La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/05/2002 | SUISSE | N°4C.193/2001

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 14 mai 2002, 4C.193/2001


{T 0/2}
4C.193/2001 /ech

Arrêt du 14 mai 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Klett,
greffier Ramelet.

X. ________ GmbH, à Düsseldorf (Allemagne
demanderesse et recourante principale, représentée par Me Daniel
Peregrina,
avocat, chemin des Vergers 4, 1208 Genève,

contre

Y.________ S.A., à Genève,
défenderesse et intimée, recourante par voie de jonction, représentée
par Me
Bernard Lachenal, avocat, place du Molard 3, case postale 3199, 121

1
Genève
3.

responsabilité du mandataire; dommages

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civil...

{T 0/2}
4C.193/2001 /ech

Arrêt du 14 mai 2002
Ire Cour civile

Les juges fédéraux Walter, président de la Cour, Corboz et Klett,
greffier Ramelet.

X. ________ GmbH, à Düsseldorf (Allemagne
demanderesse et recourante principale, représentée par Me Daniel
Peregrina,
avocat, chemin des Vergers 4, 1208 Genève,

contre

Y.________ S.A., à Genève,
défenderesse et intimée, recourante par voie de jonction, représentée
par Me
Bernard Lachenal, avocat, place du Molard 3, case postale 3199, 1211
Genève
3.

responsabilité du mandataire; dommages

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice
du canton de Genève du 27 avril 2001).

Faits:

A.
Vers fin février ou début mars 1989, la société iranienne X.________,
s'occupant de la production et du commerce des tapis, dirigée par
A.________,
souhaitait faire transporter un lot de tapis de Genève aux Etats-Unis
d'Amérique, pour les présenter dans une galerie d'art à Washington,
puis les
ramener à Genève.

Afin d'assurer les tapis pendant ces deux transports et la durée de
l'exposition, A.________ a pris contact avec B.________, agent de la
Z.________, qui lui a soumis une proposition jugée trop onéreuse.

B. ________ a mis A.________ en contact avec C.________, employé de la
société W.________ S.A. (devenue Y.________ S.A.; ci-après:
Y.________),
ayant son siège à Genève. Cette société, qui a pour but le courtage
et la
souscription d'assurance, était en relation d'affaires avec un
courtier
agissant pour "The Institute of London Underwriters" à Londres
(ci-après: les
assureurs anglais).

En mars 1989, A.________, agissant pour X.________, a accepté une
proposition
des assureurs anglais, présentée par C.________.

Les assureurs anglais ont exigé que le transport des tapis se fasse
par un
vol direct de Genève à Washington, ce que seule la compagnie TWA
offrait à
cette époque. A.________, au nom de X.________, a chargé la société
U.________ S.A. à Genève d'organiser ce transport par la compagnie
TWA.

Selon le document émis par les assureurs anglais (reçu par la société
Y.________ et transmis à A.________), les tapis devaient être
transportés
avec "pleine valeur déclarée à la compagnie aérienne". Ni la société
Y.________, ni A.________ n'ont prêté attention à cette exigence des
assureurs anglais. Le transport avec valeur déclarée est inhabituel;
il a
pour effet d'étendre la responsabilité assumée par la compagnie
aérienne et,
par voie de conséquence, d'augmenter le prix exigé par celle-ci.

Il n'est pas établi que U.________ S.A. ait reçu la moindre
instruction à ce
sujet, de sorte qu'elle a organisé un transport par TWA dans les
conditions
habituelles, c'est-à-dire en fret ordinaire, sans valeur déclarée.

Arrivés à l'aéroport de Washington, les containers qui renfermaient
les tapis
de X.________sont restés à l'air libre, sur le tarmac, pendant
plusieurs
jours, apparemment en attente des formalités douanières; pendant ce
temps, il
y a eu des infiltrations d'eau qui ont endommagé certains tapis, ce
qui a été
constaté lors de l'ouverture des containers, le 31 mars 1989.
Quelques jours
plus tard, entre le 1er et le 5 avril 1989, un autre tapis a subi des
dégâts
d'eau pendant l'exposition dans la galerie à Washington.
Par lettre du 10 août 1989, les assureurs anglais ont déclaré qu'ils
invalidaient le contrat d'assurance pour le motif que la valeur des
tapis
n'avait pas été déclarée à la compagnie aérienne, comme exigé dans le
contrat. Ils ont refusé toute prestation et ont remboursé la prime
d'assurance.

B.
Affirmant être cessionnaire des droits de la société iranienne
X.________, la
société allemande X.________ GmbH, à Düsseldorf, a déposé devant les
tribunaux genevois, le 6 janvier 1993, une demande en paiement
dirigée contre
Y.________ et contre U.________ S.A., leur réclamant solidairement la
somme
de 1 575 000 US$ avec intérêts.

Par un arrêt incident du 22 septembre 1995 (réformant un jugement de
première
instance du 20 octobre 1994), la Chambre civile de la Cour de justice
du
canton de Genève a admis la légitimation active de la société
allemande.

Par arrêt du 27 avril 2001 (réformant un jugement de première
instance du 13
avril 2000), la Chambre civile de la Cour de justice a condamné la
société
Y.________ à verser à la société allemande demanderesse la somme de
66 062
US$ avec intérêts à 5% dès le 1er avril 1989. En substance, la cour
cantonale
a considéré que la société U.________ S.A. avait correctement rempli
sa
mission et que sa responsabilité contractuelle n'était pas engagée;
ce point
n'est plus litigieux et la société U.________ S.A. n'a pas été mise
en cause
devant le Tribunal fédéral. En revanche, l'autorité cantonale a
considéré que
la société Y.________, qui devait conseiller X.________en matière
d'assurance, aurait dû remarquer l'exigence des assureurs anglais et
veiller
à ce que les ordres de transport y répondent. Elle a estimé que la
société
X.________, bien que moins spécialisée, aurait aussi pu s'en rendre
compte et
devait donc se voir reprocher une faute concomitante, justifiant une
réduction de la réparation de 20%. Déterminant le dommage notamment
sur la
base d'une expertise judiciaire, la cour cantonale a fixé en
définitive à 66
062 US$ le montant des dommages-intérêts, en capital, dû par
Y.________ à la
société demanderesse.

La décision sur les dépens a été modifiée par un arrêt de la cour
cantonale
du 12 octobre 2001.

C.
X.________ GmbH exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral. Se
plaignant exclusivement de la détermination du dommage, elle conclut
à ce que
la société Y.________ soit condamnée à lui verser la somme de 327
156,40 US$
avec intérêts à 5% dès le 1er avril 1989.

La société intimée propose le rejet du recours . Dans sa réponse,
elle forme
un recours joint, mettant en cause principalement l'arrêt incident du
22
septembre 1995, et conclut à l'irrecevabilité ou au rejet de la
demande.

La recourante principale conclut au rejet du recours joint.

Dans une lettre présentée hors délai, la défenderesse a produit une
pièce
nouvelle selon laquelle sa partie adverse a été radiée du registre du
commerce de Düsseldorf le 21 juillet 1998.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé partiellement dans sa
demande en
paiement et dirigée contre un jugement final rendu en dernière
instance
cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une
contestation
civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art.
46 OJ),
le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été
formé en
temps utile (art. 54 al. 1 et 32 al. 2 OJ) dans les formes requises
(art. 55
OJ).

Dans sa réponse, la défenderesse, qui a également succombé
partiellement, a
pris des conclusions pour demander la réforme de l'arrêt attaqué au
détriment
de la partie recourante. Ce recours joint est également recevable
(cf. art.
59 al. 2 et 3 OJ).

1.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral
(art. 43
al. 1 OJ). Il ne permet en revanche pas d'invoquer la violation
directe d'un
droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la
violation du
droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).
S'agissant
d'une contestation pécuniaire, le Tribunal fédéral, ne peut contrôler
la
bonne application par l'autorité cantonale du droit étranger désigné
par le
droit international privé suisse (art. 43a al. 2 OJ a contrario; ATF
127 III
123 consid. 2f; 126 III 492 consid. 3a).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à
moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été
violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant
sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter
les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu
compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis
(art. 64
OJ; ATF 127 III 248 ibidem). Dans la mesure où une partie recourante
présente
un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision
attaquée, sans
se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent
d'être
rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 127 III 248
consid.
2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de
fait, ni
de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le
recours n'est pas ouvert pour se plaindre de l'appréciation des
preuves et
des constatations de fait qui en découlent (ATF 126 III 189 consid.
2a; 125
III 78 consid. 3a).

Si le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des conclusions des
parties,
lesquelles ne peuvent en prendre de nouvelles (art. 55 al. 1 let. b
in fine
OJ), il n'est lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1
OJ), ni
par ceux de la décision cantonale, de sorte qu'il peut apprécier
librement la
qualification juridique des faits constatés (art. 63 al. 3 OJ; ATF
127 III
248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

1.3 La défenderesse a présenté, hors délai, une pièce nouvelle en vue
d'établir un fait non retenu par la cour cantonale (une radiation au
registre
du commerce allemand); il n'y a pas lieu d'en tenir compte, dès lors
que la
production d'un moyen de preuve nouveau en instance de réforme est
exclu
(art. 55 al. 1 let. c OJ).

2.
2.1Pour examiner dans l'ordre logique les griefs soulevés par les
parties, il
faut examiner en premier lieu le recours joint.

Préalablement, il convient de déterminer, en fonction du droit
international
privé suisse, quelles sont les règles applicables.

Savoir si la société iranienne - inscrite au registre du commerce
iranien
selon les constatations cantonales (arrêt du 22 septembre 1995 p. 3)
- a été
valablement constituée, si elle a été valablement dissoute et
liquidée et
quels étaient les organes habilités à la représenter sont des
questions qui,
en vertu des art. 154 et 155 LDIP, relèvent du droit iranien. Dès
lors que la
cour cantonale ne prétend pas avoir appliqué le droit suisse, ce
qu'elle a
admis à ce sujet, même implicitement, relève de la bonne application
du droit
iranien et ne peut donc être réexaminé en instance de réforme,
s'agissant
d'une contestation de caractère pécuniaire (art. 43a al. 2 OJ a
contrario).

Les mêmes questions concernant la société allemande recourante, dès
lors
qu'il a été constaté en fait qu'elle avait été inscrite au registre du
commerce de Düsseldorf (arrêt du 22 septembre 1995 p. 3),
ressortissent au
droit allemand et, pour les mêmes raisons, ne peuvent pas être
réexaminées
ici.

Il faut ensuite s'interroger sur le droit applicable à la relation
contractuelle qui a été nouée, en mars 1989, entre la société
iranienne et la
société suisse recourante par voie de jonction.
La qualification doit être opérée selon la loi du for (ATF 127 III 123
consid. 2c, 553 consid. 2c).

Il ressort des constatations cantonales - qui lient le Tribunal
fédéral saisi
d'un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ) - que la société suisse
s'est
engagée, à la demande de la société iranienne, à lui fournir des
conseils en
matière d'assurance. La cour cantonale a considéré qu'un tel accord se
caractérisait, selon la loi du for, comme un mandat (cf. art. 394 al.
1 CO).
Cette qualification n'est pas contestée par les parties et il n'y a
pas lieu
d'y revenir.

Il ne résulte pas de l'état de fait déterminant qu'une élection de
droit ait
été convenue (art. 116 LDIP).

En pareille situation, le contrat est régi par le droit de l'Etat
avec lequel
il présente les liens les plus étroits (art. 117 al. 1 LDIP). Ces
liens sont
réputés exister avec l'Etat dans lequel la partie qui doit fournir la
prestation caractéristique a sa résidence habituelle ou, si le
contrat est
conclu dans l'exercice d'une activité professionnelle ou commerciale,
son
établissement (art. 117 al. 2 LDIP). Comme le mandat a pour objet de
rendre
un service, il faut considérer que celui-ci constitue la prestation
caractéristique (art. 117 al. 3 let. c LDIP). En conséquence, le
mandat, en
droit international privé suisse, est régi, en l'absence d'élection,
par le
droit de l'Etat dans lequel le mandataire a sa résidence habituelle.

Du moment que la société suisse a conclu le contrat dans l'exercice
de son
activité professionnelle ou commerciale, c'est le lieu de son
établissement
qui est déterminant (art. 117 al. 2 LDIP). L'établissement d'une
société se
trouve dans l'Etat dans lequel elle a son siège ou une succursale
(art. 21
al. 3 LDIP). En l'espèce, il n'a pas été retenu que le contrat aurait
été
passé avec une succursale. Le rattachement dépend ainsi du siège
social de la
société mandataire, lequel se trouve à Genève (Suisse). Ce contrat
est donc
régi par le droit suisse (cf. sur la détermination du droit
applicable: ATF
127 III 123 consid. 2c).

Quand le droit international privé suisse désigne la loi applicable,
cette
désignation s'étend en principe à toutes les dispositions applicables
à la
cause (cf. art. 13 LDIP). En particulier, la loi désignée règle aussi
bien la
naissance que les effets de l'obligation; elle régit
donc également
les
conséquences d'une inexécution ou d'une mauvaise exécution (ATF 127
III 123
consid. 2d; 125 III 443 consid. 3c). En l'espèce, c'est donc le droit
suisse
qui régit les conditions de la responsabilité contractuelle et
l'étendue de
l'obligation de réparer le dommage causé.
Il a été retenu que la société iranienne avait cédé sa créance en
réparation
à la société allemande. Selon l'art. 145 al. 1 LDIP, la cession
contractuelle
de créances est régie, à défaut de droit choisi, par le droit
applicable à la
créance cédée. Ce droit régit également la forme de la cession (art.
145 al.
3 LDIP). Dès lors qu'aucune élection de droit n'a été établie en
fait, il
faut en déduire que cette cession de créance est régie par le droit
suisse,
en tant que droit dont relève la créance en réparation cédée. Les
art. 164 ss
CO sont donc applicables, y compris l'art. 165 al. 1 CO qui requiert
la forme
écrite.

En ce qui concerne le contrat d'assurance conclu entre la société
iranienne
et les assureurs anglais, il faut déterminer le droit applicable en
suivant
le même raisonnement que celui adopté ci-dessus au sujet du mandat
(cf. ATF
127 III 123 consid. 2c). Dès lors qu'aucune élection de droit n'a été
constatée en fait, il faut admettre que la prestation
caractéristique, dans
le cas d'un contrat d'assurance, est celle fournie par l'assureur
(Amstutz/Vogt/Wang, Commentaire bâlois, n. 58 ad art. 117 LDIP;
Keller/Kren
Kostkiewicz, IPRG Kommentar, n. 121 ad art. 117 LDIP; Dutoit,
Commentaire de
la loi fédérale du 18 décembre 1987, 3ème éd., n. 31 ad art. 117
LDIP). Comme
le contrat a été conclu dans l'exercice d'une profession ou d'un
commerce, il
faut appliquer la loi du siège des assureurs, dès lors qu'il n'a pas
été
retenu qu'ils auraient agi par une succursale. En conséquence, le
droit
anglais est applicable à ce contrat.

2.2 L'arrêt rendu par la cour cantonale le 22 septembre 1995 n'est
pas une
décision finale (sur cette notion: cf. ATF 127 III 433 consid. 1b/aa,
474
consid. 1a; 126 III 445 consid. 3b; 123 III 414 consid. 1). En tant
qu'étape
vers la décision finale, la cour cantonale s'est bornée à trancher la
question de savoir si la société allemande demanderesse pouvait, en
vertu
d'une cession, être titulaire de la créance en réparation contestée
qu'elle
invoquait en justice. Une telle décision n'était pas susceptible d'un
recours
en réforme immédiat, de sorte que l'intimée, dans son recours par
voie de
jonction, peut l'attaquer dans un recours dirigé contre la décision
finale
(cf. ATF 123 III 140 consid. 2c; 122 III 254 consid. 2a; 118 II 91
consid.
1b; sur l'ensemble de la question: Corboz, Le recours en réforme au
Tribunal
fédéral, in: SJ 2000 II p. 6 ss).

A lire les conclusions de la recourante par voie de jonction, ce
serait une
question de recevabilité que de savoir si sa partie adverse est
titulaire des
droits qu'elle invoque. Cette opinion est erronée: il s'agit
clairement d'une
question de fond (cf. ATF 126 III 59 consid. 1a; 125 III 82 consid.
1a).

La cour cantonale est parvenue à la conclusion que la société
iranienne était
entrée en liquidation et que son animateur était habilité à la
représenter
seul. Ces questions relèvent du droit iranien et ne sont donc pas
susceptibles d'être réexaminées ici. Elle a estimé également que la
même
personne était l'organe habilité à engager la société allemande. Cette
question concerne le droit allemand et ne peut donc pas davantage être
réexaminée ici.
Procédant à l'appréciation des preuves produites, l'autorité
cantonale est
parvenue à la conviction que l'organe compétent des deux sociétés en
cause a
eu la volonté d'opérer le transfert des droits litigieux et que cette
volonté
a été exprimée d'une manière suffisante par écrit. Savoir si un
document
existe ou non et en déterminer le contenu sont des questions de fait;
si le
juge, procédant à une appréciation des preuves, est convaincu que les
parties
ont eu une intention réelle commune, il s'agit également d'une
constatation
de fait (cf. ATF 126 III 25 consid. 3c, 375 consid. 2e/aa; 125 III 305
consid. 2b, 435 consid. 2a/aa). Dès lors que la cour cantonale a
constaté
qu'il existe un ou plusieurs documents dans lesquels les deux
sociétés ont
exprimé leur réelle et commune intention de transférer les droits
litigieux,
le Tribunal fédéral est lié par ces constatations de fait (art. 63
al. 2 et
55 al. 1 let. c OJ).

Sur la base de l'état de fait déterminant, il n'apparaît nullement
que la
cour cantonale aurait méconnu l'exigence de la forme écrite posée par
l'art.
165 al. 1 CO (applicable en vertu de l'art. 145 al. 3 LDIP). On ne
voit pas
non plus en quoi elle aurait perdu de vue les conditions de validité
d'une
cession de créance selon les art. 164 ss CO, applicables en vertu de
l'art.
145 al. 1 LDIP.

2.3 La recourante par voie de jonction soutient que sa partie adverse
aurait
dû établir que la société iranienne cédante avait acquis valablement
la
propriété de chacun des tapis en cause, selon le droit désigné par
l'art. 100
al. 1 LDIP.

Elle se trompe toutefois sur la pertinence de la question.

L'action introduite par la société cessionnaire est une action
contractuelle
tendant à la réparation du dommage causé par la mauvaise exécution du
mandat.
La partie demanderesse ne se fonde pas sur le droit de propriété et ne
soutient pas que la défenderesse aurait violé un devoir général en
portant
atteinte à ce droit absolu (cf. ATF 123 III 306 consid. 4a; 119 II 127
consid. 3). Elle n'invoque pas la violation d'un devoir universel,
mais d'un
devoir relatif, c'est-à-dire d'un devoir né d'un acte juridique et qui
n'incombe qu'au cocontractant (cf. Engel, Traité des obligations en
droit
suisse, 2ème éd., p. 12; Brehm, Commentaire bernois, n. 41 ad art. 41
CO).

Il n'est pas reproché à la recourante par voie de jonction d'avoir
elle-même
endommagé les tapis, mais de ne pas avoir donné les conseils qu'elle
devait
en qualité de mandataire, de telle sorte que les tapis n'étaient en
réalité
pas assurés et qu'il n'a pas été possible d'obtenir des prestations
d'assurance pour les dégâts causés par les intempéries. Le devoir de
donner
des conseils adéquats résulte du mandat et seul le cocontractant peut
se
plaindre d'une mauvaise exécution de cette obligation contractuelle.
Il n'est
donc pas douteux que la société iranienne cédante, en tant que
mandante,
était titulaire de la créance en réparation litigieuse reposant sur
une
mauvaise exécution du mandat. A la suite de la cession, la société
allemande
est devenue titulaire de cette créance.
Le mandataire qui exécute mal ses obligations doit réparation à son
cocontractant (art. 97 al. 1 CO). Le dommage causé par une mauvaise
exécution
peut consister aussi bien en une diminution de l'actif qu'en une
augmentation
du passif (cf. ATF 128 III 22 consid. 2e/aa; 127 III 543 consid. 2b).
Dès
lors, il est sans pertinence de savoir qui était propriétaire des
tapis.
S'ils appartenaient à la société iranienne, celle-ci a subi une
diminution de
son actif. Si les tapis lui ont été confiés par un tiers, elle est
responsable contractuellement à son égard du fait que ces objets de
valeur
n'ont, par négligence, pas été assurés; elle subit alors une
augmentation de
son passif sous la forme d'une dette à l'égard du cocontractant. Sur
la base
de l'état de fait qui lie le Tribunal fédéral, aucune autre hypothèse
ne se
conçoit. Comme on peut admettre (en l'absence d'autres données
factuelles)
que le dommage est le même dans les deux cas (diminution de
l'actif/augmentation du passif), la question soulevée par la
défenderesse est
sans pertinence.

2.4 La cour cantonale a constaté que l'intimée avait été chargée de
conseiller la société iranienne en matière d'assurance, étant une
spécialiste
de ce domaine. Elle a retenu que la défenderesse, sur la base des
documents
qui lui ont été transmis, aurait dû remarquer que les assureurs
anglais
exigeaient que la valeur soit déclarée à la compagnie aérienne et que
le
transport prévu ne prévoyait pas cela; elle aurait dû réagir et
signaler le
problème à son cocontractant qui n'aurait pas manqué de prendre les
mesures
nécessaires pour que ces objets de valeur soient assurés; si l'intimée
s'était conformée à son devoir de diligence, les tapis auraient été
assurés
et la société iranienne aurait reçu les prestations de l'assurance
pour les
dégâts constatés.

On ne voit pas en quoi ce raisonnement violerait le droit fédéral,
applicable
au contrat d'espèce et aux conséquences de sa mauvaise exécution. En
particulier, la cour cantonale n'a pas violé les règles du droit
fédéral sur
le fardeau de la preuve (art. 8 CC), ni méconnu l'exigence de la
causalité
(art. 97 al. 1 CO).

Sans tenter la moindre démonstration en droit anglais, la recourante
par voie
de jonction prétend que le contrat d'assurance était de toute façon
sans
effet en droit anglais, parce que les tapis étaient surévalués.

On ne trouve cependant nulle part dans l'arrêt cantonal la
constatation que
les tapis étaient surévalués, la cour cantonale s'étant bornée à
faire part
d'un doute. Ainsi, la construction juridique suggérée par l'intimée
repose
entièrement sur un fait (la surévaluation des tapis, cf. ATF 120 II
259
consid. 2a) qui n'a pas été constaté par la cour cantonale, ce qui
n'est pas
admissible en instance de réforme. Au demeurant, dès lors que le
rapport de
causalité était dûment établi, c'était à l'intimée qu'il incombait de
prouver
un fait qui puisse conduire à le remettre en question (cf. Kummer,
Commentaire bernois, n. 246 ad art. 8 CC). L'appréciation des preuves
et
l'établissement des faits ne peuvent donner matière à un recours en
réforme,
mais seulement à un recours de droit public pour arbitraire (ATF 127
III 543
consid. 2c; 126 III 189 consid. 2a; 125 III 78 consid. 3a).

2.5 La recourante par voie de jonction reproche enfin à la cour
cantonale
d'avoir sous-estimé la faute concomitante.

En cas de faute concomitante, le juge peut réduire les
dommages-intérêts, ou
même n'en point allouer (art. 44 al. 1 CO). Cette règle est également
applicable en matière de responsabilité contractuelle (art. 99 al. 3
CO).
Comme le mandat est soumis au droit suisse, ces dispositions sont
applicables.

La cour cantonale ne les a pas ignorées puisqu'elle a admis
l'existence d'une
faute concomitante et qu'elle a procédé à une réduction des
dommages-intérêts. Le litige ne porte plus que sur la gravité de
cette faute.
Il s'agit là d'une question d'appréciation.

Lorsque la norme applicable accorde un pouvoir d'appréciation au juge,
celui-ci ne viole pas le droit fédéral en faisant usage du pouvoir
que lui
donne la loi; le Tribunal fédéral ne doit en principe pas substituer
sa
propre appréciation à celle du juge du fait; il ne peut intervenir, en
considérant le droit fédéral comme violé, que si le juge est sorti des
limites que la norme lui fixe, s'il n'a pas tenu compte des critères
pertinents, s'il s'est laissé guider par des considérations
étrangères à la
disposition applicable ou encore s'il a fait de son pouvoir un usage
choquant
et inexplicable, au point que l'on doive parler d'un abus du pouvoir
d'appréciation (ATF 127 III 300 consid. 6b, 310 consid. 3; 126 III 223
consid. 4a; 125 III 226 consid. 4b, 412 consid. 2a).

La cour cantonale a constaté que le dirigeant de la société iranienne
avait
reçu les mêmes documents que l'intimée et qu'il pouvait, en commerçant
expérimenté, également constater la discordance entre le transport
prévu et
l'exigence des assureurs anglais. Elle a cependant admis qu'il était
légitime
qu'il se repose largement sur le mandataire spécialisé qu'il avait
mis en
oeuvre pour traiter les problèmes d'assurance, de sorte que l'on
pouvait
comprendre qu'il ait examiné ces questions avec moins d'attention. On
ne voit
pas en quoi ce raisonnement violerait le droit fédéral. Par ailleurs,
on ne
sait pas très bien dans quelle mesure le dirigeant de la société
iranienne
aurait pu éviter que les tapis restent aussi longtemps sur le tarmac,
puisqu'il a été retenu qu'ils y sont restés "pendant plusieurs jours,
apparemment en attente des formalités douanières" (arrêt attaqué p.
6), sans
que l'on sache si la société iranienne aurait pu accélérer le cours
de ces
formalités. On ne discerne aucune violation du droit fédéral à
considérer cet
élément comme secondaire. En estimant en conclusion que la société
lésée
devait assumer le 20% de son dommage, on ne peut pas dire que la cour
cantonale se soit écartée des critères pertinents, qu'elle ait pris en
considération des éléments qui n'auraient pas dû l'être ou qu'elle
ait abusé
du large pouvoir d'appréciation qui lui est reconnu en cette matière
par le
législateur fédéral.
ll suit de là que le recours joint doit être intégralement rejeté.

3.
3.1La recourante principale soutient que la cour cantonale a méconnu
la
notion juridique du dommage.

Dire s'il y a eu un dommage et quelle en est la quotité est une
question de
fait qui ne peut être revue dans un recours en réforme (ATF 128 III 22
consid. 2e; 127 III 73 consid. 3c, 543 consid. 2b; 126 III 388
consid. 8a);
en revanche, le Tribunal fédéral peut examiner si la notion juridique
de
dommage a été méconnue, parce qu'il s'agit d'une question de droit
fédéral
(ATF 128 III 22 consid. 2e; 127 III 73 consid. 3c, 543 consid.
2b).

Le dommage juridiquement reconnu réside dans la diminution
involontaire de la
fortune nette; il correspond à la différence entre le montant actuel
du
patrimoine du lésé et le montant qu'aurait ce même patrimoine si
l'événement
dommageable ne s'était pas produit (ATF 128 III 22 consid. 2e/aa; 127
III 73
consid. 4a, 403 consid. 4a, 543 consid. 2b). Le dommage peut se
présenter
sous la forme d'une diminution de l'actif, d'une augmentation du
passif,
d'une non-augmentation de l'actif ou d'une non-diminution du passif
(ATF 128
III 22 consid. 2e/aa; 127 III 543 consid. 2b).

Lorsque le fait dommageable ne cause pas seulement un préjudice, mais
également un gain (notamment sous la forme d'une économie), il faut
opérer la
compensatio lucri cum damno (ATF 128 III 22 consid. 2e/cc et les
auteurs
cités).

3.2 La cour cantonale a estimé que si l'exigence fixée par les
assureurs
avait été respectée, ceux-ci auraient réparé le préjudice résultant
du fait
que le tapis n° 1118 a été endommagé lors de l'exposition dans la
galerie à
Washington. Elle en a déduit que ce préjudice devait être pris en
considération dans le calcul du dommage (arrêt attaqué p. 16 et 17).
Par la
suite, de manière incompréhensible, ce tapis n° 1118 a été exclu lors
du
calcul du dommage à réparer (arrêt attaqué p. 19). Il semble qu'une
inadvertance se soit produite, voire une confusion entre des tapis.
L'intimée
n'a pu apporter aucun éclaircissement à ce sujet et s'en est
rapportée à
justice.

Admettre un poste du dommage, puis en refuser sans raison la
réparation
revient à violer l'art. 97 al. 1 CO. Le recours principal doit donc
être
admis sur ce point.
L'arrêt attaqué ne contient aucune constatation de fait sur le
préjudice
relatif aux dégâts subis par ce tapis. Il faut ainsi annuler l'arrêt
attaqué
et renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à
nouveau sur
cette question (cf. art. 64 al. 1 OJ).

3.3 La recourante principale reproche à la cour cantonale de ne pas
avoir
tenu compte d'une prétendue dévaluation du marché des tapis anciens
entre
1989 et 1997.

La cour cantonale a retenu que si la société intimée avait respecté
son
devoir de diligence, la valeur aurait été déclarée à la compagnie
aérienne et
les tapis auraient été assurés; en conséquence, la société iranienne
aurait
reçu les prestations des assureurs après les vérifications usuelles.
L'omission reprochée à l'intimée a donc eu pour conséquence de
frustrer la
société iranienne des prestations d'assurance. La lésée doit donc,
grâce aux
dommages-intérêts, être placée dans la même situation que si elle
avait reçu
lesdites prestations. La cour cantonale a estimé que ces prestations
auraient
été versées vers 1989 et que les calculs devaient être effectués en
fonction
de cette date. Ce raisonnement ne prête pas le flanc à la critique.

Que la société iranienne ait gardé les tapis et que ceux-ci aient
perdu de
leur valeur entre 1989 et 1997 ne peut pas être mis en relation de
causalité
avec l'omission reprochée à l'intimée.

Il semble que la recourante principale invoque plutôt un préjudice
résultant
de l'existence du procès. Elle ne l'a cependant pas motivé sous cet
angle et
elle n'a pas expliqué pourquoi sa partie adverse serait responsable
de la
durée de la procédure. Le rejet de cette prétention ne transgresse
pas le
droit fédéral.

3.4 La recourante principale reproche enfin à la cour cantonale
d'avoir
soustrait du dommage le montant plus élevé qui aurait dû être payé
pour le
transport si la valeur avait été déclarée.

L'omission reprochée à l'intimée a eu pour conséquence que les tapis
n'étaient pas assurés. Le dommage auquel la société iranienne pouvait
prétendre correspond donc à la différence entre l'état de son
patrimoine sans
que les tapis ne soient assurés (situation réelle) et l'état de ce
même
patrimoine si les tapis avaient été assurés (situation hypothétique).

Il est évident que si les tapis avaient été correctement assurés, la
société
iranienne aurait dû payer pour cela une prime d'assurance (qui lui a
été
remboursée) et supporter un coût de transport plus élevé, lié à
l'extension
de la responsabilité de la compagnie aérienne en raison de la valeur
déclarée. En ne remplissant pas les conditions fixées par les
assureurs, la
société iranienne a fait l'économie du coût supplémentaire du
transport et il
est justifié d'en tenir compte au titre de la compensatio lucri cum
damno
(cf. ATF 128 III 22 consid. 2e/cc). La société iranienne ne peut pas
prétendre être placée comme si elle avait été assurée et ne pas
assumer les
coûts qui auraient résulté d'une assurance valablement conclue.

Sous cet angle également, on ne discerne aucune violation du droit
fédéral.

4.
La recourante principale obtient gain de cause sur un seul point, qui
était
indiscutable et qui a pu être liquidé très facilement. On ne peut pas
dire
que l'intimée succombe - au sens de l'art. 159 al. 1 OJ - sur ce
point,
puisqu'elle s'en est rapportée à justice.

En revanche, chacune des parties succombe sur tous les griefs
réellement
litigieux formulés dans leur recours respectif. Dans ces
circonstances, il se
justifie de compenser les dépens (cf. art. 159 al. 1 OJ).

Chacune des parties devra supporter les frais de son propre recours
(art. 156
al. 1 OJ); il sera tenu compte du fait que la réforme demandée par la
recourante principale portait sur un montant plus important.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours joint est rejeté.

2.
Le recours principal est partiellement admis et l'arrêt attaqué est
annulé,
la cause étant renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision au
sens
des considérants.

3.
Un émolument judiciaire de 8000 fr. est mis à la charge de la
recourante
principale.

4.
Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge de la
recourante par
voie de jonction.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties
et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 14 mai 2002

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier:


Synthèse
Numéro d'arrêt : 4C.193/2001
Date de la décision : 14/05/2002
1re cour civile

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2002-05-14;4c.193.2001 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award