La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/08/2022 | LUXEMBOURG | N°47782

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 août 2022, 47782


Tribunal administratif Numéro 47782 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2022

JUGEMENT

du 12 août 2022 sur la régularité d’une décision de prolongation de rétention administrative Vu la requête du ministre de l’Immigration et de l’Asile tendant à la vérification de la régularité d’un arrêté du 26 juillet 2022 ordonnant la prorogation du placement en rétention administrative, réceptionnée par le greffe du tribunal administratif le 5 août 2022, enrôlée sous le numéro 47782 ;

Monsieur …, né le … à … (Turquie), de nation

alité turque, avisé par télécopie ;



_________________________________________________________________...

Tribunal administratif Numéro 47782 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2022

JUGEMENT

du 12 août 2022 sur la régularité d’une décision de prolongation de rétention administrative Vu la requête du ministre de l’Immigration et de l’Asile tendant à la vérification de la régularité d’un arrêté du 26 juillet 2022 ordonnant la prorogation du placement en rétention administrative, réceptionnée par le greffe du tribunal administratif le 5 août 2022, enrôlée sous le numéro 47782 ;

Monsieur …, né le … à … (Turquie), de nationalité turque, avisé par télécopie ;

__________________________________________________________________________

Vu les articles 120 (3) et 123 (6) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la décision du 27 août 2018 prise par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-

après dénommé « le ministre », informant Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de la Turquie ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner ;

Vu la décision du ministre du 11 décembre 2019 refusant de faire droit à la demande de report à l’éloignement introduite par Monsieur … ;

Vu l’arrêté du ministre du 3 mars 2022 interdisant à Monsieur … l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans ;

Vu la décision du ministre du 25 mars 2022 déclarant la deuxième demande de protection internationale de Monsieur … irrecevable ;

Vu l’arrêté du ministre du 29 mars 2022 ordonnant le placement en rétention de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu l’arrêté du ministre du 29 avril 2022 ordonnant la prorogation du placement en rétention de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois avec effet au 29 avril 2022 ;

Vu le jugement du tribunal administratif du 13 mai 2022, inscrit sous le numéro 47397 du rôle, rejetant le recours contentieux introduit par Monsieur … contre la prédite décision ministérielle du 29 avril 2022 ;

Vu l’arrêté du ministre du 19 mai 2022 ordonnant la prorogation du placement en rétention de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois avec effet au 29 mai 2022 ;

Vu la décision du ministre du 27 mai 2022 déclarant irrecevable la troisième demande de protection internationale de Monsieur … ;

Vu l’arrêté du ministre du 28 juin 2022 ordonnant la prorogation du placement en rétention de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois avec effet au 29 juin 2022 ;

Vu le jugement du tribunal administratif du 8 juillet 2022, inscrit sous le numéro 47618 du rôle, rejetant le recours contentieux introduit par Monsieur … contre la prédite décision ministérielle du 28 juin 2022 ;

Vu l’arrêté du ministre du 26 juillet 2022 ordonnant la prorogation du placement en rétention de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision, ledit arrêté ayant été notifié à Monsieur … en date du 29 juillet 2022 ;

Vu la requête du ministre tendant à la vérification de la régularité du prédit arrêté du 26 juillet 2022 ordonnant la prorogation du placement en rétention, réceptionnée par le greffe du tribunal administratif le 5 août 2022, enrôlée sous le numéro 47782 ;

Vu le dossier administratif ;

Vu la convocation du 5 août 2022 convoquant les parties à l’audience publique du 11 août 2022, notifiée en mains propres à Monsieur … en date du 5 août 2022 ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 août 2022 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ;

Entendu Maître Ardavan FATHOLAHZADEH ainsi que Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 août 2022.

L’affaire ayant été prise en délibéré à l’audience publique du 11 août 2022.

___________________________________________________________________________

Quant à la recevabilité de la requête :

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 août 2022 et enrôlée sous le numéro 47782, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », a saisi le président du tribunal administratif d’une demande tendant à la vérification de la régularité d’un arrêté ordonnant la 4ème prorogation du placement en rétention de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision.

A l’audience des plaidoiries, le litismandataire de Monsieur … déclare se rapporter à prudence de justice quant à la recevabilité ratione temporis de la requête introductive d’instance, estimant qu’en matière de privation de liberté, le jour même de la notification d’un arrêté de rétention devrait être pris en compte dans le calcul du délai. Etant donné que le 29 juillet 2022 aurait été un vendredi, soit un jour ouvrable, la requête introductive d’instance aurait dû être déposée au plus tard le 4 août 2022 et non le 5 août 2022.

Le délégué du gouvernement fait rétorquer que le jour de notification ne serait pas à prendre en considération en ce qui concerne la computation du délai d’action de 5 jours ouvrables, de sorte que la requête introductive d’instance, déposée le 5 août 2022, devrait être déclarée recevable, le premier jour ouvrable ayant été le lundi 1er août 2022.

Conformément à l’article 123 (6) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », « Lorsque le ministre décide de prolonger la durée de rétention en vertu de l’article 120, paragraphe (3), alinéa 2, il doit saisir d’office, par requête introduite dans les cinq jours ouvrables de la notification de la décision, le président du Tribunal administratif qui statue d’urgence comme juge du fond et en tout cas dans les dix jours du dépôt de la requête, la personne retenue dûment convoquée par les soins du greffe ».

Il résulte du dossier administratif et des pièces versées en cause que Monsieur … s’est vu notifier en date du 29 juillet 2022 l’arrêté du ministre daté du 26 juillet 2022 ordonnant la prorogation de son placement en rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision.

Force est d’abord de retenir que le délai de 5 jours ouvrables prévu par l’article 123 (6) de la loi du 29 août 2008 est un délai d’action en justice dont la computation est régie par la Convention européenne sur la computation des délais, signée à Bâle, le 16 mai 1972, ratifiée par la loi du 30 mai 1984 portant 1) approbation de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle, le 16 mai 1972; 2) modification de la législation sur la computation, ci-après désignée « la Convention de Bâle », en vertu de son article 1er disposant que :

« 1. La présente Convention s’applique à la computation des délais en matière civile, commerciale et administrative, y compris la procédure relative à ces matières, lorsque ces délais sont fixés :

(a) par la loi ou par une autorité judiciaire ou administrative ; (…) ».

En ce qui concerne le point de départ du délai d’action litigieux, il y a lieu de se référer à l’article 3 de la Convention de Bâle, selon lequel « 1. Les délais exprimés en jours, semaines, mois ou années, courent à partir du dies a quo, minuit, jusqu’au dies ad quem, minuit. (…) », de sorte qu’il y a lieu d’en conclure que le jour même de la notification, le dies a quo, à savoir le vendredi 29 juillet 2022, ne compte pas pour la computation du délai d’action.

Ainsi, le délai étant exprimé en jours ouvrables, force est de relever que le premier jour ouvrable était, en l’occurrence, le lundi 1er août 2022, de sorte que la requête introductive d’instance, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 août 2022, soit le cinquième jour ouvrable, est partant à déclarer recevable pour avoir été introduite dans le délai prévu parl’article 123 (6) de la loi du 29 août 2008. Le moyen d’irrecevabilité ratione temporis est partant à rejeter.

Quant à la procédure :

Conformément à l’article 121 (1) de la loi du 29 août 2008, « La notification des décisions visées à l’article 120 est effectuée par un membre de la Police grand-ducale qui a la qualité d’officier de police judiciaire. La notification est faite par écrit et contre récépissé, dans la langue dont il est raisonnable de supposer que l’étranger la comprend, sauf les cas d’impossibilité matérielle dûment constatés », ladite notification devant faire l’objet, conformément au paragraphe 2 de cette même disposition, d’un procès-verbal dressé par l’officier de police judiciaire qui y a procédé, mentionnant la date de la notification de la décision, la déclaration de la personne retenue qu’elle a été informée de ses droits mentionnés, ainsi que toute autre déclaration qu’elle désire faire acter, la langue dans laquelle la personne retenue fait ses déclarations, ledit procès-verbal devant soit être signé par la personne retenue, soit, en cas de refus de signature, devant mentionner le refus et les motifs du refus.

Conformément à l’article 122 (2) et (3) de la loi du 29 août 2008, « (2) La personne retenue est immédiatement informée, par écrit et contre récépissé, dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’elle la comprend, sauf les cas d’impossibilité matérielle dûment constatés, de son droit de prévenir sa famille ou toute personne de son choix. Un téléphone est mis à sa disposition à titre gratuit à cet effet.

(3) La personne retenue est immédiatement informée, par écrit et contre récépissé, dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’elle la comprend, sauf les cas d’impossibilité matérielle dûment constatés, de son droit de se faire examiner dans les vingt-quatre heures de son placement en rétention, par un médecin et de choisir un avocat à la Cour d’un des barreaux établis au Grand-Duché de Luxembourg ou de se faire désigner un avocat par le bâtonnier de l’ordre des avocats de Luxembourg. Le mineur non accompagné d’un représentant légal se voit désigner, dans les meilleurs délais, un administrateur ad hoc ».

Il résulte du dossier administratif et des pièces versées en cause que la notification opérée en date du 29 juillet 2022 l’a été conformément aux prescriptions légales, Monsieur … ayant signé le procès-verbal de notification. Il résulte encore du dossier administratif que ce dernier s’est régulièrement vu rappeler les droits qui lui sont reconnus pendant la période de rétention.

L’article 123 (6) de la loi du 29 août 2008 prévoit que le président s’assure que la personne retenue a été touchée par la convocation.

Il résulte à cet égard des pièces versées en cause que Monsieur … s’est bien vu notifier en mains propres la convocation du 5 août 2022 pour l’audience du 11 août 2022.

Quant au fond :

Quant au fond, l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une 4 structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de trois conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours et que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise.

Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme1, il faut encore que l’éloignement de la personne retenue soit une perspective réaliste.

Enfin, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), 2e alinéa, de la même loi, si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut encore être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire.

En l’espèce, il résulte des éléments de la cause que la personne retenue se trouve toujours actuellement en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.

En effet, comme indiqué ci-avant, par décision du 27 août 2018, coulée en force de chose décidée depuis un arrêt de la Cour administrative du 2 juillet 2019, inscrit sous le numéro 42998C du rôle, le ministre a ordonné à Monsieur … de quitter le territoire dans un délai de 30 jours, tandis que par un arrêté ministériel du 3 mars 2022, coulée en autorité de chose décidée, une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans sur le fondement de l’article 124, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 fut encore décidée à l’encontre de ce dernier.

Il est constant en cause, pour avoir par ailleurs été retenu par les jugements précités du tribunal administratif, que Monsieur … est en situation irrégulière au Luxembourg, de même qu’il s’est vu interdire l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans, de sorte que l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite est présumée, en vertu de l’article 111, paragraphe (3), c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite est présumé (…) si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) », étant encore précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, tel que prévu au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il est constant en cause, pour ne pas avoir fait l’objet de contestations afférentes à l’audience publique de plaidoiries, que ces décisions n’ont à ce jour pas été énervées.

Il s’ensuit que les conditions initiales ayant justifié que le ministre ait placé l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement perdurent actuellement.

En ce qui concerne ensuite les diligences effectuées en vue de l’éloignement de la Monsieur …, le soussigné relève tout d’abord qu’il est uniquement saisi d’une requête tendant au contrôle d’office de la décision du ministre de proroger une 4ème fois la mesure de rétention de Monsieur …, de sorte qu’il lui appartient seulement d’examiner le bien-fondé de ladite décision en s’assurant qu’à l’heure actuelle le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire et que les conditions spécifiques à une telle 4ème prorogation, à savoir qu’il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, sont données.

Il échet de prime abord de constater que dans le cadre du jugement précité du 13 mai 2022, le tribunal administratif a retenu que les démarches entreprises accomplies par les autorités luxembourgeoises devaient être considérées comme étant suffisantes au regard des 1 CourEDH, 25 juin 2019, Al Husin c. Bosnie-Herzégovine (n° 2), req. n° 10112/16.exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008. Le tribunal, après avoir énuméré chronologiquement les diligences concrètement effectuées par les autorités luxembourgeoises, a retenu que si le transfert n’avait pas encore pu être mené à bien ce n’était pas imputable à un manque de diligences suffisantes de la part des autorités luxembourgeoises, mais que ce serait principalement dû au comportement de Monsieur … que la procédure d’éloignement n’a pas pu avancer, ce dernier ne s’étant pas montré coopératif au jour de sa présentation auprès de l’ambassade de son pays d’origine pour avoir refusé de signer le laissez-passer que ladite ambassade était disposée à lui délivrer.

Dans le jugement précité du 8 juillet 2022, le tribunal administratif a encore relevé qu’il se dégage du dossier que les 27 mai et 17 juin 2022, l’agent en charge du dossier a relancé l’ambassade de Turquie et que le 30 mai et 22 juin 2022, les autorités turques ont informé le ministre que la demande de réadmission était encore en cours de traitement, de sorte à conclure que la procédure d’éloignement de Monsieur … était à ce moment toujours en cours et que les démarches entreprises à cet égard par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées, à ce stade, comme suffisantes pour justifier le maintien du placement en rétention.

En ce qui concerne les diligences accomplies depuis lors, il ressort du dossier administratif que, par courrier du 14 juillet 2022, les autorités luxembourgeoises ont recontacté les services de l’ambassade de Turquie qui ont répondu, le même jour, par téléphone, qu’ils seraient toujours en l’attente d’un retour de la part de leur ministère, tel que cela ressort d’une note au dossier du même jour. En date du 15 juillet 2022, les services consulaires turques confirment que le formulaire de demande de réadmission a bien été envoyé à leur ministère duquel ils n’auraient cependant pas encore eu de retour. Par un courrier du 26 juillet 2022, les autorités luxembourgeoises ont encore adressé un rappel à l’ambassade de Turquie pour s’enquérir sur l’état d’avancement de la demande de réadmission de Monsieur ….

Au vu de ces éléments nouveaux et notamment le fait que les autorités luxembourgeoises sont en l’espèce tributaires de la collaboration et de l’efficacité des autorités turques jouant un rôle primordial dans l’organisation de l’éloignement de Monsieur …, en raison du refus de ce dernier de signer le laissez-passer lui présenté par ces derniers, le soussigné est amené à conclure que les diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise doivent être considérées, dans les circonstances de l’espèce, comme suffisantes, de manière que, dans ces conditions, la nécessité requise au sens de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 pour la prolongation de la mesure de rétention est vérifiée en l’espèce.

Il convient encore de relever, dans ce contexte, que la prorogation sous analyse s’inscrit plus particulièrement dans les hypothèses prévues à l’article 120, paragraphe (3), 2e alinéa, de la même loi, à savoir lorsque « malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires », étant patent en cause que le retard actuel est causé par le refus de Monsieur … de signer son laissez-passer et partant par la nécessité pour les autorités luxembourgeoises de s’adresser aux autorités turques en vue de la réadmission de ce dernier par son pays d’origine, les services ministériels se retrouvant actuellement toujours dans l’attente d’une réponse positive y relative des autorités consulaires.

Si le litismandataire de Monsieur … a encore affirmé à l’audience publique des plaidoiries que l’éloignement de son mandant ne pourrait pas être mené à bien, estimant que la lenteur des autorités turques serait à interpréter comme un refus de leur part de lui accorder uneréadmission sur le territoire turque, il convient toutefois de constater qu’il ne saurait en tout état de cause être reproché aux services ministériels de continuer leurs efforts - dans les limites des convenances et usages diplomatiques - en vue de l’obtention d’un tel accord de réadmission, étant relevé qu’il est constant en cause, que la demande afférente a bien été réceptionnée par l’ambassade de la Turquie, qui explique l’avoir continué vers leur ministère, de sorte qu’il ne saurait en être conclu, au stade actuel, que la Turquie refuserait ladite réadmission, étant relevé, dans ce contexte, que ladite ambassade avait, dès le premier rendez-

vous avec Monsieur …, proposé de lui faire signer, sur place, un laissez-passer en vue de son retour en Turquie.

Dès lors, il convient, en l’état actuel du dossier, de retenir qu’à ce jour, l’éloignement de Monsieur … demeure une perspective raisonnable, alors qu’il n’appert pas d’élément permettant de conclure que l’éloignement vers la Turquie ne puisse pas être mené à bien.

Concernant finalement la possibilité d’application de mesures moins coercitives, les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe 1er, à savoir l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement auprès des services ministériels après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ou encore l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros, sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe 1er, pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125, paragraphe 1er, de la loi du 29 août 2008 prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3), de la même loi, tout en relevant qu’il s’agit d’une simple prérogative pour le ministre et qu’au vu de la présomption légale d’un risque de fuite dans le chef du concerné, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment des garanties de représentation suffisantes.

En l’espèce, il se dégage du dossier administratif que les raisons avancées par la partie étatique pour justifier le recours à la mesure de rétention résident plus particulièrement dans le risque de fuite dans le chef de Monsieur …, risque qui n’est pas seulement présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), c), point 1 précité de la loi du 29 août 2008, mais qui est encore corroboré, tel que relevé tant par le jugement précité du 13 mai 2022, que par celui, également précité, du 8 juillet 2022, par la circonstance que Monsieur … ne cesse de déclarer qu’il ne compte en aucun cas retourner en Turquie, cette intention étant corroborée par le fait qu’il ne s’est pas présenté au ministère en date des 11 décembre 2019 et 11 novembre 2021 en vue d’un retour volontaire, par son comportement non coopératif lors du rendez-vous auprès de l’ambassade de Turquie lors duquel il a clamé ne pas être turque et refusé de signer le laissez-

passer lui présenté. Il s’ensuit que Monsieur … essaie par tout moyen d’éviter ou d’empêcher la préparation de son retour ou de sa procédure d’éloignement. Il a également été retenu parles jugements précités que la risque de fuite est encore conforté par l’affirmation de Monsieur … suivant laquelle il souhaite retourner en Allemagne chez sa fiancée, une dénommée …, et qu’un retour en Turquie l’empêcherait de se marier avec celle-ci, cette affirmation dégageant en effet également une volonté de l’intéressé de se soustraire à son éloignement vers la Turquie, tel que projeté par les autorités luxembourgeoises.

Le soussigné doit encore constater qu’à l’heure actuelle, Monsieur … n’a pas changé d’attitude à cet égard, le litismandataire ayant confirmé à l’audience des plaidoiries que son mandant refuserait catégoriquement de retourner dans son pays d’origine et qu’il voudrait avant tout retourner vivre chez sa fiancée en Allemagne, de sorte qu’il est avéré que ce dernier souhaite avant tout de se délier de la mainmise des autorités luxembourgeoises pour d’empêcher sa procédure d’éloignement.

Ainsi, en ce qui concerne sa proposition de se faire assigner à résidence auprès de son ami dénommé … qui serait prêt à l’héberger, il convient de relever que si Monsieur … verse certes à présent de plus amples informations relatives à ce dernier (carte d’identité, bulletin du casier judiciaire, acte d’achat de son immeuble, certificat de résidence, contrat de travail et fiches de salaires), ces éléments restent pourtant insuffisant pour établir dans le chef de Monsieur … l’existence de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite pesant sur lui, au vu non seulement de son refus catégorique de retourner en Turquie, mais également de son affirmation selon laquelle il compte, avant tout, retourner chez sa fiancée en Allemagne.

En effet, il est rappelé que le risque de fuite se définit avant tout comme risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, de sorte que l’intention de Monsieur … de ne pas vouloir retourner en Turquie soulignant le risque dans le chef de celui-ci de se soustraire à son éloignement, met également en échec la proposition de verser une garantie financière de 5.000,-

euros ainsi que toute autre mesure moins coercitive, mêmes combinées entre elles.

Au vu de toutes ces considérations, il y a lieu de retenir que l’intéressé ne présente toujours pas de garanties suffisantes de représentation et ne remplit donc pas les conditions préalables afin de bénéficier d’une mesure moins coercitive.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’arrêté ministériel du 26 juillet 2022 ordonnant la prorogation de la mesure de placement en rétention de Monsieur … est à confirmer.

Par ces motifs, le soussigné, premier juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président, légitimement empêché, statuant contradictoirement et en audience publique ;

déclare recevable la requête du ministre de l’Immigration et de l’Asile tendant à la vérification de la régularité de la décision de prolongation de la rétention administrative ;

quant au fond, confirme l’arrêté ministériel 26 juillet 2022 ordonnant la prorogation de la mesure de placement en rétention de Monsieur … ;

Ainsi jugé et prononcé au tribunal administratif, date qu’en tête, par Olivier POOS, premier juge au tribunal administratif, en présence de Xavier DREBENSTEDT, greffier en chef.

s. Xavier DREBENSTEDT s. Olivier POOS Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 août 2022 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47782
Date de la décision : 12/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 17/08/2022
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-08-12;47782 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award