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23/07/2002 | SUISSE | N°1P.182/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 23 juillet 2002, 1P.182/2002


{T 0/2}
1P.182/2002/col

Arrêt du 23 juillet 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

A. ________,
recourant, représenté par Me Robert Assaël, avocat, rue de Hesse
8-10, case
postale 5715, 1211 Genève 11,

contre

la Compagnie B.________ et C.________
représentés par Me Marc Bonnant et Me Michel A. Halpérin, avocats,
Etude
Bonnant, Warluzel & Associé

s, rue de Saint-Victor 12, 1206 Genève,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565...

{T 0/2}
1P.182/2002/col

Arrêt du 23 juillet 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président
du
Tribunal fédéral,
Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Parmelin.

A. ________,
recourant, représenté par Me Robert Assaël, avocat, rue de Hesse
8-10, case
postale 5715, 1211 Genève 11,

contre

la Compagnie B.________ et C.________
représentés par Me Marc Bonnant et Me Michel A. Halpérin, avocats,
Etude
Bonnant, Warluzel & Associés, rue de Saint-Victor 12, 1206 Genève,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case
postale
3565, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1,
case
postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 9 et 29 Cst.; décision de classement

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre
d'accusation du
canton de Genève du 30 janvier 2002

Faits:

A.
Le 29 septembre 1993, X.________, alors Procureur général du canton de
Genève, a ouvert une enquête préliminaire pour gestion déloyale contre
C.________, en sa qualité d'administrateur délégué de la Compagnie
B.________
et de D.________; les 10 novembre et 15 décembre 1994, il a confié à
E.________ la mission de déterminer la réalité d'une créance de
6'800'000
dollars américains que la Compagnie B.________ prétendait avoir
envers la
Fédération de Russie et d'analyser les états financiers de la société
au 31
décembre 1993, que celle-ci avait produits à l'appui d'une requête en
ajournement de faillite. Dans ce cadre, E.________ a notamment fait
appel aux
services de F.________ pour procéder à une estimation de la valeur
actuelle
du patrimoine immobilier de la Compagnie B.________ et des autres
sociétés du
groupe dirigé par C.________.
Le 20 décembre 1994, la Compagnie B.________ a déposé une plainte
pénale pour
chantage et tentative d'extorsion contre F.________ qu'elle accusait
d'avoir
cherché à soutirer à ses organes la somme de 2'000'000 fr. en
contrepartie
d'une intervention auprès de E.________, aux fins d'influencer
favorablement
le résultat de l'expertise ordonnée par le Procureur général
X.________. Elle
précisait notamment que F.________ avait en main des documents
confidentiels
que seul quelqu'un ayant travaillé pour la compagnie pouvait détenir.
Il
ressortait en outre du témoignage de son chef comptable, A.________,
que
G.________, ancien vérificateur des comptes, était venu le 29
novembre 1994
retirer des dossiers d'une armoire fermée à clef, qui était à sa
disposition
alors qu'il était encore en fonction.
En date du 3 avril 1995, la Compagnie B.________ a étendu la plainte
pour
chantage et tentative d'extorsion à E.________ et a déposé une
nouvelle
plainte contre celui-ci, X.________ et tout coauteur éventuel des
chefs de
violation de secrets de fonction, de diffamation, de faux et usage de
faux,
de service de renseignements économiques, d'usurpation de fonction et
de
violation de la souveraineté territoriale étrangère. Le 22 juin 1995,
elle a
déposé une nouvelle plainte dirigée exclusivement contre E.________ à
qui
elle reprochait notamment d'avoir communiqué à des tiers des
documents qu'il
savait confidentiels.
Le 8 avril 1997, le Juge d'instruction en charge du dossier a inculpé
F.________ de tentative d'extorsion et de chantage, alternativement de
complicité de corruption passive à raison des faits dénoncés dans la
plainte
du 20 décembre 1994. Le 10 avril 1997, il a inculpé E.________ pour
tentative
de corruption passive dans le cadre du même complexe de faits. Le
lendemain,
la Police de sûreté genevoise a saisi au domicile de ce dernier divers
documents comptables des sociétés du groupe B.________, en copie ou en
original.
Le 22 mai 1997, la Compagnie B.________ a requis du Juge
d'instruction qu'il
procède à l'audition de G.________, qui avait fonctionné comme
réviseur de la
société pour les exercices 1985 à 1993, à celle de A.________, alors
comptable au sein de la société, et à une perquisition au domicile de
ces
derniers, afin de déterminer leur rôle respectif dans la remise de
documents
confidentiels à E.________.
Entendu le 13 novembre 1997, G.________ a admis s'être rendu dans les
locaux
de la société pour y récupérer les notes qu'il avait prises comme
réviseur et
avoir restitué à A.________ les clefs de l'armoire dans laquelle se
trouvaient les documents. Il a en revanche nié avoir remis à
E.________ la
balance des paiements de la société D.________ ou avoir fourni des
informations aux journalistes. Il a par ailleurs déclaré n'avoir
jamais reçu
une quelconque rémunération pour le temps consacré à l'enquête menée
par
X.________.
Le Juge d'instruction a interrogé A.________ le 18 novembre 1997;
celui-ci a
nié avoir remis à E.________, à l'attention de X.________, des
documents
confidentiels et internes à la Compagnie B.________, directement ou
par
l'entremise de G.________. Il a en revanche admis avoir autorisé ce
dernier à
récupérer ses notes de révision qui se trouvaient dans une armoire
fermée
dont la clef était en possession exclusive de celui-ci, sans en avoir
fait
l'inventaire. Il a également affirmé ne rien avoir touché pour le
temps
consacré à l'enquête diligentée par X.________. Entendu le 5 juin
1998, ce
dernier a pour sa part affirmé que A.________ était intervenu comme
dénonciateur et qu'à sa connaissance, c'était bien lui qui avait
fourni à
E.________ les documents appartenant aux plaignants.
Le 24 juillet 1998, la Compagnie B.________ et C.________ ont requis
l'inculpation de A.________ des chefs de soustraction,
alternativement de vol
et de violation de secrets commerciaux, pour avoir transmis à
E.________ des
informations et des documents la concernant. Ils précisaient avoir
déjà
dénoncé les faits dans leurs plaintes des 20 décembre 1993 et 22 juin
1995.
Le 2 février 2000, le Juge d'instruction a inculpé A.________ de
soustraction
d'une chose mobilière pour avoir soustrait, sans dessein
d'enrichissement
illégitime, de concert avec E.________, des documents financiers et
sociaux
appartenant à la Compagnie B.________, tout en réservant la
qualification
juridique définitive des faits.
Entendu le 14 juin 2000, A.________ a nié avoir fourni des documents
de son
employeur et affirmé s'être limité à répondre aux questions posées par
G.________ et E.________. Ce dernier a confirmé n'avoir reçu de
A.________
aucun document social ou financier afférent à la Compagnie B.________
dans le
cadre de sa mission d'expertise.
Par ordonnance du 12 janvier 2001, le Procureur général du canton de
Genève
(ci-après: le Procureur général) a classé la poursuite en tant
qu'elle était
dirigée contre A.________. Il a écarté l'hypothèse d'un vol, faute
d'un
quelconque enrichissement illégitime; il a par ailleurs considéré que
les
charges étaient à ce point ténues, s'agissant de la soustraction
d'une chose
mobilière, qu'il convenait de renoncer à la poursuite, sans
rechercher si la
plainte avait été déposée en temps utile et si l'élément constitutif
du
préjudice considérable était réalisé.

A. ________ a recouru contre cette ordonnance auprès de la Chambre
d'accusation du canton de Genève (ci- après: la Chambre d'accusation
ou la
cour cantonale) en concluant au prononcé d'un non-lieu à la place d'un
classement. La Compagnie B.________ et C.________ en ont fait de
même, en
sollicitant le renvoi en jugement de A.________.
Par ordonnance du 31 mai 2001, la Chambre d'accusation a confirmé la
décision
de classement concernant A.________ après avoir considéré qu'il
subsistait
des indices de la commission possible d'une soustraction, au terme des
investigations qui pouvaient raisonnablement être menées. Saisi d'un
recours
de droit public, le Tribunal fédéral a annulé cette décision en tant
qu'elle
concernait A.________ au terme d'un arrêt rendu le 15 novembre 2001.
Il a
considéré en substance que la cour cantonale avait violé le droit
d'être
entendu du recourant en ne se prononçant pas sur les griefs tirés du
caractère tardif de la plainte et de l'absence d'un préjudice
considérable,
alors que ces éléments étaient déterminants pour conclure à
l'existence d'une
infraction à l'art. 141 CP, et de l'éventuelle absence d'un dessein
d'enrichissement illégitime, dans l'optique d'une qualification
juridique
différente des faits litigieux.
Statuant à nouveau au terme d'une ordonnance rendue le 30 janvier
2002, la
Chambre d'accusation a rejeté le recours de A.________ et confirmé le
classement prononcé à l'encontre de ce dernier. Elle a admis que seule
entrait en considération une infraction à l'art. 141 CP, car
l'enquête ne
permettait pas de retenir que le prévenu aurait été animé d'un dessein
d'enrichissement illégitime, ni qu'il aurait eu l'intention d'agir
dans un
tel dessein pour le compte d'autrui; elle a considéré que la plainte
du 20
décembre 1994 visait un état de fait susceptible de conduire à une
inculpation de vol, voire de soustraction sans dessein
d'enrichissement
contre les auteurs qui seraient ultérieurement désignés et que les
plaignants
n'avaient pas l'obligation de la renouveler en la dirigeant
spécifiquement
contre A.________, car la relation des faits, telle qu'elle
ressortait de la
plainte, pouvait permettre de conclure qu'ils mettaient aussi en
cause leur
ancien employé, le cas échéant. Elle a tenu pour vraisemblable que ce
dernier
avait participé à la soustraction des documents remis à E.________ en
autorisant G.________ à les récupérer dans les locaux de la Compagnie
B.________. Elle a enfin admis que la soustraction de ces documents
avait
porté un préjudice considérable aux plaignants en compliquant la
procédure
engagée pour recouvrer la créance envers la Fédération de Russie et en
donnant une image négative de la société auprès du public.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public pour violation des
art. 9 et
29 al. 2 Cst., A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cette
ordonnance et de retourner la cause à la Chambre d'accusation pour
nouvelle
décision. Il reproche à la cour cantonale d'avoir appliqué le droit
cantonal
de manière arbitraire en admettant qu'une plainte pour soustraction
d'une
chose mobilière avait été valablement déposée contre lui et en tenant
à tort
pour établie l'existence d'un préjudice considérable. Il lui fait en
outre
grief d'avoir violé son droit d'être entendu en ne prenant pas
position sur
la réalisation de l'élément subjectif de l'infraction. Il dénonce
enfin à
divers titres une constatation arbitraire des faits pertinents ayant
abouti à
la confirmation du non-lieu.
La Chambre d'accusation et le Procureur général se réfèrent aux
considérants
de la décision attaquée. La Compagnie B.________ et C.________
concluent au
rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours
qui lui sont soumis (ATF 128 I 46 consid. 1a p. 48; 128 II 13 consid.
1a p.
16, 46 consid. 2a p. 47 et les arrêts cités).

1.1 Seul le recours de droit public pour violation des droits
constitutionnels des citoyens est ouvert pour se plaindre d'une
constatation
arbitraire des faits (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83 et les arrêts
cités),
d'une violation du droit cantonal (ATF 121 IV 104 consid. 2b p. 106)
ou
encore d'une atteinte directe à un droit constitutionnel, tel que le
droit
d'être entendu garanti à l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 127 IV 215 consid.
2d p.
218); en revanche, c'est par la voie du pourvoi en nullité auprès de
la Cour
de cassation pénale du Tribunal fédéral qu'il y a lieu de faire
valoir une
violation du droit fédéral (art. 269 al. 1 et 273 al. 1 let. b PPF;
ATF 126 I
97 consid. 1c p. 101; arrêt non publié 6S.103/1996 du 10 avril 1996
consid.
2b).
La question de savoir s'il faut, dans le cas d'espèce, prononcer une
ordonnance de non-lieu en application de l'art. 198 al. 1 du Code de
procédure pénale genevois (CPP gen.) ou un classement au sens de
l'art. 204
CPP gen. est une question qui porte sur la bonne application de ces
deux
dispositions, soit du droit cantonal, dont la violation doit être
invoquée
par la voie du recours de droit public, dans la mesure où il n'est pas
allégué que la décision attaquée conduirait à violer le droit fédéral
ou en
empêcherait la bonne application (ATF 119 IV 92 consid. 3b p. 101).

1.2 La conclusion tendant au renvoi de la cause à la cour cantonale
pour
nouvelle décision dans le sens des considérants est superfétatoire
(ATF 112
Ia 353 consid. 3c/bb p. 354); sous cette réserve, il y a lieu
d'entrer en
matière sur le recours qui répond aux exigences de recevabilité des
art. 84
ss OJ (cf. arrêt 1P.532/2001 du 15 novembre 2001 entre les mêmes
parties).

2.
Le recourant reproche à la Chambre d'accusation d'avoir appliqué
arbitrairement l'art. 204 al. 1 CPP gen. en admettant que la Compagnie
B.________ avait valablement déposé une plainte pénale contre lui pour
soustraction d'une chose mobilière et en tenant à tort pour établie
l'existence d'un préjudice considérable au sens de l'art. 141 CP.

2.1 Selon l'art. 204 al. 1 CPP gen., la Chambre d'accusation rend une
ordonnance de non-lieu lorsqu'elle ne trouve pas d'indices suffisants
de
culpabilité ou lorsqu'elle estime que les faits ne peuvent constituer
une
infraction. Le non-lieu peut donc être motivé en fait (en raison de
l'absence
de charges
suffisantes) ou en droit (lorsque les faits motivant
l'enquête ne
sont pénalement pas relevants ou que les conditions légales de la
poursuite
ne sont pas ou plus données, notamment parce que l'infraction est
prescrite
ou que la plainte a été retirée; cf. Gérard Piquerez, Procédure pénale
suisse, Zurich 2000, n° 2947 ss; Mémorial des séances du Grand
Conseil 1977,
p. 2825).
L'observation du délai de plainte fixé à l'art. 29 CP est une
condition
d'exercice de l'action publique (ATF 118 IV 325 consid. 2b p.
328/329) qui
justifie un refus de mettre en oeuvre la poursuite pénale lorsqu'elle
n'est
pas réalisée (cf. Pierre Dinichert/Bernard Bertossa/Louis Gaillard,
Procédure
pénale genevoise, exposé de la jurisprudence récente, SJ 1986 p. 471,
ch.
2.3), ou le prononcé d'un non-lieu lorsque le Juge d'instruction a
procédé à
des mesures d'instruction (cf. Frank Meister, L'autorité de poursuite
et le
classement pour des raisons d'opportunité en procédure pénale, thèse
Lausanne
1993, p. 305; Saverio Wermelinger, L'autorité des décisions de clôture
d'enquête en procédure pénale vaudoise, thèse Lausanne 1988, p. 78 et
229).
Le caractère tardif de la plainte est donc en principe propre à
aboutir à un
non-lieu s'agissant du délit de soustraction d'une chose mobilière,
indépendamment de l'existence d'indices suffisants de culpabilité.
La jurisprudence considère qu'une plainte a été régulièrement déposée
lorsque, dans le délai de trois mois requis par l'art. 29 CP, l'ayant
droit
s'est adressé à l'autorité compétente, dans les formes prévues par le
droit
cantonal, pour manifester sa volonté de provoquer une poursuite
pénale (ATF
122 IV 207 consid. 3a p. 208; 118 IV 167 consid. 1b p. 169; 115 IV 1
consid.
2a p. 2; 108 Ia 97 consid. 2 p. 99 et les arrêts cités). Le délai de
trois
mois pour déposer plainte commence à courir du jour où l'ayant droit a
connaissance de l'auteur et de l'acte délictueux, c'est-à-dire des
éléments
constitutifs de l'infraction. Cette connaissance doit être suffisante
pour
permettre à l'ayant droit de considérer qu'il aurait de fortes
chances de
succès en poursuivant l'auteur, sans s'exposer au risque d'être
attaqué pour
dénonciation calomnieuse ou diffamation; de simples soupçons ne
suffisent
pas, mais il n'est pas nécessaire que l'ayant droit dispose déjà de
moyens de
preuve (ATF 121 IV 272 consid. 2a p. 275; 101 IV 113 consid. 1b p.
116 et les
arrêts cités).
La plainte pénale est déposée à raison d'un état de fait délictueux
déterminé. Une fois l'action pénale ouverte, l'autorité pénale est
saisie «in
rem» et non «in personam». La plainte pénale déposée valablement
contre
inconnu ou contre l'un (ou certains) des participants vaut aussi
contre tous
ceux qui, ne serait-ce que durant un certain laps de temps, ont pris
part à
l'infraction ou favorisé celle-ci (ATF 128 IV 81 consid. 2a p. 83 et
les
références citées). La jurisprudence admet que la plainte puisse être
étendue
à d'autres personnes impliquées dont l'identité serait découverte par
la
suite, sans que son auteur doive expressément renouveler sa plainte
contre
elles. Du point de vue des faits, l'ayant droit peut limiter la
plainte à son
gré; c'est à lui qu'il incombe de dire quels sont les faits qu'il
entend voir
poursuivre et de les désigner. Réservé le cas des infractions
poursuivies
d'office, l'enquête et l'examen du juge ne peuvent porter que sur ce
dont
l'ayant droit se plaint (arrêt du Tribunal fédéral du 21 novembre
1975 paru à
la RVJ 1976 p. 214 consid. 3 p. 216). La qualification juridique des
faits
dénoncés incombe en revanche à l'autorité pénale (ATF 115 IV 1
consid. 2a p.
2 et les arrêts cités).

2.2 En l'occurrence, la Chambre d'accusation a considéré que
l'intimée avait
visé un état de fait susceptible de conduire à une inculpation du
recourant
du chef de soustraction sans dessein d'enrichissement dans la plainte
qu'elle
avait déposée le 20 décembre 1994 et qu'elle n'avait aucune
obligation de
renouveler celle-ci en la dirigeant contre son ancien employé; elle
s'est
notamment référée à la jurisprudence parue aux ATF 92 IV 75 suivant
laquelle
l'auteur d'une plainte contre inconnu n'a pas besoin de formuler une
nouvelle
plainte lorsque l'auteur de l'infraction dénoncée est connu.
Des termes de la plainte du 20 décembre 1994, il ressort que la
Compagnie
B.________ savait que F.________ avait en mains des renseignements et
des
documents confidentiels que seul quelqu'un ayant travaillé pour elle
aurait
été en mesure de lui remettre lorsque celui-ci a tenté d'extorquer
quelque
deux millions de francs à ses organes. Elle savait également, par
l'intermédiaire du recourant, que G.________ était venu environ un
mois plus
tôt dans les locaux de la société pour retirer des dossiers d'une
armoire
fermée à clef, qui était à sa disposition lorsqu'il exerçait encore
les
fonctions de réviseur de la Compagnie B.________. Elle disposait
ainsi de
tous les éléments objectifs pour déposer une plainte pour
soustraction d'une
chose mobilière, pour vol ou pour violation du secret commercial si
ce n'est
contre A.________, du moins à l'encontre de G.________. Or, la plainte
qu'elle a déposée le 20 décembre 1994 ne visait que les infractions de
chantage et de tentative d'extorsion. Dans ces conditions, on peut se
demander si, comme le soutient le recourant, l'intimée n'a pas
effectivement
clairement manifesté sa volonté de limiter les poursuites à ces
infractions.
Une extension des poursuites à d'autres personnes que celles
désignées dans
la plainte pour une infraction non couverte par celle-ci n'est certes
pas
exclue; elle ne peut toutefois être ordonnée qu'à l'égard
d'infractions
connexes à celles initialement visées (cf. art. 119 CPP gen.; Martine
Heyer/Brigitte Monti, Procédure pénale genevoise, Chambre
d'accusation,
Exposé de la jurisprudence 1990-1998, SJ 1999 II p. 176; Gérard
Piquerez,
Commentaire du Code de procédure pénale jurassien, Fribourg 1993, n.
10 ad
art. 116, p. 370; sur la notion de connexité en droit genevois, voir
Dominique Poncet, op. cit., p. 169), à l'exclusion d'infractions
distinctes
commises par des personnes différentes, même si ces infractions
concourent au
même résultat (ATF 81 IV 273 consid. 2 p. 275). Une telle extension
suppose
au demeurant que les conditions d'exercice de l'action publique soient
réunies (Gérard Piquerez, Traité de procédure pénale bernoise et
jurassienne,
Tome I, Neuchâtel 1983, n° 2888, p. 631). La question de savoir si ces
conditions sont réunies en l'espèce peut en définitive demeurer
indécise, car
la décision attaquée doit de toute façon être annulée pour un autre
motif.
L'existence d'un préjudice considérable est en effet un élément
constitutif
objectif du délit de soustraction d'une chose mobilière au sens de
l'art. 141
CP. Or, selon la jurisprudence, un tel préjudice doit résulter de la
soustraction elle-même et non de l'utilisation ultérieure des
documents
soustraits (arrêt 6S.621/1989 du 13 juillet 1990, consid. 4 et 5b/bb,
non
publiés aux ATF 116 IV 190; voir aussi Jachen Curdin Bonorand, Die
Sachentziehung, thèse Zurich 1987, p. 54/55). Tel est notamment le cas
lorsque la soustraction porte sur des documents originaux dont le
détenteur
ne possède pas d'autres exemplaires ni de copies, de sorte qu'il est
privé
des informations qui y sont contenues (arrêt du 13 juillet 1990
précité,
consid. 5b/bb). En l'occurrence, la Chambre d'accusation a vu un
préjudice
considérable dans le fait que la soustraction des documents aurait
fourni à
E.________ et à F.________ le moyen de les utiliser pour nuire
gravement à la
réputation de la Compagnie B.________, en particulier lors des
démarches
entreprises au Portugal et en Russie, et qu'elle avait fortement
contribué à
compliquer la procédure engagée pour recouvrer la créance que la
société
possédait envers la Fédération de Russie. Le préjudice allégué ne
résulte par
conséquent pas de la soustraction elle-même, mais de l'utilisation
ultérieure
des documents soustraits à des fins délictueuses ou pour jeter le
discrédit
sur les intimés. Il ne saurait entrer dans la notion de préjudice
considérable définie à l'art. 141 CP. La plaignante ne prétend par
ailleurs
pas que les documents soustraits seraient des originaux dont le fait
d'en
avoir été privée lui aurait causé un quelconque dommage. Dans ces
conditions,
la Chambre d'accusation a tenu à tort pour établie l'existence d'un
préjudice
considérable; partant, elle a appliqué de manière arbitraire l'art.
204 CPP
gen. en admettant qu'il existait des éléments de fait suffisant pour
constituer une infraction à l'art. 141 CP et justifier un classement
de la
procédure pénale dirigée contre A.________ en lieu et place d'un
non-lieu. On
observera au surplus que la soustraction d'une chose mobilière visée
à l'art.
141 CP suppose, sur le plan subjectif, l'intention de l'auteur de
causer un
préjudice considérable à la victime (ATF 109 IV 65 consid. 3 p. 67;
105 IV 29
consid. 3b p. 37); or, la cour cantonale n'a pas recherché si le
recourant
avait eu l'intention, fût-ce sous la forme du dol éventuel, de causer
un
préjudice considérable à son employeur en soustrayant les documents
appartenant à la plaignante; elle ne pouvait se dispenser d'examiner
ce point
sous prétexte qu'il serait clairement établi. Pour ce motif
également, le
recours aurait dû être admis.

3.
Les considérants qui précèdent conduisent à l'admission du recours,
dans la
mesure où il est recevable, et à l'annulation de la décision
attaquée, sans
qu'il soit nécessaire d'examiner la pertinence des arguments
développés en
relation avec une prétendue constatation arbitraire des faits
pertinents. Il
incombe aux intimés, qui succombent, de prendre en charge l'émolument
judiciaire et de verser une indemnité de dépens au recourant, qui
obtient
gain de cause avec l'assistance d'un homme de loi (art. 156 al. 1 et
159 al.
1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, dans la mesure où il est recevable, et la
décision
attaquée est annulée.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge des intimés,
solidairement entre eux.

3.
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée au recourant à la
charge des
intimés, solidairement entre eux.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties,
au
Procureur général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 23 juillet 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1P.182/2002
Date de la décision : 23/07/2002
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-07-23;1p.182.2002 ?
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