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30/05/2002 | SUISSE | N°4P.3/2002

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 30 mai 2002, 4P.3/2002


«/2»

4P.3/2002

Ie C O U R C I V I L E
****************************

30 mai 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Carruzzo.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., représentée par Me Pierre Gabus, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 16 novembre 2001 par la Chambre civile de
la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose
la recourante à Y._

_______ S.A., représentée par Me
Alexandre
de Weck, avocat à Genève;

(art. 9 et 29 al. 2 Cst.; droit d'être entendu, arbitra...

«/2»

4P.3/2002

Ie C O U R C I V I L E
****************************

30 mai 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffier: M. Carruzzo.

__________

Statuant sur le recours de droit public
formé par

X.________ S.A., représentée par Me Pierre Gabus, avocat à
Genève,

contre

l'arrêt rendu le 16 novembre 2001 par la Chambre civile de
la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose
la recourante à Y.________ S.A., représentée par Me
Alexandre
de Weck, avocat à Genève;

(art. 9 et 29 al. 2 Cst.; droit d'être entendu, arbitraire)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- A.________, D.________ et C.________ sont
copropriétaires d'un immeuble , à Genève. Ils forment entre
eux une société simple, appelée le consortium constructeur
Z.________, en vue d'une opération immobilière.

Ils ont mandaté en qualité d'architecte chargé de
la direction des travaux la société Y.________ S.A., dont
l'administrateur est B.________, père de A.________.

Le 23 mars 1998, le consortium, représenté par
Y.________ S.A., a conclu un contrat d'entreprise générale
avec la société W.________ S.A. (ci-après: l'entreprise
générale).

L'entreprise générale a sous-traité des travaux de
démolition à la société X.________ S.A. (ci-après: le sous-
traitant).

Les travaux de démolition sous-traités ont été exé-
cutés de juin à août 1998.

Par lettre du 25 février 1999, l'entreprise généra-
le a informé Y.________ S.A. qu'elle avait cédé le solde de
sa facture de 26 000 fr. au sous-traitant; Y.________ S.A.
devait dès lors régler ce montant directement auprès du
sous-traitant.

Le lendemain, soit le 26 février 1999, B.________
et C.________ ont payé au sous-traitant, à titre d'acompte,
la somme de 8000 fr. en espèces.

Le solde de la facture, soit 18 000 fr., est resté
impayé.

B.- Le 20 juillet 2000, le sous-traitant a déposé
devant les tribunaux genevois une demande en paiement
dirigée
contre Y.________ S.A., lui réclamant la somme de 18 000 fr.
avec intérêts à 5% l'an dès le 25 février 1999.

Au stade de la procédure de première instance,
Y.________ S.A., qui n'avait pas mandaté d'avocat, s'est
opposée à la demande en se bornant à observer qu'elle
n'était
pas en rapport avec le sous-traitant.

Par jugement du 8 mars 2001, le Tribunal de premiè-
re instance du canton de Genève a condamné Y.________ S.A. à
payer à X.________ S.A. la somme de 18 000 fr. avec intérêts
à 5% l'an dès le 28 mai 1999.

Y.________ S.A., représentée désormais par un
avocat, a fait appel de ce jugement et a produit des pièces.

Statuant par arrêt du 16 novembre 2001, la Chambre
civile de la Cour de justice a annulé le jugement attaqué et
débouté le sous-traitant de toutes ses conclusions. Elle a
constaté que le sous-traitant n'avait pas établi l'existence
d'une cession de créance en sa faveur revêtant la forme écri-
te et, par ailleurs, que la créance invoquée résultait du
contrat d'entreprise générale, auquel Y.________ S.A.
n'était
pas partie, puisque cette société n'apparaissait qu'en quali-
té de représentante directe des copropriétaires, formant en-
tre eux une société simple.

C.- X.________ S.A. a déposé un recours de droit
public au Tribunal fédéral. Par le même acte, elle
interjette
également un recours en réforme. Dans son recours de droit
public, elle conclut à l'annulation de la décision attaquée.

Y.________ S.A. conclut au rejet de ce recours et à
la confirmation de l'arrêt attaqué.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- a) Une partie recourante peut interjeter par un
seul acte à la fois un recours de droit public et un recours
en réforme, à la condition que les griefs relevant de l'un
et
de l'autre soient clairement distingués, comme c'est le cas
en l'espèce (ATF 103 II 218).

Lorsque les deux recours sont interjetés simultané-
ment, le recours de droit public doit en principe être exami-
né en premier lieu (art. 57 al. 5 OJ).

b) Le recours de droit public au Tribunal fédéral
est ouvert contre une décision cantonale pour violation des
droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a
OJ).

La décision attaquée, qui est finale, n'est suscep-
tible d'aucun autre moyen de droit sur le plan fédéral ou
cantonal dans la mesure où la recourante invoque la
violation
directe d'un droit de rang constitutionnel, de sorte que la
règle de la subsidiarité du recours de droit public est res-
pectée (art. 84 al. 2 et 86 al. 1 OJ). En revanche, si la re-
courante soulevait, dans son recours de droit public, une
question relevant de l'application du droit fédéral, le
grief
ne serait pas recevable, parce qu'il pouvait faire l'objet
d'un recours en réforme (art. 43 al. 1 et 84 al. 2 OJ).

La recourante est personnellement touchée par la
décision attaquée, qui rejette sa demande en paiement, de
sorte qu'elle a un intérêt personnel, actuel et
juridiquement

protégé à ce que cette décision n'ait pas été prise en viola-
tion de ses droits constitutionnels; en conséquence, elle a
qualité pour recourir (art. 88 OJ).

Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans
la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), le recours
est
en principe recevable.

Hormis certaines exceptions - qui ne sont pas réa-
lisées en l'espèce -, le recours de droit public ne peut ten-
dre qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 127 II 1
consid. 2c; 127 III 279 consid. 1b; 126 III 534 consid. 1c).
Toute autre conclusion est irrecevable.

c) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel in-
voqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF
127 I 38 consid. 3c; 127 III 279 consid. 1c; 126 III 524 con-
sid. 1c, 534 consid. 1b; 125 I 492 consid. 1b p. 495).

2.- a) En l'espèce, la recourante se plaint tout
d'abord de la violation de règles cantonales de procédure,
en
particulier de l'art. 312 de la loi genevoise de procédure
civile.

Tel qu'il est formulé, ce grief est irrecevable. En
effet, le recours de droit public ne permet pas d'invoquer
une simple violation des règles cantonales de procédure (cf.
art. 84 al. 1 et 85 OJ).

b) La recourante allègue ensuite une violation de
son droit d'être entendue, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst.

La jurisprudence a déduit de cette garantie consti-
tutionnelle, en particulier, le droit pour le justiciable de
s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détri-

ment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature
à influer sur le sort de la décision, celui d'avoir accès au
dossier, celui de participer à l'administration des preuves,
d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos
(ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 16; 124 I 49 consid. 3a, 241
consid. 2). La jurisprudence a également déduit du droit
d'être entendu l'obligation pour l'autorité de motiver sa
décision, afin que l'administré puisse la comprendre, l'atta-
quer utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours
puisse exercer son contrôle (ATF 126 I 97 consid. 2b; 125 II
369 consid. 2c; 124 II 146 consid. 2a). Il y a également vio-
lation du droit d'être entendu si l'autorité ne satisfait
pas
à son devoir minimum d'examiner et traiter les questions per-
tinentes (ATF 126 I 97 consid. 2b; 124 II 146 consid. 2a;
122
IV 8 consid. 2c p. 15).

En l'espèce, on ne voit pas que la recourante ait
été empêchée de s'exprimer sur les faits pertinents et d'ap-
porter ses preuves, ainsi que de prendre position sur les al-
légués et preuves de sa partie adverse; l'arrêt cantonal per-
met de discerner quels sont les motifs qui ont guidé la déci-
sion des juges et les arguments pertinents ont été examinés.
Le droit d'être entendu de la recourante n'a donc pas été
violé et ce grief est dépourvu de tout fondement. Savoir si
la partie adverse a procédé correctement selon les règles de
la procédure cantonale est une question sans rapport avec le
droit d'être entendu de la recourante, dès lors que celle-ci
a pu s'exprimer sur la manière de procéder, les allégués et
les preuves de sa partie adverse.

c) La recourante invoque enfin l'interdiction de
l'arbitraire, garantie par l'art. 9 Cst.

Selon la jurisprudence, l'arbitraire ne résulte pas
du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en consi-
dération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédé-

ral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci
est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contra-
diction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gra-
vement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou en-
core lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de
la justice et de l'équité; pour qu'une décision soit annulée
pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation
formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 127 I 54 con-
sid. 2b; 126 I 168 consid. 3a; 125 I 166 consid. 2a; 124 I
247 consid. 5 p. 250; 124 V 137 consid. 2b; 122 I 66 consid.
3a).

Lorsque la recourante invoque l'arbitraire dans
l'application du droit cantonal, elle doit citer la disposi-
tion qui aurait été violée et expliquer en quoi consiste
l'arbitraire (ATF 110 Ia 1 consid. 2a p. 3).

aa) Sous ce grief, la recourante n'invoque aucune
disposition cantonale de procédure, de sorte que l'on pour-
rait considérer que ce grief est insuffisamment motivé
(art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 110 I a 1 consid. 2a p. 3).

On peut déduire de l'ensemble de son écriture
qu'elle se plaint d'une violation de l'art. 312 de la loi ge-
nevoise de procédure civile, qui régit les conclusions nou-
velles en appel.

Il résulte cependant clairement du dossier que
l'intimée, en première instance déjà, avait demandé que la
prétention soit rejetée. Même si la formulation était diffé-
rente, elle n'a pas pris d'autres conclusions en appel. Elle
a constamment demandé que l'action soit rejetée, sans
prendre
aucune conclusion à l'encontre de la recourante. Contraire-
ment à ce que semble penser celle-ci, savoir si la demande-
resse est titulaire de la créance qu'elle invoque et si sa

partie adverse est bien sa débitrice sont des questions de
droit de fond, et non pas de procédure ou de recevabilité
(ATF 126 III 59 consid. 1a p. 64; 125 III 82 consid. 1a).

Il n'y a donc pas eu de conclusions nouvelles, de
sorte que la disposition invoquée par la recourante n'était
pas applicable et n'a donc pas été violée.

Certes, l'intimée, désormais représentée par un
avocat, a présenté une argumentation juridique plus élaborée
en instance d'appel. La recourante n'a cependant cité aucune
disposition cantonale qui interdirait de présenter une argu-
mentation juridique nouvelle au stade de l'appel. Le contrai-
re résulte d'ailleurs de la doctrine et de la jurisprudence
cantonale (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de
la
loi de procédure civile genevoise, n. 7 ad art. 312 et les
arrêts cités; sur le plan fédéral, cf. ATF 123 III 129 con-
sid. 3b/aa p. 133). Sous cet angle également, on ne voit pas
que l'arrêt attaqué ait violé arbitrairement la procédure
cantonale.

bb) La recourante se plaint aussi de ce que la cour
cantonale se serait fondée sur des pièces produites pour la
première fois en appel.

Elle ne peut cependant citer aucune disposition de
procédure cantonale qui interdise de produire de nouvelles
pièces en appel, lorsqu'elles auraient pu être produites en
première instance déjà. La jurisprudence et la doctrine can-
tonale admettent expressément cette possibilité lorsque -
comme c'est le cas en l'espèce - il s'agit d'un appel ordi-
naire (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, op. cit., n. 9 ad
art. 312 et les arrêts cités). Ainsi, il n'apparaît pas que
la cour cantonale, en acceptant la production de pièces nou-
velles en appel, ait violé les règles de procédure applica-
bles, de sorte que le grief d'arbitraire est infondé.

L'argumentation présentée par la recourante est to-
talement impropre à démontrer qu'il était arbitraire de croi-
re à la véracité des pièces produites. Elle n'évoque aucun
élément qui puisse susciter le moindre doute à cet égard.

Il reste à se demander si la cour cantonale s'est
fondée sur des allégués nouveaux, qui sont en principe prohi-
bés (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, op. cit., n. 8 ad art.
312 et les références), et si elle est ainsi tombée dans
l'arbitraire.

Dès la procédure de première instance, l'intimée
avait contesté l'existence d'une "relation" entre les
parties
(procès-verbal de comparution personnelle du 18 décembre
2000
p. 2). La recourante, en tant que partie demanderesse,
savait
donc d'emblée qu'elle devait prouver (art. 8 CC) les faits
permettant de constater qu'elle avait la qualité de créan-
cière et que l'intimée était bien sa débitrice. Dans sa de-
mande déjà, la recourante avait allégué qu'elle agissait en
qualité de cessionnaire des droits de l'entreprise générale
(ch. 8). Comme il apparaît d'emblée évident que la cession
alléguée n'a pu être conclue qu'en Suisse entre des
personnes
domiciliées en Suisse, elle était soumise à l'exigence de la
forme écrite posée par l'art. 165 al. 1 CO. Dès lors que sa
qualité de créancière était contestée, il incombait à la re-
courante de prouver l'existence de l'acte de cession en sa
faveur. En constatant que la recourante n'avait ni allégué
l'existence de ce document ni ne l'avait produit, la cour
cantonale en a
déduit sans arbitraire que celui-ci
n'existait
pas. Pour trancher cette question, elle s'est fondée sur les
lacunes de la recourante, et non pas sur des allégués ou des
moyens de preuve nouveaux.

La cession de créance supposait l'existence du con-
trat d'entreprise générale d'où était issue la créance
cédée.
Cela ressort déjà de la demande présentée par la recourante

(ch. 8). En produisant ce contrat, l'intimée n'a pas allégué
un fait nouveau; elle s'est limitée à user de son droit d'ap-
porter la contre-preuve, qui lui est d'ailleurs garanti par
l'art. 8 CC (cf. ATF 126 III 315 consid. 4a et les arrêts ci-
tés). La lecture de ce document suffit à démontrer qu'il n'a
pas la teneur que la recourante lui prêtait, en ce sens
qu'il
fait apparaître l'intimée comme une représentante, et non
pas
comme la cocontractante. En le constatant, la cour cantonale
s'est fondée sur une pièce nouvelle, mais non pas sur un al-
légué nouveau. C'est la demanderesse, qui, pour fonder sa de-
mande, avait allégué qu'elle était cessionnaire d'une
créance
issue d'un contrat d'entreprise générale; l'intimée avait
d'emblée contesté l'existence d'un rapport juridique entre
les parties; en produisant des pièces nouvelles - comme le
permet le droit cantonal - elle a apporté la contre-preuve
des allégués de la demanderesse, sans que cela ne requiert,
à
strictement parler, qu'elle allègue d'autres faits.

Ainsi, il n'apparaît pas que les règles de procédu-
re cantonale aient été violées arbitrairement.

3.- Les frais et dépens doivent être mis à la char-
ge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al.
1
OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours;

2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de la recourante;

3. Dit que la recourante versera à l'intimée une
indemnité de 2500 fr. à titre de dépens;

4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

_____________

Lausanne, le 30 mai 2002
ECH

Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4P.3/2002
Date de la décision : 30/05/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-05-30;4p.3.2002 ?
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