Tribunal administratif N° 47947 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47947 2e chambre Inscrit le 16 septembre 2022 Audience publique du 3 octobre 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée (AA) SARL, …, contre une décision du ministre des Classes moyennes en matière de contribution temporaire de l’Etat aux coûts non couverts pour les mois de novembre 2020 et mars et avril 2021
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47947 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 septembre 2022 par la société à responsabilité limitée F&F Legal SARL, inscrite sur la liste V du Tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1720 Luxembourg, 6, rue Heine, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B230842, représentée aux fins des présentes par Maître Jean Faltz, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son ou ses gérants actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant à l’annulation d’une décision rendue par le ministre des Classes moyennes en date du 20 juin 2022 « port[ant] le numéro de référence … » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2022 par la société à responsabilité limitée F&F Legal SARL, au nom de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean Faltz et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 juin 2024.
Il est constant en cause qu’en date des 14 et 15 septembre 2021, la société à responsabilité limitée (AA) SARL, ci-après désignée par « la société (AA) », introduisit, par l’intermédiaire de sa fiduciaire, des demandes en obtention d’aides étatiques pour les coûts non 1couverts pour le mois de novembre 2020 ainsi que pour les mois de mars et d’avril 2021 auprès du ministère de l’Economie, ci-après désigné par « le ministère ».
Par courrier de son litismandataire du 26 avril 2022, duquel il ressort qu’une aide partielle aux coûts non couverts pour le mois de novembre 2020 et les mois de mars et d’avril 2021 a été octroyée à la société (AA), celle-ci sollicita la reconsidération des montants octroyés pour lesdits mois, courrier qui resta toutefois sans suite.
Un courrier de relance fut adressé au ministère en date du 15 juin 2022 par le litismandataire de la société (AA).
Par décision du 20 juin 2022, le ministre des Classes moyennes, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à cette demande sur base des considérations et motifs suivants :
« […] Par la présente, nous nous permettons de revenir vers vous quant à votre estimée du 26 avril 2022 par laquelle vous sollicitez une reconsidération des aides coûts non couverts pour les mois de novembre 2020, mars 2021 et avril 2021 accordées à votre mandante, la société (AA) Sarl.
Concernant lesdites aides accordées à votre mandante, il s'avère que la demande pour le mois de novembre 2020 a été avisée favorablement et un montant à hauteur de … EUR a été octroyé à votre mandante en date du 27 octobre 2021. Les demandes pour les mois de mars et avril 2021, celles-ci ont également été avisées favorablement, un montant de … EUR pour le mois de mars 2021 d'une part et un montant de … EUR d'autre part ont été octroyés à votre mandante en date des 2 et 3 novembre 2021.
En effet, il n'a pas été tenu compte dans la détermination des dépenses éligibles des différentes variations de stock relevées dans les comptes « profits et pertes » joints par votre mandante, et ce au motif que les variations de stocks ne constituent pas une charge d'exploitation encourue par l'entreprise demanderesse au cours du mois pour lequel l'aide est sollicitée.
Les variations de stock ne constituent pas une charge d'exploitation encourue au cours du mois pour lequel l'aide est sollicitée, mais ces dernières sont mesurées à la fin de l'exercice comptable par la valeur des entrées en stocks diminuée de la valeur des sorties de stocks, permettant ainsi de déterminer la situation économique et financière d'une entreprise tant au début qu'à la clôture de l'exercice comptable.
Partant, au vu de ce qui précède, aucune suite favorable ne saura être réservée à votre demande. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 septembre 2022 la société (AA) a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 20 juin 2022.
Dans la mesure où aucune disposition légale n’institue un recours en réformation dans la présente matière, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation sous analyse, qui a, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
2A l’appui de son recours, la société (AA) expose les faits et rétroactes à la base du présent litige, tout en relevant que, durant la pandémie de la Covid-19 elle aurait été « sujette à des difficultés », alors que son activité principale serait le commerce de détail « Duty Free » à l’aéroport du Findel, raison pour laquelle elle aurait sollicité une aide pour les coûts non couverts en vertu de la loi modifiée du 19 décembre 2020 ayant pour objet la mise en place d’une contribution temporaire de l’État aux coûts non couverts de certaines entreprises, désignée ci-après par « la loi du 19 décembre 2020 », pour le mois de novembre 2020 et de mars et d’avril 2021.
Elle reproche au ministre de ne pas avoir octroyé l’entièreté du montant sollicité au titre de la demande d’aide étatique, au motif que les variations de stock ne seraient pas des dépenses éligibles. Elle explique, à cet égard, que pour la demande d’aide relative au mois de novembre 2020, elle aurait bénéficié d’un montant de … EUR, alors que sa demande d’aide aurait été de … EUR. Quant aux deux autres demandes, un montant de … EUR aurait été octroyé pour le mois de mars 2021, au lieu des … EUR demandés et seul un montant de … EUR aurait été octroyé pour le mois d’avril 2021 alors que la demande d’aide aurait porté sur un montant total de … EUR.
Elle estime que la décision litigieuse serait à annuler, alors que le motif sur lequel elle se baserait ne serait pas fondé.
En premier lieu, la société (AA) explique que les variations de stock seraient bien des dépenses éligibles, alors que sa méthode de comptabilisation tiendrait compte de la méthode d’un inventaire permanent, qui constituerait l’approche la plus instantanée possible prévue dans le droit comptable luxembourgeois. Ainsi, selon cette méthode, la variation de stock serait constituée par la différence entre le stock initial et le stock final en raison de la vente de marchandises, de sorte à équivaloir au prix d’acquisition des marchandises, multiplié par les quantités vendues.
La variation de stock serait enregistrée de manière permanente, après chaque vente, de sorte que les sorties du stock pourraient être enregistrées au moment même de la vente, alors que si la variation de stock n’était enregistrée qu’en fin d’année, aucun résultat d’exploitation mensuel, voir périodique ne saurait être déterminé.
Il en résulterait que seules les marchandises achetées par les clients de l’aéroport auraient un impact sur le compte de résultat, de sorte que la variation de stock devrait être retenue comme une dépense éligible.
La société (AA) explique ensuite que les variations de stock ne seraient pas définies dans la loi du 19 décembre 2020. En revanche, la loi définirait les « coûts non couverts » comme étant « la différence négative entre d’une part le total des recettes réalisées par l’entreprise au cours du mois pour lequel l’aide est sollicitée et d’autre part, le montant des charges d’exploitation encourue au cours du même mois ». Dans son article 3, point 2, ladite loi définirait encore le terme de « charges d’exploitation » et en exclurait les dotations aux corrections de valeur et ajustements de juste valeur sur frais d’établissement, sur immobilisations incorporelles et corporelles et sur actifs circulants (hors valeurs mobilières) reprises au point 63 de l’annexe du règlement grand-ducal du 12 septembre 2019 déterminant le contenu du plan comptable normalisé visé à l’article 12 du Code de commerce, désigné ci-
après par « le règlement du 12 septembre 2019 ».
3La société demanderesse en déduit que les variations de stock ne seraient pas reprises dans les exclusions prévues par la disposition précitée et seraient donc à considérer comme des dépenses éligibles.
Elle ajoute que l’article 3, point 2 de la loi précitée renverrait d’ailleurs explicitement au règlement du 12 septembre 2019. Le plan comptable normalisé serait réparti en différentes catégories et sous-catégories et permettrait clairement de distinguer la variation de stock et les dotations aux corrections de valeur et ajustements de juste valeur sur frais d’établissement. En vertu du règlement du 12 septembre 2019, il serait manifeste que la variation de stock ne serait pas un élément de la catégorie « 63 - Dotations aux corrections de valeur (DCV) et ajustements de juste valeur (AJV) sur frais d’établissement, sur immobilisation incorporelles et corporelles et sur actifs circulants (hors valeurs mobilières) », étant donné qu’elle serait exclue par la loi du 19 décembre 2020.
La société demanderesse affirme encore que la loi du 19 décembre 2020, en excluant des dépenses éligibles les dotations aux corrections de valeur et ajustements de juste valeur, souhaiterait éviter que l’aide étatique en question ne soit octroyée à une société qui aurait corrigé son stock comportant des biens obsolètes, voir à faible rotation, dans l’unique but de voir ses coûts excéder ses recettes pour in fine, obtenir une aide étatique.
Elle souligne, en revanche, que la variation de stock, telle qu’incluse dans le calcul de la demande, serait un élément de la sous-catégorie « 607 - variation de stocks » reprise dans le plan comptable normalisé. Cette sous-catégorie serait elle-même un élément de la catégorie « 60 - Consommation de marchandises, de matières premières et consommables » qui reflèterait le prix d’achat multiplié par les quantités réellement vendues.
Selon la société demanderesse, elle tomberait dans cette catégorie, dans la mesure où elle achèterait des biens de consommation avant de les revendre. Comme les marchandises ainsi achetées mais non vendues se trouvant dans le stock ne constitueraient pas des charges, contrairement à la variation de stock qui serait une dépense éligible, les variations de stock constitueraient bien des dépenses éligibles établies de manière permanente, permettant, dès lors, d’être prises en compte pour les mois visés par la demande d’aide étatique.
Finalement, la société demanderesse détaille sa méthode de comptabilisation, qui consisterait à comptabiliser chaque achat comme un achat sous « l’écriture comptable n°1 », qui passerait ensuite dans le stock pour être emmagasiné, ce qui serait repris sous « l’écriture comptable n°2 », ce qui lui permettrait de connaître l’état du stock à tout moment. La marchandise ne sortirait du stock qu’au moment de sa vente, ce qui engendrerait l’enregistrement du prix de revient de ces marchandises sous « l’écriture n°3 », de sorte que seules les marchandises vendues aux clients auraient un impact sur le compte de résultat. Le stock comptable serait ainsi mis à jour à chaque vente et il n’existerait aucun décalage journalier, ni mensuel, voir même annuel, conformément à l’avis de « la commission des normes comptables belges ». Tant qu’une unité ne serait pas vendue, son achat ne constituerait pas une charge. Il en résulterait que la variation de stock ne serait pas un paramètre comptable mais permettrait de lier l’unité vendue à son achat respectif.
La société demanderesse reproche, dans ce contexte, au ministre de se méprendre dans son raisonnement en confondant une comptabilité recettes-dépenses et une comptabilité régulière/comptabilité d’engagement, alors que seule cette dernière serait requise par la loi pour toute société de capitaux.
4 Il ressortirait, en outre, des documents versés en cause que les variations de stock seraient à prendre en considération en tant que charges d’exploitation relatives au mois pour lequel l’aide est demandée, de sorte qu’en suivant l’argument du ministre selon lequel la variation de stock ne serait pas une « charge de la période », il y aurait également lieu de retenir que la vente n’est pas à considérer comme une « recette de la période », ce qui serait « dérisoire ». La société (AA) en déduit que seules les marchandises vendues aux clients auraient un impact sur le compte résultat et les variations de stock constitueraient, dès lors, des dépenses éligibles au sens de ladite loi.
Dans son mémoire en réplique, la société (AA) soutient que, contrairement aux affirmations du délégué du gouvernement, sa méthode de comptabilisation tiendrait compte de la méthode d’un inventaire permanent et instantané qui permettrait d’afficher un stock tenu à jour avec chaque vente réalisée.
La société (AA) explique que suivant le raisonnement de la partie étatique, toutes les charges d’exploitation relatives aux prix de revient des unités vendues au cours de l’année ne seraient comptabilisées qu’une seule fois au 31 décembre de l’année, alors que le système de gestion appliqué tendrait à éviter la navigation à vue pendant un laps de temps de 12 mois, délai qu’il faudrait attendre avant d’obtenir un résultat d’exploitation.
La méthode comptable qu’elle utiliserait, à savoir la méthode de l’inventaire permanent, qui constituerait la norme pour les grandes entreprises, permettrait d’enregistrer les sorties du stock au moment même de la vente. Cette méthode permettrait de vérifier les montants mis en compte en tant que variation de stock.
La société demanderesse soutient que sur base des tableaux qu’elle aurait versés, les variations de stock seraient bien reprises pour chaque mois correspondant à la demande en obtention de l’aide étatique.
Elle fait encore valoir que le projet de loi relatif à la loi du 19 décembre 2020 se serait inscrit dans une série d’initiatives législatives prises par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la pandémie de la Covid-19, afin de soutenir l’économie et d’atténuer les effets financiers et sociaux liés à la crise. Le projet de loi viserait à introduire une nouvelle aide financière, allouée sous forme de subventions en capital mensuelles.
La société demanderesse reproche à la partie étatique d’affirmer qu’une variation de stock ne constituerait pas une charge d’exploitation encourue au cours du mois pour lequel l’aide serait demandée, au motif que le montant de cette aide serait déterminé à la fin de l’exercice comptable par la valeur des entrées en stock diminuée de la valeur des sorties de stock.
Elle entendrait à cet égard rappeler qu’en vertu de l’article 3, point 2 de la loi du 19 décembre 2020, les variations de stock ne seraient pas exclues des charges d’exploitation en ajoutant qu’il serait difficile de concevoir que selon l’esprit de la loi, les ventes (recettes variables) devraient être prises compte et que les frais variables (coûts d’acquisition/coût de revient) directement liés à ces recettes ne devraient pas être pris en compte. Elle reproche, dans ce contexte, à la partie étatique de ne pas prendre position quant à la question de savoir si les variations de stock seraient à exclure des charges d’exploitation.
5La société (AA) reproche encore à la partie étatique de soutenir que la variation de stock représenterait la différence entre l’état du stock de marchandises au début et à la fin de l’année comptable, de sorte qu’elle ne constituerait pas une dépense éligible relative au mois sollicité, ce qu’elle contesterait, en rappelant que les variations de stock ne seraient pas seulement mesurées en fin d’année comptable.
Elle réitère qu’une variation de stock serait réalisée lorsqu’une unité serait vendue, de sorte que le stock comptable serait mis à jour à chaque vente en rappelant qu’il n’y aurait pas de décalage journalier/mensuel et en aucun cas annuel, conformément à « l’avis de la commission des normes comptables belges ». Le prix de revient constituerait une charge d’exploitation uniquement pour les unités vendues. En d’autres termes, les unités non-vendues n’impacteraient pas, selon la société demanderesse, le résultat et ne seraient pas comprises dans les charges d’exploitation, en ce que, tant que l’unité ne serait pas vendue, son achat ne constituerait pas une charge, et la variation de stock ne serait dès lors pas un paramètre comptable, mais permettrait de lier l’unité vendue à son achat respectif.
Elle donne à considérer qu’il ne serait pas pertinent d’indiquer que le stock de marchandises se constituerait non seulement de marchandises acquises au cours du mois pour lequel l’aide est sollicitée, mais également de marchandises déjà acquises au cours des mois précédents puisque, comme développé ci-dessus, seul le prix d’acquisition de l’unité vendue durant le mois constituerait une charge. La société (AA) ajoute que d’un point de vue comptable, ce ne serait donc pas l’achat du bien qui constituerait une charge mais le prix d’acquisition du bien vendu comptabilisé au moment de sa vente pour conclure que les variations de stock constituent dès lors des dépenses éligibles au sens de la loi du 19 décembre 2020.
Il résulterait d’ailleurs des documents versés en cause que les variations de stock seraient à prendre en considération en tant que charges d’exploitation relatives au mois pour lequel l’aide serait demandée.
La société demanderesse reproche finalement à la partie étatique de considérer que seuls les achats de marchandises réalisés au cours du mois pour lequel l’aide étatique est sollicitée seraient à prendre en compte au titre de dépenses éligibles.
Elle conteste, à cet égard, l’interprétation de la loi telle que présentée par la partie étatique qui consisterait à considérer uniquement les achats du mois en question comme étant des charges d’exploitation et ce, indépendamment de savoir si une vente avait eu lieu ou non, ce qui ne serait pas conforme à ce que prévoirait la loi du 19 décembre 2020, en ajoutant que cette manière de procéder serait contraire à tout principe comptable et au fondement sur lequel elle aurait basé sa demande initiale.
La société demanderesse, en s’appuyant sur les tableaux comptables versés en l’espèce, met encore en exergue qu’en suivant l’interprétation de la loi telle que mise en avant par la partie étatique, ainsi que l’application comptable qui en découlerait, elle pourrait se voir accorder un montant d’aide étatique supérieur à celui demandé et octroyé pour les mois concernés.
Dans le dispositif de sa requête et de son mémoire en réplique, la société demanderesse formule encore à titre subsidiaire l’offre de preuve suivante : « voir nommer un expert avec la mission de : - Déterminer si les variations de stock constituent une charge d’exploitation 6considérée comme dépenses éligibles pour la partie requérante et donc à prendre en considération dans le calcul des coûts non couverts ».
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Dans sa version en vigueur lors de la prise de la décision déférée, en l’occurrence le 20 juin 2022, la loi du 19 décembre 2020 prévoyait, en son article 1er que « […] le ministre ayant les Classes moyennes dans ses attributions […] peut octroyer une aide sous forme de contribution aux coûts non couverts aux entreprises […]. » En son article 4, ladite loi prévoyait, dans sa version applicable au présent litige, ce qui suit : « (1) Le ministre peut octroyer une aide pour [le] mois […] de novembre […] 2020 […] pour autant que les conditions énoncées ci-après soient remplies : […] 2° [l’entreprise] exerçait l’activité visée à l’article 1er au 31 décembre 2019 et l’exerce durant le mois pour lequel l’aide est sollicitée. […] 6° l’entreprise unique a subi, au cours du mois pour lequel l’aide est sollicitée, une perte du chiffre d’affaires d’au moins quarante pour cent par rapport au même mois de l’année fiscale 2019 […]. ».
L’article 4bis de la loi du 19 décembre 2020 prévoyait encore, au moment de l’adoption de la décision déférée, qu’« [u]ne aide peut être accordée les mois de […] mars, avril […] 2021 pour autant que les conditions énoncées ci-après soient remplies : […] 2° [l’entreprise] exerçait l’activité visée à l’article 1er au 31 décembre 2020 et l’exerce durant le mois pour lequel l’aide est sollicitée. […] 4° l’entreprise a subi, au cours du mois pour lequel l’aide est sollicitée, une perte du chiffre d’affaires d’au moins 40 pour cent par rapport au même mois de l’année fiscale 2019 […] ».
Il convient également de relever que l’exposé des motifs du projet de loi n° 7703, ayant pour objet la mise en place d’une contribution temporaire de l’Etat aux coûts non couverts de certaines entreprises, ci-après désigné par « le projet de loi n° 7703 », prévoit que « les secteurs de la restauration, du tourisme, de l’évènementiel, de la culture et du divertissement sont gravement touchés par les mesures d’interdiction et de restriction qui ont été prises au niveau national et international pour limiter la propagation de la pandémie de COVID-19. […] Une aide financière sera allouée sous forme de subventions en capital mensuelles calculées sur base des coûts non couverts aux entreprises qui, au cours de tout ou partie de la période se situant entre le 1er novembre 2020 et le 30 mars 2021, auront subi une perte du chiffre d’affaires mensuel d’au moins 40% par rapport au mois correspondant de l’année 2019 ».
Au vu de ce qui précède, le ministre est compétent pour octroyer une aide étatique aux entreprises, sous forme de contribution aux coûts non couverts, pour autant que ces dernières aient subi une perte du chiffre d’affaires mensuel d’au moins 40% par rapport au mois correspondant de l’année 2019.
Il ressort de la décision ministérielle, précitée, du 20 juin 2022 que le ministre a partiellement octroyé une telle aide pour le mois de novembre 2020 et les mois de mars et avril 2021 à la société (AA), en précisant qu’il n’a pas été tenu compte dans la détermination des dépenses éligibles des différentes variations de stock relevées dans les comptes « profits et pertes », de sorte que la totalité du montant de l’aide étatique sollicitée n’a pas été octroyée.
7 En l’espèce, les parties sont en désaccord quant à la question de savoir si les variations de stock, telles que comptabilisées par la société demanderesse pour les mois de novembre 2020 et mars et avril 2021, font état de dépenses éligibles. En d’autres termes, il s’agit de vérifier si lesdites dépenses excèdent les recettes éligibles en l’espèce et si, in fine, la société (AA) peut bénéficier de l’aide financière au sens de l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 concernant la totalité des montants sollicités pour les mois en question.
Selon le commentaire de l’article 3 du projet de loi n° 7703, les coûts non couverts « constituent la base de calcul de l’aide octroyée sur base de la présente loi. Ils sont déterminés en soustrayant de la somme constituée par le montant total des recettes de la classe 7 « comptes de produits » énumérées à l’annexe du règlement grand-ducal du 12 septembre 2019 un montant correspondant à 75 % des charges d’exploitation encourues par l’entreprises au cours de la même période. Si le résultat de cette soustraction est positif, l’entreprise n’a pas droit à une aide au titre de la présente loi ».
Quant à la notion de charges d’exploitation, elles sont définies, aux termes de l’article 3, point 2 de loi du 19 décembre 2020, comme étant « les charges relevant de la « Classe 6 :
compte de charges » du plan comptable normalisé et énumérées à l’annexe du règlement grand-ducal du 12 septembre 2019 déterminant le contenu du plan comptable normalisé visé à l’article 12 du Code de commerce. Ne sont pas considérées comme charges d’exploitation, les dotations aux corrections de valeur et ajustements de juste valeur sur frais d’établissement, sur immobilisations incorporelles et corporelles et sur actifs circulants (hors valeurs mobilières) reprises au point 63 de l’annexe du règlement grand-ducal précité du 12 septembre 2019. ».
Or, tel que relevé à juste titre par la partie étatique et selon l’esprit de la loi du 19 décembre 2020, la contribution temporaire mise en place par l’Etat, servant à couvrir les charges d’exploitation considérées comme dépenses éligibles, est octroyée seulement pour les coûts encourus au cours du mois pour lequel la demande d’aide est sollicitée.
La société (AA) affirme, dans ce contexte, se servir d’un inventaire permanent et instantané, permettant ainsi de mesurer les variations de stock non seulement en fin d’année comptable, mais également à chaque vente effectuée, de sorte que lesdites variations peuvent être reprises pour chaque mois correspondant à la demande en obtention de l’aide étatique. La société demanderesse explique ainsi que selon sa méthode de l’inventaire permanent « les achats sont d’abord intégralement comptabilisés en charge (écriture n°1) avant d’être intégralement extournés des charges pour passer dans le stock (écriture n°2) et d’en sortir, seulement en cas de vente de la marchandise (écriture n°3) ».
Or, force est au tribunal de constater que cette méthode de l’inventaire permanent, telle que décrite par la société demanderesse, ne ressort cependant pas des « tableaux reprenant les variations de stock par mois + précisions des écritures » versés par la société (AA). Il échet, en effet, de relever que le montant des achats pour le mois de novembre 2020, libellés sous l’« ECRITURE 1 » pour un montant de « … » et comptabilisés en charges, ne correspond pas au montant de « -… » libellé sous l’« ECRITURE 2 », censé cependant constituer, selon les explications de la société demanderesse, lesdites charges de l’« ECRITURE 1 » intégralement extournées pour passer dans le stock. Le même constat s’impose concernant les écritures du mois de mars et d’avril 2021, selon lesquelles les achats d’un montant de « … » pour le mois de mars 2021, respectivement d’un montant de « … » pour le mois d’avril 2021 sont 8comptabilisés en charges sous l’« ECRITURE 1 », alors que les montants desdites charges passant dans le stock sous l’« ECRITURE 2 » sont de « -… » pour le mois de mars 2021, respectivement de « -… » pour le mois d’avril 2021, de sorte à ne pas correspondre aux montants relatifs aux mois en question inscrits sous l’« ECRITURE 1 ».
Force est également au tribunal de constater, qu’il ne ressort pas des « tableaux reprenant les variations de stock par mois + précision des écritures », communiqués par la société demanderesse, que les sorties de stock, telles que libellées par celle-ci sous l’« ECRITURE 3 », se composent uniquement de marchandises acquises au cours des mois respectifs pour lesquels une demande d’aide a été sollicitée. Le tribunal se doit également de relever, dans ce contexte, que bien que le document intitulé « tableaux reprenant les variations de stock par mois + précision des écritures » contienne une annotation faisant référence à différentes « annexes » numérotées « pour voir les mouvements instantanés relatifs aux ventes journalières » aucune pièce, respectivement « annexe » ayant trait auxdits mouvements n’a été versée en cause.
Le tribunal est, dans ce contexte, amené à préciser qu’il ne lui appartient pas d’analyser de son propre chef des documents versés par la société demanderesse pour y déceler d’éventuels éléments susceptibles de plaider en faveur de sa thèse1, à savoir en l’occurrence plus particulièrement « des extraits du grand livre de la comptabilité régulière » communiqué à l’aide d’une clé USB, sans que des explications circonstanciées quant aux éléments que la société demanderesse entend corroborer, voire démontrer n’aient été fournies à leur appui.
La société demanderesse reste dès lors en défaut de démontrer que les marchandises indiquées sous l’« ECRITURE 3 » durant les mois de novembre 2020, respectivement les mois de mars et d’avril 2021, ne se composent pas d’achats effectués par elle sous l’ « ECRITURE 1 » pendant les mois précédant ceux pour lesquels l’aide étatique a été sollicitée.
Au vu de tout ce qui précède, et plus particulièrement à défaut d’explications concernant les différences respectives entre les montants des « ECRITURE 1 » et « ECRITURE 2 » pour les mois pour lesquels l’aide étatique a été sollicitée, respectivement à défaut pour la société demanderesse de rattacher de manière claire et non équivoque les sorties de stock libellées par elle sous l’ « ECRITURE 3 » à des marchandises uniquement acquises au cours des mois respectifs pour lesquels une aide a été demandée, aucun reproche ne saurait être fait au ministre pour avoir conclu que les variations de stock, telles que présentées dans les écritures comptables versées par la société (AA), ne sauraient être retenues comme constituant des dépenses éligibles en vertu de l’article 3, point 2 de la loi du 19 décembre 2020.
Le moyen ayant trait à une violation de la loi du 19 décembre 2020 est partant rejeté.
Au regard de ces considérations, la demande d’institution d’une expertise comptable tendant à établir si les variations de stock constituent une charge d’exploitation considérée comme dépense éligible, laisse d’être pertinente en l’espèce. En effet, une expertise judiciaire ne saurait être ordonnée que lorsque les éléments concordants résultant du dossier font croire aux faits dont le demandeur offre de rapporter la preuve. Les tableaux versés en cause par la société demanderesse ne corroborent toutefois par ses explications, tel que le tribunal vient de le retenir.
1 Trib. adm. 30 mars 2018, n° 40756 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 497.
9Il n’y a, dès lors, pas lieu d’ordonner une expertise judiciaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours contre la décision du 20 juin 2022 est rejeté pour être non fondé.
Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 EUR formulée par la société demanderesse sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est rejetée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
déboute la société demanderesse de sa demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000 EUR ;
condamne la société demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemaire Theis, premier juge, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 3 octobre 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 octobre 2024 Le greffier du tribunal administratif 10