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02/06/2022 | LUXEMBOURG | N°47425

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 juin 2022, 47425


Tribunal administratif N° 47425 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2022 2e chambre Audience publique du 2 juin 2022 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47425 du rôle et déposée le 11 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, avocat à la Cour, inscrit au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Côte d’Ivoi...

Tribunal administratif N° 47425 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2022 2e chambre Audience publique du 2 juin 2022 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47425 du rôle et déposée le 11 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 avril 2022 de la transférer vers l’Espagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2022 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Marcel Marigo du 27 mai 2022 suivant laquelle celui-

ci marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Tom Hansen en sa plaidoirie à l’audience publique du 30 mai 2022.

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Le 24 janvier 2022, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service …, de la police grand-

ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1 Toujours le même jour, une recherche effectuée dans la base de données EURODAC révéla que Madame … avait été appréhendée en Espagne en date du 10 décembre 2021.

Le 24 janvier 2022, Madame … fut encore entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 8 février 2022, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités espagnoles en vue de la prise en charge de Madame … sur base de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités en date du 22 février 2022 sur base du même article.

Par décision du 26 avril 2022, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Madame … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de la transférer dans les meilleurs délais vers l’Espagne sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 24 janvier 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 13(1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Espagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 24 janvier 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 24 janvier 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 10 décembre 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 24 janvier 2022.

2 Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 8 février 2022 une demande de prise en charge aux autorités espagnoles sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités espagnoles en date du 22 février 2022 sur cette même base.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n°603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, conformément à l’article 13(1) du règlement DIII.

Un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 24 janvier 2022 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 10 décembre 2021.

Selon vos déclarations vous auriez quitté la Côte d’Ivoire en 2019. Vous auriez d’abord traversé le Mali et la Mauritanie en quelques mois. Ensuite, vous seriez restée au Maroc jusqu’en novembre 2021 avant de monter sur un bateau en direction de l’Espagne. Vous auriez été déposée aux îles Canaries en date du 23 novembre 2021 et vous auriez passé 12 jours en quarantaine à Gran Canaria. Vous auriez ensuite été envoyée à Madrid, mais vous auriez quitté l’Espagne sans introduire une demande de protection internationale et vous auriez traversé la France pour arriver au Luxembourg en date du 21 janvier 2022.

3Lors de votre entretien Dublin III en date du 24 janvier 2022, vous avez fait mention de douleurs abdominales occasionnelles, mais vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Espagne qui est l’Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l’Espagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Espagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Espagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l’Espagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n’existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Espagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Madame, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Espagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Espagne, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes espagnoles, notamment judiciaires.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même 4si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Espagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Espagne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transférée. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Italie en informant les autorités espagnoles conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités espagnoles n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 mai 2022, inscrite sous le numéro 47425 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 26 avril 2022.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation sous analyse lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse retrace les faits et rétroactes ayant mené à la décision déférée du 26 avril 2022, en insistant, d’une part, sur les raisons l’ayant conduite à quitter son pays d’origine, en l’occurrence des violences domestiques subies de la part de son époux et, d’autre part, sur les conditions extrêmement dangereuses dans lesquelles sa fuite se serait déroulée.

En droit, elle se prévaut d’une violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde de droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« la CEDH »), 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte »), 3, paragraphe (2), alinéa 2, et 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, ainsi que 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (« la Convention de Genève »).

Quant à la violation alléguée des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, elle fait valoir 5que même si l’Espagne était liée par divers instruments juridiques internationaux ou communautaires garantissant les droits de l’Homme, tels la CEDH, la Charte, la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ci-après désignée par « la Convention torture », de même que par la directive (UE) n°2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, ci-après désignée par « la directive Procédure », et la directive (UE) n°2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par « la directive Accueil », cela n’impliquerait pas ipso facto que ce pays les observe effectivement, notamment dans le contexte de l’accueil des demandeurs de protection internationale. Elle s’appuie, à cet égard, sur une prise de position adoptée par la délégation diocésaine et l’association Caritas de Malaga en réaction au refoulement des migrants à la frontière espagnole vers l’Afrique dont se dégagerait à suffisance le non-respect par l’Etat espagnol des prescriptions découlant des différents instruments juridiques précités.

Elle ajoute que même s’il n’existait pas de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») ou de la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE »), ni de recommandation de l’UNHCR indiquant de suspendre les transferts vers l’Espagne, il ne pourrait pas être affirmé avec une certitude absolue que ledit pays respecte ses obligations internationales et européennes en matière d’accueil des demandeurs de protection internationale.

Ce serait ensuite à tort que le ministre aurait indiqué qu’elle n’avait pas démontré que ses conditions d’existence en Espagne avaient revêtu un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles seraient constitutives d’une violation des articles 3 de la CEDH et 3 de la Convention torture. Elle donne, à cet égard, à considérer que les autorités espagnoles l’auraient laissée livrée à elle-même et ce, en dépit du fait qu’elle aurait eu besoin d’urgence d’une prise en charge médicale en raison de douleurs abdominales insupportables. Ce ne serait qu’à son arrivée au Luxembourg qu’elle aurait pu bénéficier d’une prise en charge médicale.

Elle ajoute se trouver toujours sous traitement médical, de sorte que son transfert serait matériellement impossible, tout en précisant avoir consulté son médecin traitant le 11 mai 2022 en relation avec d’autres complications médicales.

La demanderesse est dès lors d’avis qu’eu égard à ces considérations, et plus particulièrement au défaut d’assistance médicale adéquate et effective lui procurée, il serait constant que les autorités espagnoles n’auraient pas respecté les prescriptions de la directive Accueil, telles que se dégageant plus particulièrement de ses articles 17, 19 et 21.

Au vu de ces éléments, il devrait être admis que son transfert vers l’Espagne, en ce qu’il serait dépourvu de toute perspective d’une prise en charge médicale appropriée, constituerait une violation manifeste des dispositions des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, lus en combinaison avec l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III.

Il s’ensuivrait que la décision ministérielle déférée serait à réformer pour résulter non seulement d’une appréciation erronée de la situation individuelle et réelle de la demanderesse, mais pour avoir, par ailleurs, été prise en méconnaissance des instruments juridiques, prévisés.

Quant à la violation alléguée de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, la demanderesse se prévaut de sa situation de vulnérabilité particulière, respectivement de son 6état de santé, ainsi que des raisons l’ayant amenée à fuir son pays d’origine, pour faire valoir que ces éléments, tels que portés à la connaissance de l’autorité ministérielle, auraient dû amener celle-ci à examiner sa demande de protection internationale en lieu et place des autorités espagnoles.

Enfin, la demanderesse estime que les autorités luxembourgeoises ne disposeraient pas de suffisamment de garanties de la part des autorités espagnoles au sujet de la prise, par celles-

ci, d’une décision de refoulement vers la Côte d’Ivoire. Elle renvoie, à cet égard, à un arrêt de la CourEDH du 23 février 2012 rendu dans l’affaire Hirsi Jamaa et al. c. Italie.

Elle soutient, dans ce contexte, que les autorités espagnoles procéderaient au refoulement de demandeurs de protection internationale, tout en se référant, à l’appui de cette affirmation, à un article publié sur le site internet « Vatican News », intitulé « En Espagne, l’Église de Malaga condamne le refoulement des migrants à la frontière ».

Il s’ensuivrait que la décision ministérielle litigieuse encourrait encore la réformation pour non-respect du principe de non-refoulement prévu à l’article 33 de la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités espagnoles pour prendre en charge Madame …, prévoit que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n°603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du 7franchissement irrégulier de la frontière.

Le tribunal constate qu’en l’espèce, à la lecture de la décision ministérielle déférée, celle-ci est motivée, d’une part, par le fait que la demanderesse a irrégulièrement franchi la frontière espagnole le 10 décembre 2021 et, d’autre part, par le fait que les autorités espagnoles ont accepté de la prendre en charge le 22 février 2022.

Le tribunal constate ensuite que le bien-fondé de la motivation invoquée à la base de cette décision ressort des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, de même que du récit de la demanderesse.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de la transférer vers l’Espagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Il y a ensuite lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III dispose que « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.

Le tribunal est amené à constater que, dans le cadre de son argumentation ayant trait au prédit article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, la demanderesse, tout en dénonçant de manière générale l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Espagne, invoque avant tout la violation des articles 3 de la CEDH et 4 de Charte en mettant en avant la gravité et la pénibilité de ses conditions d’existence en Espagne en raison plus particulièrement 8de l’absence de prise en charge médicale dans ce pays.

A cet égard, le tribunal relève tout d’abord que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3 4.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore que la CJUE a, dans un arrêt du 19 mars 20197, confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève, ainsi que de la CEDH.

Il résulte, par ailleurs, de cet arrêt du 19 mars 2019 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III renvoie, des 2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

3 Ibidem, point. 79.

4 Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point. 95.

7 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17.

9défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine.8 Partant, ce seuil de gravité ne saurait couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

En l’espèce, la demanderesse remettant en question cette présomption du respect par l’Espagne des droits fondamentaux, puisqu’elle fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation en Espagne, telle que décrite par elle, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.

Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.

En effet, la demanderesse est restée en défaut de soumettre à l’appréciation du tribunal un quelconque élément duquel découlerait qu’en Espagne, elle aurait rencontré des problèmes d’accès aux soins, d’autant plus qu’il ne résulte, ni du rapport de la police judiciaire du 24 janvier 2022, ni du rapport d’entretien Dublin III du même jour qu’elle ait, à un quelconque moment, sollicité l’aide ou l’assistance des autorités espagnoles en raison de son état de santé.

Il ne résulte, de surcroît, d’aucun élément du dossier administratif que la demanderesse ait informé le ministre, respectivement les services ministériels compétents, de ses prétendus problèmes de santé et des prétendus refus de soins lui opposés par les autorités espagnoles, la demanderesse s’étant contentée de faire état auprès de la direction de l’Immigration du fait qu’elle souffrirait « juste parfois des douleurs abdominales », tout en précisant qu’il n’y aurait pas « de déclencheur », étant encore relevé qu’aucune pièce censée établir son état de santé n’est versée au tribunal. L’affirmation contenue dans le recours sous analyse suivant laquelle la demanderesse aurait été confrontée en Espagne à des conditions d’existence pénibles et graves en raison de l’absence de prise en charge médicale reste dès lors à l’état de pure allégation.

Il s’ensuit encore que même à admettre, pour les besoins de la discussion, que l’état de 8 Idem, pt. 92.

10santé de la demanderesse atteigne le niveau de gravité requis par la jurisprudence précitée, il ne se dégage d’aucun élément du dossier que la demanderesse ne puisse pas bénéficier en Espagne du traitement médicamenteux dont elle pourrait avoir besoin.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé de la demanderesse lors de l’organisation du transfert vers l’Espagne par le biais de la communication aux autorités espagnoles des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressée exprime son consentement explicite à cet égard.

Ensuite et de manière plus générale en ce qui concerne les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, la demanderesse reste en défaut de faire valoir un problème concret étant susceptible d’affecter l’analyse future de sa demande de protection internationale par les autorités espagnoles, respectivement ses futures conditions d’accueil en Espagne. Il y a plus particulièrement lieu de relever qu’outre le fait que la demanderesse n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Espagne, de sorte qu’elle ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de défaillances systémique dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Espagne au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’elle aurait personnellement pu y rencontrer, elle n’a, qui plus est, ni dans le cadre de son entretien Dublin III, ni dans le recours sous examen, fait état de problèmes particuliers qu’elle aurait personnellement rencontrés en Espagne, notamment pour y déposer une demande de protection internationale. Elle s’est, en effet, contentée de dénoncer de manière péremptoire dans le cadre de son recours « l’attitude des autorités espagnoles à l’égard des demandeurs de protection internationale telle que constatée et critiquée par la délégation diocésaine et de Caritas de Malaga », sans donner les moindres détails de nature à étayer cette affirmation, ni plus particulièrement expliquer dans quelle mesure, alors même qu’elle aurait tenté de déposer une demande de protection internationale, un tel dépôt lui aurait été refusé par les autorités espagnoles. Il se dégage, au contraire, de ses déclarations faites dans le cadre de son entretien Dublin III, qu’elle n’a jamais cherché à déposer une demande de protection internationale en Espagne parce que « [Son] pays de rêve est ici au Luxembourg », la demanderesse ayant encore répondu à la question de l’agent de la direction de l’Immigration de savoir pour quelles raisons elle avait quitté l’Espagne qu’elle « voulai[t] venir ici au Luxembourg ». Le tribunal relève ensuite que l’article versé par la demanderesse à l’appui de son recours afin de sous-tendre son affirmation suivant laquelle l’Espagne serait confrontée à des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (3), alinéa 2 du règlement Dublin III a trait à la situation très spécifique des migrants arrivant de manière massive en provenance du Maroc dans l’enclave espagnole de Melilla. Or, cette situation est néanmoins totalement étrangère à celle de la demanderesse et doit partant être considérée comme dépourvue de pertinence dans le cadre de l’analyse du bien-fondé des critiques générales dirigées par celle-ci à l’encontre du système d’asile espagnol, dans la mesure où il se dégage des déclarations de celle-ci auprès de la police judiciaire, ainsi qu’auprès de la direction de l’Immigration lors de son entretien Dublin III 11qu’elle est entrée sur le territoire espagnol à Gran Canaria où elle a été placée en quarantaine pendant environ 12 jours avant d’être transférée à Madrid à partir d’où elle s’est rendue immédiatement en France.

Au regard de l’ensemble de ces considérations, il ne saurait être reproché aux autorités espagnoles une quelconque défaillance dans le cadre de ses futures conditions d’accueil.

Par ailleurs, en l’espèce, il ne se dégage pas non plus des éléments à la disposition du tribunal que l’Espagne risque de refuser ou de ne pas traiter la future demande de protection internationale de Madame …, le tribunal ne s’étant pas non plus vu soumettre un quelconque élément tangible, tel que notamment des rapports internationaux, relatif aux difficultés prétendument rencontrées de manière générale par les autorités espagnoles dans le traitement des demandes de protection internationale et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile.

Il ne se dégage pas davantage des éléments de la cause que les autorités espagnoles compétentes risquent de violer le droit de la demanderesse à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa future demande de protection internationale ou qu’elles risquent de refuser de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, la demanderesse n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa future procédure d’asile ne serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive Accueil.

La demanderesse reste, encore, en défaut d’apporter la moindre preuve que les droits des demandeurs de protection internationale en Espagne ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore qu’ils n’auraient en Espagne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités espagnoles en usant des voies de droit adéquates, étant encore rappelé que l’Espagne est signataire de la Charte, de la CEDH, de la Convention torture, de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal se doit de conclure qu’il ne se dégage pas à suffisance des éléments soumis à l’appréciation du ministre et du tribunal qu’il existe en Espagne des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale empêchant un transfert de la demanderesse vers ce pays.

Pour ce qui est ensuite plus particulièrement de la crainte mise en avant par Madame … de se voir renvoyer arbitrairement par les autorités espagnoles vers son pays d’origine, force est au tribunal de relever qu’elle reste en défaut d’étayer concrètement l’existence d’un tel risque dans son chef, la demanderesse ne fournissant pas d’éléments susceptibles de démontrer que l’Espagne ne respecterait pas le principe du non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en la renvoyant, après l’examen de sa demande de protection internationale, dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient mises sérieusement en danger ou encore qu’elle risquerait d’être forcée de se rendre dans un tel pays.

Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments versés par la demanderesse que si les autorités espagnoles devaient néanmoins décider de la rapatrier dans son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’elle y serait exposée à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités espagnoles en usant des voies de droit adéquates.

12 Il ne ressort dès lors pas des éléments versés par la demanderesse que son transfert vers l’Espagne l’exposerait à un retour forcé en Côte d’Ivoire, qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Dans ces circonstances et au vu de toutes les considérations qui précèdent, le moyen fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne finalement le moyen de la demanderesse selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.[…]», le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 20179. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge10, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration11.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise par rapport à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, que les prétentions de la demanderesse ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation qu’elle estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que les problèmes mis en avant ne sauraient pas davantage s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n°C-578/16, pts 88 et 97.

10 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

11 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées 13 reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Annemarie Theis, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 2 juin 2022 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 juin 2022 Le greffier du tribunal administratif 14



Références :

Origine de la décision
Formation : Deuxième chambre
Date de la décision : 02/06/2022
Date de l'import : 11/06/2022

Numérotation
Numéro d'arrêt : 47425
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2022-06-02;47425 ?

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