhaitant peut-être
également
conserver ses chances d'une éventuelle reconduction du contrat. Quoi
qu'il en
soit, le consentement du demandeur n'est affecté d'aucun vice et lie
donc
son auteur.

L'existence d'un libre consentement est encore confirmée par le
déroulement
ultérieur des faits, puisque le demandeur a payé le fermage modifié
pendant
plus de quatre ans sans émettre la moindre protestation, montrant
bien que
cette situation était conforme à sa volonté.

2.4.3 L'avenant du 1er janvier 1995 a fixé conventionnellement un
nouveau
fermage. On peut assimiler celui-ci à un fermage initial (dans ce
sens: Higi,
op. cit., n. 185 ad art. 269d CO et n. 25 ad art. 270 CO; Honsell,
op. cit.,
p. 235). Le droit fédéral n'exige cependant pas l'utilisation d'une
formule
officielle pour communiquer un fermage initial (cf. art. 270 CO) et,
dès lors
qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un logement, le droit cantonal ne
pourrait
pas non plus l'imposer (art. 270 al. 2 CO; ATF 117 Ia 328 consid. 3d).

On se trouve ainsi en présence d'une modification conventionnelle du
fermage
qui a été valablement conclue et n'exigeait pas l'emploi d'une formule
officielle. En conséquence, l'arrêt attaqué, dans son résultat, ne
viole pas
le droit fédéral et le recours doit être rejeté.

3.
Les frais et dépens doivent être mis à la charge du recourant qui
succombe
(art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté et l'arrêt attaqué est confirmé.

2.
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le recourant versera à l'intimé une indemnité de 7000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 19 août 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.145/2002
Date de la décision : 19/08/2002
1re cour civile

Analyses

Bail à ferme non agricole; modification conventionnelle du fermage en cours de bail (art. 253b al. 1 et 269d CO). Distinction entre le bail à ferme et le bail à loyer (consid. 2.1). L'art. 269d CO n'est pas applicable dans le cas d'un contrat de bail de durée déterminée, ni dans l'hypothèse où les parties, liées par un bail de durée indéterminée, conviennent de modifier le loyer avec effet immédiat (consid. 2.4.1). Conditions d'une modification conventionnelle du loyer (consid. 2.4.2 et 2.4.3).


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-08-19;4c.145.2002 ?
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