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11/06/2021 | LUXEMBOURG | N°43457

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juin 2021, 43457


Tribunal administratif N° 43457 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2019 4e chambre Audience publique du 11 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43457 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 août 2019 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Co

ur, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à...

Tribunal administratif N° 43457 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2019 4e chambre Audience publique du 11 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43457 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 août 2019 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er août 2019 portant refus de faire droit à sa demande tendant à l’obtention d’une protection internationale, ainsi que de la décision portant ordre de quitter le territoire contenue dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2019 ;

Vu l’avis du tribunal du 16 novembre 2020 autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 9 décembre 2020 par Maître Ardavan Fatholahzadeh pour le compte de son mandant ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 prise dans le cadre de la reprise de l’activité du tribunal administratif dans le contexte du dé-confinement ;

Vu la communication de Maître Ardavan Fatholazadeh du 28 janvier 2021 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en sa plaidoirie à l’audience publique du 2 février 2021.

Le 7 juin 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la 1 loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Les 13 novembre et 20 décembre 2018, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 1er août 2019, notifiée à l’intéressé par un courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande tendant à l’obtention du statut de réfugié avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours, cette décision étant libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 7 juin 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 juin 2018 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 13 novembre et du 20 décembre 2018 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous seriez né le 15 octobre 1995 à … en Afghanistan et que vous y auriez vécu avec votre famille. Vous ajoutez que vous auriez travaillé dans la bijouterie de votre père, tout en soulignant que vous auriez eu une bonne vie en Afghanistan.

En ce qui concerne les motifs à la base de votre demande de protection internationale, vous indiquez que vous auriez quitté votre pays d'origine suite à un enlèvement. Vous précisez que vous auriez été kidnappé par des hommes barbus qui auraient parlé le pashtoun et que vous soupçonnez d'être des Talibans. Vos ravisseurs vous auraient maltraité pendant trois jours et vous auraient menacé de couper un doigt ou une oreille pour pouvoir extorquer une forte somme d'argent de votre père. Suite à deux appels téléphoniques, des négociations entre vos malfaiteurs et votre père et le paiement d'une rançon vous auriez été libéré.

Après avoir été soigné pendant quelques jours dans un hôpital à …, votre père aurait décidé que vous devriez quitter votre pays d'origine pour éviter d'autres problèmes. Vous auriez finalement quitté votre pays d'origine en date du 28 décembre 2017 en direction de l'Europe.

2 Pour étayer vos dires, vous présentez un certificat médical de la psychologue Madame …, une copie d'une ordonnance médicale du Dr …, une copie d'un rapport de police, une copie d'un certificat médical de l'hôpital « … » à … et une copie de l'autorisation de commerce de votre père.

Vous présentez une copie de votre carte d'identité ainsi que la traduction.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

· Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amené à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

Monsieur, vous prétendez que votre père aurait décidé de vous envoyer en Europe suite à un enlèvement dont vous auriez été victime et afin d'éviter de nouveaux problèmes.

Il convient de constater qu'il ne ressort aucunement de vos dires que vous auriez été enlevé en raison de de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de vos opinions politiques ou de votre appartenance à un certain groupe social. En effet, cet enlèvement est considéré comme une infraction de droit commun commise dans un seul but de lucre de sorte qu'on ne pourrait retenir dans votre chef l'existence d'un quelconque risque de persécution.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, 3 que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

· Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 août 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 1er août 2019 refusant de faire droit à sa demande tendant à l’obtention du statut de réfugié et lui ordonnant de quitter le territoire.

1) Quant au recours dirigé contre la décision portant refus de la demande de protection internationale :

Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection 4 internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 1er août 2019, telle que déférée.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, outre de passer en revue les rétroactes cités ci-avant, expose être de nationalité afghane, de confession religieuse musulmane sunnite et d'appartenance ethnique tadjik.

Il explique avoir vécu à … avec sa famille et avoir travaillé avec son père dans leur bijouterie, ce qui lui aurait garanti une situation aisée en Afghanistan.

Le demandeur fait valoir que sa vie aurait basculé le jour où il aurait été enlevé, séquestré, frappé et torturé pendant plusieurs jours par les Talibans, lesquels l’auraient seulement libéré suite au paiement d’une rançon de …,- USD par son père.

Il indique avoir gardé des séquelles importantes suite à cet évènement et qu’il aurait quitté l'Afghanistan, non pas pour des raisons économiques, mais à cause de la crainte permanente de persécution par les Talibans, à défaut de pouvoir se prévaloir d'une protection de la part des autorités de son pays d'origine, le demandeur soulignant qu’il risquerait de se faire exécuter en cas de retour vers son pays d'origine.

Sa vie ayant été rendue intolérable dans son pays d'origine face aux menaces de mort auxquelles il aurait dû faire face, il n'aurait eu d'autre choix que de venir chercher une protection auprès des autorités luxembourgeoises.

En droit, il conclut, en premier lieu, à une violation des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».

Il soutient plus particulièrement que la décision déférée devrait être réformée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits, au motif que ce serait à tort que le ministre aurait conclu que les faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale ne seraient pas de nature à établir l’existence, dans son chef, d’une crainte justifiée de persécution pour un des motifs mentionnés à l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève A cet égard, il donne à considérer qu’une crainte de persécution serait fondée, lorsqu’elle serait basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile. Cette crainte découlerait du manquement des autorités de son pays d’origine à remplir leurs obligations de protection des citoyens résultant des engagements des Etats au titre de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

En ce qui concerne l'argumentation ministérielle selon laquelle son enlèvement devrait être considéré comme une infraction de droit commun commise dans un seul but de lucre, de sorte qu'on ne pourrait en tirer un quelconque risque de persécution, le demandeur donne à considérer qu'aucune loi ne serait applicable en l'espèce, face à une force armée d'une telle ampleur, agissant en toute impunité, infiltrée auprès des autorités afghanes et agissant avec les prérogatives de l'Etat afghan lui-même.

Il relève qu’il aurait exposé, dans le cadre de son audition, sa crainte justifiée de se 5 voir, suite à sa libération, à nouveau pris pour cible par les Talibans, alors que ces derniers pourraient le trouver partout en Afghanistan, le demandeur soulignant que les persécutions de la population afghane par les Talibans placeraient la population civile dans une situation humanitaire désastreuse. Ainsi, la capitale, …, aurait subi une nette augmentation des attentats ces dernières années avec en sus un taux de criminalité très élevé. En outre, la capitale serait le point de chute principal des personnes déplacées en interne, ainsi que des personnes retournées dans le pays, ce qui provoquerait une surcharge des services déjà fortement sollicités. De plus des combats seraient menés dans la province de Kunduz.

Concernant la situation actuelle en Afghanistan, le demandeur fait relever que l'insécurité y règnerait de manière permanente en raison d'une situation prolongée de guerre civile, sans perspective d’amélioration à court ou à moyen terme, notamment en raison du retrait des troupes internationales. En effet, même le ministre aurait laissé entendre, dans le cadre d’une visite en Afghanistan, que la situation sécuritaire y serait telle que des retours forcés audit pays ne seraient pas envisageables à l’heure actuelle.

Le demandeur invoque encore plusieurs rapports internationaux et articles de presse selon lesquels le nombre de victimes civiles du conflit afghan aurait fortement augmenté en juillet 2019 en raison, selon un communiqué de la mission onusienne, des éléments antigouvernementaux tels que les Talibans et la branche afghane du groupe terroriste Etat islamique.

Par ailleurs, les Talibans et l’Etat islamique se seraient rendus coupables non seulement d'attaques dirigés contre des institutions étatiques et internationales avec d’importants dommages collatéraux parmi la population civile, mais cibleraient également directement les civils, sans que les nouvelles négociations de paix auraient pu mettre fin à cette situation.

De plus, de nombreux demandeurs de protection internationale retournés en Afghanistan y auraient trouvé la mort, tués par les Talibans quelques semaines après leur retour.

Par ailleurs, le rapport de l'European Asylum Support Office, dénommé ci-après « l’EASO », de juin 2019 ferait état de la dégradation de la situation sécuritaire en Afghanistan et de l’augmentation des victimes civiles dont le nombre aurait plus que doublé en 2018 par rapport à l’année précédente, soulignant l’incapacité de l’Etat à garantir la loi et l'ordre face à l’augmentation annuelle de la criminalité. Ainsi, même si le cadre juridique prévoirait la protection des droits de l'homme, la mise en œuvre des engagements de l'Afghanistan en vertu du droit national et international de promouvoir et de protéger leurs droits resterait dans la pratique souvent un défi. Un niveau élevé de corruption, ainsi qu’un climat d'impunité affaibliraient encore davantage l'Etat de droit en Afghanistan.

Selon le site de France diplomatie consulté le 13 août 2019, l'Afghanistan serait l'un des pays les plus touchés au monde par le terrorisme. Les combats entre les groupes insurrectionnels armés et les forces gouvernementales, assistées par une coalition internationale, toucheraient la majorité du territoire et feraient de nombreuses victimes collatérales civiles. Les menaces terroristes frapperaient régulièrement … et viseraient aussi bien les institutions afghanes, les forces de sécurité, la population, que les missions diplomatiques, notamment occidentales, ainsi que les organisations internationales. Les grandes villes du Sud et à l'Est (Kandahar, Ghazni, Khost et Jalalabad), et les grandes villes 6 des provinces du Nord et du centre seraient également touchées. Par ailleurs, les enlèvements toucheraient dans leur grande majorité des Afghans mais également les occidentaux, qui seraient des cibles privilégiées du fait de leur solvabilité et de la possibilité de les utiliser dans des buts politiques. Afin de limiter les risques d'enlèvement, il serait recommandé de s'abstenir de circuler seul, même en voiture, y compris dans les quartiers considérés comme étant les plus sécurisés de …, de jour comme de nuit. De même, la criminalité de droit commun serait en forte croissance.

Le demandeur invoque encore un arrêt de la Cour administrative du 4 janvier 2018, inscrit sous le numéro 40256C du rôle ainsi qu'un jugement du tribunal administratif du 29 janvier 2018, inscrit sous le numéro 39327 du rôle, qui auraient notamment relevé, sur base d’un rapport de l’organisation Amnesty International du mois d'octobre 2017, que la dégradation des conditions de sécurité constatée en 2016 se serait encore accentuée en 2017, de sorte à être qualifiée de très précaires par le secrétaire général de l'ONU, la situation ayant évolué vers une crise humanitaire toujours plus aiguë avec environ 2 millions de personnes déplacées, auxquelles s’ajouteraient les personnes retournées de manière involontaire. De plus, il faudrait constater que le conflit affecterait l'ensemble du pays, n'épargnant aucune des régions, du Nord au Sud, d'Est en Ouest, ainsi qu’au centre, le conflit se caractérisant par une instabilité généralisée du fait que de nombreux groupes chercheraient constamment à gagner ou à regagner du terrain par des actes pouvant être imprévisibles. Ainsi, dans la majorité des cas, les personnes seraient touchées par l'explosion d'engins explosifs improvisés placés dans des zones à population civile par des éléments hostiles au gouvernement. En outre, un grand nombre de personnes vivant en Afghanistan seraient également confrontées à un risque particulier de persécution perpétrée dans tout l'Afghanistan, dans les territoires sous contrôle aussi bien des forces favorables au gouvernement que des éléments qui lui seraient hostiles.

Non seulement des agents étatiques, respectivement des groupes armés favorables au gouvernement se livreraient quotidiennement à des violations des droits humains, en commettant des meurtres, agressions, extorsions et actes d'intimidation, mais également, dans les régions aux mains d'éléments hostiles au gouvernement, les exécutions extrajudiciaires, actes de torture et autres mauvais traitements seraient très fréquents.

Or, malgré le fait que son récit garderait toute sa cohérence chronologique et que sa crédibilité n'aurait pas été mis en doute par l'autorité ministérielle, cette dernière n'aurait pas pris en compte son récit à sa juste valeur, alors qu’il ne serait pas concevable qu’il pourrait bénéficier d'une quelconque protection eu égard à la situation actuelle dans son pays d'origine.

Et même s'il lui avait été possible de demander une quelconque protection auprès des autorités afghanes, sa vie aurait été mise en danger en cas de dénonciation des Talibans.

Le demandeur estime que les faits qu’il aurait exposés constitueraient autant de raisons de craindre d'être poursuivi sur la base d'un ou de plusieurs des motifs suivants, à savoir ses opinions politiques, sa race, sa religion, sa nationalité et son appartenance à un groupe social ou à une mouvance politique. Il s’en suivrait que la décision déférée aurait été prise sur base d’une mauvaise interprétation des faits d'espèce, voir en violation de la loi, sur base d'une mauvaise instruction de son dossier, respectivement en violation de l'article 10 de la loi du 18 décembre 2015.

Au fond, tout en invoquant l'article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, lequel instaurerait une présomption - réfragable- en faveur des victimes qui auraient déjà été persécutées que leur crainte d'être à nouveau persécutés en cas de retour dans leur pays d'origine est fondée, le demandeur relève que sa crainte de persécution serait suffisamment 7 personnalisée et individualisée, de sorte qu’un retour forcé en Afghanistan serait exclu au vu de la situation sécuritaire générale fragile et imprévisible, surtout vis-à-vis des personnes, comme lui, déjà victimes de menaces, ainsi que d'un enlèvement.

Il en ressortirait qu’il serait une victime directe du conflit existant entre les Talibans et l'Etat afghan du fait d’avoir subi des persécutions en raison de son appartenance à un groupe social vulnérable, voir en raison de sa position sociale et politique, alors que le fait que lui et son père seraient des commerçants réputés et en plein essor financier, réussissant dans l’Etat afghan, équivaudrait à l’expression d’idées politiques et religieuses perçue par les Talibans comme un acte d'opposition contre eux, le demandeur soulignant encore que les Talibans agiraient impunément contre les autorités afghanes en place, de sorte à ainsi contrôler l'Etat afghan.

Il ne s'agirait ainsi ni d’un simple sentiment latent de tensions et de malaise, ni de faits non-personnels, mais bien de menaces graves et de persécutions personnellement vécues répondant aux exigences posées par la Convention de Genève.

Quant à l'application de l'article 42, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur estime que le fait qu’il aurait été enlevé, séquestré, battu, maltraité et menacé de mort par les Talibans serait d'une gravité suffisante au regard des exigences légales.

Le demandeur fait encore plaider que la circonstance d’avoir été victime de violences physiques et mentales, d'un enlèvement, ainsi que d’être la cible d’une menace de mort, aurait pour conséquence que les conditions de l'article 42, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 seraient également remplies.

Finalement, le demandeur rappelle ne pas pouvoir compter sur une protection de la part des autorités afghanes.

En ordre subsidiaire, le demandeur fait plaider qu’il remplirait les conditions d’octroi de la protection subsidiaire, au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

En se prévalant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », ainsi que d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, désignée ci-après « la CJUE », il fait valoir que le caractère fondé de sa crainte de subir des atteintes graves se dégagerait de son dossier administratif, alors qu’il aurait d’ores et déjà dû subir de telles atteintes dans son pays d’origine, sans qu’il n’existe de « bonne raison », au sens de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, de croire que les atteintes graves dont il aurait été victime ne se reproduiraient pas en cas de retour dans son pays d’origine. Par ailleurs, il donne à considérer que le fait de vivre dans la crainte constante que ces atteintes se réalisent constituerait pour lui un véritable traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, tout en soulignant qu’en raison de l’état de guerre généralisée dans lequel se trouverait l’Afghanistan, son expulsion vers son pays d’origine mettrait sa vie en danger. Il demande, au dispositif de sa requête introductive d’instance, de statuer conformément à un arrêt de la Cour administrative du 4 janvier 2018 inscrit sous le n° 40256C du rôle, ayant retenu l’existence d’un conflit armé interne au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015.

8 Finalement, le demandeur conteste toute possibilité de fuite interne, en renvoyant à la situation sécuritaire régnant en Afghanistan, tout en soulignant que dans ce pays, les tensions inter-ethniques seraient exacerbées depuis plusieurs dizaines d’années, alors que les Talibans s’opposeraient à l’établissement d’une paix durable et que même les autorités de son pays d’origine seraient à sa recherche.

Dans son mémoire supplémentaire, que le tribunal avait autorisé pour prendre position quant aux récents rapports EASO relatifs à la situation sécuritaire en Afghanistan, le demandeur insiste sur l’existence d’un conflit armé interne qui serait établi par les nouvelles pièces qu’il aurait versées à l’appui de son recours et notamment par les divers rapports de l’EASO versés en cause.

Ainsi, en ce qui concerne plus spécialement le rapport EASO d’août 2020, intitulé « Afghanistan Anti-Government Elements (AGEs) », il y aurait été relevé que les Talibans continueraient d'appliquer des mécanismes de justice parallèles appliquant la torture et conduisant à des exécutions par des tribunaux fantômes.

De même, il ressortirait du rapport récent de septembre 2020, intitulé « Afghanistan Security situation » et qui aurait été élaboré du 1er mars au 30 juin 2020 pour avoir été finalisé le 31 juillet 2020, qu’en Afghanistan, les attaques faisant des victimes civiles n’auraient pas cessé, malgré l’existence de négociations de paix, alors que les Talibans et les forces de sécurité afghanes n’arrêteraient pas de changer de position, de sorte que la situation resterait préoccupante, alors que sur la période de janvier à juin 2020, des attaques délibérées des Talibans visant des civils auraient fait 342 morts et 428 blessés et 28 victimes d’enlèvements.

En ce qui concerne plus spécialement la province de … dont il serait originaire, le demandeur souligne que le rapport EASO de septembre 2020 ferait état de plusieurs incidents sécuritaires, tels que blocage de routes, attaques de postes de sécurités et enlèvements par les Talibans.

Les rapports EASO précités mettraient également en exergue les violations commises partout en Afghanistan à l’égard des civils et ce, tant par les Talibans que par les forces policières afghanes.

Ainsi, plusieurs dizaines de civils auraient à chaque fois trouvé la mort dans des attaques visant des hôpitaux, à l’occasion de funérailles, envers des écoles, des prisons, des marchés et des institutions afghanes, ce phénomène s’accentuant avec le retrait progressif des forces internationales et la reprise de contrôle conséquente des Talibans sur un tiers du territoire.

Si, selon l'ONU, le total de victimes civiles aurait décru d'environ 30 % au cours des neuf premiers mois de 2020 par rapport à la période correspondante de l'an passé, les violences auraient repris de plus belle depuis lors, malgré des négociations de paix entre les parties belligérantes.

De plus la minorité Hazara serait particulièrement prise pour cible.

Par ailleurs, le demandeur se réfère encore à un rapport relatif à la situation de la paix en 2020 partout dans le monde, qui aurait classé l'Afghanistan comme pays le moins en paix pour la seconde fois d’affilée, suivi de la Syrie, de l’Irak, du Soudan du Sud et du Yemen.

9 Le demandeur renvoie également à l'alerte générale du site internet de France Diplomatie, publiée le 29 octobre 2020, jugeant élevé le risque d'attentat en Afghanistan et déconseillant formellement de s’y rendre. En cas de présence impérative dans le pays, il y serait recommandé de ne pas quitter … et de faire preuve de la plus grande vigilance, en particulier à l'occasion des déplacements et dans les lieux fréquentés par les communautés expatriées.

Il en conclut que sa situation individuelle particulière démontrerait, qu'en cas de retour en Afghanistan, il courrait un risque grave de subir un traitement inhumain et dégradant dans un contexte de persécutions personnelles et généralisées à l'égard des personnes vivant en Afghanistan et ce, sans que les autorités en place ne soient en mesure de lui apporter une quelconque protection.

Il ne s'agirait partant pas d'un sentiment latent de tensions et de malaise, ou d’une situation hypothétique, mais bien de menaces graves dans son chef.

En se prévalant des articles 10 et 37 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur déclare encore contester l’argumentation non autrement motivée de la partie gouvernementale selon laquelle les auteurs de son enlèvement auraient été des personnes privées, ce qui aboutirait à une sous-évaluation de la gravité des faits gisant à la base de sa demande de protection internationale.

A cet égard, le demandeur insiste sur le fait qu’il serait menacé par les Talibans qui constitueraient une entité armée en conflit avec l’Etat afghan.

Quant au défaut de pièces probantes, le demandeur fait souligner qu’il devrait bénéficier du doute, en application des dispositions de l’article 37, paragraphes (4) et (5) de la loi du 18 décembre 2015.

Il donne encore à considérer que les incidents vécus par lui ne devraient pas être pris isolément, mais en tenant compte de l’atmosphère générale d’insécurité régnant dans son pays d’origine, de sorte que l’effet cumulatif des événements vécus devrait être pris en considération.

Par ailleurs, en renvoyant à ses développements relatifs à la situation sécuritaire régnant en Afghanistan, le demandeur conteste l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle il se dégagerait du rapport de l’EASO de juin 2019, intitulé « Country Guidance :

Afghanistan » que le seul fait, pour un demandeur, d’être originaire d’Afghanistan ne serait pas suffisant pour se voir accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, au motif que dans ce pays, la situation ne serait plus d’une gravité telle que chaque individu y risquerait de subir des atteintes graves du seul fait de sa présence sur le territoire du pays en question. A cet égard, le demandeur fait valoir qu’il refuserait de se conformer aux idéologies des Talibans et d’être pris pour cible par ces derniers ou par d’autres entités armées, de sorte qu’il ne saurait être considéré comme faisant partie de la population afghane en général. Dans le même ordre d’idées, le demandeur fait encore valoir qu’il serait devenu une personne à risque « (…) dès le moment où [il] a[urait] exprimé son opposition respectivement, par son comportement, y compris sans l’avoir manifesté (…) », en soulignant qu’en tout état de cause, compte tenu des sources internationales dont il se serait prévalu, il aurait démontré le caractère fondé de sa crainte.

10 Le demandeur insiste encore sur le fait qu’en Afghanistan, il y aurait un véritable conflit armé interne, au sens de l’article 15 c) de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, tel qu’interprété par la CJUE, dans son arrêt du 30 janvier 2014, « Diakité c. Belgique », numéro C-285/12.

En conclusion, le demandeur soutient qu’il prétendrait à juste titre à l’octroi du statut de réfugié, sinon de celui conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en reprenant, en substance la motivation telle qu’elle se dégage de la décision déférée, reproduite in extenso ci-avant.

Quant à la légalité externe de la décision déférée, le tribunal relève d’abord que le demandeur n’est pas fondé à reprocher au ministre une mauvaise instruction de son dossier en violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « (…) (2) Lors de l’examen d’une demande de protection internationale, le ministre détermine d’abord si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié et, si tel n’est pas le cas, détermine si le demandeur remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire. (3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que : a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement ; b) des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de l’homme, sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations ; c) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions connaissent les normes applicables en matière d’asile et de droit des réfugiés ; d) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions aient la possibilité de demander conseil à des experts, le cas échéant, sur des matières particulières comme les questions médicales, culturelles, religieuses, ou celles liées aux enfants ou au genre ». En effet, il ne se dégage pas des éléments à la disposition du tribunal que la décision litigieuse n’ait pas été prise individuellement, objectivement et impartialement.

Il ne se dégage pas non plus du dossier que les agents ayant mené les entretiens et l’autorité de décision n’aient pas eu les moyens mentionnés aux points c) et d) de l’article 10, précité. La seule circonstance selon laquelle l’instruction de la demande de Monsieur …, respectivement l’appréciation que le ministre a faite de ses déclarations lors de ses auditions, n’a pas abouti à l’octroi d’une protection internationale ne permet, en tout état de cause, pas au demandeur de soutenir valablement que l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 aurait été violé. Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 est rejeté.

Quant au fond, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison 11 d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des 12 critères de fond définis à l’article point 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, force est de constater que c’est à bon droit que la partie gouvernementale soutient que le demandeur n’établit pas une crainte de persécution motivée par un des critères de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, étant relevé que même si le demandeur considère, sur base de leur apparence et de la langue parlée par ces derniers, que ses ravisseurs seraient à considérer comme des Talibans, il ne ressort cependant d’aucun élément objectif du dossier que leur motivation aurait été de nature politique ou religieuse, respectivement basée sur la prétendue appartenance du demandeur à un groupe social vulnérable. Au contraire, il ressort du récit du demandeur que son enlèvement avait pour seul but d’extorquer de l’argent de la part du père du demandeur, alors qu’une fois la rançon payée, le demandeur a été libéré et qu’à aucun moment, le demandeur ne s’est vu adresser des reproches en relation soit avec sa confession, ses opinions politiques, respectivement son appartenance à un quelconque groupe social, de sorte que l’argumentation du demandeur selon laquelle lui et son père appartiendraient à un groupe social vulnérable en raison de leur position sociale équivalant à l’expression d’idées politiques et religieuses mal perçues par les Talibans tombe à faux.

Au vu de ces considérations et du caractère cumulatif des conditions d’octroi du statut de réfugié, c’est à juste titre que le ministre a refusé d’accorder ledit statut au demandeur.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

13 L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.

Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié, à savoir le risque d’être à nouveau enlevé, au motif que le ministre n’aurait pas fait état de bonnes raisons, au sens de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, de croire qu’un tel évènement ne se reproduirait plus en cas de retour dans son pays d’origine. A cela s’ajouterait qu’en raison de l’état de guerre généralisée dans lequel se trouverait l’Afghanistan, son expulsion vers son pays d’origine mettrait sa vie en danger.

Force est d’abord de retenir que, mis à part une allégation non autrement circonstanciée y relative, le demandeur ne fait pas état d’un risque de subir la peine de mort, respectivement une exécution dans son pays, de sorte que l’article 48, point a) de la loi du 18 décembre 2015 n’est pas susceptible de trouver application.

En ce qui concerne le risque d’atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la même loi, force est effectivement de relever que l’enlèvement violent dont le demandeur a été victime est de nature à pouvoir être considéré comme un traitement inhumain et dégradant dont la partie gouvernementale n’établit pas qu’il ne saurait plus se reproduire, étant relevé que la simple affirmation selon laquelle un tel acte isolé pourrait arriver à tout le monde, n'importe où dans le monde, de sorte que le risque de subir une nouvelle fois des faits similaires serait 14 minime, ne suffit pas à renverser la présomption de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015.

Or, c’est à bon droit que la partie gouvernementale estime que le demandeur n’a pas établi un défaut de protection de la part des autorités de son pays d’origine. En effet, même dans l’hypothèse où les ravisseurs du demandeur seraient à considérer comme de membres des Talibans, ces dernières ont cependant agi de manière cachée, en dehors d’une action militaire et de leur territoire d’influence, à savoir à …, où les autorités officielles de l’Afghanistan sont toujours en place et luttent activement contre les agissements des Talibans sur leur territoire, tel que cela ressort d’ailleurs également des sources d’informations invoquées par le demandeur. Tel que souligné par le délégué du gouvernement, il ressort en outre du récit du demandeur que le père de ce dernier a, dès la disparition de son fils, eu le réflexe de contacter les forces de l’ordre, de sorte qu’il ne saurait être d’ores et déjà allégué, à défaut de tout élément concret tiré du vécu du demandeur, que tout appel à la protection étatique serait d’office vaine, le demandeur restant en défaut de fournir de plus amples informations à ce sujet et notamment sur l’accueil réservé par la police à son père lors du dépôt de sa plainte, respectivement le suivi réservé à cette dernière par les forces de l’ordre.

Il s’ensuit que le demandeur ne saurait faire état d’atteintes graves au sens de l’article 48, b) de la loi du 18 décembre 2015.

Le demandeur se prévaut encore de la situation de conflit armé régnant dans son pays d’origine et en conclut, en substance, qu’il devrait obtenir la protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Afin qu’un statut de protection subsidiaire puisse être octroyé au demandeur conformément à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il doit être question, dans son chef, d’une menace grave contre sa vie ou sa personne, en tant que civil, en raison de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international. Cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement et du Conseil européen du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95/UE ». Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH1.

Il convient par conséquent de tenir compte des enseignements de l’arrêt Elgafaji de la CJUE, qui distingue deux situations: (i) celle où il « existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive »2 et (ii) celle qui prend en compte les caractéristiques propres du demandeur, la CJUE précisant que « (…) plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison 1 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, paragraphe 28.

2 Ibid., paragraphe 35.

15 d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire »3.

Dans la première hypothèse, le degré atteint par la violence aveugle est tel que celle-ci affecte tout civil se trouvant sur le territoire où elle sévit, de sorte que s’il est établi qu’un demandeur est un civil originaire de ce pays ou de cette région, il doit être considéré qu’il encourrait un risque réel de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle s’il était renvoyé dans cette région ou ce pays, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire de procéder, en outre, à l’examen d’autres circonstances qui lui seraient propres.

La seconde hypothèse concerne des situations où il existe une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles ne soient ciblées spécifiquement, mais où cette violence n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La CJUE a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle.

Dans son arrêt Elgafaji, précité, la CJUE a également jugé que, lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection subsidiaire, prévue à l’article 4 (3) de la directive, il peut notamment être tenu compte de l’étendue géographique de la situation de violence aveugle ainsi que de la destination effective du demandeur en cas de renvoi dans le pays concerné, ainsi qu’il ressort de l’article 8 (1) de la directive 2011/95/UE4. L’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 constitue la transposition, en droit luxembourgeois, de l’article 8 (1) de la directive 2011/95/UE. A cet égard, il ressort clairement du prescrit de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 qu’il n’y a pas lieu d’accorder la protection internationale si, dans une partie du pays d’origine, le demandeur de protection internationale n’a pas de crainte fondée de persécution ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves, ou s’il a accès à une protection contre la persécution ou les atteintes graves, et qu’il peut voyager en toute sécurité et légalité vers cette partie du pays, et obtenir l’autorisation d’y pénétrer et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il s’y établisse. Il ressort dès lors d’une lecture combinée de l’article 48 c) et de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 qu’une analyse par région de la situation sécuritaire s’impose pour pouvoir apprécier l’existence, dans le chef d’un demandeur, d’un risque réel au sens de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE.5 S’il est vrai que par arrêt du 4 janvier 2018, inscrit sous le numéro 40256C du rôle, la Cour administrative avait retenu que l’Afghanistan serait en proie à un conflit armé interne au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il n’en reste pas moins que dans le cadre d’un arrêt très récent du 11 mai 2020, inscrit sous le numéro 45734C du rôle, la Cour administrative est revenue sur cette position notamment en ce qui concerne la capitale de l’Afghanistan, dont est originaire le demandeur, en retenant, sur base des rapports publiés par l’EASO en juin 2019 et en septembre 2020, que « (…) c’est encore à juste titre que les premiers juges ont conclu qu’il se dégageait certes des éléments d’appréciation produits en cause, que la situation en Afghanistan n’est point encore stabilisée et que de nombreux 3 Ibid., paragraphe 39.

4 Ibid., paragraphe 40.

5 Conseil du Contentieux des Etrangers, arrêt du 13 août 2020, n° 239678 du rôle, disponible sur www.rvv-

cce.be.

16 attentats ont été commis lors des dernières années, entraînant de nombreux morts et blessés, mais que la situation n’est pas telle que le seul fait d’être originaire d’Afghanistan et, plus particulièrement, de la ville de …, où l’appelant déclare avoir séjourné au cours des dix années précédant son départ, n’est pas suffisant pour qu’une protection subsidiaire soit automatiquement octroyée à un citoyen de ce pays et de cette ville.

En effet, les premiers juges ont pointé à bon droit le fait que selon les constatations de l’EASO, … fait partie des « Provinces where indiscriminate violence is taking place, however not at a high level and, accordingly, a higher level of individual elements is required in order to show substantial grounds for believing that a civilian, returned to the territory, would face a real risk of serious harm within the meaning of Article 15(c) QD. This includes the following provinces: Badakhshan, Badghis, Baghlan, Balkh (except the capital city Mazar e Sharif), Ghor, Herat (except Herat City), Jawzjan, Kabul (including Kabul City), Kandahar, Kapisa, Khost, Logar, Nimroz, Nuristan, Paktika, Sar-e-Pul, Takhar, Uruzgan, Wardak. », contrairement à la province de Nangarhar, par exemple, où la simple présence d’un civil l’exposerait à un risque réel de subir les prédites atteintes graves.

Ils ont encore valablement relevé que la Cour européenne des droits de l’Homme a retenu dans son arrêt « A.S.N. et autres c. Pays-Bas » du 25 février 2020, devenu définitif au 7 septembre 2020, portant les numéros 68377/17 et 530/18, dans ses considérants 105 et 106 concernant la situation générale en Afghanistan que : « 105. The Court notes at the outset that, as regards the question whether the general security situation in Afghanistan is such that any removal there would necessarily breach Article 3 of the Convention, it has previously found this not to be the case (see H. and B. v. the United Kingdom, cited above, §§ 92-93). More recently it confirmed this finding in, inter alia, the judgments and the decision cited in paragraph 94 above. The Government, who agreed with these findings, submitted that also subsequent to these rulings it appeared from publicly available information that the general situation in Afghanistan had not worsened to such an extent that there would be a real risk of ill-treatment simply by virtue of an individual’s being returned there (see paragraph 94 above).

These submissions have not been disputed by the applicants, who have in any event not argued that it is the general situation in Afghanistan which stands in the way of their return.

106. The Court considers, in the light of the evidence that has been placed before it by the parties and having regard also to EASO’s recent assessment (see paragraph 81 above), that there is no reason to come to a different conclusion in the case at hand in relation to the general situation in Afghanistan, at least in so far as Kabul is concerned. ».

Ces constatations se trouvent renforcées par le rapport de l’EASO de septembre 2020, intitulé « Afghanistan - Security situation » -au sujet duquel il vient d’être constaté ci avant que les premiers juges y ont valablement pu avoir égard-, dans la mesure où il renseigne que si les attaques à … n’ont pas cessé, mais se sont, après une certaine accalmie fin 2019, début 2020, intensifiées depuis le deuxième trimestre de 2020, il n’en reste pas moins que celles-ci sont généralement dirigées contre les départements et les responsables gouvernementaux afghans, les forces de sécurité afghanes et les institutions internationales de haut niveau, tant militaires que civiles, ainsi que contre les juges, les procureurs, les agents de santé, les travailleurs humanitaires et les défenseurs des droits humains, d’une part, et que les attaques à grande échelle dans la capitale afghane, ont été généralement remplacées par des assassinats ciblés, d’autre part.

17 Les premiers juges ont encore considéré à bon droit que les décisions de juridictions allemandes des 19 et 21 août et du 30 septembre 2020, auxquelles l’appelant se référait, ne sont pas de nature à ébranler ces constats, dès lors qu’elles ne font pas état de violences aveugles qui auraient lieu à …, mais concernaient des situations individuelles non comparables au cas de l’appelant, de même qu’ils ont pointé que les arrêts de la Cour nationale du droit d’asile en France du 19 novembre 2020, portant les numéros 19009476 et 18054661 du rôle, produits par la partie étatique, confirment le fait que la violence qui sévit à … n’est pas telle qu’il existe des motifs sérieux de croire que chaque civil craindrait de subir un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne de par sa simple présence dans la prédite ville.

(…) ».

Force est encore de constater qu’au-delà de ce constat, le demandeur reste en défaut d’établir l’existence d’éléments propres à sa situation individuelle qui l’exposeraient personnellement à des actes de violence ciblés.

En effet, si la CJUE n’a pas précisé la nature de ces « éléments propres à la situation personnelle du demandeur » qui pourraient être pris en considération dans cette hypothèse, il doit cependant découler du principe de l’autonomie des concepts affirmé par la CJUE, tout comme d’ailleurs de la nécessité d’interpréter la loi de manière à lui donner une portée utile, que ces éléments ne peuvent pas être de la même nature que ceux qui interviennent dans le cadre de l’évaluation de l’existence d’une crainte avec raison d’être persécuté au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 ou du risque réel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 a) et b) de la même loi. Les éléments propres à la situation personnelle des demandeurs, au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, sont donc des circonstances qui ont pour effet qu’ils encourent un risque plus élevé qu’une autre personne d’être victimes d’une violence indiscriminée, alors même que celle-ci ne les cible pas pour autant plus spécifiquement que cette autre personne. Tel pourrait ainsi, par exemple, être le cas lorsqu’une vulnérabilité accrue, une localisation plus exposée ou une situation socio-économique particulière ont pour conséquence que le demandeur encourt un risque plus élevé que d’autres civils de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle6. La question qui se pose est, dès lors, celle de savoir si le demandeur peut démontrer qu’il existe dans son chef des circonstances personnelles minimales ayant pour effet d’augmenter la gravité de la menace résultant de la violence indiscriminée qui règne à …, de sorte que bien que cette violence n’atteigne pas un degré tel que tout civil encourrait du seul fait de sa présence sur place un risque réel de subir une menace grave pour sa vie ou sa personne, il faudrait considérer qu’un tel risque réel existe néanmoins dans son chef.

Au vu des développements du demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale, il échet de constater que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, le demandeur est resté en défaut de soumettre au tribunal des éléments qui permettraient de conclure qu’il courrait un risque plus élevé qu’une autre personne afghane d’être victime d’atteintes graves en Afghanistan et qui seraient différents des éléments intervenant dans le cadre de l’évaluation de l’existence d’une crainte avec raison d’être persécuté, au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, ou du risque réel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 a) et b) de la même loi, ces derniers éléments ayant été toisés ci-avant. Dans ce contexte, il ressort du récit que le demandeur est issu d’un milieu familial aisé qui continue de vivre, a priori sans problèmes, dans sa ville natale, de sorte qu’il y dispose non seulement d’un tissu familial et 6 Conseil du Contentieux des Etrangers, arrêt du 13 août 2020, n° 239678 du rôle, disponible sur www.rvv-

cce.be.

18 social intégré dans la société, mais également de plus de moyens lui permettant de se prémunir, le cas échéant, contre des actes de violence indiscriminée.

Il s’ensuit que le demandeur ne remplit pas non plus les critères prévus à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Le ministre a, dès lors, valablement pu rejeter également la demande de protection subsidiaire de l’intéressé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation sous analyse encourt dès lors le rejet sous ses deux volets.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre a valablement pu être introduit en l’espèce, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Le demandeur sollicite en premier lieu la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale, en soulignant qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à un risque réel de subir des atteintes graves, au sens des articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) Une décision du ministre vaut décision de retour (…) », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour du demandeur dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

En outre, le demandeur fait plaider que l’ordre de quitter le territoire violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ainsi que l’article 3 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ces moyens.

Il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 de la loi du 29 août 2008 – qui est applicable à la décision de retour découlant d’une décision de 19 rejet d’une demande de protection internationale, conformément à l’article 34, paragraphe (2), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 2015 –, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement – telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Afghanistan, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH,7 le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que les moyens tirés d’une violation dudit article 3 de la CEDH et de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourent le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

7 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, pt. 59.

20 reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 1er août 2019 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 1er août 2019 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juin 2021 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Laura Urbany, attaché de justice délégué, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 21



Références :

Origine de la décision
Formation : Quatrième chambre
Date de la décision : 11/06/2021
Date de l'import : 12/06/2021

Numérotation
Numéro d'arrêt : 43457
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-11;43457 ?

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