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09/06/2021 | LUXEMBOURG | N°45879

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juin 2021, 45879


Tribunal administratif N° 45879 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2021 1re chambre Audience publique du 9 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45879 du rôle et déposée le 9 avril 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscr

ite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (...

Tribunal administratif N° 45879 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2021 1re chambre Audience publique du 9 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45879 du rôle et déposée le 9 avril 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Tchad), de nationalité tchadienne, ayant été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, élisant domicile en l’étude de Maître Ibtihal El Bouyousfi, préqualifiée, sise à L-2520 Luxembourg, 35, Allée Scheffer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 mars 2021 de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 2 juin 2021, et vu les remarques écrites de Maître Marc-Olivier Zarnowski, en remplacement de Maître Ibtihal El Bouyousfi, du 28 mai 2021 et celles de Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst du 1er juin 2021 produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

Le 28 janvier 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC, ainsi que suivant ses propres déclarations, qu’il avait franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 8 novembre 2020.

1Le 29 janvier 2021, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 1er février 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes aux fins de la prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, demande à laquelle les autorités italiennes répondirent par un courrier électronique du 9 février 2021 libellé comme suit : « La personne en objet n'est que signalee pour entree illegale a Palerme. Il n'est l'objet d'aucun titre de séjour.

Ni tant moins il est présent une demande d'asile.

Donc pour ces cas a moins qu'il n'avait été écouté à la commission, nous ne donnons aucun accord mais au cas de transfert prévenez d'avance comme d'habitude ».

Par arrêté du 9 février 2021, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois, assignation qui fut prorogée pour une nouvelle durée de trois mois par arrêté ministériel du 7 mai 2021, notifiée à l’intéressé le même jour.

Par décision du 24 mars 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Italie, sur base des dispositions des articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, le ministre insistant plus particulièrement sur le fait que Monsieur … avait précédemment franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 8 novembre 2020 et que les autorités italiennes avaient, le 9 février 2021, accepté de le prendre en charge.

Ladite décision est fondée sur les motifs et considérations suivants :

« […] En mains le rapport de Police Judiciaire du 28 janvier 2021 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 29 janvier 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 28 janvier 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 8 novembre 2020.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 29 janvier 2021.

2Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 1er février 2021 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 9 février 2021.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après u la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 28 janvier 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 8 novembre 2020.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Tchad en date du 15 janvier 2017 en direction du Niger où vous seriez resté un an dans le désert pour chercher de l'or. Ensuite, vous vous seriez rendu en Libye où vous auriez été emprisonné pendant deux ans par des milices qui auraient réclamé une rançon. Vous déclarez avoir des subi des maltraitantes et des 3actes de tortures de la part des miliciens. Après qu'un de vos amis aurait payé la rançon, vous auriez été libéré et vous seriez monté à bord d'une embarcation en direction de l'Italie en novembre 2020. Après vingt-cinq jours à Lampedusa et en Sicile, vous auriez continué votre voyage en direction de la France où vous seriez resté un mois, avant de venir au Luxembourg qui vous a été recommandé par tout le monde. Vous seriez arrivé au Grand-Duché en date du 26 janvier 2021.

Monsieur, vous indiquez avoir quitté l'Italie parce que les autorités italiennes vous auraient ordonné de quitter leur territoire.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 29 janvier 2021, vous avez fait mention d'avoir mal aux dents. Cependant, vous n'avez pas fourni des éléments concrets sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte](« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement, des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles 4seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. […] ».

Toujours le 24 mars 2021, la direction de l’Immigration pria le service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, d’organiser le transfert de Monsieur … vers l’Italie.

5Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2021, inscrite sous le numéro 45879 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 24 mars 2021 décidant de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale.

Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 24 mars 2021. Le recours en annulation est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reprend tout d’abord les faits et rétroactes à la base de la décision déférée et tels qu’exposés ci-dessus.

En droit, il sollicite in limine litis la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », d’une question préjudicielle sur le fondement de l’article 267, point (b), paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) afin que celle-ci se prononce sur l’interprétation à donner à l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III eu égard aux conditions d’accueil très alarmantes des demandeurs de protection internationale en Italie qui laisseraient manifestement conclure à l’existence dans ce pays de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale et à un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».

Il fait valoir que s’il était certes constant que l’Italie est un membre de l’Union européenne et partie tant à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », qu’à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », il ressortirait cependant de rapports et articles internationaux sérieux et publiquement disponibles que les autorités italiennes, confrontées à un afflux massif de migrants, se trouveraient en grandes difficultés pour traiter les demandes de protection internationale dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte], ci-

après désignée par « la directive Accueil ».

Il renvoie, dans ce contexte, à des extraits d’un rapport de l’organisation « Asylum Information Database » (AIDA), intitulé « Country Report : Italy, 2019 Update », du 29 mai 2020 et d’un rapport de l’« Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) », intitulé « Conditions d’accueil en Italie », de janvier 2020, de même qu’à un rapport de l’association « Passerell », intitulé « Les conditions de reprise en charge par l’Italie des demandeurs d’asile transférés depuis le Luxembourg - Rapport de mission d’observation du 10 au 18 janvier 2019 – Analyse juridique de ces constats », du 28 janvier 2019, ainsi qu’à deux articles publiés les 21 janvier et 27 septembre 2020 sur le site internet https://asile.ch, intitulés « OSAR. Les personnes requérantes d’asile en Italie menacées de violation des droits humains », respectivement « OSAR. Italie une prise en charge toujours insuffisante », desquels il se dégagerait que le système italien d’accueil des demandeurs et bénéficiaires de protection internationale présenterait des défaillances systémiques. Il se dégagerait plus 6particulièrement de ces rapports et articles que si les ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une décision de transfert Dublin avaient en principe un droit à un hébergement après leur transfert en Italie, dans la pratique, un nombre important d’entre eux se retrouvait dans la rue ou, au mieux, dans des centres d’hébergement d’urgence gérés par des organisations non gouvernementales. Par ailleurs, suivant ces rapports et articles, la procédure d’asile concernant ces ressortissants de pays tiers transférés en vertu du règlement Dublin III serait soumise aux mêmes délais d’attente que celle des autres demandeurs d’asile, ce à quoi s’ajouterait le fait que le nouveau gouvernement italien aurait décidé de réduire les budgets alloués notamment aux centres d’hébergement ce qui impliquerait une nouvelle aggravation de la situation des demandeurs de protection internationale dans ce pays.

Il conclut que dans la mesure où, en l’espèce, il ne ressortirait pas des pièces du dossier administratif ni de la décision querellée que le ministre aurait pris en compte la situation du système d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, et eu égard aux rapports et articles précités, il appartiendrait au tribunal de surseoir à statuer pour saisir la CJUE par voie préjudicielle en vue d’obtenir son interprétation relative à la dimension de la situation en Italie à prendre en considération par le juge administratif luxembourgeois pour satisfaire valablement aux exigences de l’article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III.

Le demandeur conclut ensuite à l’annulation de la décision litigieuse pour « motivation formelle inadéquate et insuffisante ».

A cet égard, il se base sur la jurisprudence1 de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après dénommée la « CourEDH », pour souligner que la motivation des décisions de transfert en application du règlement Dublin III devrait se faire avec soin, minutie et grande prudence, ce qui impliquerait dans le chef du ministre un examen complet, rigoureux et actualisé des informations sur lesquelles il se fonde pour prendre ses décisions.

Il avance que les affirmations et conclusions du ministre dans la décision litigieuse seraient libellées en des termes généraux et peu circonstanciés ne tenant pas compte de la dégradation actuelle des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie que le ministre ne pourrait toutefois pas ignorer.

Il soutient que s’il n’était pas contesté que le fait que les autorités italiennes connaissent des problèmes de capacité d’accueil matériel des demandeurs de protection internationale ne suffit pas à établir l’existence de défaillances systémiques impliquant le risque d’une violation des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, il n’en demeurerait pas moins que, conformément à la jurisprudence2 de la CourEDH, confrontée à un risque de violation des articles précités, l’autorité administrative aurait un devoir de se livrer à un examen aussi minutieux et attentif que possible de toutes les données en sa possession en cas « d’expulsion » d’un demandeur de protection internationale hors de son territoire.

En l’espèce, le ministre semblerait toutefois ne pas avoir pris en considération les informations publiquement disponibles faisant état des conditions d’accueil dramatiques en Italie et établissant le risque énorme et réel pour lui de ne pas être hébergé en cas de transfert vers ce pays.

1 Cour EDH, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse ;

2 Cour EDH, 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni ; Cour EDH, 11 juillet 2000, Jabari c. Turquie ; Cour EDH, 12 avril 2005, Shamayev c. Géorgie et Russie.

7Après avoir cité des extraits des rapports et articles précités concernant l’accès aux procédures et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale transférés en Italie en vertu du règlement Dublin III, le demandeur conclut qu’au vu de tous ces éléments, le ministre n’aurait pas pu motiver sa décision par l’indication non autrement sous-tendue par un quelconque élément de preuve qu’il n’y aurait aucune raison sérieuse de croire qu’il existerait en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, mais qu’il aurait, au contraire, appartenu à celui-ci d’avancer une motivation beaucoup plus approfondie et détaillée lui permettant de « comprendre les justifications » de la décision et d’en « accepter » le contenu.

Le demandeur conclut ensuite à une violation de l’article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III, par rapport auquel il a soulevé une question préjudicielle.

Il se base, à cet égard, sur les mêmes rapports et articles précités pour soutenir que le système d’accueil italien des demandeurs de protection internationale et en particulier celui des demandeurs transférés vers l’Italie en vertu du règlement Dublin III, serait défaillant en ce qui concerne l’accès et les conditions matériels d’accueil, comprenant le logement, la nourriture et l’habillement, et « tout autre droit en nature ou en espèces ».

Il donne à considérer que quand bien même l’Italie bénéficierait de la confiance mutuelle des autres Etats membres de l’Union européenne, le ministre serait toutefois resté en défaut d’établir, eu égard aux rapports et articles précités, qu’il bénéficierait, en cas de retour en Italie, des conditions d’accueil conformément aux garanties exigées par la directive Accueil, tout en soulignant dans ce contexte que le ministre ne se serait pas référé à un quelconque élément de preuve ou à tout autre explication cohérente et pertinente à cet égard.

A cela s’ajouterait que l’Italie n’aurait, en l’espèce, pas expressément donné aux autorités luxembourgeoises son accord pour sa prise en charge, de sorte qu’il existerait un risque sérieux et réel que sa demande de protection internationale ne soit pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le respect de ses droits fondamentaux. Il considère que son transfert vers ce pays l’exposerait donc incontestablement à un risque de violation de ses droits fondamentaux conformément aux principes retenus par la Cour de Justice de l’Union européenne3, ci-après la « CJUE », impliquant que lorsque des rapports publics font état d’une situation problématique, le ministre aurait l’obligation de s’assurer que les droits fondamentaux du demandeur ne seront pas mis à mal après son transfert, le demandeur insistant plus particulièrement sur le fait que le ministre ne pourrait pas se contenter de constater que l’intéressé ne démontre pas lui-même le risque d’un traitement dégradant, tel que cela serait toutefois le cas en l’espèce.

Le demandeur s’empare ensuite d’une violation, par le ministre, de l’article 3 de la CEDH en ce que celui-ci aurait commis une erreur manifeste d’appréciation des conditions minimales d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, ainsi que de sa situation personnelle.

3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform. ; CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt ; CJUE, 27 septembre 2012, C-179/11, Cimade et Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) contre Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration ; CJUE, 7 juin 2016, C-63/15, Mehrdad Ghezelbash contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie ; CJUE, 7 juin 2016, C-155/15, George Karim c. Migrationsverket.

8En se basant sur un arrêt de la CourEDH4, suivant lequel il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH, mais qu’eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, il est fréquemment nécessaire de leur accorder le bénéfice du doute pour apprécier la crédibilité de leurs déclarations et des documents qui les appuient, le demandeur fait valoir que les rapports et articles précités démontreraient à suffisance la situation délicate en matière d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie et en particulier celle des demandeurs transférés vers l’Italie en vertu du règlement Dublin III, de sorte qu’il existerait un risque sérieux et réel de croire que son transfert vers l’Italie serait contraire à l’article 3 de la CEDH.

Finalement, le demandeur invoque une violation de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, en faisant valoir que le ministre aurait dû se déclarer compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, compte tenu (i) du contenu des articles et rapports versés en cause, témoignant de son risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en cas de transfert en Italie, (ii) de sa situation d’extrême vulnérabilité au vu de son vécu au cours de son trajet pour venir au Luxembourg, tel que cela ressortirait de son rapport d’entretien Dublin III dont il cite un extrait, (iii) de la circonstance que l’Italie aurait expressément refusé de le prendre en charge, impliquant que, dans ces conditions, il courrait un risque d’être privé d’un accès à un hébergement et aux soins de santé alors qu’il dépendrait complètement de l’aide publique pour se soigner, se nourrir, se loger et se vêtir et (iv) de sa vulnérabilité particulière en tant que réfugié et du risque de se retrouver à la rue sans aucune aide étatique alors qu’il dépendrait essentiellement de l’aide publique pour assurer sa survie en Italie.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

Le tribunal relève tout d’abord qu’il n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt de l’administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, il peut les traiter suivant un ordre différent5.

S’agissant tout d’abord de l’argumentation du demandeur suivant laquelle les autorités italiennes auraient répondu par la négative à la demande de prise en charge leur adressée par les autorités luxembourgeoises, le tribunal relève que quand bien même les termes utilisés dans le courrier électronique du 9 février 2021 sont quelque peu confus, circonstance qui est, tel que relevé par le délégué du gouvernement, à attribuer à l’emploi de la langue française par les autorités italiennes, il ne peut être déduit ni de ce courrier ni d’aucun autre élément du dossier administratif que l’Italie a expressément refusé de prendre en charge l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …. En effet, il découle de ce courrier que le demandeur est uniquement signalé pour entrée illégale à Palerme, qu’il ne s’est pas vu délivrer de titre de séjour et qu’il n’est pas non plus demandeur de protection internationale. La dernière phrase pouvant certes prêter à confusion ne peut toutefois pas être comprise comme un refus d’accepter le transfert, dans la mesure où il y est clairement précisé « au cas de transfert prévenez d’avance comme d’habitude ». Par ailleurs, force est de relever, à l’instar de la partie 4 Cour EDH, 12 janvier 2014, FG c. Suède.

5 Trib. adm., 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 479 et les autres références y citées.

9étatique, que si l’Italie avait voulu émettre un refus de prise en charge suite à la demande afférente du ministre, ce rejet aurait fait l’objet d’une décision de refus formelle, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Au vu de ce qui précède, il doit être retenu que les autorités italiennes ont expressément accepté la prise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Il s’ensuit que l’argumentation afférente du demandeur est à rejeter.

S’agissant ensuite de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’un défaut de motivation voire d’une motivation insuffisante, combiné au reproche que le ministre n’aurait pas suffisamment instruit le dossier par rapport à la situation des demandeurs de protection internationale en Italie, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 34, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, « […] Toute décision négative est motivée en fait et en droit […] ».

Force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, la décision déférée est motivée tant en fait qu’en droit, en ce qu’elle indique, en se basant sur les articles 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, les raisons ayant amené le ministre à prendre la décision de ne pas examiner la demande de protection internationale de Monsieur … et de le transférer en Italie, à savoir que le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 8 novembre 2020 et que l’Italie a accepté sa prise en charge le 9 février 2021 sur le fondement de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III. Le ministre a, en outre, retenu que si le demandeur a fait mention lors de son entretien Dublin III d’avoir mal aux dents, il n’a cependant fourni aucun élément concret sur son état de santé ou fait mention d’autres problèmes généraux qui pourraient empêcher son transfert en Italie. Par ailleurs, le ministre a relevé que le demandeur ne lui a soumis ni des informations conduisant à l’application des articles 8 à 11 du règlement Dublin III ni des raisons particulières ou humanitaires permettant l’application de l’article 17 du même règlement, voire d’autres raisons individuelles qui pourraient empêcher sa remise aux autorités italiennes. Le ministre a également retenu que l’application de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III ne se justifie pas, alors qu’en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Italie de violations systématiques des normes minimales de l’Union européenne et en l’absence, par le demandeur, d’avoir démontré que, dans son cas concret, les conditions d’existence en Italie seraient contraires aux articles 3 de la CEDH et 3 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels (Convention « torture »), l’Italie est présumée respecter l’article 33 de la Convention de Genève relative au principe de non-refoulement, l’article 3 de la CEDH et l’article 3 de la Convention « torture ». Le ministre a également exclu l’application de l’article 16, paragraphe (1) du règlement Dublin III pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de la demande de protection internationale du demandeur.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que cette motivation suffit à l’exigence de motivation inscrite à l’article 34, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, étant encore souligné qu’il ne résulte d’aucun élément soumis en cause que le ministre n’aurait pas procédé à un examen complet, rigoureux et actualisé des informations sur lesquelles il s’est fondé pour prendre la décision litigieuse, tel que le fait plaider le demandeur.

10A cela s’ajoute que la motivation ministérielle a encore été complétée par le délégué du gouvernement en cours d’instance, lequel a plus particulièrement pris position quant aux rapports et articles avancés par le demandeur à l’appui de son argumentation, tout en soulignant que le ministre a pris en considération tant la situation générale régnant en Italie, que la situation particulière du demandeur et la jurisprudence nationale et internationale actuelle en la matière, de sorte que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur les raisons ayant conduit le ministre de décider de le transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de l’examen de sa demande de protection internationale.

Il s’ensuit que le moyen afférent du demandeur est rejeté.

Le tribunal relève encore que, pour le surplus, les contestations du demandeur ont d’avantage trait au bien-fondé des motifs, qui fera l’objet d’un examen ci-après.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit ce qui suit : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que : « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

En l’espèce, force est de constater que la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a irrégulièrement franchi la frontière italienne le 8 novembre 2020 et, d’autre part, par le fait que les autorités italiennes ont, tel que cela a été retenu ci-avant, accepté de le prendre en charge le 9 février 2021.

Le tribunal constate ensuite que le bien-fondé de cette motivation ressort des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, de même que du récit du demandeur.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

11Force est ensuite de constater que le demandeur soutient qu’un transfert en Italie serait contraire aux articles 3, paragraphe (2), et 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, ainsi qu’aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en raison des conditions d’accès et des conditions matériels d’accueil résultant des rapports et articles versés en cause.

Le tribunal relève que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

A cet égard, le tribunal se doit tout d’abord de relever que la décision déférée du 24 mars 2021 a été prise en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, cette dernière disposition visant une hypothèse distincte du cas d’un demandeur ayant introduit une demande de protection internationale dans un premier Etat membre, hypothèse plus particulièrement visée à l’article 18 du règlement Dublin III, étant, à cet égard, relevé qu’il est constant en cause pour résulter également des propres déclarations du demandeur auprès de la police grand-ducale le 28 janvier 2021 ainsi qu’auprès d’un agent ministériel lors de son entretien du 29 janvier 2021 qu’il a quitté l’Italie sans y avoir introduit une demande de protection internationale.

Dans la mesure où le demandeur n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Italie, les autorités italiennes ayant d’ailleurs, tel que retenu ci-avant, expressément accepté de le prendre en charge sur base de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, il n’est en tout état de cause pas en mesure de se prévaloir de défaillances systémiques dans le système d’accueil et d’accès aux soins des demandeurs de protection internationale en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’il aurait personnellement pu y rencontrer.

D’autre part, même si, conformément au principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »), le demandeur sera dorénavant considéré par les autorités italiennes comme demandeur de protection internationale, force est de constater qu’il ne fournit aucun élément pertinent permettant de conclure qu’il craint avec raison qu’en tant que demandeur de protection internationale en Italie, les conditions minimales d’accueil n’y seraient pas assurées en raison de défaillances systémiques.

Force est, en effet, de constater que les éléments produits en cause ne permettent de dégager ni dans son cas particulier ni d’une manière générale l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, qui dispose ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 12l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé6.

A cet égard, le tribunal relève que l’Italie est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention « torture », ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard7. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants8.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées9. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile10, tout en apportant des précisions quant à 6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

7 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

8 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

9 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

10 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

13l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives11, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE12, ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201713.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal précise qu’il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201914 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine15. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant16.

Le demandeur remettant en question cette présomption du respect par l’Italie des droits fondamentaux, puisqu’il affirme risquer des traitements inhumains et dégradants dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Or, pareilles défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent ni théoriquement, ni concrètement, des éléments soumis au tribunal.

11 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.ja.etat.lu.

12 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

14 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

15 Ibid., pt. 92.

16 Ibid., pt. 93.

14En effet, le tribunal se doit tout d’abord de relever que le demandeur se limite à citer de manière générale les dispositions des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, 4 de la Charte et 3 de la CEDH, de même qu’il se réfère à la jurisprudence de la CJUE et de la CourEDH, ainsi qu’à des rapports et articles internationaux des organisations OSAR et AIDA sans mise en relation de leur contenu avec sa situation particulière.

Ensuite, s’il est certes exact qu’il ressort des documents invoqués par le demandeur que les autorités italiennes ont connu et connaissent toujours de sérieux problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, impliquant que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes, suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent, au niveau de l’accès à l’hébergement et aux soins, ainsi que des conditions de vie en général, et que la situation régnant en Italie semble inquiétante, force est toutefois de constater que ces rapports et articles sont relatifs à une période pendant laquelle étaient applicables en Italie les décrets dits « Salvini », étant, en effet, relevé qu’en date du 5 octobre 2020, donc postérieurement à la publication des documents dont se prévaut, en l’espèce, le demandeur, le Conseil des ministres italien a adopté un décret-loi afin de modifier les deux « décrets-sécurité » dits « anti-migrants » de l’ancien ministre de l’Intérieur.

En effet, tel que le fait valoir la partie étatique, source internationale à l’appui, le nouveau décret-loi portant le numéro n° 130/2020, entré en vigueur le 22 octobre 2020 et applicable aux personnes transférées dans le cadre du règlement Dublin III, apporte des changements à la législation en matière d’immigration telle que consacrée à travers les décrets dits « Salvini » en améliorant, d’une manière générale, les conditions de vie des demandeurs de protection internationale et en permettant notamment de nouveau l’utilisation de centres d’accueil plus petits pour héberger les demandeurs d’asile, alors que cette possibilité avait été supprimée par le décret de novembre 2018 (« Under the new reform, the former SPRAR/SIPROIMI system changed its name into SAI ('system of reception and integration') and was reorganised into two levels: the first dedicated to international protection seekers, and the second for those who are already international protection beneficiaries, with added services aimed at integration »)17.

Il s’ensuit que les rapports et articles invoqués par le demandeur ne reflètent pas forcément la situation telle qu’elle existe actuellement en Italie suite à l’entrée en vigueur du nouveau décret-loi.

Par ailleurs et au-delà de ce constat, le tribunal relève encore que la documentation invoquée par le demandeur est de toute façon insuffisante pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Italie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 17 https://ec.europa.eu/migrant-integration/news/italy-a-new-system-of-reception-and-integration?lang=fr.

154 de la Charte.

Cette conclusion n’est pas énervée par la référence, faite par le demandeur, à l’analyse juridique figurant dans le rapport, précité, de l’association « Passerell », aux termes de laquelle « […] [l]e retrait systématique des mesures d’accueil condui[rait] inéluctablement à la situation anticipée par le règlement Dublin III dans son article 3 […] » et, dans le cadre de ce règlement, « […] [l]’absence de réactivation des conditions d’accueil entraîne[rait] automatiquement un dysfonctionnement général du système Dublin […] ». Force est, en effet, au tribunal de constater que cette argumentation repose sur le postulat d’une transposition incorrecte, par le décret-loi italien n° 142/2015 du 18 août 2015, des dispositions de l’article 20 de la directive Accueil, règlementant la limitation ou le retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil, au motif que le retrait des conditions d’accueil serait automatique pour les demandeurs d’asile ayant quitté leur foyer, qu’elle qu’en soit la raison, et que la législation en question prévoirait uniquement le retrait, et non pas de solution intermédiaire, telle qu’une simple limitation de l’accès aux conditions d’accueil, de sorte qu’il n’y aurait pas de proportionnalité de la mesure de retrait par rapport aux circonstances gisant à sa base et pas d’examen individuel de la situation de la personne concernée. Or, outre le fait que le demandeur ne peut être considéré comme un demandeur d’asile ayant quitté son foyer, à défaut pour lui d’avoir introduit une demande de protection internationale avant son départ de l’Italie, il ne se dégage pas de ce rapport, ni des autres éléments produits en cause que tout demandeur de protection internationale transféré en Italie se verrait privé des conditions d’accueil, étant relevé que l’Italie est liée par ladite directive Accueil et constitue - toujours - un Etat de droit, où une personne, estimant être indûment privée de ses droits découlant de la directive en question, dispose de voies de recours idoines, dans le cadre de l’exercice desquelles elle peut se prévaloir d’une éventuelle transposition incorrecte de ladite directive.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III encourt le rejet.

Il en est de même en ce qui concerne la demande du demandeur de saisir la CJUE d’une question préjudicielle sur le fondement de l’article 267, point b) paragraphe 2 du TFUE, dans la mesure où, tel que cela ressort des jurisprudences de la CJUE sur lesquelles le tribunal vient de fonder son analyse, la CJUE s’est d’ores et déjà prononcée sur le principe de confiance mutuelle entre Etats membres et sur l’interprétation à donner à l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III en cas de transfert d’une personne en application dudit règlement, en retenant notamment que si le principe de la confiance mutuelle n’exclut pas qu’un demandeur puisse encourir un risque de traitement contraire à l’article 4 de la Charte, la charge de la preuve de défaillances systémiques ou d’un traitement inhumain et dégradant au sens des dispositions précitées incombe aux demandeurs de protection internationale qui s’en prévalent et s’est pareillement prononcée sur le seuil de gravité à prendre en considération à cet égard.

Il s’ensuit que la question préjudicielle est à rejeter pour défaut de pertinence.

Néanmoins, dans ce cadre, force est de relever que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les 16droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable18.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte19, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant20.

En l’espèce, si le demandeur explique ne pas avoir introduit de demande de protection internationale en Italie au motif que « les italiens lui [auraient] ordonné de quitter le territoire », il ne fait néanmoins pas état du fait que l’introduction d’une demande de protection internationale, respectivement l’accès à un hébergement ou à des soins lui y auraient été refusés. Au contraire, sur question posée par l’agent en charge de son entretien pour quelles raisons il ne souhaiterait pas se rendre en Italie pour le traitement de sa demande de protection internationale et quelle seraient, selon lui, les conséquences d’un transfert vers cet Etat, il répond « je ne sais pas ». Dans ces circonstances, le tribunal retient qu’il n’est pas établi que les droits du demandeur n’auraient pas été respectés lors de son séjour en Italie.

Par ailleurs, le demandeur n’apporte pas la preuve que, de manière générale, les droits des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates21, étant encore rappelé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention « torture », de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censée en appliquer les dispositions.

En ce qui concerne l’allégation du demandeur suivant laquelle les autorités italiennes n’auraient pas expressément donné leur accord pour prendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, de sorte qu’il y aurait un risque sérieux et réel que sa demande ne soit pas traitée dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le respect de ses droits fondamentaux, celle-ci n’est pas de nature à sous-tendre l’argumentation du demandeur, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que, contrairement à ce qui est avancé par le demandeur, il ne se dégage ni du courrier électronique du 9 février 2021 ni d’un autre élément du dossier administratif que les autorités italiennes auraient refusé de le prendre en charge ni que ses droits fondamentaux ne seraient pas garantis en cas de transfert vers l’Italie.

18 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

19 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

20 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88 21 Voir, pour les demandeurs de protection internationale : article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

17Dans ces circonstances et dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, en Italie, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation desdits articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte encourt le rejet.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, le tribunal relève que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres22, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201723. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge24, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée25, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

En l’espèce, le demandeur invoque (i) les difficultés pour les demandeurs de protection internationale transférés en Italie d’accéder aux conditions minimales d’accueil et le risque de traitements inhumains et dégradants qui en découlerait, (ii) sa situation d’extrême vulnérabilité au vu de son vécu au cours de son trajet pour venir au Luxembourg, tel que cela ressortirait de son rapport d’entretien Dublin III dont il cite un extrait, (iii) la circonstance que l’Italie aurait expressément refusé de le prendre en charge, impliquant que, dans ces conditions, il courrait un risque d’être privé d’un accès à un hébergement et aux soins de santé alors qu’il dépendrait complètement de l’aide publique pour se soigner, se nourrir, se loger et se vêtir et (iv) de sa vulnérabilité particulière en tant que réfugié et du risque de se retrouver à la rue sans aucune aide étatique alors qu’il dépendrait essentiellement de l’aide publique pour assurer sa survie en Italie.

Or, étant donné qu’il vient de rejeter les moyens tirés d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III et des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte que le demandeur a fondé sur les mêmes considérations, le tribunal retient qu’il n’est pas établi qu’en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les 22 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

23 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

24 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

25 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

18limites de son pouvoir d’appréciation, étant encore souligné qu’il ne ressort d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que le demandeur se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière, la simple affirmation qu’il aurait subi des mauvais traitements en Libye sans être sous-tendue par un quelconque document probant, tel, par exemple, un certificat médical établissant des souffrances physiques respectivement mentales, est en tout état de cause insuffisante à cet égard.

Enfin, l’allégation suivant laquelle les autorités italiennes n’auraient pas expressément donné leur accord pour prendre en charge l’examen de la demande de protection internationale du demandeur n’est pas non plus de nature à justifier le moyen fondé sur une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au regard de la conclusion retenue ci-avant qu’il ne se dégage ni du courrier électronique du 9 février 2021 ni d’un autre élément du dossier administratif que les autorités italiennes auraient refusé de prendre en charge le demandeur impliquant que l’accès à un hébergement ou à des soins ne lui seraient pas garantis en cas de transfert vers l’Italie.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal retient que le moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III est à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision attaquée du 24 mars 2021 n’est pas sujette à critique, de sorte que le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

En conséquence, l’examen de la demande formulée dans le dispositif de la requête introductive d’instance et par laquelle il est sollicité d’« enjoindre au Ministre, à titre principal, de remettre au requérant une attestation de demande de protection internationale en procédure normale, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais » devient surabondant, cette demande n’étant formulée qu’en conséquence de l’annulation de la décision attaquée.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande de sursoir à statuer en vue de la saisine de la CJUE d’une question préjudicielle ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

19Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juin 2021 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, juge, s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 45879
Date de la décision : 09/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-09;45879 ?

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