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09/08/2002 | SUISSE | N°1P.118/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 09 août 2002, 1P.118/2002


{T 1/2}
1P.118/2002 - 1P.268/2002/col

Arrêt du 9 août 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Nay, Aeschlimann, Reeb, Féraud, Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Kurz.

1P.118/2002
Christian Grobet, Anita Cuenod, Jean Spielmann, Pierre Vanek, tous
domiciliés
p.a. Alliance de gauche, rue du Vieux-Billard 25, case postale 232,
1211
Genève 8,
Alliance de gauche, rue du Vieux-Billard 25, case postale 232, 1211
Genèv

e 8,
recourants,

1P.268/2002
Christian Grobet, Pierre Vanek, Olivier Salamin, Bernard Clerc,
Andrée Jelk-...

{T 1/2}
1P.118/2002 - 1P.268/2002/col

Arrêt du 9 août 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Nay, Aeschlimann, Reeb, Féraud, Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Kurz.

1P.118/2002
Christian Grobet, Anita Cuenod, Jean Spielmann, Pierre Vanek, tous
domiciliés
p.a. Alliance de gauche, rue du Vieux-Billard 25, case postale 232,
1211
Genève 8,
Alliance de gauche, rue du Vieux-Billard 25, case postale 232, 1211
Genève 8,
recourants,

1P.268/2002
Christian Grobet, Pierre Vanek, Olivier Salamin, Bernard Clerc,
Andrée Jelk-Peila, tous domiciliés p.a. Alliance de gauche, rue du
Vieux-Billard 25, case postale 232, 1211 Genève 8,
Alliance de gauche, rue du Vieux-Billard 25, case postale 232, 1211
Genève 8,
recourants,

contre

Grand Conseil du canton de Genève, Chancellerie d'Etat, rue de
l'Hôtel-de-Ville 2, case postale 3964, 1211 Genève 3.

art. 85 lettre a OJ (loi 8658 modifiant la loi d'application dans le
canton
de Genève de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la
faillite)

recours de droit public contre la loi adoptée le 21 février 2002 par
le Grand
Conseil du canton de Genève
Faits:

A.
Le 21 septembre 2001, le Grand Conseil genevois a adopté la loi n°
8621
modifiant la loi genevoise d'application de la LP (LALP, RS/GE E 3
6). Cette
modification prévoyait notamment la centralisation de l'office des
faillites
(jusque-là divisé en trois services; art. 1), fixait les conditions
d'engagement et les tâches du préposé et du personnel (art. 2-5),
posait
certaines règles de gestion (art. 6-9) et instaurait une commission
fonctionnant comme autorité cantonale de surveillance au sens de
l'art. 13 LP
(dont le rôle était jusqu'alors assumé par la Cour de justice),
composée d'un
juge à mi-temps et d'un commissaire par parti représenté au Grand
Conseil
(art. 10 ss). Le poste de juge à mi-temps avait aussi entraîné une
modification de la loi fixant le nombre de certains magistrats de
l'ordre
judiciaire (E 2 10). Le référendum n'ayant pas été demandé, la loi a
été
approuvée le 19 novembre 2001 par le Département fédéral de justice
et police
(DFJP), et promulguée dans la Feuille d'avis officielle (FAO) du 30
novembre
2001. Selon ses dispositions transitoires, les modifications de la
LALP
entraient en vigueur le 1er mars 2002 (art. 3 souligné, al. 1);
l'art. 10 al.
1 et 2 LALP, ainsi que la modification de la loi E 2 10 devaient
entrer en
vigueur le 1er décembre 2001, pour permettre la constitution de
l'autorité de
surveillance et son entrée en fonction au 1er mars 2002 (art. 3
souligné, al.
2 et 3). Selon les nouvelles dispositions transitoires de la LALP
(art. 43),
la Cour de justice restait compétente pour statuer sur les plaintes et
procédures en état d'être jugées lors de l'entrée en fonction de la
commission.

B.
Le 6 décembre 2001, un nouveau projet de modification de la LALP,
portant le
n° 8663, a été déposé au Secrétariat du Grand Conseil. Il tendait
notamment à
restituer à la Cour de justice les attributions de l'autorité de
surveillance. Selon les motifs des auteurs de ce projet, la commission
instaurée par la loi 8621, à la fois administrative et rattachée au
pouvoir
judiciaire, était hybride, ainsi qu'exagérément politisée; la
participation
d'un président à mi-temps était insuffisante. Le projet 8663 était
accompagné
d'un autre projet, portant le n° 8658, modifiant les dispositions
transitoires de la loi 8621, en prévoyant à son art. 3 al. 1 que
"l'entrée en
vigueur sera fixée ultérieurement par le Grand Conseil en raison de
l'examen
en commission d'un projet de loi ayant le même objet".

Le 21 février 2002 (selon la date mentionnée dans la FAO), le Grand
Conseil a
adopté la loi 8658, après renvoi en commission. Celle-ci prévoit
notamment la
création de deux offices, des poursuites et des faillites, dans un
arrondissement unique, ainsi qu'une commission de surveillance issue
du
pouvoir judiciaire et composée conformément aux dispositions du titre
XIII de
la partie 1 de la loi genevoise d'organisation judiciaire (OJ/GE).
Cette
dernière était également modifiée sur ce point par la loi 8658 en
prévoyant
l'élection de deux juges, deux suppléants, huit assesseurs et quatre
assesseurs suppléants (art. 56Q OJ/GE). La loi 8658 comporte en outre
les
dispositions finales et transitoires suivantes (ci-après: les articles
soulignés):
Art. 3 Entrée en vigueur de la loi 8621 du 21 septembre 2001

La loi 8621 du 21 septembre 2001 modifiant la loi d'application dans
le
canton de Genève de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la
faillite, du 16 mars 1912, entre en vigueur en même temps que la
présente
loi, dans la mesure où elle n'est pas modifiée par celle-ci.

Art. 4 Election de la Commission de surveillance des offices des
poursuites
et des faillites

L'élection des membres de la Commission de surveillance des offices
des
poursuites et des faillites prévue par la présente loi intervient
selon la
même procédure que celle applicable aux autres magistrats du pouvoir
judiciaire.

Art. 5 Entrée en vigueur

La présente loi entre en vigueur le lendemain de sa promulgation,
mais au
plus tôt le 1er juillet 2002, sous réserve de ses dispositions visées
à
l'article 6 souligné, qui entrent en vigueur le lendemain de leur
promulgation dans la Feuille d'avis officielle.

Art. 6 Clause d'urgence

L'urgence est déclarée pour l'article 43, alinéa 1 LALP (nouvelle
teneur),
[disposition de la LALP selon laquelle la Cour de justice continue de
fonctionner comme autorité de surveillance jusqu'à l'entrée en
fonction de la
Commission], ainsi que pour l'article 3 souligné de la présente loi.
La loi 8658 a été publiée et promulguée dans la FAO du 25 février
2002, sur
la base d'un arrêté du Conseil d'Etat, pris le 22 février 2002 par
pouvoir
provisionnel et approuvé en séance du 27 février 2002. Un
rectificatif est
paru dans la FAO du 27 février 2002, la mention initiale "Art. 1
Modifications" ayant été omise lors de la première publication. Le
référendum
n'a pas été demandé contre les dispositions de la loi qui y étaient
soumises.

C.
Cette dernière loi fait l'objet d'un recours de droit public formé par
Christian Grobet, Anita Cuenod, Jean Spielmann et Pierre Vanek,
députés
genevois, agissant personnellement, ainsi que par l'Alliance de
gauche. Les
recourants prennent une série de conclusions préalables et
provisionnelles,
et concluent principalement à l'annulation de la loi 8658, en tout
cas de ses
articles 2, 5 et 6. Ils demandent que le Président du Grand Conseil
soit
invité à reprendre la discussion de la loi au stade du troisième
débat, et à
procéder à une nouvelle publication complète et exacte de la loi.

Le Grand Conseil s'est déterminé sur la requête de mesures
provisionnelles,
concluant à son rejet. Le 20 mars 2002, les recourants ont fait
valoir que la
prise de position sur mesures provisionnelles n'avait pas fait
l'objet d'un
débat du Bureau du Grand Conseil, ni de la commission de contrôle de
gestion,
contrairement à ce qu'exige le règlement du Grand Conseil. La demande
d'effet
suspensif et de mesures provisionnelles a été écartée par ordonnance
présidentielle du 19 mars 2002.

Le Grand Conseil a répondu sur le fond, concluant à l'irrecevabilité
du
recours, subsidiairement à son rejet. Les recourants ont répliqué.

D.
Par acte du 13 mai 2002, Andrée Jelk-Peila, Christian Grobet, Pierre
Vanek,
Olivier Salamin, Bernard Clerc et l'Alliance de gauche ont formé un
nouveau
recours contre la loi 8658, publiée le 12 avril 2002 après
l'approbation par
le DFJP le 27 mars 2002, prenant les mêmes conclusions principales que
précédemment.

Le Grand Conseil s'est référé à ses précédentes prises de position.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Les deux recours sont dirigés contre une même loi, le premier avant
et le
second après l'approbation de l'autorité fédérale. Il y a lieu
d'ordonner
leur jonction. La recevabilité du recours de droit public, qu'il soit
formé
pour violation des droits politiques ou pour violation des droits
constitutionnels, est examinée d'office et avec une pleine cognition
(ATF 128
I 46 consid. 1a p. 48 et les arrêts cités).

1.1 Interjetés dans les trente jours suivant les publications dans la
FAO,
les recours sont dirigés contre une loi soustraite à la sanction d'une
autorité cantonale. Ils sont recevables sous l'angle des art. 86 et
89 OJ. Le
premier recours était certes prématuré, puisqu'il a été formé avant
l'approbation fédérale, qui a une portée constitutive (ATF 121 I 187
consid.
1b p. 189). Cela ne prête toutefois pas à conséquence car la
jurisprudence
admet, dans un tel cas, que la procédure est suspendue jusqu'à
l'échéance du
délai de recours (ATF 109 Ia 61 consid. 1c p. 65-66 et les arrêts
cités). Il
n'était dès lors pas nécessaire que les recourants - qui ne sont
d'ailleurs
pas tous identiques aux auteurs du premier recours - agissent
également
contre la loi publiée après l'approbation fédérale.

1.2 Les recourants se plaignent d'une violation tant des droits
constitutionnels que des droits politiques. Ils soutiennent que la
clause
d'urgence figurant à l'art. 6 souligné de la loi 8658 aurait été
abusivement
utilisée, dans le seul but de soustraire la loi au référendum, alors
qu'il
n'y avait pas véritablement d'urgence. Par ailleurs, les art. 3 et 5
soulignés de la loi 8658 auraient pour effet de reporter l'entrée en
vigueur
de la loi attaquée - et de la loi précédente - à une date
indéterminée, ce
qui serait contraire aux dispositions sur la promulgation des lois.
Les
recourants se plaignent également d'une violation de l'art. 134 al. 4
de la
loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de
Genève
(RGC, RS/GE B 1 01), l'absence d'un troisième débat parlementaire les
ayant
privés du droit de proposer des amendements à la loi. L'Alliance de
gauche
soutient quant à elle que la modification de la loi 8621 la priverait
d'un
représentant au sein de la Commission de surveillance.

1.3 Le recours est recevable en tant qu'il porte sur l'abus allégué
de la
clause d'urgence. Celle-ci a pour effet de soustraire l'acte attaqué,
ou
certaines de ses dispositions, au référendum. Aux termes de l'art. 85
let. a
OJ, le Tribunal fédéral connaît des recours concernant le droit de
vote des
citoyens et de ceux qui ont trait aux élections et aux votations
cantonales,
quelles que soient les dispositions de la constitution cantonale et
du droit
fédéral régissant la matière. Au niveau cantonal, les droits
politiques
protégés selon l'art. 85 let. a OJ sont constitués par l'ensemble des
droits
que confèrent aux citoyens les dispositions constitutionnelles ou
législatives qui définissent les conditions et modalités de
l'exercice des
droits politiques ou en précisent le contenu ou l'étendue. La qualité
pour
recourir appartient dans ce domaine à toute personne à laquelle la
législation cantonale accorde l'exercice des droits politiques pour
participer à l'élection ou à la votation en cause, même si elle n'a
aucun
intérêt juridique personnel à l'annulation de l'acte attaqué (ATF 121
I 138
consid. 1, 357 consid. 2a; 119 Ia 167 consid. 1d p. 171 et les arrêts
cités).
Citoyens actifs dans le canton de Genève, Christian Grobet, Anita
Cuenod,
Jean Spielmann et Pierre Vanek ainsi que les autres auteurs du second
recours
ont qualité pour agir, quand bien même ils agissent aussi, comme le
relève le
Grand Conseil, en tant que députés minorisés lors de l'adoption de la
loi
8658. La jurisprudence reconnaît également la qualité pour recourir
pour
violation du droit de vote aux partis politiques et aux organisations
à
caractère politique formées pour l'occasion, à la condition qu'ils
exercent
leur activité dans la collectivité publique concernée par l'élection
ou la
votation en cause et qu'ils soient constitués en personne morale (ATF
121 I
334 consid. 1a p. 337; 115 Ia 148 consid. 1b p. 153; 114 Ia 267
consid. 1c p.
270; 112 Ia 208 consid. 1a p. 211 et les arrêts cités). Le recours de
droit
public est donc également recevable en tant qu'il émane de l'Alliance
de
gauche. Il est par ailleurs suffisamment motivé sur ce point au
regard de
l'art. 90 al. 1 let. b OJ.

1.4 Les recourants se plaignent aussi d'une violation des normes
cantonales
relatives à la fixation de l'entrée en vigueur des lois. L'art. 3
souligné de
la loi 8658 aurait pour effet que l'entrée en vigueur de la loi
précédente
(8621) serait reportée sine die, et soumise à la condition que la loi
8658
entre elle-même en vigueur. Cette disposition violerait l'art. 14 A
de la loi
genevoise sur la forme, la promulgation et la publication des actes
officiels
(RS/GE B 2 1), qui prévoit que l'entrée en vigueur doit être fixée
soit dans
la loi elle-même, soit - à défaut d'indication - le lendemain de la
promulgation, soit encore par le Conseil d'Etat. On ne discerne
toutefois pas
en quoi consisterait la violation des droits politiques des
recourants. En
soi, la disposition contestée ne les prive pas du droit de demander le
référendum, et n'empêche pas les citoyens - sur ce point du moins -
d'apprécier en toute connaissance de cause la portée de la loi
contestée.
Si les recourants entendaient se plaindre d'une violation de leurs

droits
constitutionnels (art. 84 al. 1 let. a OJ), il leur appartenait de
démontrer
en quoi le report de l'entrée en vigueur de la loi 8621, voire son
abrogation
de fait, porte atteinte à leurs intérêts juridiquement protégés. A
supposer
même que les recourants se plaignent d'une application arbitraire de
l'art.
14 A de la loi B 2 1, le grief serait de toute façon manifestement
mal fondé
car l'entrée en vigueur d'une loi par renvoi à une autre loi
n'apparaît pas
exclue. Les recourants prétendent que, par le jeu de l'art. 3
souligné de la
loi 8658, soustrait au référendum, le rejet de la loi 8658 par le
peuple
empêcherait définitivement la loi 8621 d'entrer en vigueur; le Grand
Conseil
soutient que tel ne serait pas le cas. Même si une interprétation
littérale
de l'art. 3 souligné de la loi attaquée - dont le texte peut prêter à
confusion - semble donner raison aux recourants, la logique voudrait
au
contraire qu'en cas de refus de la nouvelle loi par le peuple, la
réglementation précédente entre en vigueur. La question est toutefois
purement théorique, dès lors que le référendum n'a pas été demandé à
l'encontre de la loi 8658. Il n'existe, par conséquent, plus
d'intérêt (art.
88 OJ) à statuer sur le grief.

Par ailleurs, si la loi 8658 emporte, comme le soutiennent les
recourants,
une abrogation de fait de la loi 8621, les recourants n'indiquent pas
non
plus sur ce point - outre l'absence de référendum, examinée en
rapport avec
le grief relatif à la clause d'urgence - quels seraient leurs droits
constitutionnels lésés. Ils ne prétendent pas notamment que le droit
à la
représentation, au sein de la commission de surveillance, d'un membre
par
parti représenté au Grand Conseil, serait constitutionnellement
garanti.

1.5 Les recourants reprochent aussi au Président du Grand Conseil
d'être
passé immédiatement au troisième débat et au vote final sur la loi
8658, sans
en permettre la discussion article par article, ni même chapitre par
chapitre, privant notamment le parti recourant de proposer des
amendements;
il en résulterait une violation de l'art. 134 al. 4 RGC. Dans une
lettre
complémentaire au recours, les recourants confirment leur grief en
relevant
que le passage au troisième débat n'a pas fait l'objet d'un vote du
Grand
Conseil.

1.5.1 Les recourants perdent de vue que la violation des règles
relatives aux
travaux parlementaires, telles que celles qu'ils invoquent, ne peut
faire
l'objet d'un recours pour violation des droits politiques, dès lors
qu'il ne
s'agit pas de dispositions fixant la portée du droit de vote, ou même
en
étroite connexité avec celles-ci, mais de simples règles
organisationnelles
portant sur la procédure qui précède l'adoption et la publication de
la loi.
Par ailleurs, le droit d'être entendu déduit directement de l'art. 29
Cst.,
qui peut être invoqué dans le cadre d'une procédure judiciaire ou
administrative pouvant aboutir à une décision touchant les intérêts
juridiques d'un administré, ne permet pas en revanche au citoyen - par
exemple l'auteur d'une initiative - d'être entendu dans une procédure
législative (ATF 121 I 230 consid. 2c, 123 I 63 consid. 2 p. 66). Les
débats
parlementaires ne sauraient être assimilés à une procédure judiciaire
ou
administrative; dans ce cadre, les députés ne sont pas assimilables à
des
particuliers mais à des membres d'une autorité, et leurs intérêts
personnels
ne sont d'ailleurs en principe pas directement en jeu, de sorte qu'il
est
douteux que le droit d'être entendu puisse être invoqué par un
parlementaire
privé du droit de s'exprimer à l'occasion de l'adoption d'une loi.

1.5.2 Ce droit est régi par la réglementation relative aux débats
parlementaires, soit en l'espèce les art. 132 à 135 RGC applicables
aux
débats relatifs à un projet de loi. Le premier débat porte sur la
prise en
considération du projet (art. 132 RGC), le second sur l'examen
article par
article, le projet pouvant être adopté s'il n'y a pas d'opposition à
ce stade
(art. 133 RGC), le troisième débat portant sur le texte résultant du
deuxième
débat (art. 134 al. 1 RGC), normalement porté à une séance ultérieure
(al. 2)
sauf décision contraire du parlement (al. 3); chaque article est
soumis à
discussion et au vote séparément, après quoi l'ensemble du projet est
voté
(al. 4). Ces dispositions fixent l'ordre des débats et des votes,
mais ne
garantissent pas aux députés un droit subjectif à s'exprimer ou à
proposer
des amendements. Elles n'indiquent notamment pas sous quelle forme ces
derniers doivent être déposés, et à quelles conditions ils doivent
être pris
en considération. En définitive, les recourants ne parviennent pas à
démontrer que l'art. 134 al. 4 RGC tendrait à la protection de leurs
propres
intérêts juridiques, de sorte que la recevabilité du grief est
douteuse sous
l'angle de l'art. 88 OJ.

La question peut de toute manière demeurer indécise car on ne voit
pas en
quoi la disposition invoquée aurait été arbitrairement appliquée. On
constate
en effet, à la lecture du procès-verbal de la séance du 21 février
2002, que
les opposants à la loi 8658 ont eu l'occasion, lors du deuxième
débat, de
présenter de nombreux amendements. Ceux-ci ont été largement discutés,
certains députés ayant recouru à la motion d'ordre qui permet, sur
décision
des deux tiers des députés, de clore le débat sur un point et de
passer
directement au vote. La loi a ainsi été discutée, article par
article, et le
Président a procédé au vote d'ensemble en annonçant le passage au
troisième
débat. Or les recourants ne prétendent pas être intervenus pour
s'opposer à
cette manière de faire, et il n'y a pas trace d'une telle
intervention dans
le mémorial, qui consiste pourtant en une transcription intégrale de
la
séance du Grand Conseil. Les recourants n'indiquent pas non plus quels
amendements ils entendaient encore soumettre à l'assemblée. Dans ces
conditions, si, comme l'admet le Grand Conseil, l'article 134 al. 4
RGC a été
appliqué avec "une certaine souplesse", les recourants ne parviennent
pas à
démontrer, comme l'exige l'art. 90 al. 1 let. b OJ, que cette manière
de
procéder serait arbitraire, tout au moins dans son résultat. Le grief
est par
conséquent lui aussi irrecevable.

1.6 Les recourants soutiennent encore que la loi porterait faussement
la date
du 21 février 2002, dès lors qu'elle a été adoptée vers deux heures
du matin
dans la nuit du 21 au 22 février. Ils en déduisent que la publication
avait
été préparée d'avance, et que cette publication précipitée, entachée
de
plusieurs inexactitudes, avait pour but de réduire le délai
référendaire.
L'attestation signée par les Président et Secrétaire du Grand Conseil
serait
un faux. Les recourants demandent également la production de l'arrêté
du
Conseil d'Etat "pris en pouvoir provisionnel", du 22 février 2002. Ils
exigent une nouvelle publication intégrale de la loi.
Outre que le moyen apparaît lui aussi irrecevable sous l'angle des
art. 84
al. 1 let. a et 85 let. a OJ, il l'est également au regard de l'art.
90 OJ:
la volonté d'adopter aussi rapidement que possible la loi en cause
n'a pas eu
pour effet de raccourcir le délai de référendum tel qu'il est fixé
par le
droit cantonal. Comme le relève le Grand Conseil, le délai
référendaire de
quarante jours, comptés à partir du lendemain du 25 février, arrivait
à
échéance le samedi 6 avril 2002 et était reporté au lundi 8 avril
suivant,
soit le même jour que si le délai commençait à courir le lendemain du
27
février 2002. Les recourants n'expliquent pas, dès lors, en quoi
consisterait
la violation de leurs droits politiques. Par ailleurs, les quelques
modifications rédactionnelles apportées par la suite n'avaient aucune
portée
matérielle et n'entravaient pas la bonne compréhension de la loi par
les
citoyens; les recourants admettent eux-mêmes que la validité de la
loi 8658
n'en est pas affectée.

Quant aux vices formels affectant la publication de la loi, le grief
soulevé
à ce propos n'est guère motivé. Les recourants se contentent
d'émettre des
doutes sur l'authenticité de l'arrêté du Conseil d'Etat pris en
pouvoir
provisionnel, sans indiquer clairement quelle disposition du droit
cantonal
aurait été violée de ce chef. Ils se contentent d'évoquer la pratique
en
vigueur dans le canton de Genève, sans expliquer sur quelles
dispositions
cette pratique serait fondée. A priori d'ailleurs, la réglementation
relative
à la publication des lois et aux attributions respectives des
autorités
cantonales à ce propos sont purement organisationnelles et ne tendent
pas à
la protection des particuliers. L'essentiel est, d'une part, que la
publication opérée permette aux citoyens de prendre connaissance de
la loi,
d'en comprendre la portée et le contenu, et d'autre part que le droit
de
référendum puisse être utilement exercé. Or, les recourants ne
contestent pas
que tel a bien été le cas en l'occurrence, et ne prétendent pas que
l'absence
de référendum dans le cas particulier soit la conséquence des
irrégularités
dont ils se plaignent. Par conséquent, le grief fait au Conseil
d'Etat quant
au déroulement interne du processus de publication tombe entièrement
à faux.

1.7 En définitive, seul apparaît recevable le grief ayant trait à
l'abus de
la clause d'urgence, en tant que recours pour violation des droits
politiques. Les recours sont irrecevables pour le surplus.

2.
Selon l'art. 6 souligné de la loi attaquée, l'urgence est déclarée
pour
l'art. 43 nouvelle teneur LALP (selon lequel la Cour de justice
continue de
fonctionner comme autorité de surveillance jusqu'à l'entrée en
fonction de la
Commission de surveillance prévue à l'art. 10 de la loi), ainsi que
pour
l'art. 3 souligné de la loi. Cette dernière disposition prévoit que
la loi
8621, du 21 septembre 2001, entre en vigueur en même temps que la loi
8658,
dans la mesure où elle n'est pas modifiée par celle-ci. Selon les
recourants,
ces dispositions auraient pour effet que l'entrée en vigueur de la
loi 8621
serait reportée sine die, sans aucune possibilité de référendum. De
plus,
l'admission d'un référendum et l'éventuel rejet par le peuple de la
loi 8658
aurait pour effet d'empêcher simultanément et définitivement la loi
8621
d'entrer en vigueur. Pas plus la loi elle-même que les travaux
parlementaires
n'exposeraient en quoi consisterait l'urgence invoquée. En
l'occurrence, la
loi 8621 avait été approuvée par l'autorité fédérale, et il n'était
pas
urgent de substituer une autorité de surveillance à une autre. Les
recourants
insistent sur le caractère exceptionnel de la clause d'urgence,
compte tenu
de son incidence sur l'exercice des droits politiques.

2.1 Selon l'art. 53 de la constitution genevoise (Cst./GE), les lois
votées
par le Grand Conseil sont soumises à la sanction du peuple lorsque le
référendum est demandé par 7000 électeurs au moins dans le cours des
40 jours
qui suivent celui de la publication de ces lois, et sous les réserves
ci-après. Sous le titre "Clause d'urgence", l'art. 55 Cst./GE dispose
que le
référendum ne peut pas s'exercer contre les lois ayant un caractère
d'urgence
exceptionnelle (al. 1). La décision constatant le caractère d'urgence
est de
la compétence exclusive du Grand Conseil (al. 2).

2.2 Les termes mêmes de cette disposition indiquent clairement
qu'elle doit
faire l'objet d'une interprétation restrictive. La délibération doit
en effet
avoir un caractère d'urgence exceptionnelle; sa mise en vigueur doit
intervenir à très bref délai et ne peut souffrir le retard dû à la
mise en
oeuvre d'une éventuelle procédure référendaire. On ne saurait donc
considérer
comme ayant une urgence exceptionnelle les décisions, même très
importantes,
dont la mise en application immédiate ne s'impose pas sans conteste.
Les
motifs invoqués à l'appui de la clause d'urgence doivent être
suffisamment
importants pour justifier la dérogation au principe selon lequel les
délibérations du Grand Conseil sont soumises au référendum
facultatif. Le
Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de relever que cette
interprétation
restrictive est la même que celle qui s'impose dans l'application de
l'art.
89bis aCst. (actuellement l'art. 165 Cst.). Une mesure ne peut être
urgente
que si elle est considérée comme nécessaire et présente une certaine
importance; mais à cet élément matériel doit toujours s'ajouter un
élément de
temps, à défaut de quoi on doit nier l'urgence (ATF 103 Ia 152
consid. 3a/b
p. 156-157 et la doctrine citée; cf. également Auer/Malinverni/
Hottelier,
Droit constitutionnel suisse, Berne 2000 n° 1441).

2.3 Les motifs avancés par le Grand Conseil pour justifier le recours
à la
clause d'urgence sont les suivants. Le projet de loi 8658 a été
déposé le 6
décembre 2001 afin de modifier l'entrée en vigueur de la loi 8621, en
raison
du dépôt, le même jour, d'un projet 8663 tendant à modifier
matériellement la
loi 8621. Le PL 8658 a été renvoyé à la commission de contrôle de
gestion
lors de la session parlementaire des 13-14 décembre 2001, afin
d'adjoindre à
ce projet des dispositions de fond représentant un compromis entre la
loi
8621 et le PL 8663, rendant éventuellement ce dernier sans objet.
Adoptée le
21 février 2002, la loi 8658 comporte, sans abroger formellement la
loi 8621
dans son ensemble, toute une série de dispositions différentes, et
notamment
la création d'un arrondissement unique avec un
office des poursuites
et un
office des faillites, ainsi qu'une commission de surveillance issue de
l'ordre judiciaire. Sur le vu de cette nouvelle réglementation, il y
avait
lieu d'éviter la création de l'office unique et de la commission
"politique"
institués par la loi 8621, car il aurait été absurde de constituer ces
autorités au 1er mars 2002, alors que leur base légale risquait d'être
supprimée quelques mois plus tard lors de l'entrée en vigueur de la
loi 8658.
Cette motivation ne figurait pas dans la loi, mais elle ressortait
sans
ambiguïté du contexte dans lequel la loi 8658 a été votée.

2.4 La loi 8621 instaurait à son art. 10 une commission cantonale de
surveillance de l'office des poursuites en application de l'art. 13
LP,
composée d'un juge à mi-temps et d'un commissaire par parti
représenté au
Grand Conseil (al. 1). Elle modifiait par ailleurs les dispositions
transitoires de la LALP en prévoyant que la Cour de justice restait
compétente pour statuer sur les plaintes et procédures en état d'être
jugées
lors de l'entrée en fonction de la nouvelle commission de
surveillance (art.
43 LALP). Les dispositions relatives à l'entrée en vigueur de la loi
8621
(article 3 souligné) prévoyaient en substance que la loi prendrait
effet au
1er mars 2002, mais que l'art. 10 LALP, ainsi que la modification de
la loi E
2 10, entreraient en vigueur le 1er décembre 2001 afin de permettre la
constitution de l'autorité de surveillance. La loi a été approuvée le
19
novembre 2001 par le DFJP, et promulguée le 30 novembre suivant.

Issue d'une nouvelle majorité parlementaire, la loi 8658 revient
largement
sur la réglementation récemment adoptée. Elle prévoit notamment la
création
de deux arrondissements au lieu d'un (art. 1), et institue une
Commission de
surveillance composée de plusieurs sections formées chacune d'un
président et
d'assesseurs (art. 10 LALP et 56Qss OJ/GE), dont l'élection a lieu
selon la
procédure applicable aux magistrats du pouvoir judiciaire (art. 4
souligné).
L'art. 43 LALP est lui aussi modifié en ce sens que la Cour de justice
continue de fonctionner comme autorité de surveillance jusqu'à
l'entrée en
fonction de la commission prévue à l'art. 10 LALP. Selon l'art. 3
souligné,
la loi 8621 doit entrer en vigueur en même temps que la loi 8658
"dans la
mesure où elle n'est pas modifiée par celle-ci". La clause d'urgence,
prévue
à l'art. 6 souligné, s'applique à l'art. 43 nouvelle teneur LALP et à
l'art.
3 souligné (entrée en vigueur simultanée des lois 8621 et 8658).

2.5 Les recourants relèvent que l'urgence doit être constatée par
décision du
Grand Conseil. Or, ni la loi elle-même, ni le rapport de majorité ne
contiendraient d'explication à ce sujet. Il ressort toutefois
clairement du
mémorial du Grand Conseil que la question a été largement débattue. Le
rapporteur de la majorité en a indiqué les raisons dans le détail.
L'art. 6
souligné de la loi a été discuté, mis au vote, et accepté par 52 oui
contre
23 non et deux abstentions. Les recourants ne sauraient, dans ces
circonstances, prétendre qu'il n'y a pas eu décision à ce sujet.

2.6 Sur le fond, la loi 8658 emporte l'abrogation de fait de la loi
précédente, avant même l'entrée en vigueur de celle-ci. Il aurait
certes été
plus clair que la loi précédente fût formellement abrogée et
remplacée par la
nouvelle réglementation, mais en soi, le procédé utilisé est
admissible, le
Grand Conseil ayant la faculté d'adapter, de modifier ou d'abroger en
tout
temps ses propres lois. Cela ne pose guère de problème sous l'angle
de la
sécurité du droit puisque la loi précédente n'était pas encore entrée
en
vigueur et n'avait donné lieu à aucune mesure d'exécution. Du point
de vue
des droits politiques, les recourants font grand cas de la clause
d'urgence,
mais perdent de vue que celle-ci ne vise que deux dispositions, de
nature
transitoire. Les citoyens opposés sur le fond à la nouvelle
réglementation
avaient ainsi la possibilité de demander le référendum contre
l'essentiel de
la loi 8658. La question de l'entrée en vigueur simultanée des deux
lois et
du sort de la première en cas de rejet de la seconde par le peuple,
ne se
pose plus puisque, comme cela est relevé ci-dessus, le référendum n'a
pas été
demandé.

L'art. 43 LALP a pour seul objectif que la Cour de justice continue de
fonctionner comme autorité de surveillance avant l'entrée en fonction
de la
nouvelle autorité. L'urgence n'est pas contestée sur ce point par les
recourants. Elle est d'autant moins critiquable que la même
disposition
figurait déjà dans la loi 8621. S'agissant de l'art. 3 souligné de la
loi,
l'urgence ne consiste pas dans la nécessité matérielle d'appliquer
immédiatement la nouvelle réglementation, mais dans le souci d'éviter
la
constitution de l'office unique et de l'autorité de surveillance
institués
par la loi 8621 dans le délai prévu par cette loi, soit au 1er mars
2002, et
de devoir quelques temps plus tard dissoudre - respectivement
réorganiser -
ces autorités au profit de celles prévues par la loi 8658, en cas
d'acceptation de celle-ci. Dans un tel cas, l'office unique prévu par
la loi
8621 (dirigé par un préposé et comprenant un service des faillites, un
service immobilier et des séquestres et trois services décentralisés
des
poursuites), devrait être entièrement réorganisé pour faire place aux
deux
offices (des poursuites et des faillites, dirigés chacun par un
préposé)
prévus par la loi 8658. De même, la commission prévue par la loi 8621
n'aurait eu qu'une activité purement transitoire de quelques mois,
alors que
la Cour de justice était déjà désignée pour assumer ce rôle.

Contrairement à ce que soutiennent les recourants, l'urgence ne
tendait pas
simplement à faire l'économie de la désignation des autorités de
poursuite et
de surveillance, mais bien plutôt à assurer l'efficacité des
institutions: en
cas d'entrée en vigueur immédiate de la loi 8621, puis d'acceptation
de la
loi 8658, les offices de poursuite et de faillites auraient connu deux
réorganisations successives en l'espace de quelques mois, ce qui
aurait posé
des problèmes de fonctionnement évidents. Quant à l'autorité de
surveillance,
la Cour de justice, d'ores et déjà compétente, apparaît mieux à même
d'assurer l'intérim qu'une commission dont les membres ne sont pas
encore
désignés. Ainsi comprise, l'urgence est aussi motivée par le respect
de
l'intérêt des justiciables, particulièrement dans le contexte de la
réorganisation que connaît actuellement le canton de Genève. Compte
tenu de
la date prévue d'entrée en fonction des autorités instituées par la
loi 8621,
la condition temporelle de l'urgence ne saurait être contestée. Le
grief doit
par conséquent être écarté.

3.
Sur le vu de ce qui précède, les recours doivent être rejetés, dans
la mesure
où ils sont recevables. Dans la procédure de recours pour violation
des
droits politiques, il n'est, en règle générale, pas perçu d'émolument
judiciaire. En l'espèce, les recourants ont certes soulevé des griefs
relatifs à la violation de leurs droits constitutionnels, mais
l'argument
essentiel avait trait à la clause d'urgence. Il se justifie par
conséquent de
statuer sans frais, et de ne pas allouer de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les recours sont rejetés dans la mesure où ils sont recevables.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Grand
Conseil du
canton de Genève.

Lausanne, le 9 août 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.118/2002
Date de la décision : 09/08/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-08-09;1p.118.2002 ?
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