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11/06/2021 | LUXEMBOURG | N°45913

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juin 2021, 45913


Tribunal administratif N° 45913 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2021 Audience publique du 11 juin 2021 Requête en obtention d’une mesure provisoire introduite par la la société A, …, contre des décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux publics en présence de la société B, …, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45913 du rôle et déposée le 19 avril 2021 au greffe du tribunal administratif par Maît

re Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit à l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg,...

Tribunal administratif N° 45913 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2021 Audience publique du 11 juin 2021 Requête en obtention d’une mesure provisoire introduite par la la société A, …, contre des décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux publics en présence de la société B, …, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45913 du rôle et déposée le 19 avril 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit à l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, au nom de la société A, établie et ayant son siège social à …, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son ou ses gérants actuellement en fonction, tendant à l’institution d’un sursis à exécution par rapport à une décision du ministre de la Mobilité et des Travaux publics du 9 avril 2021, portant adjudication du marché public de fournitures n°2100024 relatif à l’appel d’offres pour la sélection d’une solution technologique en mode « SaaS » pour une centrale de réservation et de planification de transports spécifiques à la demande Adapto et Capabs à la société B, et ayant corrélativement rejeté l’offre de la société requérante, un recours en annulation ayant été par ailleurs introduit contre les mêmes décisions du ministre de la Mobilité et des Travaux publics par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 45912 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick KURDYBAN, demeurant à Luxembourg, du 29 avril 2021, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à la société B, établie et ayant son siège social à … ;

Vu l’attestation de signification du 7 mai 2021 émise conformément au règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale ;

Vu les articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu la note de plaidoiries déposée le 7 juin 2021 par Maître Thibault CHEVRIER pour la société B ;

Vu la note de plaidoiries déposée le 7 juin 2021 par Maître Vincent WELLENS pour l’Etat ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Maître Adrien KARIGER, en remplacement de Maître Steve HELMINGER, Maître Vincent WELLENS, représentant de la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois NAUTADUTILH AVOCATS LUXEMBOURG SARL, pour l’Etat, ainsi que Maître Thibault CHEVRIER pour la société B, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 juin 2021.

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Par avis d’adjudication publié en date du 13 janvier 2021 sur le portail des Marchés publics, le ministère de la Mobilité et des Travaux publics annonça l’ouverture d’une procédure ouverte d’appel d’offre pour la fourniture d’un logiciel pour transport spécifique PMR constituant dans la sélection d’une solution technologique en mode SaaS pour une centrale de réservation et de planification de transports spécifiques à la demande Adapto et Capabs.

La société A ainsi que deux autres entreprises remirent des offres pour ce marché, lesquelles furent ouvertes en public en date du 10 février 2021.

Par courrier du 12 mars 2021, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics s’adressa à la société A pour demander une analyse des prix conformément à l’article 87 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics en les termes suivants :

« Je reviens vers vous concernant votre offre remise en date du 10 février 2021 concernant le marché sous rubrique. A la lecture de votre offre, en particulier le mémoire technique remis ensemble avec l’annexe 08 « résumé de la couverture de la solution », mon équipe a relevé que vous avez prévu de livrer 28 fonctionnalités spécifiques à ce marché, soit avant fin mai, soit avant fin juin 2021, en sus des 13 adaptations que vous allez réaliser sur votre produit.

Conformément à l’article 87 du Règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, je vous invite à me fournir par écrit, dans un délai de quinze jours à réception de la présente, une analyse détaillée du prix proposé ou tous documents se rapportant à l’établissement de votre prix pour ce marché, incluant le cas où les volumes spécifiés dans l’appel d’offre augmenteraient.

A noter qu’en procédure ouverte comme en l’espèce, il n’est pas possible de vous donner l’opportunité de modifier votre prix, car cela aboutirait à la présentation d’une offre nouvelle et violerait le principe d’égalité de traitement (art. 80 (2) du Règlement MP).

Je vous signale enfin qu’en cas d’absence de réponse de votre part dans le délai imparti ou en cas de modification de votre prix, votre offre sera considérée comme irrégulière et sera écartée d’office. (…) ».

Cette analyse des prix fut communiquée au ministère par courrier daté du 16 mars 2021 accompagné d’un tableau ventilant les prestations offertes dans l’offre et le prix y afférent, ledit courrier étant rédigé comme suit :

« Pour donner suite à votre lettre du 12 mars 2021 veuillez trouver en annexe (Détails des prix Adapto & Capabs.xlsx) l’analyse détaillée de nos prix pour le présent marché. Ces 2 détails des prix sont strictement confidentiels et ne peuvent en aucun cas être partagés avec des tiers. Nous n’avons pas adapté nos prix, les prix communiqués lors de l’appel d’offre restent valables.

Les développements à faire de notre côté (28 fonctionnalités spécifiques au marché et les 13 adaptations à faire) sont inclus dans les coûts « 1.a Configuration ». Inclus dans la configuration sont donc la mise à disposition, le set up, la configuration de la plateforme ainsi que toutes les nouvelles fonctionnalités et adaptations à faire.

Comme nous fournissons une solution SaaS, certains des développements décrits ne sont pas facturés au MMTP car ils font partie de notre produit de base. Après avoir effectué une analyse détaillée de toutes les exigences fonctionnelles nous sommes venus à la conclusion que 30 % des développements à faire sont spécifiques pour les services Adapto et Capabs et sont en conclusion facturés. Les 70 % des développements restants à faire font partie de notre planning interne concernant le développement de notre solution SaaS et ne sont donc pas facturés au MMTP. Le détail de cette analyse est en annexe. Les adaptations à faire ne sont pas pris en considération pour le calcul des prix. Des adaptations restent à faire sur des fonctionnalités déjà existantes lesquelles doivent être complétées et font donc intégralement partie de notre solution SaaS. Certaines de ces adaptations sont déjà aujourd’hui en cours de développement.

Concernant les volumes nous avons pris une moyenne de 200 véhicules pour le service Capabs et de 180 véhicules pour le service Adapto pour le calcul des prix.

Un véhicule ne correspond pas à un véhicule enregistré sur la plateforme mais un véhicule utilisé pour une activité. Donc il peut y avoir par exemple 600 véhicules enregistrés mais seulement 200 qui sont opérationnels par jour. Le calcul de nos prix est basé sur le nombre de véhicules utilisés en moyenne en parallèle sur la plateforme. Au cas où cette estimation (moyenne) de notre part ne serait pas correcte le risque sera assumé par A. Avec cette offre et les prix mentionnés nous garantissons le service Adapto et Capabs pour la période de trois ans avec l’option d’une prolongation de deux ans quel que soit les volumes de véhicules utilisés pour le service Adapto et Capabs (dans le cadre des volumes communiqués dans cet appel d’offres). Le prix par véhicule pour le calcul de cette offre est […].

Les frais de licence incluent tous les véhicules (dans le cadre des volumes communiqués dans cet appel d’offres) les frais pour le support technique et la maintenance, le hosting pour Adapto et Capabs ainsi que la mise à disposition d’un second environnement "testing". Au cas où les volumes augmenteraient de manière non négligeable et excéderaient les volumes communiqués dans l’appel d’offres, les frais de licences pourront être adaptés en fonction du dépassement des volumes spécifiés dans cet appel d’offres. Les adaptations sur les frais de licence seront calculées de la même manière que les frais de licences présentées dans cet appel d’offres.

Nous restons à votre disposition pour toutes éventuelles questions. (…) » Néanmoins, par décision du 9 avril 2021, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, ci-après « le ministre », ne tint pas compte des explications de la société A, ci-après « la société A », et écarta son offre, ladite décision étant motivée comme suit :

3 « 1. Après une analyse approfondie, je suis au regret de vous informer que votre offre a été rejetée, car jugée anormalement basse en application de l’article 38 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics et non conforme aux spécifications de l’appel d’offres en application de l’article 80 paragraphe 1 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics.

2. Au vu de l’interrogation quant à l’adéquation entre le prix de votre offre et les spécifications du marché, notamment en vertu du nombre de développements et d’adaptations encore à effectuer dans le délai prévu, il vous a été demandé de justifier votre prix par courrier en date du 12 mars 2021.

3. Votre réponse en date du 16 mars 2021 précise :

- « Certains développements décrits ne sont pas facturés au MMTP car ils font partie de notre produit de base. Après avoir effectué une analyse détaillée de toutes les exigences fonctionnelles nous sommes venus à la conclusion que 30 % des développements à faire sont spécifiques pour les services Adapto et Capabs et sont en conclusion facturés. Les 70 % des développements restants à faire font partie de notre planning interne concernant le développement de notre solution SaaS et ne sont donc pas facturés au MMTP. » - « Les adaptations à faire ne sont pas pris en considération pour le calcul des prix, car à faire sur des fonctionnalités déjà existantes lesquelles doivent être complétées et font donc intégralement partie de notre solution SaaS. » Même si votre entreprise ne facture pas 70 % des fonctionnalités spécifiques à ce marché pour les offrir potentiellement à d’autres de vos clients étant donné que la solution est en mode SaaS, les informations complémentaires apportées ne permettent ni de justifier la viabilité de l’offre avec présentation de la marge retenue, ni de démontrer que le marché soit exécuté dans les conditions et surtout dans les délais prévus au marché.

4. Votre réponse en date du 16 mars 2021 ajoute - « Concernant les volumes nous avons pris une moyenne de 200 véhicules pour le service Capabs et de 180 véhicules pour le service Adapta pour le calcul des prix.

Un véhicule ne correspond pas à un véhicule enregistré sur la plateforme mais un véhicule utilisé pour une activité. Donc il peut y avoir par exemple 600 véhicules enregistrés mais seulement 200 qui sont opérationnels par jour. Le calcul de nos prix est basé sur le nombre de véhicules utilisés en moyenne en parallèle sur la plateforme. Au cas où cette estimation (moyenne) de notre part ne serait pas correcte le risque sera assumé par A.

«Au cas où les volumes augmenteraient de manière non négligeable et excéderaient les volumes communiqués dans l’appel d’offres, les frais de licences pourront être adaptés en fonction du dépassement des volumes spécifiés dans cet appel d’offres. » - « Le prix par véhicule pour le calcul de cette offre est de … € » Cela vient en complément des informations indiquées sur le bordereau :

4 « Inclus dans les frais de licence : 1… nombre illimité d’utilisateurs, de véhicules et de réservations dans le cadre du volume spécifié dans cet appel d’offre. » Vous indiquez prendre en compte 200 véhicules pour le service Capabs au vu du volume spécifié dans cet appel d’offres.

Or, il est indiqué à l’article 3.4.2 « Indicateurs clés - Capabs » du Cahier fonctionnel :

- Nombre de courses : 288.000 calculées sur une période scolaire de 180 jours par an - Nombre de véhicules utilisés : 800.

Comme indiqué au Chapitre 1.2 « Fonctionnement actuel du service de transport CAPABS », ce service permet le transport de bénéficiaires vers des centres d’accueil et structures scolaires. Cela signifie qu’il y a un pic d’activité aux heures de pointe (matin pour l’aller et soir pour le retour), à l’image du transport scolaire. Il y a donc 1.600 courses, soit 800 trajets Aller et 800 trajets Retour chaque jour. Ainsi au minimum 400 véhicules et au maximum 800 véhicules (pendant les heures de pointe du matin et du soir) sont utilisés et opérationnels chaque jour.

Dès lors, les 200 véhicules opérationnels prévus dans votre offre sont loin de représenter le volume spécifié dans ce marché. Le prix pour le service Capabs devrait être au minimum le double de celui annoncé, soit un manque à gagner de … euros et au maximum le double du minimum à prévoir, soit un manque à gagner de … euros.

Vous proposez d’assumer le risque de cette mauvaise interprétation sans démontrer comment vous compensez ce manque à gagner pour vous permettre de réaliser un bénéfice tous frais déduits.

Ainsi, il existe un fort risque de devoir adapter le prix des licences en cours de marché et cela risquerait d’engendrer la conclusion d’avenants supplémentaires.

5. Enfin votre réponse en date du 16 mars indique : « Le prix par véhicule pour le calcul de cette offre est de … » sans pour autant donner de précisions quant aux coûts et charges qu’il recouvre et s’il permet de dégager une marge suffisante pour que votre entreprise puisse être en mesure d’assurer l’exécution pendant la durée totale du marché.

6. Au vu de tout ce qui précède, il est à relever qu’il existe un risque financier avec besoin de rémunérations complémentaires ainsi qu’un risque sur la qualité avec une mise sous tension pour tenter de respecter les délais d’exécution. Il en résulte que les risques encourus sont susceptibles de compromettre la bonne exécution du marché.

Ainsi, les éléments de preuve fournis ne suffisent pas à prouver le bien-fondé du prix proposé ainsi que la viabilité de l’offre.

Conformément à l’article 38 paragraphe 3 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, l’offre que vous avez remise dans le cadre de présent marché doit être analysée comme une offre anormalement basse, dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. Votre offre doit donc être rejetée.

5 7. De surcroît, on comprend avec vos explications que l’offre de prix que vous avez remise est basée sur un nombre de licences inférieur aux besoins prévus dans le Cahier fonctionnel.

De plus, il convient de souligner que le bordereau doit indiquer un prix global et forfaitaire pour la durée du marché. Ainsi, les augmentations prévues concernant les prix par personne formée, par formateur, pour une journée de consultance, par jour et par développeur ou par gestionnaire de projet ne sont pas susceptibles d’augmentation en cours de marché.

L’augmentation et la marge prévue doivent être incluses directement dans le prix unitaire proposé.

8. En procédure ouverte comme en l’espèce, il n’est pas possible de vous donner l’opportunité de compléter ou de corriger votre offre sur le point qui précèdent, car cela aboutirait à la présentation d’une offre nouvelle et violerait le principe d’égalité de traitement (article 80 paragraphe (2) du Règlement).

9. Dès lors, l’offre remise n’est pas conforme et doit être écartée en application de l’article 80 paragraphe (1) du Règlement.

10. Pour votre information, le marché a été attribué en date du 8 avril 2021 à la société B, ….

Conformément aux dispositions de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concession, telle que modifiée, vous disposez d’un délai de dix jours à compter du lendemain du jour de l’envoi de la présente par le biais du Portail des marchés publics pour introduire un recours en suspension de l’exécution de la décision d’attribution et de la décision de ne pas retenir votre offre auprès du Président du Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg par une procédure en référé.

La décision de ne pas retenir votre offre ainsi que la décision d’attribution peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg dans un délai de trois mois à partir de la date de notification du présent courrier.

Le recours doit être introduit par un avocat à la Cour. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2021, inscrite sous le numéro 45912 du rôle, la société A a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision de rejet de son offre et de la décision coorélative d’attribution à la société B, telles que matérialisées par le courrier du 9 avril 2021.

Par requête séparée déposée concomitamment le même jour, inscrite sous le numéro 45913 du rôle, la société A sollicite encore le sursis à exécution par rapport aux décisions attaquées dans le cadre du recours au fond.

La société A estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée seraient remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision de rejet risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.

La société A, pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, expose qu’elle perdra du fait des décisions attaquées un marché extrêmement important du point de 6 vue de son enjeu tandis qu’en cas de conclusion du contrat civil portant sur le marché litigieux avant l’intervention de la décision au fond, son préjudice sera définitif en raison du fait que le contrat en question ne pourra plus être annulé, la société considérant que l’allocation ultérieure de dommages et intérêts ne serait pas de nature à réparer de manière adéquate le dommage ainsi subi.

Elle expose que l’importance et l’enjeu du contrat découlerait du fait qu’actuellement le service Adapto du ministère fonctionnerait grâce à la mise à disposition depuis le 1er janvier 2021 d’un modèle Saas par elle-même et que ce service aurait été prolongé jusque fin août 2021.

Elle affirme encore avoir engagé de nombreux frais et des moyens humains importants pour faire fonctionner son logiciel et l’adapter aux desiderata du ministère. Or, les décisions attaquées, qu’elle estime illégales, réduirait ce travail à néant et créerait un préjudice grave et irréversible dans son chef dans la mesure où si certes, une partie du logiciel pourrait être réutilisé pour des nouveaux clients, la partie du logiciel propre au service Adapto, d’ailleurs facturée à titre particulier dans l’offre, ne pourrait plus être valorisée.

La société A insiste sur le fait que le ministère, pourtant conscient de sa fiabilité, alors qu’elle lui fournirait le service Adapto depuis janvier 2021, d’ailleurs prolongé pour trois mois jusqu’à la fin août en l’attente du logiciel de l’entité adjudicatrice, aurait décidé arbitrairement de considérer son offre comme anormalement basse, même si son offre se trouverait dans les mêmes niveaux de prix que l’offre temporaire de mise à disposition du logiciel pour le service Adapto.

Elle relève encore que la perte du marché en cause constituerait dans son chef non seulement et surtout la perte d’un marché de référence mais également une atteinte à sa réputation, la société A donnant à considérer que la conclusion d’un marché public avec l’Etat constituerait un élément de publicité important pour toute entreprise vis-à-vis de ses autres clients dans la mesure où il constituerait un gage de qualité et de garantie du produit fourni.

Aussi, un tel déficit de publicité et de référence ne pourrait jamais être totalement compensé par l’allocation de dommages et intérêts quelconques, et ce à plus forte raison dans la mesure où dans le domaine des logiciels et du software, il serait clair qu’un produit se bonifierait lors de son utilisation et qu’il permettrait à la société qui en détient la licence de l’améliorer au fur et à mesure du temps qui passe par l’entremise de ses développeurs.

Or, la perte du marché, outre d’être une perte financière compensable en argent, constituerait également une perte de cette possibilité pour la partie requérante de faire évoluer son produit en le soumettant à la réalité du terrain.

La société A estime encore que son recours au fond aurait de sérieuses chances de succès de voir annuler les décisions querellées.

A cet égard, elle critique d’abord l’appréciation du ministre selon laquelle son offre serait anormalement basse au sens de l’article 38 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics.

Ainsi, si le ministre remet en cause la viabilité et la bonne exécution du marché qui en découlerait sur base du fait que la partie requérante n’aurait prévu de facturer à l’Etat que 30% du développement du modèle SaaS (Software as a Service), c’est-à-dire de la licence mise à 7 disposition, nécessaire aux services Adapto et Capabs sur base du principe que seules les adaptations spécifiques à ces services sont à facturer à l’Etat dans la mesure où le coût des autres adaptations génériques améliorant la licence de manière générale seront refacturées à tous les clients utilisateurs de son modèle SaaS via les frais de licence, la société A expose toutefois en substance que la rentabilité de la plateforme serait néanmoins assurée par cette facturation spécifique et par l’étalement du reste des frais du développement du modèle sur le prix des licences de tous les clients. En effet, le prix des licences facturées aux autres clients couvrirait 70 % du prix de développement du modèle SaaS, la société A ne facturant à l’Etat que les 30 % des frais de développement nécessaires à l’adaptation du logiciel aux services requis par l’appel d’offre.

Elle insiste sur le fait que le système mis en place ne serait dans sa majeure partie pas un système exclusif à l’Etat développé dans l’intérêt de la présente soumission, mais que l’Etat ne se voit conférer qu’une simple licence d’utilisation de ce système qui bénéficierait encore à tous ses autres clients : il serait évident que dans pareil cas les frais de développement seraient répartis, via le droit de licence à payer, entre les différents clients.

Ainsi, le calcul de ce prorata 30 % facturé et 70 % compris dans les frais de recherche et développement de l’entreprise récupérés indirectement par les frais de licence ferait sens au regard de la particularité des logiciels numériques mis à la disposition des clients. Ce ne serait en effet que par l’usage qu’un logiciel peut être mis à l’épreuve et intrinsèquement amélioré par son développeur ; aussi, plus le logiciel est utilisé, plus il est amélioré et développé et profite à tous les clients indirectement.

La société A estime par conséquent que contrairement à l’appréciation ministérielle son service serait économiquement viable, dans la mesure où elle imposerait uniquement au client les frais de développement nécessaires à son service en prévoyant une récupération des autres frais de développement utiles pour une amélioration générique du logiciel via les frais de licence.

Quant aux craintes du ministre que les services ne soient pas fournis dans les délais, la société A les considère comme hors de propos dans la mesure où les services du ministère utiliseraient d’ores et déjà son modèle SaaS pour les services Adapto, tandis qu’elle se serait de surcroît engagée à respecter les délais imposés en remettant son offre et en acceptant ainsi lesdits délais.

A cet égard, elle souligne encore le fait que le ministère aurait tout récemment sollicité un prolongement de son offre temporaire pour le service Adapto jusqu’au 31 août 2021 en imposant une mise à disposition du système pour le 1er juin pour le service Adapto et le 19 juillet pour le système Cabaps, ce qui ne pourrait s’expliquer que par le fait que le soumissionnaire retenu, à savoir la société B, ne serait pas à même de respecter les délais.

La société A critique ensuite la notion de « véhicule » telle que retenue par le ministre pour justifier lui le caractère anormalement bas de l’offre remise, la société requérante estimant que le rejet de son offre proviendrait d’une erreur d’appréciation concernant celle-ci.

Elle fait plaider qu’il conviendrait concernant cette notion de « véhicule » de clairement différencier deux problématiques à aborder successivement.

8 Ainsi, elle estime d’abord que le cahier des charges n’imposerait pas la nécessité d’utiliser simultanément 800 véhicules par jour au sein du réseau : remettre un prix équivalent à une telle utilisation ne tiendrait pas compte des autres conditions stipulées dans le cahier des charges comme le volume actuel de fonctionnement des services.

Deuxièmement, le fait que la notion de « véhicule » constitue pour la partie requérante une unité choisie pour quantifier le prix de la mise à disposition de ses licences au regard des besoins du client et que le fait de quantifier le marché à une valeur de 180 respectivement 200 véhicules en simultané en moyenne ne préjugerait en rien de l’efficience ou de la capacité de la plateforme.

La société A estime que la conjugaison de ces deux facteurs aurait créé un dialogue de sourd entre le ministère et elle-même sans pour autant que son offre ne puisse être considérée comme anormalement basse dans la mesure où elle aurait répondu fidèlement aux conditions du cahier des charges et au volume de services y requis.

Elle donne à considérer que, concernant l’offre Capabs, le ministre lui reprocherait de prendre en compte 200 véhicules au vu du volume spécifié dans cet appel d’offres, alors pourtant que le cahier des charges prévoirait un nombre de véhicules utilisés de 800, le ministre ayant expliqué que le service visé permettrait le transport de bénéficiaires vers des centres d’accueil et structures scolaires, ce qui signifierait qu’il y aurait un pic d’activité aux heures de pointe (matin pour l’aller et soir pour le retour), à l’image du transport scolaire, de sorte qu’il y aurait 1.600 courses, soit 800 trajets aller et 800 trajets retour chaque jour. Partant, le ministre aurait retenu que les 200 véhicules opérationnels prévus dans l’offre seraient loin de représenter le volume spécifié dans ce marché, de sorte que le prix pour un service Capabs devrait être au minimum le double de celui annoncé.

La société A reproche à cette interprétation de ne pas résulter du cahier des charges mais découlerait d’une interprétation nouvelle du ministère au stade de la prise de décision des conditions d’attribution dudit marché, la société requérante soutenant que les seules exigences du cahier des charges concernant le nombre de véhicules seraient prévues à l’article 3.4.2. de ce dernier prévoyant un nombre de véhicules utilisés de 800 et l’article 1.2.1.7. prévoyant comme nombre de courses environ 800 trajets aller et 800 trajets retour par jour.

Selon l’interprétation ministérielle, pour qu’une offre de prix soit valable et considérée comme suffisante et conforme, il faudrait qu’elle compte un nombre de 400 véhicules minimum roulant en simultané pour 800 véhicules au maximum ; il faudrait donc, selon le ministre, qu’une offre prenne en compte une utilisation moyenne d’au moins 400 véhicules par jour, de sorte que son offre aurait ainsi dû être au minimum du double du montant proposé initialement.

Or, la société A estime que ce faisant, le ministre partirait du principe que lors des 1600 courses effectuées quotidiennement (800 aller et 800 retour) plus d’un trajet sur deux serait effectué avec un véhicule différent en moyenne et qu’il faudrait donc calculer une offre sur cette base, ce qui non seulement serait contraire au principe inscrit dans l’article 2.2. du cahier des charges imposant une optimisation des courses, mais méconnaitrait le fait que la seule exigence du cahier des charges serait que le service ait une capacité de supporter 800 véhicules en même temps, ce qui serait le cas du logiciel proposé, la société A soulignant qu’il y aurait une différence majeure entre la capacité maximale du logiciel en nombre de véhicules et le nombre de véhicules moyens qui peuvent être utilisés en simultané sur la plateforme.

9 Or, le cahier des charges n’exigerait pas une utilisation moyenne journalière simultanée de 800 véhicules sur la plateforme, puisque le volume de déplacement présenté par le cahier des charges serait largement inférieur.

La société A explique que cette différence d’interprétation du cahier des charges mise en exergue entre le ministère et elle-même viendrait du fait que les termes « nombres de véhicules utilisés » de l’article 3.4.2. pourraient revêtir de multiples significations.

En effet, selon elle le concept de « véhicule » pourrait désigner différentes significations.

Ainsi, il pourrait s’agir du nombre de véhicules distincts disponibles pour effectuer des trajets (pas nécessairement retenu pour effectuer des trajets) à un moment quelconque : il s’agirait du nombre le plus élevé et pourrait en théorie avoir la même envergure que le nombre de trajets effectués si on utilise pour chaque trajet un autre véhicule.

Il pourrait également s’agir du nombre de véhicules distincts disponibles pour effectuer des trajets (pas nécessairement retenu pour effectuer des trajets) pendant une journée moyenne, nombre inférieur au nombre de l’hypothèse ci-dessus.

Il pourrait encore s’agir du nombre de véhicules distincts effectuant des trajets pendant une journée moyenne, nombre inférieur au nombre ci-dessus.

Il pourrait s’agir du nombre de véhicules maximal (non distincts) effectuant des trajets en parallèle pendant une journée, nombre inférieur au nombre de l’hypothèse ci-avant.

Or, pour remettre une offre compétitive et calculer un prix forfaitaire, la société A aurait pris en considération les volumes communiqués dans l’appel d’offres, à savoir une capacité d’utilisation du logiciel pour permettre la connexion simultanée de 800 véhicules, mais aussi les réels besoins du ministère et notamment pour le service Capabs, à savoir un volume de 1600 courses par jour.

Elle aurait ainsi établi une analyse détaillée de ces volumes pour pouvoir établir une offre conforme aux attentes du ministère au regard de l’utilisation actuelle des logiciels en se basant non seulement sur le nombre de véhicules mais aussi d’autres chiffres communiqués comme le nombre de réservations/trajets, de bénéficiaires, de courses, d’exploitants, de centres et de véhicules. Un calcul se basant uniquement sur le nombre de véhicules et requérant un usage constant journalier moyen allant de 400 à 800 véhicules n’aurait pas tenu la route et aurait abouti à la soumission d’une offre surfaite au regard des besoins réels du ministère sur base des conditions du cahier des charges, ce dernier prévoyant pour le service Capabs un volume de 1600 trajets par jours.

Il ne ferait ainsi aucun sens de considérer en moyenne qu’un véhicule fait 2 trajets par jour. Si certes, la capacité du réseau devrait le permettre à de rares occasions, ce que le service offert par elle permettrait, l’offre ne saurait être calculée en tenant compte de la seule capacité réelle du réseau mais plutôt de son utilisation réelle au regard des chiffres communiqués.

Or, l’objectif de passer via un logiciel comme celui demandé dans le cadre du marché public serait d’avoir un algorithme d’optimisation qui permettrait d’améliorer les trajets des véhicules en réduisant les dépenses y afférentes.

10 Sur base de ces calculs, la partie requérante en serait arrivée à la conclusion qu’il fallait calculer l’offre sur base d’une volumétrie moyenne en simultané de 200 véhicules pour le Capabs et de 180 pour le service Adapto, tout en permettant évidemment une utilisation plus importante du réseau pendant les heures de pointe pouvant monter jusqu’à une utilisation simultanée de 800 véhicules, ce qui en pratique paraîtrait toutefois difficilement atteignable, puisque cela signifierait que tous les trajets aller ou tous les trajets retour journaliers estimés seraient effectués sur des voitures différentes.

La société A insiste à nouveau sur le fait que le cahier des charges, sur base notamment du volume de trajets, ne requérait pas un calcul sur base d’une utilisation moyenne allant entre 400 et 800 véhicules et que les 800 véhicules utilisés requis par l’article 3.4.2. pourraient tout au plus être vus comme une exigence de capacité maximum du service.

De même, elle considère qu’une utilisation moyenne de 400 véhicules en simultané paraitrait également surfaite dans la mesure où elle signifierait que pour chaque trajet l’aller ou le retour, une course sur deux serait effectuée par une voiture différente, ce qui signifierait qu’en moyenne annuelle pour calculer le prix de l’offre remise, il faudrait tenir compte que journalièrement sans presqu’aucun recoupement de trajet possible, un trajet sur 4 serait effectué par un véhicule différent. Aussi, en pratique, une telle moyenne devrait être considérée comme étant également largement surfaite menant à faire payer un prix au ministère non proportionné par rapport à l’utilisation réelle du service au regard des besoins communiqués dans le cahier des charges.

La société A expose encore à cet égard, notamment en ce qui concerne le service Capabs, qu’un transport de plusieurs personnes sur un trajet-véhicule serait possible et que partant, il ne faudrait pas nécessairement 800 courses et encore moins 800 véhicules ni mêmes 400 véhicules en utilisation moyenne simultanée pour couvrir les besoins du ministère exprimés dans le cahier des charges.

En ce qui concerne l’offre relative au service Adapto, le ministère estimerait que pour que l’offre soit valable et conforme au cahier des charges il faudrait qu’elle prévoie une utilisation simultanée de véhicule variant entre 318 et 637 véhicules, alors que l’offre de la partie requérante aurait été calculée sur 180 véhicules qui seraient en moyenne utilisés en parallèle sur la plateforme, estimation correspondant avec son offre remise pour la période allant de début juin à fin août 2021 dans le cadre du prolongement du contrat à l’essai actuel, la société A y ayant prévu un maximum d’utilisation de véhicules simultanée de 250 licences.

Aussi, elle estime qu’en ayant accepté l’offre de prolongement du service jusqu’en août 2021 et ce sur base des exacts mêmes calculs, le ministère aurait nécessairement indirectement admis que l’offre remise était conforme.

La société A, outre cette divergence d’interprétation du cahier des charges, reproche ensuite au ministre de ne pas avoir tenu compte du fait que la quantification en nombre de trajets simultanés moyens serait un mode de calcul permettant un calcul efficace et équitable du prix de ses services. Ainsi, la prise en compte de 180 véhicules simultanés pour Adapto et 200 pour Capabs ne voudrait pas dire que la capacité du service se limiterait à ce nombre mais que l’utilisation moyenne annuelle estimée des services correspondrait à ces chiffres : ces chiffres constitueraient ainsi des quantifications de la charge de travail et de développement que le 11 marché et les activités à couvrir exigerait de la partie requérante, mais ne représenteraient en aucun cas la capacité d’adaptation réelle du réseau.

Ainsi, de multiples facteurs viendraient augmenter cette quantification du prix en nombre de véhicule ou la diminuer. Par exemple, cette quantification de l’utilisation moyenne journalière du service serait calculée sur base annuelle, soit 365 jours par an. Or, le cahier des charges imposerait un service permettant aux bénéficiaires d’en jouir pendant 180 jours seulement par an : le nombre de véhicule utilisé en moyenne par jour varierait ainsi nécessairement en fonction de la période de référence prise en compte, tandis que le fait de compter une moyenne sur un an complet et non sur le nombre de jours réellement requis par le cahier des charges ferait nécessairement diminuer la valeur absolue quantifiée.

Or, un tel mode de calcul permettrait de rendre plus économique le stockage de l’activité informatique pendant que les services Capabs ou Adapto n’opèrent pas via l’utilisation d’infrastructures « Cloud » par exemple, sans que le ministre n’ait toutefois pris en compte ce mode de calcul particulier lors de l’analyse de son offre.

La société A donne encore à considérer que le fait que les services Adapto et Capabs soient localisés sur une même plateforme informatique diminuerait le coût à l’unité de chaque service permettant ainsi de diminuer dans le calcul des prix le nombre de véhicules simultanés à facturer au client.

Enfin, elle relève que si le ministre lui a reproché que l’analyse des prix ne contiendrait pas à suffisance de mentions et de précisions concernant les coûts et charges que le montant estimé de … euros par véhicule couvre et de justifications si ce montant lui permettrait de faire une marge suffisante pour permettre à la partie requérante d’exécuter le marché, son courrier du 16 mars 2021 expliquerait toutefois expressément que « les frais de licence incluent tous les véhicules (dans le cadre des volumes communiqués dans cet appel d’offres) les frais pour le support technique et la maintenance, l’hébergement pour Adapto et Capabs ainsi que la mise à disposition d’un second environnement "testing" », de sorte que les considérations du ministère à cet égard dans la décision querellée seraient manifestement erronées.

La société A reproche encore au ministre d’avoir retenu l’existence d’un risque financier ainsi qu’un risque sur la qualité, susceptibles de compromettre la bonne exécution du marché.

Or, elle estime qu’une offre basse mais non anormalement basse ne saurait être rejetée par le pouvoir adjudicateur au risque de constituer une ingérence inacceptable dans la liberté d’entreprendre du commerçant, chaque commerçant devant en principe être libre de fixer le risque qu’il est prêt à prendre lorsqu’il participe à un appel d’offre concernant un marché public dans la mesure où outre l’aspect purement pécuniaire, d’autres facteurs comme l’opérabilité et le développement des logiciels, pourraient justifier certaines variations de prix entre les soumissionnaires, la société A estimant que le pouvoir adjudicateur ne pourrait pas s’immiscer dans cette compétence de gestion purement interne à l’entreprise pour considérer de façon arbitraire ce qui constitue un risque acceptable ou non.

Au-delà de ces considérations de principe, elle soutient que les reproches du ministre ne seraient pas fondés, la société A soulignant à nouveau que le ministère ne serait pas son seul client bénéficiant de son système et que le ministère ne serait de loin pas le client le plus important en termes de volume.

12 La société A soutient encore que son offre découlerait d’une analyse prudente et diligente de la situation d’espèce, la gamme de prix mentionnée dans l’offre du 10 février 2021 notamment pour le service Adapto correspondant d’ailleurs peu ou prou au prix payé par le ministère pour l’usage de la licence pour le même service depuis janvier 2021, offre temporaire qui aurait d’ailleurs été prolongée jusqu’août 2021 sur demande du ministère en mars 2021.

En tant que pénultième moyen, la société A conteste toute inexactitude de prix ou non-

conformité de l’offre avec le cahier des charges, tout en relevant que le ministre n’a pas développé ce motif dans la décision querellée.

Enfin, elle estime que la décision querellée devrait être annulée pour violation du principe d’égalité, dans la mesure où le ministre lui aurait opposé une nouvelle interprétation du cahier des charges au stade de la décision d’adjudication, ce qui remettrait en cause toute possibilité de traitement égalitaire des soumissionnaires dans la mesure où le seul libellé du cahier des charges et le volume de transports y requis ne requérait aucunement une utilisation simultanée de 400 à 800 véhicules mais une capacité maximale de 800 véhicules avec un service permettant 1600 trajets par jour notamment pour le service Capabs. En requérant ex post une condition du cahier des charges non requise initialement, le principe d’égalité entre les soumissionnaires aurait ainsi été nécessairement rompu, de sorte que le marché en cause devrait être considéré comme vicié ab initio rendant nulle toute possibilité pour le pouvoir adjudicateur de l’attribuer à un des soumissionnaires.

La partie étatique soulève d’abord l’irrecevabilité de la requête sous analyse pour défaut d’exposé des moyens, en soutenant que comme les moyens de la société A ne seraient pas développés dans la requête en sursis à exécution et qu’il ne serait pas possible d'y répondre sans se référer à la requête en annulation, la requête en sursis à exécution devrait être déclarée irrecevable.

La partie étatique, rejointe en son argumentation par la société B, s’oppose ensuite à l’argumentation contenue dans la requête en obtention d’un sursis à exécution en relevant que les conditions légales pour obtenir une mesure provisoire ne seraient pas remplies en cause, les deux parties contestant tant le risque d’un préjudice grave et définitif que le caractère sérieux des moyens de la société A.

La société A invoque à la base de ses prétentions les articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics ainsi que l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

L’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 en question dispose que « le président du tribunal administratif peut être saisi endéans les délais prévus à l’article 5 conformément à l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice est obligé de surseoir à la conclusion du contrat jusqu’à la notification de l’ordonnance en référé et jusqu’à l’expiration du délai prévu à l’article 5 », tandis que l’article 5 auquel il est ainsi renvoyé est libellé comme suit : « La conclusion du contrat qui suit la décision d’attribution d’un marché relevant du champ d’application des livres II et III de la loi sur les marchés publics ou du champ d’application de la loi sur les marchés publics de la défense et de la sécurité ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai d’au moins dix jours à compter du lendemain du jour où la 13 décision d’attribution du marché a été envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, avant l’expiration d’un délai d’au moins quinze jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés. Les soumissionnaires sont réputés concernés s’ils n’ont pas encore été définitivement exclus. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée aux soumissionnaires concernés et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours. Les candidats sont réputés concernés si le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas communiqué les informations relatives au rejet de leur candidature avant que la décision d’attribution du marché soit notifiée aux soumissionnaires concernés ».

Ces articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 sont intimement liés et doivent être entendus comme instituant, par dérogation au principe du caractère directement exécutoire des actes administratifs individuels, un délai de suspension entre la communication de la décision d’adjudication aux opérateurs économiques concernés et la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire pour permettre aux soumissionnaires écartés d’agir en justice moyennant un recours en annulation contre la décision d’attribution ou celle écartant un candidat ou une offre, recours dont l’utilité et l’effectivité, au jour où le juge administratif statuera, sont garanties par la possibilité de compléter pareil recours au fond par une demande en institution d’un sursis à exécution.

Si l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 énonce expressément la possibilité d’agir devant le juge des référés pendant le délai de carence minimum prévu par l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010, il n’est pas à entrevoir comme étant dérogatoire au droit commun posé par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999. Les auteurs du projet de loi allant devenir la loi du 10 novembre 2010 ont d’ailleurs précisé que cette disposition ne fait que décrire la possibilité de recours devant le président du tribunal administratif durant la période de standstill1.

Ainsi, après l’expiration du délai de carence, le droit commun garde tout son office et un recours en référé reste recevable dans les conditions de l’article 11 de la loi du 21 juin 19992, toutefois à la condition que le contrat n’ait pas encore été conclu.

Il est en l’espèce constant en cause que le contrat avec le soumissionnaire retenu n’a pas encore été signé, de sorte que le droit commun reste d’application.

Or, en vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

Force est d’abord de retenir que comme l’affaire au fond a été introduite le 19 avril 2021 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

1 Projet de loi n° 6119, commentaire relatif à l’article 6, page 14 2 Trib. adm. prés. 16 janvier 2014, n° 33723 ; trib. adm. prés. 30 avril 2014, n° 34403, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 580.

14 En ce qui concerne la condition du préjudice grave et définitif tel qu’invoqué, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif.

En ce qui concerne le caractère grave du préjudice, la perte d’une chance de se voir attribuer un marché public ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, une telle perte étant inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause, procédure qui a pour objet de permettre à l’autorité concernée de choisir, parmi plusieurs offres concurrentes, celle qui lui paraît la plus appropriée, de sorte que l’entreprise qui participe à une telle procédure doit toujours tenir compte de l’éventualité de son attribution à un autre soumissionnaire3.

Il s’ensuit que la perte d’une chance de se voir attribuer et d’exécuter un marché public est inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause et ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, d’autant que même un soumissionnaire dont l’offre a été retenue doit s’attendre à ce que le pouvoir adjudicateur, procède, avant la signature du contrat, soit à la renonciation du marché, soit à l’annulation de la procédure de passation du marché, sans que ce soumissionnaire puisse, en principe, prétendre à une quelconque indemnisation. En effet, avant la signature du contrat avec le soumissionnaire sélectionné, le pouvoir adjudicateur n’est pas engagé et peut ainsi, dans le cadre de sa mission relevant de l’intérêt général, renoncer librement au marché ou annuler la procédure d’appel d’offres, sans être tenu d’indemniser ledit soumissionnaire4.

Dans ces conditions, les conséquences financières négatives pour l’entreprise en question, qui découleraient du rejet de son offre, font, en principe, partie du risque commercial habituel, auquel chaque entreprise active sur le marché doit faire face5 indépendamment d’une appréciation concrète de la gravité de l’atteinte spécifique alléguée dans chaque cas d’espèce6.

En conséquence, c’est à la condition que l’entreprise requérante ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave. Par ailleurs, la gravité d’un préjudice d’ordre matériel doit être évaluée au regard, notamment, de la taille de l’entreprise requérante7.

Par ailleurs, si l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 subordonne la suspension de l’exécution de l’acte attaqué à la condition de la démonstration d’un risque de préjudice grave et définitif dans le chef du requérant, il appert que dans le cadre du contrôle 3 Par analogie : Trib. U.E., 10 novembre 2012, lntrasoft International c/ Commission, aff. T-403/12 R ; Trib. U.E., 23 janvier 2009, Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, T 511/08 R.

4 Trib. U.E., 11 mars 2013, Communicaid Group / Commission, aff. T-4/13 R.

5 Par analogie : Trib. U.E., 14 septembre 2007, AWWW/FEACVT, aff. T 211/07 R.

6 Par analogie : Trib. U.E., 20 septembre 2005, Deloitte Business Advisory/Commission, T 195/05 R.

7 Par analogie : Trib. U.E., 10 novembre 2012, lntrasoft International c/ Commission, aff. T-403/12 R.

15 juridictionnel de la passation des marchés publics, l’introduction du mécanisme du standstill par l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010 ne dispense pas le requérant de la démonstration de cette condition de risque de préjudice grave et définitif8, dès lors que, si l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 se réfère explicitement à la procédure en suspension devant le président du tribunal administratif et plus particulièrement à l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, la loi du 10 novembre 2010 n’a aucunement modifié le règlement de procédure devant les juridictions administratives, et en particulier ledit article 11 (2) « qui persiste à exiger, pour que la suspension de l’exécution notamment d’une décision d’attribution d’un marché public puisse être ordonné, que soit établi le risque d’un préjudice grave difficilement réparable qu’entrainerait l’exécution immédiate de la décision attaquée9 ».

En ce qui concerne ainsi le préjudice pressenti par la société requérante, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques ; en ce qui concerne plus particulièrement la matière des marchés publics, un préjudice peut être qualifié de grave notamment lorsqu’il est d’une envergure telle qu’il menace la survie même d’une entreprise, ou lui impose une restructuration néfaste ou encore lorsque les circonstances du refus d’attribution entraînent une perte de réputation réelle pour l’entrepreneur du fait de la publicité donnée à la mesure.

Il s’agit d’une évaluation in concreto, reposant notamment sur la prise en compte de la taille de l’entreprise concernée et de l’importance du manque à gagner, exigeant une démarche probatoire concrète et chiffrée de la part du requérant, cette exigence étant la contre-partie du principe selon lequel le juge des référés ne saurait faire une application mécanique et rigide de la condition liée au caractère définitif du préjudice - ni, d’ailleurs, au caractère grave du préjudice invoqué -, mais doit tenir compte des circonstances qui caractérisent chaque affaire.

La preuve de la gravité du préjudice implique ainsi en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice10.

Or, en l’espèce, la société requérante s’abstient toutefois de fournir la moindre indication concrète relative à sa situation financière, susceptible de permettre au juge des référés d’apprécier le caractère grave du préjudice allégué, alors que de telles indications sont indispensables à l’appréciation de cette condition et auraient dû être présentées dans la demande en référé elle-même11.

Ainsi, le soussigné ne dispose pour tout élément que le montant du marché en cause, à savoir …- euros hors TVA, ainsi que l’affirmation selon laquelle la société requérante aurait « engagé de nombreux frais et des moyens humains importants pour faire fonctionner son logiciel et l’adapter aux desiderata du ministère ».

8 Trib. adm. (prés.) 26 février 2021, n° 45601.

9 Voir par analogie la jurisprudence belge constante antérieure à la réforme du Conseil d’Etat par la loi du 20 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure, et de l’organisation du Conseil d’État: notamment C.E. 14 novembre 2007, n°176.829, CHG-Meridian Computer Leasing Belgium c/ l’Intercommunale Bureau Economique de la Province de Namur BEP-Environnement ; C.E. 20 décembre 2006, n°166.184, SA European Dynamics c/ Etat Belge ; C.E. 25 avril 2005, n°143.609, SA Cegelec - Lexar Technics c/ Région Wallonne etc.

10 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2013, n° 32820, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 626.

11 Par analogie : Trib. U.E., 24 mars 2015, Europower / Commission, T-383/14 R.

16 Or, il résulte à cet égard des explications de la partie requérante devant les juges du fond qu’en tout état de cause elle n’aurait prévu de facturer à l’Etat que 30% du développement du modèle SaaS (la licence mise à disposition) nécessaire aux services Adapto et Capabs sur base du principe que seules les adaptations spécifiques à ces services seraient à facturer à l’Etat dans la mesure où le coût des autres adaptations génériques améliorant la licence de manière générale seraient refacturées à tous les clients utilisateurs de son modèle SaaS via les frais de licence, la partie requérante insistant ainsi sur le fait que ses frais de développement seraient répartis entre ses différents clients.

Il convient encore de relever qu’il résulte des explications de la partie requérante que l’Etat ne serait en l’espèce pas son seul client bénéficiant de son système, et « plus important encore que le ministère n’est de loin pas le client le plus important en termes de volume », constat ayant amené la partie requérante à encore minimiser tout risque commercial résultant du marché sous analyse.

Aussi, faute de toute information détaillée y relativement, le risque d’un préjudice économique ou financier grave n’est en tout état de cause pas justifié à suffisance de droit.

Il convient à cet égard de souligner tout particulièrement que si, en ce qui concerne la seconde condition, à savoir l’existence de moyens sérieux, le juge du provisoire est appelé à se référer aux moyens invoqués au fond, même si ceux-ci ne sont pas explicitement développés dans la requête en obtention d’une mesure provisoire - ce qui rencontre d’ores et déjà le moyen d’irrecevabilité soulevé par la partie étatique pour défaut d’exposé des moyens -, il en va différemment de la condition tendant à l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, s’agissant d’un élément propre et spécifique au référé, conditionnant l’office du juge statuant au provisoire : la preuve de la gravité du préjudice implique en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice, étant relevé que dans un souci de garantir le caractère contradictoire des débats, le juge du provisoire ne peut de surcroît avoir égard qu’aux arguments contenus dans la requête et doit écarter les éléments développés par le conseil de la partie requérante, pour la première fois, à l’audience.

Si cette solution peut paraître sévère, il convient de rappeler que le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde, doivent rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, de sorte que les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère. Cette sévérité s’impose d’autant plus en la matière des marchés publics, de sorte à exiger une atteinte effective grave à la pérennité d’une entreprise, sous peine d’aboutir à la paralysie générale des marchés publics dont l’adjudication fait l’objet d’un recours contentieux et, au-delà, de risquer de porter atteinte au bon fonctionnement de l’administration, l’objet final de toute soumission publique n’étant non pas de servir les intérêts économiques des soumissionnaires concurrents, mais de pourvoir aux besoins d’une entité publique.

Dans la mesure où la société requérante entend encore invoquer une atteinte à sa réputation, la société A ayant fait valoir que la conclusion d’un marché public avec l’Etat constituerait un élément de publicité important, il suffit de relever que la participation à une soumission publique, comme retenu ci-dessus par nature hautement compétitive, implique des risques pour tous les participants et que le rejet de l’offre d’un soumissionnaire, en vertu des 17 règles de passation de marchés publics, n’a, en elle-même, rien de préjudiciable. Lorsqu’une société a vu ses offres illégalement rejetées dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, il existe d’autant moins de raisons de penser qu’elle risque de subir une atteinte grave et irréparable à sa réputation que, d’une part, ledit rejet de ses offres est sans lien avec ses compétences et, d’autre part, l’arrêt d’annulation qui s’ensuivra permettra en principe de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation12.

Par ailleurs, des considérations relatives à la réputation du soumissionnaire retenu et à la possibilité pour lui d’utiliser l’attribution d’un marché public prestigieux comme référence dans le cadre d’un futur appel d’offres ou dans d’autres contextes concurrentiels ne concernent que des éléments accidentels et accessoires du contrat conclu à l’issue de la procédure d’appel d’offres. Or, si le fait pour un soumissionnaire écarté de subir un manque à gagner grave en n’obtenant pas la somme prévue contractuellement, élément essentiel et principal du marché public en cause, ne saurait justifier per se l’octroi d’une mesure provisoire, il doit en aller de même, à plus forte raison, en ce qui concerne la perte desdits éléments accidentels et accessoires13.

Si, certes, pour une jeune entreprise comme l’est la société requérante, la possibilité d’obtenir une soumission étatique et, en conséquence, de s’implanter au Luxembourg et de développer ses activités grâce à un tel marché de référence, constitue un élément important, le préjudice résultant de la perte d’une telle adjudication et le préjudice en résultant, à celui qui serait constitué par l’affectation prospective de la position de la requérante sur le marché, ne peut toutefois, comme indiqué ci-avant, être considéré comme justifiant une mesure provisoire qu’à la condition que la partie qui sollicite la mesure provisoire démontre un risque de modification irrémédiable des parts de marché présentant également un caractère grave14, ce qui en l’espèce n’est toutefois pas le cas, le soussigné relevant par ailleurs qu’en l’espèce le marché sous rubrique est limité à une durée de trois ans (plus une reconduction possible de deux ans), de sorte que la perte - future et éventuelle - d’un développement de son activité sur le marché luxembourgeois ne doit, en tout état de cause, être considéré que comme partie remise.

En ce qui concerne l’examen de la deuxième condition énoncée par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 pour justifier une mesure de sursis à exécution, à savoir que les moyens présentés par la société requérante à l’appui de son recours au fond soient suffisamment sérieux, il y a lieu de rappeler que concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

12 Par analogie : Trib. U.E. 23 janvier 2009, Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, T-511/08 R.

13 Par analogie : Trib. U.E. 3 juillet 2017, Proximus / Conseil, aff T-117/17 R ; trib. adm. (prés.) 24 février 2021, n° 45601.

14 Trib. U.E., 10 novembre 2012, Intrasoft International c/ Commission, aff. T-403/12.

18 L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge des référés est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’il constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès. Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire : en d’autres termes, les moyens doivent offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte15.

Si une certaine doctrine estime certes qu’il ne saurait être admis que lorsque l’évaluation du caractère fondé des moyens proposés à l’appui d’une demande de suspension ou d’institution d’une mesure de sauvegarde nécessite un examen poussé non différent de celui auquel il devra être procédé dans le cadre de la procédure au fond, le juge du référé ne pourrait pas admettre que lesdits moyens sont sérieux, puisqu’un tel raisonnement aboutirait à exclure d’office du champ des référés tout recours qui susciterait des questions juridiques complexes, ce qui viderait la protection juridictionnelle d’une partie de sa substance16, cette position méconnaît toutefois que la procédure de référé, fondée sur un examen prima facie, n’est pas conçue pour établir la réalité de faits complexes et hautement controversés : en effet, le juge des référés ne dispose pas des moyens nécessaires pour procéder à de tels examens, ne bénéficiant d’ailleurs pas de l’éclairage dont bénéficie le juge du fond à travers les mémoires en réponse, en réplique et en duplique et, dans de nombreux cas, il ne serait que difficilement à même d’y parvenir en temps utile. Ainsi, l’office même du juge des référés l’empêche d’exercer un contrôle semblable à celui du juge du fond qui aura un pouvoir d’investigation plus important : le juge des référés ne doit ainsi pas se fonder sur des appréciations réservées au juge du fond.

Partant, si une matière technique ou juridique complexe n’échappe évidemment pas automatiquement et par définition à la compétence d’un juge du provisoire, alors que même une question complexe peut susciter une réponse évidente ou directe - par exemple lorsqu’il existe un précédent jurisprudentiel aisément transposable ou une illégalité ou irrégularité 15 Trib. adm (prés.) 14 avril 2016, n° 37733, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 592, et les autres références y citées.

16 Contentieux administratif luxembourgeois, Pas. adm. 2020, p.97.

19 manifeste, dont le caractère manifeste résulte soit de la décision déférée per se, soit des explications convaincantes du requérant, de sorte que le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés17, une matière technique ou juridique complexe se heurte toutefois à davantage d’obstacles pour justifier l’intervention du juge du provisoire, appelé seulement à retenir comme sérieux les moyens s’imposant prima facie et ne requérant pas une analyse poussée.

Le soussigné tient encore à rappeler que, l’institution d’une mesure provisoire devant rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

Ainsi, le Conseil d’Etat français a rappelé18 que le caractère exécutoire des actes administratifs est « la règle fondamentale du droit public et que le sursis à exécution n’est pour le juge qu’une simple faculté, alors même qu’existent des moyens sérieux d’annulation et un préjudice difficilement réparable ». Pour cette raison, le sursis reste pour la Haute juridiction française « anormal, puisqu’il entrave le pouvoir de création juridique des autorités administratives et jette la suspicion sur un acte qui bénéficie d’une présomption de légalité »19.

Le juge du référé appréciera partant si un moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, et ce eu égard à son office.

Il prendra donc en compte la situation juridique en s’en tenant à l’évidence et sans trancher des questions de droit qui ne l’ont pas encore été. L’évidence se définit communément comme la « qualité de ce qui emporte l’assentiment immédiat de l’esprit en s’imposant à lui de façon claire et distincte »20. Elle est caractérisée par son immédiateté, par ce qu’elle ne nécessite aucune démonstration ni aucun raisonnement préalable pour être regardée comme vraie21 : l’évidence est partant une qualité dont est paré le fait ou le raisonnement qui, portant en lui révélation de son existence ou de son bien-fondé, vaut preuve de lui-même et dispense d’autre preuve ou d’autre démonstration22.

Le juge du référé ne peut ainsi en aucun cas tirer d’enseignements et encore moins de conclusions définitives lorsqu’il analyse la condition du caractère sérieux car il ne devra procéder uniquement qu’à un « premier examen » sans anticiper sur l’appréciation, sur le contrôle qu’effectuera le juge du fond. Cet examen se veut sommaire et basé sur les seuls éléments en possession de ce juge ou qui peuvent lui être apportés lors de l’audience. Il doit, en quelque sorte, seulement s’en référer à son intuition provenant de la lecture du dossier, tout en gardant à l’esprit que le juge du fond pourra toujours revenir sur la mesure prononcée en effectuant un contrôle approfondi du dossier.

Ainsi, un moyen est sérieux lorsqu’il laisse présager, aux termes d’une analyse sommaire, une probable réformation ou annulation : un moyen sérieux fait pressentir une 17 Trib. adm. (prés.) 22 mars 2019, n° 42434 ; trib. adm. (prés.) 5 avril 2019, n° 42557 ; trib. adm. (prés.) 14 juin 2019, n° 43039.

18 Conseil d’Etat fr., 2 juillet 1982, Huglo, Rec. p. 257.

19 Morand-Deviller Jacqueline, « Le contrôle de l’administration : la spécificité des méthodes du juge administratif et du juge judiciaire », in Dupuis Georges (Dir.), Le contrôle juridictionnel de l’administration - Bilan critique, Paris : Économica, 1991, p. 190 20 Trésor de la langue française.

21 Le Littré la définit ainsi comme « notion si parfaite d’une vérité qu’elle n’a pas besoin d’autre preuve ».

22 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 8e éd., 2000.

20 annulation ou réformation, tandis que l’examen du caractère sérieux d’un tel moyen se caractérise par son caractère prima facie.

Ce caractère de sérieux peut résulter d’une situation de fait ou de droit manifeste (un élément matériel important a été ignoré, une disposition légale n’a été manifestement pas appliquée) ou encore d’une jurisprudence à tout le moins solidement établie ; le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés : le simple fait de transcrire l’argumentation développée devant les juges du fond, respectivement de s’y référer peut, face à des matières ou questions complexes, s’avérer de ce point de vue insuffisant.

C’est pourquoi le juge du provisoire doit prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

Ne présente en revanche pas un caractère sérieux suffisant, un moyen soulevant un simple doute quant à l’issue du recours, un moyen basé sur une jurisprudence fluctuante ou minoritaire ou lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément aux questions devant être tranchées en l’espèce par le jugement à rendre ultérieurement sur le fond, surtout lorsqu’il s’agit de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale : le juge du référé est réellement le juge de l’évidence car il est cantonné à une position, sur ce problème, d’archiviste se contentant de reprendre à son compte une position adoptée par une autre juridiction23.

Si la solution du problème conduit le juge des référés à une appréciation juridique motivée qui fait la part entre la thèse de l’un et celle de l’autre, il excède ses pouvoirs dans la mesure où il est obligé de discuter juridiquement pour écarter l’une de ces thèses qui est donc forcément sérieuse. Lorsque le juge des référés, pour repousser une contestation, est obligé de bâtir un raisonnement juridique que ne dénierait pas un juge du fond, il va au-delà de ses pouvoirs24.

Or, à cet égard et au terme d’un examen nécessairement superficiel des moyens avancés devant les juges, il n’appert pas que ceux-ci présentent le sérieux nécessaire afin de justifier l’instauration de la mesure provisoire sollicitée.

La société A reproche en l’espèce au pouvoir adjudicateur essentiellement et en substance une appréciation erronée des faits ayant abouti à rejeter son offre comme étant anormalement basse ainsi qu’une application de la notion de véhicule erronée, ou à tout le moins n’ayant pas été initialement prévue ou précisée en ce sens par le cahier des charges.

Comme indiqué ci-avant, la société A reproche au ministre d’avoir mal compris la viabilité économique de son offre, en ne tenant pas compte du fait qu’elle n’aurait prévu de facturer à l’Etat que 30% du développement du modèle SaaS, à savoir les frais spécifiques au 23 J. Piasecki, L’office du juge administratif des référés : Entre mutations et continuité jurisprudentielle. Droit, Université du Sud Toulon Var, 2008, n° 337, p.197.

24 Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse, Strasbourg, 1993, p. 96 et 97.

21 développement des adaptations nécessaires aux services Adapto et Capabs, les autres frais génériques de développement étant supportés par l’ensemble de ses autres clients.

Il résulte toutefois du dossier que l’offre de la société A était de … euros, comparée à l’offre finalement retenue qui s’élève à … euros, de sorte à être de près de 60 % inférieure à celle finalement retenue.

Selon l’article 88 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, « (1) La remise d’une analyse de prix doit être demandée par le pouvoir adjudicateur aux soumissionnaires dont les offres sont de plus de 15 pour cent inférieures à la moyenne arithmétique des prix de toutes les offres conformes aux exigences formelles de la procédure de passation reçues, y non compris l’offre la plus chère et l’offre la moins chère. (2) Le paragraphe 1er n’est pas d’application si moins de cinq offres conformes aux exigences formelles de la procédure de passation ont été reçues. Toutefois, dans ce cas, il est loisible au pouvoir adjudicateur de demander une analyse de prix, ceci de son initiative ou à la demande d’un soumissionnaire ».

Il appert au terme d’un examen nécessairement superficiel que le premier alinéa de ladite disposition, prévoyant le recours obligatoire à une analyse des prix, n’est pas en l’espèce applicable, les conditions afférentes n’étant pas remplies, de sorte que la discussion doit se limiter à l’alinéa second de l’article 88, aux termes duquel « il est loisible au pouvoir adjudicateur de demander une analyse de prix, ceci de son initiative ou à la demande d’un soumissionnaire ».

Il résulte encore à cet égard par analogie de la jurisprudence25 que cette possibilité pour le pouvoir adjudicateur de demander dans un premier temps des précisions et des justifications au soumissionnaire dont il entend rejeter l’offre, et ce au vu d’une apparence d’offre anormalement basse constitue une disposition réglementaire qui prévoit uniquement que le pouvoir adjudicataire, lorsqu’il entend faire état d’une offre anormalement basse afin de rejeter celle-ci, soumette cette question préalablement au soumissionnaire concerné pour discussion et afin de permettre à celui-ci de prendre position y relativement : il s’agirait partant d’une disposition à rapprocher de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en ce sens qu’il s’agirait d’une disposition visant essentiellement à protéger les droits d’un soumissionnaire ayant présenté l’offre apparaissant présenter une anomalie au niveau de son prix, lequel risque de se voir écarter de ce chef. En d’autres termes, si cette procédure contradictoire ne relève pas d’une simple faculté, mais constitue une obligation26, ce n’est que dans le sens que l’absence de procédure contradictoire et l’exclusion automatique d’un candidat dont l’offre est suspectée d’être anormalement basse peuvent, le cas échéant, être sanctionnées par le juge27.

La même jurisprudence a retenu qu’un tel dispositif permet de ne pas sanctionner l’offre basse mais l’offre anormale qui nuit à la concurrence loyale entre les candidats et qui, si elle était retenue, risquerait de mettre en péril la bonne exécution du marché. Après avoir identifié les offres susceptibles d’être anormalement basses, le pouvoir adjudicateur aurait ainsi l’obligation de demander des explications à leurs auteurs et d’en apprécier la pertinence, afin de prendre une décision d’admission ou de rejet. C’est ainsi que le pouvoir adjudicateur doit 25 En ce sens trib.adm.2 février 2015, n° 33722.

26 CJUE, 29 mars 2012, SAG ELV Slovensko, C-599/10.

27 TA Lille, 25 janvier 2011, Ste Nouvelle SAEE, n°0800408.

22 procéder à un examen attentif des explications fournies par l’entreprise pour justifier son prix.

Si ces éléments sont convaincants, le pouvoir adjudicateur peut requalifier l’offre de « normale », en reconnaissant son caractère particulièrement compétitif et l’inclure dans le processus d’analyse sur la base des critères d’attribution annoncés et de leur pondération. En revanche, si les explications demandées ne permettent pas d’établir le caractère économiquement viable de l’offre eu égard aux capacités économiques, techniques et financières de l’entreprise et de démontrer que le marché ne peut être exécuté dans les conditions prévues, le pouvoir adjudicateur est tenu de la rejeter par décision motivée.

Il s’agirait partant d’une procédure protectrice de l’auteur d’une offre suspectée d’être anormalement basse, articulée en deux phases, à savoir une première phase relative à l’identification des offres susceptibles d’être anormalement basses, et une seconde phase, contradictoire, dans laquelle le pouvoir adjudicateur est appelé à apprécier la pertinence des explications fournies par le candidat, et aux termes de cet examen, soit de considérer que l’offre suspectée originellement d’être anormalement basse est finalement celle qui est économiquement la plus avantageuse, soit d’écarter l’offre en question pour être effectivement anormalement basse.

En l’espèce, il appert que le pouvoir adjudicateur a bien respecté la procédure protectrice décrite ci-avant et qu’il a interpellé la société A, de même qu’il s’est vu remettre une prise de position afférente, mais que cette prise de position ne l’a pas convaincu de la viabilité économique de l’offre en question.

Or, au stade actuel d’instruction du dossier et sur base d’une analyse nécessairement sommaire des positions, les explications fournies en cause ne permettent pas au soussigné de balayer de manière évidente les appréhensions de l’Etat.

En effet, la réponse adressée le 16 mars 2021 par la société A au pouvoir adjudicateur, ensemble les explications complémentaires formulées dans le cadre du recours ne parait pas de manière évidente à être de nature à établir la viabilité économique de l’offre rejetée, ces explications se bornant à expliquer que seuls 30 % des développements à faire seraient spécifiques pour les services Adapto et Capabs et seraient facturés en conséquence, tandis que les 70 % des développements restants feraient partie « de notre planning interne concernant le développement de notre solution SaaS » et ne seraient donc pas facturés, sans justification documentée, comptable de ces chiffres.

Il appert par ailleurs dans un premier temps que la société A anticipe le fait qu’elle pourra récupérer les 70 % sur de futurs autres clients, ce qui explique qu’elle admet au niveau de l’exposé de son préjudice grave et définitif qu’une partie du logiciel pourra être réutilisé pour des nouveaux clients.

Aussi, et à ce stade il n’appert pas, au vu des explications fournies, qu’il puisse être reproché au pouvoir adjudicateur d’avoir cherché à s’assurer que les prix proposés sont économiquement viables et d’avoir recherché si le prix en cause n’était pas en lui-même manifestement sous-évalué, c’est-à-dire susceptible de compromettre la bonne exécution du marché28, cette approche n’emportant pas à première vue de mise en cause de la liberté de 28 CE fr., 29 mai 2013, Min. Int. c/ Sté Artéis, n° 366606, ainsi que CE fr., 3 novembre 2014, Office national des forêts, n°382413, cités dans trib. adm. 2 février 2015, n° 33722 ; voir aussi trib. adm. prés. 7 décembre 2016, n° 38722.

23 commerce, le pouvoir adjudicateur n’ayant à première vue pas remis en cause le modèle économique de la société A mais s’étant estimé non rassuré quant aux inquiétudes exprimées, la décision ministérielle ayant à cet égard retenue que « Même si votre entreprise ne facture pas 70% des fonctionnalités spécifiques à ce marché pour les offrir potentiellement à d’autres de vos clients étant donné que la solution est en mode SaaS, les informations complémentaires apportées ne permettent ni de justifier la viabilité de l’offre avec présentation de la marge retenue, ni de démontrer que le marché soit exécuté dans les conditions et surtout dans les délais prévus au marché ».

Si la partie requérante estime certes que l’Etat n’aurait pas compris son offre, le soussigné se doit de relever au provisoire qu’il apparaît que le ministre, précisément, a offert la possibilité à la partie requérante de s’expliciter dans le cadre de l’analyse des prix, possibilité dont la société A n’a fait usage que de manière sommaire et, manifestement au vu de la décision ministérielle consécutive, de manière incomplète et insatisfaisante.

Le soussigné rappelle à cet égard que le recours déposé au fond tend à la seule annulation de la décision déférée. Or, s’il est de principe que la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, la vérification de la matérialité des faits s’effectue, en principe, d’après les pièces et éléments du dossier administratif29, respectivement en fonction des éléments dont l’autorité a connaissance ou aurait dû avoir connaissance au moment où elle statue : en effet, il ne saurait être reproché à l’autorité administrative de ne pas avoir tenu compte d’éléments qui ne lui ont pas été présentés en temps utile30.

Il n’appert dès lors pas, à ce stade, dans quels mesures les explications complémentaires formulées dans le cadre du présent recours contentieux, développées oralement à l’audience et appelées sans doute à être précisées par écrit devant les juges du fond, seront de nature à amener les juges du fond à annuler les décisions déférées.

En ce qui concerne le second substantiel reproche, tiré de l’interprétation de la notion de véhicule, le soussigné ne saurait à ce stade que constater que le cahier administratif du dossier administratif relatif à la soumission sous analyse précise en son point 3.4. « Indicateurs clés » le nombre de 637 véhicules pour le service Adapto et celui de 800 pour le service Capabs. En ce qui concerne plus particulièrement ce dernier service, le soussigné ne saurait que constater que le nombre de 800 véhicules utilisés, indiqué explicitement, résulte du nombre de courses (288000) calculé sur une période scolaire de 180 jours/an, soit 1.600 courses devant être effectuées sur chacune de ces journées scolaires, soit, selon les explications étatiques, 800 trajets Aller et 800 trajets Retour.

Il résulte encore de ces « indicateurs clés » un nombre de 800 chauffeurs, ce qui, a priori, induit un nombre de 800 véhicules distincts.

29 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 1996, n° 276.

30 Voir notamment CE belge, arrêt n° 110.548 du 23 septembre 2002 ; CE belge, arrêt n° 93.593 du 27 février 2001; dans le même sens également : CE belge, arrêt n°87.676 du 26 août 1998, CE belge, arrêt n° 78.664 du 11 février 1999, CE belge, arrêt n° 82.272 du 16 septembre 1999, consultables sur www.raadvst-consetat.be, ainsi que CCE belge, n° 43 905 du 27 mai 2010, CCE belge, n° 46 725 du 27 juillet 2010, consultables sur www.cce-

rvv.be ainsi que trib. adm. (prés) 23 mars 2012, n° 29992 ; trib. adm. 11 juin 2012, n° 29126 ; trib. adm. 9 juillet 2012, n° 28965, consultables sous www.ja.etat.lu.

24 Enfin, tel que souligné par la partie étatique, si le cahier fonctionnel prévoit certes, notamment en son point 2.2. une optimisation des courses à travers notamment le « pooling » à savoir le regroupement des bénéficiaires des services dans un même véhicule, la même disposition précise également sous le point PLN-14 qu’un bus ne peut desservir qu’un seul centre par course, ce qui, compte tenu de l’existence de 350 centres, serait de nature, tel qu’expliqué par l’Etat, à générer chaque fois un minimum de 350 courses et exigerait un strict minimum de 350 bus, nombre minimal extrapolé avec une marge de sécurité à un minimum de 400 bus, tel qu’indiqué dans la décision ministérielle du 9 avril 2021, à comparer au nombre moyen de 200 véhicules pris en compte par la société A.

Si la société A cherche certes à justifier la prise en compte pour son offre non pas de 800 véhicules, mais de 180 véhicules pour le service Adapto et de 200 véhicules pour le service Capabs en simultané en moyenne, prise en compte aboutissant tel que soulevé par le représentant étatique in fine à redéfinir, voire à déroger au dossier de soumission, il n’appert pas que cette argumentation, qui certes ne paraît pas dénuée d’une certaine logique, doive à ce stade de l’instruction de l’affaire s’imposer et aboutir à une annulation de la décision ministérielle en dépit des chiffres clés indiqués explicitement dans la documentation administrative : en tout état de cause il s’agit d’une question d’interprétation qui dépasse très largement les compétences du juge du provisoire et qui, en tout état de cause, devra faire l’objet de développements plus précis afin de pouvoir le cas échéant être apprécié par les juges du fond et ce notamment également à l’aune de l’article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, aux termes duquel « le soumissionnaire qui constaterait dans le dossier de soumission des ambiguïtés, erreurs ou omissions, est tenu sous peine d’irrecevabilité, de les signaler par lettre recommandée au pouvoir adjudicateur au moins sept jours avant l’ouverture de la soumission, à moins que le cahier spécial des charges ne stipule un délai plus long », disposition qui implique l’association active de tous les soumissionnaires à l’établissement d’un dossier clair et exact garantissant une saine mise en concurrence, moyennant le droit et l’obligation des intéressés, tous des professionnels avertis, de contrôler et de vérifier soigneusement la documentation remise par le commettant et de signaler toute ambiguïté, erreur ou omission risquant d’empêcher la comparabilité des offres : à cet égard il se pose la question, non abordée, ni par conséquent résolue à ce stade, si le soumissionnaire A, avant de retenir un nombre de véhicules utilisés délibérément plus bas que celui indiqué au titre d’« indicateurs clés » du marché, n’aurait pas préalablement et de manière contradictoire dû s’assurer auprès du pouvoir adjudicateur de la pertinence de son interprétation. Le soussigné note d’ailleurs que la société A ne semblait pas, du moins pas dans un premier temps, exclure toute erreur d’interprétation dans son chef, alors qu’elle a affirmé dans son courrier du 16 mars 2021 que « Au cas où cette estimation (moyenne) de notre part ne serait pas correcte le risque sera assumé par A ».

Ledit moyen ne présente dès lors à ce stade et au terme d’une analyse nécessairement sommaire, pas le sérieux nécessaire pour justifier la suspension sollicitée.

Aucune des conditions cumulatives pour prononcer un sursis à exécution n’étant remplie en l’espèce, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Les demandes reconventionnelles en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros telles que sollicités par l’Etat et par la société B laissent d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause. Il y a en effet lieu de constater que les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de ces deux parties en cause n’ont pas été 25 rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, - étant souligné que les honoraires d’avocat ne constituent pas des frais non répétibles31 -, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande afférente.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties et en audience publique ;

rejette le recours tendant à l’obtention d’un sursis à exécution ;

rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure telles que formulées par l’Etat et par la société B;

condamne en revanche la société requérante aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juin 2021 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 31 Cass. 9 février 2012, n° 5/12.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45913
Date de la décision : 11/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-11;45913 ?

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