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09/08/2002 | SUISSE | N°1P.239/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 août 2002, 1P.239/2002


{T 0/2}
1P.239/2002/col

Arrêt du 9 août 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Féraud,
greffier Zimmermann.

S. ________,
recourant, représenté par Me Douglas Hornung, avocat, rue du Rhône
84, case
postale 3200, 1211 Genève 3,

contre

O.________, représenté par Me Pascal Maurer, avocat, rue
Ferdinand-Hodler 15,
case postale 360, 1211 Genève 17,
C.________ en liquidation par voie d

e faillite,
représentée par MMes Eric Hess et Pierre-Alain Schmidt, avocats, rue
de
Beaumont 3, 1206 Genève, intimés,
Jug...

{T 0/2}
1P.239/2002/col

Arrêt du 9 août 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Reeb, Féraud,
greffier Zimmermann.

S. ________,
recourant, représenté par Me Douglas Hornung, avocat, rue du Rhône
84, case
postale 3200, 1211 Genève 3,

contre

O.________, représenté par Me Pascal Maurer, avocat, rue
Ferdinand-Hodler 15,
case postale 360, 1211 Genève 17,
C.________ en liquidation par voie de faillite,
représentée par MMes Eric Hess et Pierre-Alain Schmidt, avocats, rue
de
Beaumont 3, 1206 Genève, intimés,
Juge d'instruction du canton de Genève, case postale 3344, 1211
Genève 3,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1,
case
postale 3108, 1211 Genève 3.

refus de levée de saisies,

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre
d'accusation du
canton de Genève du 7 mars 2002.

Faits:

A.
La société C.________ (ci-après: la Société) a son siège à Genève.
Elle a été
inscrite au Registre du commerce le 16 février 1995. Le 27 mars 1997,
son
capital social était de 40'650'000 fr. et son but "la conduite
d'activités et
l'offre de services en matière financière et commerciale, la gestion
de
risques de change, la prise et l'administration de participations à
d'autres
sociétés analogues". Concrètement, la Société gérait les opérations
du Groupe
C.________ (ci-après: le Groupe). Celui-ci, spécialisé dans la vente
en gros
de matériel informatique, a son siège à Miami. A l'instar de celle du
Groupe,
la situation de la Société s'est détériorée en 1999. Le 29 février
2000, la
société T.________, organe de révision de la Société depuis sa
création, a,
conformément à l'art. 729b al. 2 CO, averti le juge du surendettement
de la
Société, pour un montant d'au moins 4'000'000 fr. Cet avis faisait
notamment
état d'une garantie, d'un montant de 70'000'000 USD, consentie par la
Société
en faveur de la société A.________, fournisseur de la société
C.________
GmbH, appartenant au Groupe et domiciliée à Zoug. Cette garantie ne
figurait
pas dans les comptes de la Société et T.________ prétendait n'en
avoir jamais
eu connaissance. Le 3 mars 2000, le Crédit suisse, créancier de la
Société
pour un montant de 23'119'767 fr., a demandé la mise en faillite de
celle-ci,
sans poursuite préalable.

Le 25 mai 2000, le Tribunal de première instance du canton de Genève a
prononcé la faillite de la Société, dont le passif s'élevait à près de
200'000'000 fr., et confié la liquidation de celle-ci à une
administration
spéciale provisoire. Cette décision est entrée en force.

S. ________ a exercé les fonctions de président du conseil
d'administration
de la Société, de sa création jusqu'au 10 février 2000. O.________,
fondateur
du Groupe, a exercé la fonction de président directeur général de la
Société
et de membre du conseil d'administration de celle-ci, dès sa création.

B.
Le 20 juin 2000, le Procureur général du canton de Genève a ouvert une
information pénale contre S.________ et O.________, soupçonnés de
banqueroute
frauduleuse (art. 163 CP), de gestion fautive (art. 165 CP), de
violation de
l'obligation de tenir une comptabilité (art. 166 CP) et de faux dans
les
titres (art. 251 CP), commis en relation avec la gestion de la
Société.

Le 24 juin 2000, le Juge d'instruction a inculpé O.________ de gestion
fautive. Il a inculpé S.________, du même chef, le 26 juin 2000. Il
leur a
reproché d'avoir causé le surendettement de la Société par des fautes
de
gestion, soit une dotation insuffisante en capital, l'octroi ou
l'utilisation
à la légère de crédits et une négligence coupable dans
l'administration de la
Société. En particulier, les prévenus auraient obtenu des crédits en
sachant
que les garanties offertes par le Groupe n'étaient pas suffisantes;
ils
auraient fait prendre par la Société, notamment au travers de la
garantie
émise en faveur de A.________, des engagements dont ils savaient que
la
Société ne pourrait y faire face; ils auraient caché l'existence de
ces
garanties et omis de prendre les mesures nécessaires, sur le plan
comptable,
pour assurer le contrôle de ces engagements.

Le 23 novembre 2000, la société C.________ en liquidation par voie de
faillite, représentée par l'administration spéciale, a été admise à la
procédure comme partie civile.

Le 20 avril 2001, l'administration spéciale de la faillite de la
Société a
adressé au Juge d'instruction un rapport au sujet de celle-ci. Selon
ce
document, la Société était surendettée en 1997 déjà, pour un montant
de
54'000'000 fr. En 1998, la Société se serait trouvée virtuellement en
faillite. A la même période, O.________ et S.________ se seraient
octroyés
des avantages indus au regard de la situation effective de la
Société. En
particulier, S.________ avait acquis, le 1er janvier 1999, un lot
d'une
copropriété par étage, relatif à un immeuble sis à Verbier, d'une
valeur
estimative de 1'000'000 fr.

Le 11 juin 2001, le Juge d'instruction a adressé aux banques une
circulaire
ordonnant la remise de la documentation relative à tous les comptes
détenus
ou dominés notamment par S.________, ainsi que le blocage de ces
comptes. Sur
la base des réponses données par les divers établissements concernés,
ont
notamment été saisis plusieurs comptes détenus par S.________, parmi
lesquels, auprès de l'UBS à Genève, les comptes n°xxx, yyy et zzz.

Le 12 juin 2001, le Juge d'instruction a ordonné, auprès du Préposé au
Registre foncier de Martigny, la saisie conservatoire du lot de
copropriété
relatif au chalet "X.________", à Verbier.

Le 25 juin 2001, S.________ a demandé la levée de ces séquestres, en
faisant
valoir qu'il n'existerait aucun lien entre les biens saisis et
l'éventuel
produit de l'infraction qui lui était reprochée. Entendu par le Juge
d'instruction le 26 juin 2001, il a précisé que les fonds se trouvant
sur les
comptes bancaires saisis provenaient d'un héritage, de son salaire,
ainsi que
de gains boursiers. Quant au chalet de Verbier, son acquisition avait
été
financée par un prêt hypothécaire consenti par la Banque cantonale du
Valais,
d'une part, et par un prélèvement sur son fonds de prévoyance
professionnelle, d'autre part.

Entendu par le Juge d'instruction les 10 octobre, 1er, 2 et 12
novembre 2001,
S.________ s'est expliqué à propos de ses conditions salariales, des
mouvements opérés sur le compte courant ouvert à son nom et de
rémunérations
particulières qu'il aurait reçues.

Le 19 novembre 2001, S.________ a réitéré sa demande de levée des
séquestres.
Le 14 décembre 2001, le Juge d'instruction a rejeté cette requête, en
maintenant les séquestres jusqu'à la fin de l'audition de S.________,
à
l'égard duquel l'accusation pourrait être étendue.

Lors de l'audience du 10 janvier 2002, S.________ a déclaré vouloir
dorénavant user de son droit de se taire.

Le 7 mars 2002, la Chambre d'accusation du canton de Genève a rejeté
le
recours formé par S.________ contre la décision du 14 décembre 2001,
qu'elle
a confirmée.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, S.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler la décision du 7 mars 2002 et d'ordonner
la levée
des séquestres touchant ses comptes bancaires et le chalet de
Verbier. Il
invoque les art. 9 et 26 Cst. Il requiert l'assistance judiciaire.

La Chambre d'accusation se réfère à sa décision. Le Juge
d'instruction, le
Procureur général et C.________, en faillite, proposent le rejet du
recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Malgré son caractère incident (cf. ATF 123 I 325 consid. 3b p.
327; 122 I
39 consid. 1a/aa p. 41; 120 Ia 369 consid. 1b p. 372, et les arrêts
cités),
la décision refusant la levée du séquestre pénal cause à la personne
privée
temporairement de la libre disposition des objets ou avoirs
séquestrés un
dommage irréparable au sens de l'art. 87 al. 2 OJ (ATF 89 I 185
consid. 4 p.
187; 126 I 97 consid. 1b p. 101; 118 II 369 consid. 1 p. 371, et les
arrêts
cités). Le recours est recevable à cet égard.

1.2 Hormis des exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de
droit
public n'a qu'un effet cassatoire (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 128
III 50
consid. 1b p. 53; 126 I 213 consid. 1c p. 216/217; 126 II 377 consid.
8c p.
395; 126 III 534 consid. 1b p. 536, et les arrêts cités). Les
conclusions du
recours tendant à la levée des séquestres litigieux, allant au-delà de
l'annulation de la décision attaquée, sont ainsi irrecevables.

1.3 Aux termes de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit
contenir
un exposé des droits constitutionnels ou des principes juridiques
violés,
précisant en quoi consiste la violation. Le Tribunal fédéral examine
uniquement les griefs soulevés devant lui de manière claire et
détaillée (ATF
128 II 50 consid. 1c p. 53/54; 127 I 38 consid. 4 p. 43; 126 III 534
consid.
1b p. 536; 125 I 71 consid. 1c p. 76, 492, et les arrêts cités).

L'acte de recours contient un exposé des faits qui constitue une
critique
globale de la procédure cantonale. Ces éléments, présentés
indépendamment des
griefs énoncés dans la partie suivante de l'acte de recours, sont
incompatibles, en raison de leur caractère appellatoire, avec la
nature du
recours de droit public.

Le recourant demande la levée des séquestres portant sur tous les
comptes
dont il est le titulaire, en particulier les comptes n°yyy, xxx et
zzz, en
exposant que le montant des avoirs saisis atteindrait environ
1'500'000 fr.
Hormis la référence à ces trois derniers comptes, le recourant n'a
établi
aucune liste des autres comptes litigieux, dont le dossier de la
procédure ne
contient au demeurant aucun inventaire, ni démontré, pièces à
l'appui, sur
quels comptes et sur quel montant portaient les séquestres qu'il
conteste.
Quant à l'allégation selon laquelle le montant des avoirs bloqués
s'élèverait
à 1'500'000 fr. environ, elle n'est pas davantage étayée par des
documents
précis. Le second moyen fondé sur le principe de la proportionnalité
est
irrecevable pour ce motif (consid. 3.3. ci-dessous).

2.
Le recourant se plaint d'une violation arbitraire de l'art. 181 al. 1
CPP/GE,
à teneur duquel le juge d'instruction saisit les objets et les
documents
ayant servi à l'infraction ou qui en sont le produit, ou qui sont
utiles à la
manifestation de la vérité.

2.1 Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme
ou un
principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une
manière
choquante le sentiment de la justice et de l'équité; à cet égard, le
Tribunal
fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de
dernière instance que si elle apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs
et en
violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les
motifs de la
décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que cette
dernière
soit arbitraire dans son résultat (ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56, 60
consid.
5a p. 70; 126 I 168 consid. 3a p. 170; 125 I 10 consid. 3a p. 15, 166
consid.
2a p. 168, et les arrêts cités). Il n'y a pas arbitraire du seul fait
qu'une
autre interprétation de la loi soit possible, ou même préférable (ATF
124 I
247 consid. 5 p. 250/251; 120 Ia 369 consid. 3a p. 373, 118 Ia 497
consid. 2a
p. 499, et les arrêts cités).

2.2 Les séquestres litigieux constituent des mesures provisionnelles
destinées à permettre, le cas échéant, l'exécution des décisions du
juge de
l'action pénale relatives aux confiscations prévues par les art. 58
et 59 CP.
La saisie au sens de l'art. 181 CPP/GE peut ainsi porter sur tout
bien qui
pourrait être confisqué selon ces règles du droit fédéral (arrêt
1P.94/1990
du 15 juin 1990, consid. 4a).

2.2.1 Aux termes de l'art. 59 al. 1 CP, le juge prononcera la
confiscation
des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction ou qui
étaient destinées à décider ou à récompenser l'auteur d'une
infraction. Sont
considérés comme des valeurs patrimoniales au sens de cette
disposition tous
les avantages économiques illicites appréciables en argent. Il s'agit
non
seulement des choses matérielles, telles que l'argent en espèces, les
pierres
précieuses ou les bien-fonds, mais aussi les droits réels limités, les
créances (notamment, comme en l'espèce, les avoirs bancaires), les
papiers-valeurs et les droits immatériels (cf. ATF 119 IV 10 consid.
4c/bb p.
16, 17 consid. 2c p. 22; 115 IV 175 consid. 1 p. 177/178; 110 IV 8).
Les
avoirs et l'immeuble litigieux entrent dans le champ d'application de
l'art.
59 CP; ils correspondent aussi à la notion d'objet visée par l'art.
181 al. 1
CPP/GE. Le recourant ne le conteste pas, au demeurant.

2.2.2 Les valeurs patrimoniales saisies selon l'art. 59 al. 1 CP
doivent
provenir de l'infraction dont elles sont le résultat. Il doit donc
exister,
entre l'infraction et l'obtention de ces valeurs, un lien de
causalité tel
que les secondes apparaissent comme la conséquence directe et
immédiate de la
première. Tel est le cas, en particulier, lorsque l'obtention des
valeurs
patrimoniales est un élément objectif ou subjectif de l'infraction ou

qu'elle
constitue un avantage direct découlant de la commission de
l'infraction. En
revanche, les valeurs patrimoniales ne peuvent être considérées comme
le
résultat de l'infraction lorsque celle-ci n'a que facilité leur
obtention
ultérieure par un acte subséquent sans lien de connexité immédiat
avec elle
(arrêts 6S.667/2000 du 19 février 2001, reproduit in: SJ 2001 I 330,
consid.
3a et 6S.819/1998 du 4 mai 1999, reproduit in: SJ 1999 I 417 et PJA
2000 p.
1030, consid. 2a).

En l'occurrence, le recourant est, en l'état de la procédure du moins,
inculpé uniquement de gestion fautive au sens de l'art. 165 ch. 1 CP.
Ce
délit dans la faillite ou la poursuite pour dettes, qui aurait été
commis
dans la gestion d'une personne morale, est aussi imputable au
directeur ou à
un membre de l'administration (art. 172 CP; ATF 115 IV 38 consid. 2
p. 40;
arrêt 6P.223/1999 du 18 avril 2000, consid. 9). Il réprime le fait,
pour le
débiteur d'avoir, par des fautes de gestion dans l'exercice de sa
profession
ou dans l'administration de ses biens, causé ou aggravé son
surendettement,
causé sa propre insolvabilité ou aggravé sa situation alors qu'il se
savait
insolvable. Se fondant sur le texte légal, le recourant en déduit
qu'il ne
peut découler de la gestion fautive au sens de l'art. 165 ch. 1 CP un
produit
de l'infraction donnant lieu à la confiscation selon l'art. 59 CP.

Cet argument n'est pas déterminant. Le 14 décembre 2001, le Juge
d'instruction a clairement laissé entendre qu'il se réservait la
faculté
d'inculper le recourant pour d'autres chefs, ce que l'art. 134 al. 1
CPP/GE
lui permettrait de faire. Sur le vu des développements de l'enquête,
outre la
banqueroute frauduleuse (art. 163 CP), la violation de l'obligation
de tenir
une comptabilité (art. 166 CP) et le faux dans les titres (art. 251
CP),
pourrait aussi être envisagée l'escroquerie (art. 146 CP) au
détriment des
créanciers de la Société. A ce stade de la procédure où la saisie se
rapporte
à des prétentions encore incertaines, la simple probabilité d'une
confiscation qui viendrait à être prononcée ultérieurement sur cette
base
doit être tenue pour suffisante (arrêt 1P.94/1990 du 15 juin 1990,
consid.
4a).

2.2.3 Pour admettre que le recourant aurait profité d'avantages
indus alors
que la Société était surendettée, la Chambre d'accusation a retenu
plusieurs
éléments, que le recourant tient pour arbitraires, et qu'il convient
d'examiner séparément.

2.2.3.1 Le recourant soutient que les montants saisis sur ses comptes
proviendraient de sa rémunération, sans autre indication quant à leur
part.
Il a produit un contrat de travail passé le 1er février 1995 avec la
Société,
soit, pour elle, O.________. Le salaire annuel fixé était de 250'000
USD
(art. 6.1), l'employeur payant en sus les charges sociales (art.
6.2), ainsi
qu'une participation annuelle aux bénéfices de 100'000 USD pour la
première
année d'engagement, ce montant devant être revu chaque année (art.
6.2). S'il
était mis immédiatement fin aux rapports de travail, l'employeur
devait
verser à S.________ un montant correspondant à un salaire annuel
(art. 12.4
let. a). En outre, si la résiliation devait intervenir en raison d'une
modification fondamentale des structures de la Société, une indemnité
de
500'000 USD était due (art. 12.5). L'authenticité et la valeur de ce
contrat,
dont les clauses peuvent surprendre, sont contestées par la masse en
faillite; elles feront vraisemblablement l'objet d'investigations
supplémentaires. De même, la convention passée le 7 mars 2000 entre la
Société (soit, pour elle, O.________), d'une part, et le recourant,
d'autre
part, est de nature à susciter des interrogations. A cette époque,
O.________
et le recourant savaient désespérée la situation de la Société dont la
faillite venait d'être demandée. Cela ne les a pas retenus de
s'accorder pour
verser au recourant, en exécution du contrat de travail du 1er
février 1995,
un montant de 474'300 fr. correspondant à un an de salaire, ainsi
qu'une
indemnité forfaitaire de 500'000 fr., soit un montant total de
974'300 fr.,
auquel a été retranché un montant de 264'208 fr. dû par l'employé,
sans autre
précision quant au motif de cette dette (art. 2 de la convention). Le
solde,
soit 710'092 fr. devait être acquitté par un montant de 250'000 fr. à
verser
immédiatement, et des mensualités de 38'341 fr. à verser jusqu'en
mars 2001
(ch. 3 de la convention). On peut se demander si cet accord, dont les
termes
sont sans commune mesure avec la situation effective de la Société,
n'a pas
été conclu notamment dans le but d'éluder les règles sur la faillite.
A ce
stade de la procédure en tout cas, ce point est suspect et requiert
d'être
éclairci en détail.

2.2.3.2 Lors de l'audience tenue le 2 novembre 2001 par le Juge
d'instruction, le recourant a indiqué avoir utilisé seul et pour
lui-même un
compte bancaire ouvert auprès du Crédit suisse à Yverdon au nom d'une
société
D.________, dont le siège se trouve à Panama. Interrogé sur des
virements
effectués par la Société sur ce compte en 1996 et 1997, le recourant
a admis
qu'il était vraisemblable que ces montants étaient des "rémunérations
occultes" reçues de la Société. Le représentant de la masse en
faillite a
précisé avoir mis la main sur cinq factures, pour un montant total de
226'950,20 fr., et qu'il poursuivait ses recherches à ce sujet. Le
recourant
objecte à cela que ces recherches n'ont pas encore abouti et que le
seul
virement attesté, soit celui du 18 décembre 1997 portant sur un
montant de
33'550,20 fr., l'avait été sur son compte salaire et correspondait à
une
différence de change. Cette assertion, qu'il appartiendra au juge du
fond de
vérifier, ne change rien au fait que le recourant, quoiqu'il s'en
défende, a
admis expressément avoir reçu de la Société des avantages qui allaient
au-delà de ce que prévoyait le contrat de travail. L'autorité
cantonale
devait, sur la base des déclarations du recourant lui-même, éprouver
des
doutes sérieux sur la thèse selon laquelle les fonds se trouvant sur
les
comptes saisis ne provenaient pas de la Société.

2.2.3.3 Se fondant sur le procès-verbal de l'audience du 2 novembre
2001, la
Chambre d'accusation a également tenu pour suspects les virements,
d'un
montant total de 180'000 fr., effectués par ordre de la société
P.________,
de siège panaméen, pour permettre au recourant d'acquérir, pour le
compte de
O.________, un appartement à Crans-Montana, et les opérations de
rachat de
ses actions par la Société, afin d'enrayer la baisse de leur
cotation. Enfin,
le recourant aurait admis avoir reçu un "bonus offshore" de 150'000
USD, de
la part de la société I.________, filiale du groupe C.________. Le
recourant
affirme que ces opérations ne lui ont rien rapporté et qu'il
n'existerait
aucun lien entre la Société, P.________, I.________ et lui-même. Or,
ces
points précis restent à vérifier et les conditions dans lesquelles ces
transferts ont eu lieu peuvent paraître insolites. En particulier, on
ne voit
pas pourquoi le recourant aurait rendu gratuitement à O.________ le
service
de servir d'homme de paille dans l'acquisition d'un bien immobilier,
financé
par l'intermédiaire d'une société du Panama. L'autorité cantonale
pouvait
soupçonner l'intervention de P.________ et de I.________ comme un
simple
écran pour faciliter des détournements.

2.2.4 Sur tous ces points, les investigations doivent se poursuivre,
même si
elles sont rendues difficiles par le fait qu'une partie des archives
de la
Société se trouve à l'étranger, que des pièces manquent et qu'un grand
désordre règne dans la comptabilité. En tout cas, le recourant, qui
semble
confondre la procédure de séquestre avec le jugement au fond, ne
démontre pas
que la solution retenue par la Chambre d'accusation est arbitraire au
sens de
la jurisprudence qui vient d'être rappelée.

3.
Selon le recourant, le maintien du séquestre de ses avoirs violerait
l'art.
26 al. 1 Cst., en raison de l'étendue et de la durée, excessives à
ses yeux,
de cette mesure.

3.1 Les restrictions à la propriété ne sont compatibles avec la
Constitution
que si elles reposent sur une base légale, sont justifiées par un
intérêt
public suffisant et respectent le principe de la proportionnalité
(art. 26
al. 1, mis en relation avec l'art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 126 I 219
consid.
2a p. 221, 2c p. 221/222; pour la jurisprudence relative à l'art.
22ter
aCst., cf. ATF 121 I 117 consid. 3b p. 120; 120 Ia 126 consid. 5a p.
142, 270
consid. 3 p. 273 et les arrêts cités). Le principe de la
proportionnalité
exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats
escomptés
et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins
incisive; en
outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il
exige un
rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés
compromis (ATF 124 I 40 consid. 3e p. 44/45; 119 Ia 348 consid. 2a p.
353;
118 Ia 394 consid. 2b p. 397, et les arrêts cités). Le séquestre,
comme
mesure restreignant le droit de propriété, est proportionné lorsqu'il
porte
sur des avoirs dont on peut admettre qu'ils pourront être
vraisemblablement
confisqués en application du droit pénal. En début d'enquête, une
simple
probabilité suffit car, à l'instar de toute mesure provisionnelle, la
saisie
se rapporte à des prétentions encore incertaines. Le juge doit décider
rapidement du séquestre, ce qui exclut qu'il résolve des questions
juridiques
complexes ou attende d'être renseigné de manière exacte et complète
sur les
faits avant d'agir (ATF 103 Ia 8 consid. 1c p. 13; 101 Ia 325 consid.
2c p.
327/328; arrêts 1P.700/1996 du 5 mars 1997, consid. 3a; 1P.80/1994 du
4 mai
1994, consid. 4a).

3.2 Les séquestres litigieux ont été ordonnés en juin 2001. Depuis
lors, le
Juge d'instruction a tenu plusieurs audiences consacrées à l'examen
détaillé
du rôle joué par le recourant dans la conduite des affaires de la
Société.
Ces investigations, ardues, ont été compliquées par la difficulté à
établir
les liens existants entre la Société et le Groupe, ainsi que ses
différentes
filiales, à éclairer la gestion de la Société, à préciser le rôle de
chacun
des protagonistes, à analyser les mouvements de fonds entre les
comptes de la
Société, du Groupe ou d'entités tierces, d'une part, et les comptes
détenus
ou contrôlés par le recourant, d'autre part. Malgré les embûches
rencontrées,
les administrateurs de la masse se sont efforcés de démêler l'écheveau
compliqué de la comptabilité de la Société. Le Juge d'instruction a
prolongé
l'enquête au fur et à mesure de leurs découvertes, en faisant porter
ses
investigations sur des points nouveaux. Le recourant a lui-même
participé
activement à la procédure, en assistant aux audiences et en
produisant des
pièces. Le 10 janvier 2002, il a décidé d'user de son droit de se
taire, en
refusant désormais de répondre aux questions du Juge d'instruction,
dont
l'action se trouve compliquée et, sans doute aussi à cause de cela,
retardée.
Eu égard aux circonstances de la cause, on ne saurait cependant
admettre, en
l'état, que les séquestres seraient disproportionnés à raison de leur
durée.
Il appartiendra toutefois au Juge d'instruction de continuer ses
investigations sans désemparer, en impartissant à la partie civile,
s'il
l'estime nécessaire, un délai pour présenter en une seule fois toutes
ses
demandes de réquisition de preuves. Pour le surplus, le recourant est
libre
de demander en tout temps au Juge d'instruction la levée, totale ou
partielle, des séquestres frappant ses avoirs (art. 181 CPP/GE, mis en
relation avec l'art. 190 de la même loi).

3.3 Le recourant tient les séquestres pour sans rapport avec le
montant des
avantages qu'on lui reproche, pour un montant de l'ordre de 600'000
fr. Ce
moyen est cependant irrecevable, faute pour le recourant d'avoir
démontré que
le total des avoirs séquestrés atteindrait le montant de 1'500'000 fr.
environ, comme il l'allègue (cf. consid. 1.3. ci-dessus).

4.
Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable.
Le
recourant demande l'assistance judiciaire, laquelle est accordée à la
double
condition que le requérant soit démuni et que ses conclusions ne
paraissent
pas vouées à l'échec (art. 152 OJ). A cet égard, le recourant indique
recevoir une allocation mensuelle de 7000 fr. au titre de
l'assurance-chômage. Ce montant serait cependant entièrement absorbé
par le
remboursement de dettes, notamment fiscales. Le recourant prétend
être en
butte à de grandes difficultés financières, liées à l'impossibilité
pour lui
d'acquitter des primes d'assurance et de payer des factures de
fournitures
d'électricité. Il serait en outre exposé à la dénonciation de
contrats
portant sur des crédits hypothécaires. Même si la plupart des
éléments de
fait appuyant la requête ne sont pas étayés par pièces, et nonobstant
que le
recourant est en mesure de rémunérer un avocat de son choix, on peut
encore
admettre, à la rigueur, que la première condition de l'art. 152 OJ est
remplie. Tel n'est pas le cas, en revanche, de la seconde, car le
recours, en
partie irrecevable, semblait d'emblée dénué de chance de succès. La
demande
doit ainsi être rejetée et les frais mis à la charge du recourant
(art. 156
OJ). Toutefois, afin de tenir compte de sa situation personnelle
difficile,

le montant de l'émolument sera réduit. Le recourant versera une
indemnité à
C.________ en faillite, à titre de dépens (art. 159 OJ). Il n'y a pas
lieu
d'allouer des dépens pour le surplus.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge du recourant.

4.
Le recourant versera une indemnité de 2000 fr. à C.________, en
faillite, à
titre de dépens.

5.
Il n'est pas alloué de dépens pour le surplus.

6.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
au Juge
d'instruction, au Procureur général et à la Chambre d'accusation du
canton de
Genève.

Lausanne, le 9 août 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.239/2002
Date de la décision : 09/08/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-08-09;1p.239.2002 ?
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