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11/06/2021 | LUXEMBOURG | N°43493

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juin 2021, 43493


Tribunal administratif N° 43493 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 août 2019 4e chambre Audience publique du 11 juin 2021 Recours formé par Madame … et Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43493 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 août 2019 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Philip...

Tribunal administratif N° 43493 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 août 2019 4e chambre Audience publique du 11 juin 2021 Recours formé par Madame … et Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43493 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 août 2019 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Philippines), de nationalité philippine, ayant demeuré …, élisant domicile en l’étude de son mandataire sise à L-1940 Luxembourg, 310, route de Longwy, et de Monsieur …, né le … (France), de nationalité française, demeurant à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 juillet 2019, respectivement d’une décision implicite confirmative sur recours gracieux du 5 août 2019 portant interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans à partir de la sortie de l’espace Schengen à l’encontre de Madame … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 décembre 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu la communication de Maître Ardavan Fatholahzadeh du 18 mars 2021 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu la communication de Madame le délégué de gouvernement Sarah Ernst du 30 mars 2021 suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 30 mars 2021, les parties étant excusées.

Suivant procès-verbal de la police grand-ducale du 9 juillet 2019, portant le numéro 2019/26317/721/MR, Madame … fit objet d’un contrôle de police lors duquel il s’est avéré que son visa Schengen délivré par les autorités néerlandaises avait expiré en date du 9 juillet 2018.

1Par arrêté du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après « le ministre », constata le séjour irrégulier de Madame … sur le territoire luxembourgeois, tout en lui ordonnant de quitter ledit territoire sans délai, cette décision étant, par ailleurs, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de trois ans à partir de sa sortie de l’espace Schengen, ladite décision étant motivée comme suit :

« (…) Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu le procès-verbal no 2019/25317/721/MR du 09 juillet 2019 établi par la Police grand-ducale Gare/Hollerich ;

Attendu que l'intéressée n'est pas en possession d'un visa en cours de validité ;

Attendu que l'intéressée ne justifie pas l'objet et les conditions du séjour envisagé ;

Attendu que l'intéressée ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d'origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie ;

Attendu que l'intéressée s'est maintenue sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ;

Attendu que l'intéressée n'est ni en possession d'une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d'une autorisation de travail ;

Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressée ; (…) ».

En date du même jour, le ministre notifia à Madame … un arrêté décidant de son placement au centre de rétention pour une durée d’un mois.

Par arrêté du 12 juillet 2019, le ministre ordonna la mainlevée de la décision de placement précitée du 9 juillet 2019 et assigna Madame … à résidence auprès de Monsieur …, résident à …, sous condition de dépôt d’une garantie bancaire à hauteur de … euros à la Trésorerie de l’Etat.

Il ressort d’une note au dossier administratif qu’en date du 15 juillet 2019, Madame … et Monsieur …, désigné ci-après par « les consorts … », se sont présentés à la Direction de l’Immigration et ont informé l’agent en charge du dossier de leur intention de retourner aux Philippines par un vol du 25 juillet 2019.

Par vol du 25 juillet 2019, les consorts … se sont rendus aux Philippines.

Par courrier du même jour, les consorts … firent introduire un recours gracieux contre la décision d’interdiction d’entrée sur le territoire de trois ans à l’encontre de Madame … du 9 juillet 2019, en faisant valoir qu’ils envisageraient de se faire pacser et que la décision précitée y poserait un obstacle en raison du fait que Monsieur … exercerait ses activités professionnelles, entre autre, sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et que ce dernier ne saurait s’installer aux Philippines auprès de Madame …, de sorte à ce que la décision d’interdiction d’entrée sur le territoire de trois ans serait disproportionnée par rapport à leur droit à une vie familiale protégée par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH ».

En date du 29 juillet 2019, Madame … fût signalée conformément à l’article 24 du règlement CE n° 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 sur 2l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II).

Par décision du 5 août 2019, le ministre confirma sa décision du 9 juillet 2019 dans les termes suivants :

« (…) En mains votre courrier du 25 juillet 2019 par lequel vous demandez le réexamen de l'article 4 de l'arrêté ministériel du 9 juillet 2019 interdisant l'entrée sur le territoire pour une durée de trois ans à Madame … à partir de la sortie de l'Espace Schengen.

Revu les éléments et faits à la base de la décision précitée, au vu des éléments actuels du dossier administratif de votre mandante et vu les dispositions légales concernant les conditions à être remplies en vue de la déclaration d'un partenariat — pacs — je suis au regret de vous informer que je ne suis pas disposé à revenir sur ma décision du 9 juillet 2019. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 août 2019, inscrite sous le numéro 43493 du rôle, les consorts … ont fait introduire un recours en annulation contre une décision du ministre du 9 juillet 2019 déclarant le séjour de Madame … sur le territoire luxembourgeois irrégulier, lui enjoignant de quitter ledit territoire sans délai et portant interdiction d’entrée sur ledit territoire pour une durée de trois ans à partir de sa sortie de l’espace Schengen, ainsi que contre la décision confirmative intervenue suite à leur recours gracieux du 5 août 2019.

L’article 113 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », prévoyant un recours en annulation, le tribunal est valablement saisi du recours en annulation, qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs font valoir que Madame …, de nationalité philippine, serait régulièrement entrée en France au mois de juin 2018 via un visa Schengen et que peu de temps après elle aurait fait connaissance de Monsieur …, résident en France, avec lequel elle vivrait ensemble depuis le 14 juillet 2018 et avec lequel elle louerait un appartement à … depuis le 10 juin 2019.

A l’appui de leurs dires, les consorts versent diverses pièces, dont des photos montrant leur vie de couple, ainsi que des attestations testimoniales d’amis du couple afin d’établir la réalité de leur relation amoureuse et vie commune.

Monsieur …, outre de faire valoir que Madame … se serait trouvée dans cette situation d’illégalité de séjour en raison de sa méconnaissance à lui du droit applicable, fait encore valoir être gérant de la société …, ainsi que de la société … immatriculée en France.

Ils font encore valoir que Madame … aurait été salariée à durée indéterminée auprès de la … et que par avenant du 1er novembre 2018 à son contrat de travail elle pourrait être amenée à accomplir temporairement d’autres activités auprès d’autres sociétés partenaires, notamment la société …, les demandeurs versant à cet effet les fiches de salaires de Madame …, ainsi que les extraits du livre mensuel de la société … relativement aux cotisations sociales versées pour le compte de celle-ci.

3En droit, les demandeurs estiment, d’abord, que les décisions déférées encourraient l’annulation, alors que le ministre aurait, en violation de l’article 112, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, omis de prendre en considération le fait que Madame … se serait vu notifier une assignation à résidence auprès de Monsieur … en date du 12 juillet 2019, le fait qu’elle aurait versé une garantie bancaire à hauteur de … euros, le fait que les demandeurs se seraient volontairement rendus aux Philippines en date du 25 juillet 2019, de sorte que la relation entre eux serait sincère et véritable et que Madame … aurait justifié de ressources suffisantes pour son séjour sur le territoire luxembourgeois.

Ils estiment ensuite que les décisions déférées violeraient l’article 8 de la CEDH, ainsi que le principe de proportionnalité.

A cette fin, ils font valoir qu’en matière d’immigration le droit au regroupement familial serait reconnu s’il existait des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer, tout en rappelant que d’après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CourEDH », l’article 8 de la CEDH ne garantirait pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et qu’il faudrait « des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition. ».

Ils précisent encore, dans ce contexte, que la notion de vie familiale serait à apprécier de façon large et que d’après la jurisprudence luxembourgeoise en la matière aucune différence de traitement entre famille « légitime » et famille « naturelle » en ce qui concerne le droit fondamental de cohabitation ne devrait avoir lieu, même s’il y avait lieu de vérifier d’abord si le demandeur pouvait se prévaloir d’une vie familiale préexistante et effective, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites, ainsi que de vérifier si une décision de refus de délivrance d’une autorisation de séjour aurait porté une atteinte injustifiée à ladite vie familiale.

Or, les consorts … ne sauraient s’installer aux Philippines, alors que toutes leurs attaches se trouveraient au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte à ce que les décisions déférées porteraient une atteinte disproportionnée à leur vie familiale, conduisant inéluctablement à l’éclatement de leur cellule familiale, les décisions déférées causant ainsi un préjudice grave à leur encontre.

Finalement, les demandeurs sollicitent la condamnation de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg au paiement d’une indemnité de procédure de … euros.

Le délégué de gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas étant fondé.

Force est d’abord au tribunal de constater que si les demandeurs critiquent surtout l’interdiction d’entrée sur le territoire émise contre Madame … par les décisions déférées, la question de la régularité de son séjour est cependant sous-jacente audit volet de son recours.

Quant au bien-fondé de la décision de retour prononcée à l’encontre de Madame …, le tribunal relève que l’article 100 de la loi du 29 août 2008, sur lequel lesdites décisions sont, entre autres, basées, dispose que :

« (1) Est considéré comme séjour irrégulier sur le territoire donnant lieu à une décision de retour, la présence d’un ressortissant de pays tiers:

4a) qui ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 34; (…) » L’article 34 de la loi du 29 août 2008 prévoit quant à lui :

« (1) Pour entrer sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et pour le quitter, le ressortissant de pays tiers doit être muni d’un document de voyage valable et le cas échéant du visa requis, tels que prévus par les conventions internationales et la réglementation communautaire.

(2) Il a le droit d’entrer sur le territoire et d’y séjourner pour une période allant jusqu’à trois mois sur une période de six mois, s’il remplit les conditions suivantes:

1. être en possession d’un passeport en cours de validité et d’un visa en cours de validité si celui-ci est requis;

2. ne pas faire l’objet d’un signalement aux fins de non-admission sur base de l’article 96 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 et être signalé à cette fin dans le Système d’Information Schengen (SIS);

3. ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire;

4. ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales du Grand-Duché de Luxembourg ou de l’un des Etats parties à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant le Grand-Duché de Luxembourg;

5. justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé, et justifier de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, ou justifier de la possibilité d’acquérir légalement ces moyens et disposer d’une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire. Un règlement grand-ducal définit les ressources exigées et précise les conditions et les modalités selon lesquelles la preuve peut être rapportée.

(3) Si le ressortissant de pays tiers déclare vouloir séjourner sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois dans le cadre d’une visite familiale ou privée, la preuve du caractère suffisant des ressources personnelles peut être rapportée par la production d’une attestation de prise en charge ou par des lettres de garantie émises par un institut bancaire. » Force est au tribunal de constater qu’il ressort du dossier administratif qu’aux moments des décisions déférées, Madame … ne disposait pas d’un visa valable, son visa Schengen ayant expiré en date du 9 juillet 2018, de sorte à ce qu’elle ne remplissait ni les conditions prévues au paragraphe (1), ni celles prévues au paragraphe (2) de l’article 34 de la loi du 29 août 2008, ce constat n’étant pas énervé par les développements des demandeurs relativement à la justification de l’objet du séjour de Madame … et à ses ressources personnelles, alors que le fait de ne pas remplir une des conditions prévues au paragraphe (2) de l’article 34 de la loi du 29 août 2008 entraîne de plano l’irrégularité du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers.

Madame … ne disposant, par ailleurs, au jour des décisions déférées, d’aucune autorisation de séjour supérieure à trois mois au Luxembourg, le ministre a, en application de l’article 100, paragraphe (1) a) de ladite loi, valablement pu constater le caractère irrégulier du séjour de la demanderesse et prendre une décision de retour à son encontre.

En ce qui concerne l’interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de trois ans à partir de la sortie de l’espace Schengen dont est assortie la décision déférée, il échet de relever que celle-ci est basée sur l’article 112, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée maximale de cinq ans prononcée soit simultanément à la décision de 5retour, soit par décision séparée postérieure. Le ministre prend en considération les circonstances propres à chaque cas. Le délai de l’interdiction d’entrée sur le territoire peut être supérieur à cinq ans si l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale (…) ».

Force est de relever que selon les enseignements de la Cour administrative dans ses arrêts, invoqués par le délégué de gouvernement dans son mémoire en réponse, des 10 octobre 2018, portant le numéro de rôle 40795C et 5 février 2019, portant le numéro de rôle 42047C, l’article 112 de la loi du 29 août 2008 est à interpréter en ce sens que le ministre est obligé d’assortir automatiquement une décision de retour ne comportant pour l’intéressé aucun délai de départ d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire et que le terme « peuvent », utilisé dans ledit article 112, vise, suivant l’interprétation lui donnée par la Cour administrative, le seul choix à effectuer par le ministre de prendre une telle décision simultanément avec la décision de retour ou par un acte séparé, conformément à l’article 6, paragraphe (6), de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et que l’obligation faite par le même article 112 de la loi du 29 août 2008 de prendre en considération les circonstances propres à chaque cas se rapporte essentiellement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans la fixation de la durée de l’interdiction d’entrée.

L’article 112, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, oblige donc le ministre à assortir une décision de retour sans délai d’une interdiction d’entrée sur le territoire dont la durée ne peut, en principe, pas excéder cinq ans, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.

Etant donné que la décision de retour déférée comporte un ordre de quitter le territoire sans délai à l’encontre de la demanderesse, le ministre était, a priori, obligé d’assortir la décision déférée d’une interdiction d’entrée sur le territoire, étant relevé que les demandeurs n’ont, dans leur acte introductif d’instance, pas critiqué l’ordre de quitter le territoire sans délai.

Le moyen tendant à une violation de l’article 112 de la loi du 29 août 2008 encourt partant le rejet.

En ce qui concerne le moyen relatif à une atteinte disproportionnée au droit à leur vie privée et familiale, force est de relever qu’aux termes de l’article 8 de la CEDH « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » L’article 8 de la CEDH est applicable en cas d’interdiction d’entrée sur le territoire dans la mesure où même si le ministre disposait de la faculté de procéder à une interdiction d’entrée sur le territoire, et s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins 6que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH.

Dans ce contexte, il convient encore de relever que l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.

Il convient dans ce contexte de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis. Pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que le demandeur puisse faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable que l’interdiction d’entrée sur le territoire du ministre perturberait de façon disproportionnée.

La notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l'existence d'un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d'une vie familiale effective, c'est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante à l'entrée sur le territoire national1.

Alors qu’en l’espèce, le tribunal constate que les demandeurs apportent tout à fait la preuve du lien réel et suffisamment étroit entre eux, il échet néanmoins de relever qu’outre l'existence d'une vie familiale effective, il faut encore que soit vérifiée, cumulativement, l'impossibilité pour les intéressés de s'installer et mener une vie familiale normale dans un autre pays2.

Or, il est constant en cause que Monsieur …, tout en disposant d’une attestation d’enregistrement d’un citoyen de l’Union européenne datée au 7 juin 2019 au Grand-Duché de Luxembourg, est ressortissant français, disposant encore d’une adresse officielle en France, de sorte à ce qu’a priori les demandeurs pourraient s’y installer pour y mener une vie familiale normale, étant relevé encore que la résidence effective des consorts … au Grand-Duché de Luxemburg ne remontait qu’au mois de juin 2019, soit un mois avant leur départ aux Philippines suite aux décisions déférées.

Ce constat n’est pas énervé par les développements de Monsieur … relativement à sa gérance de la société …, établie au Grand-Duché de Luxembourg, alors qu’il reste en défaut d’apporter la preuve de son impossibilité de continuer la gérance de ladite société tout en menant sa vie familiale avec Madame … en France, cette dernière disposant par ailleurs d’un contrat de travail avec la société …, établie en France.

Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas établi une disproportion entre la décision déférée et leur droit à la vie privée et familiale prévu à l’article 8 de la CEDH au Luxembourg, de sorte à ce que ce moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.

En l’absence d’autres moyens, le recours est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

1 Cour adm., 12 octobre 2004, Pas.adm. 2020, V° Etranger, n° 454 et les autres références y citées.

2 Trib.adm., 6 juillet 2011, Pas.adm. 2020, V° Etranger, n° 454 et les autres références y citées.

7Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande des consorts … en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de …euros présentée en application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande d’indemnité de procédure des demandeurs ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juin 2021 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Laura Urbany, attaché de justice délégué, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 43493
Date de la décision : 11/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-11;43493 ?

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