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07/06/2021 | LUXEMBOURG | N°45868

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 juin 2021, 45868


Tribunal administratif N° 45868 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2021 1re chambre Audience publique du 7 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45868 du rôle et déposée le 8 avril 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy Thomas, avocat à la Cour, ins

crit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en l’étude duquel domicile est élu...

Tribunal administratif N° 45868 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2021 1re chambre Audience publique du 7 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45868 du rôle et déposée le 8 avril 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy Thomas, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en l’étude duquel domicile est élu, au nom de Monsieur …, né le … (Erythrée), de nationalité érythréenne, étant actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 mars 2021 de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 2 juin 2021, et vu les remarques écrites de Maître Guy Thomas du 31 mai 2021 et de Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst du 1er juin 2021, produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

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Le 4 janvier 2021, Monsieur …, déclarant être mineur, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-

après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, par le biais d’une consultation de la base de données EURODAC, que Monsieur … avait irrégulièrement franchi la frontière italienne en date du 10 novembre 2020.

Toujours le même jour, le ministère convoqua l’intéressé en vue d’un examen médical afin de déterminer son âge, examen qui aboutit à un rapport du 18 janvier 2021 suivant lequel l’âge de l’intéressé serait d’au moins 25 ans.

Par arrêté du 27 janvier 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.

Le 29 janvier 2021, il fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 1er février 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en vue de la prise en charge de Monsieur … en exécution de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, demande qui fut, après un premier refus du 4 février 2021 fondé sur la minorité d’âge potentielle de l’intéressé, acceptée par les autorités italiennes en date du 18 février 2021 au regard du résultat du rapport d’expertise du 18 janvier 2021, précité.

Par décision du 29 mars 2021, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 4 janvier 2021 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 13(1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après «le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 4 janvier 2021 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 29 janvier 2021. En mains également le rapport d'examen médico-légal du 18 janvier 2021.

1.

Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 4 janvier 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 12 novembre 2020.

Il ressort du rapport de police qu'il existe un réel doute quant à la date de naissance indiquée lors de l'introduction de votre demande de protection internationale. Vous avez été convoqué pour un examen médical dans le cadre d'un[e] procédure médico-légale en vue de déterminer votre âge. Cet examen médico-légal du 18 janvier 2021 a confirmé votre majorité.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 29 janvier 2021.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 1er février 2021 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 18 février 2021.

2.

Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3.

Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 4 janvier 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 12 novembre 2020.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté l'Erythrée en mai 2017, d'abord en direction du Soudan où vous seriez resté deux mois, puis en direction de la Libye où vous auriez vécu pendant trois ans et quatre mois. Pendant ce temps, vous auriez subi des maltraitances et des extorsions d'argent de la part de vos passeurs libyens. En date du 9 novembre 2020, vous seriez monté à bord d'une embarcation en direction de l'Italie.

Après trois semaines en Italie, vous auriez continué votre voyage en direction du Luxembourg, en passant par la France et la Belgique. Vous seriez arrivé au Luxembourg en date du 27 décembre 2020.

Monsieur, vous indiquez avoir quitté l'Italie parce que vous n'auriez obtenu ni de nourriture ni de logement.

En raison du doute quant à l'exactitude de la date de naissance indiquée lors de l'introduction de votre demande de protection internationale, un examen médico-légal a été réalisé en date du 12 janvier 2021. Le rapport médical du 18 janvier 2021, établi par des experts de la médicine légale au Luxembourg, confirme votre majorité et estime votre âge réel à vingt-cinq ans au moins.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 29 janvier 2021, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement et des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devrait être nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 29 mars 2021.

Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée du 29 mars 2021, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et sous le titre consacré à l’exposé des faits, le demandeur expose qu’il n’aurait formulé aucune demande de protection internationale en Italie étant donné que les conditions d'accueil y seraient inexistantes.

Il affirme que les autorités italiennes auraient manqué d'offrir les garanties nécessaires à l'analyse de sa demande et ne lui auraient fourni ni hébergement ni aide matérielle tout en préjugeant de la suite à donner à sa demande.

Comme il n’aurait pas pu soumettre utilement sa demande de protection internationale, la procédure de demande d'asile en Italie devrait être déclarée irrégulière et considérée comme ne garantissant pas son droit à l'examen effectif de sa demande d'asile.

Le comportement des autorités italiennes contreviendrait ainsi aux articles 1er et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, ci-après désignée par « la Charte ».

Il fait valoir que les difficultés graves rencontrées par lui en Italie, à savoir au niveau de l’hébergement, de la nourriture et des soins médicaux, établiraient de graves problèmes systémiques dans le cadre de sa demande de protection internationale en Italie.

Dans ce contexte, le demandeur fait valoir que l'Italie aurait reçu un nombre trop important de demandeurs d'asile par rapport à ses capacités d'accueil, de sorte que les conditions d'hébergement et d'analyse correcte des dossiers n'y seraient pas garanties.

Par ailleurs, l'actuelle politique italienne viserait l'éloignement des demandeurs d'asile, qui seraient harcelés et feraient l'objet d'un traitement inhumain et dégradant, comme ils devraient dormir dans la rue et mendier pour se nourrir, tel qu’il l’aurait expliqué dans son entretien du 29 janvier 2021.

Comme ses droits ne seraient pas garantis dans le cadre de sa demande en protection internationale en Italie où celle-ci ne pourrait pas être analysée correctement en raison de problèmes systémiques sinon en raison du fait que l’Italie ne garantirait pas une procédure conforme à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », il ne pourrait pas être renvoyé dans ce pays.

Il affirme que les centres d'hébergement seraient débordés et que lui-même n’aurait eu aucun accès à un hébergement décent, à des soins médicaux ou à une aide financière pour préparer sa demande de protection internationale dans de bonnes conditions.

Il estime encore que ces raisons seraient suffisantes pour appliquer les motifs d'ordre humanitaire au sens de l'article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Enfin, le demandeur affirme qu’à l'origine, il aurait souhaité se rendre dans un autre pays de l'Union européenne et plus particulièrement au Luxembourg.

Le ministre aurait ainsi tiré les mauvaises conclusions des faits et explications lui soumis, alors qu'il aurait dû les considérer comme suffisants et se déclarer compétent pour l'examen de la demande de protection internationale.

En droit, et après avoir affirmé que le ministre se serait basé sur les dispositions des articles 18, paragraphe (1), point b) et 25, paragraphe (2), du règlement Dublin III, le demandeur reproche à celui-ci d’avoir fait abstraction du fait que l'Italie aurait manqué d'analyser sa demande de protection internationale de manière effective et qu’elle ne pourrait l’accueillir dans des conditions d'hébergement décents, ni lui fournir des soins adaptés.

Il serait dès lors impossible de le renvoyer en Italie alors que les conditions d'accueil n'y seraient manifestement pas remplies au sens de l'article 3 paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, de sorte que son renvoi en Italie entraînerait le non-respect des articles 1er et 4 de la Charte. De même, ses droits à un examen effectif de sa demande de protection internationale ne seraient pas garantis en Italie conformément aux articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III et 1er et 4 de la Charte.

Le demandeur affirme à titre subsidiaire qu’il serait prêt à quitter volontairement le Luxembourg dans un délai raisonnable, alors qu’il ne souhaiterait en aucun cas être transféré vers l'Italie.

Le demandeur se prévaut, enfin, de l'article 17 du règlement Dublin III et affirme que « la particularité » de sa demande en ferait une obligation morale alors qu'un renvoi vers l'Italie l'exposerait à vivre dans des conditions inhumaines.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève à titre liminaire que si le demandeur a versé à l’appui de son recours un acte de naissance indiquant comme date de naissance le 10 novembre 2003, force est de constater que (i) le demandeur n’en a tiré aucune conclusion en droit, (ii) cette date est en contradiction avec celle indiquée par le demandeur lui-même à l’appui de son recours, à savoir le 1er janvier 2003, hypothèse dans laquelle il aurait de toute manière été majeur au moment de la prise de la décision litigieuse, et (iii) la date du 10 novembre 2003 est encore en contradiction avec l’expertise médico-légale ayant été effectuée suivant le rapport précité du 18 janvier 2021 et dont il ressort que le demandeur a au moins 25 ans. Dans ces conditions, le fait que l’Etat a considéré le demandeur comme majeur n’est pas sujet à critique.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal relève de prime abord que contrairement à ce que le demandeur avance à l’appui de son recours, le ministre a basé sa décision non pas sur l’article articles 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, visant l’hypothèse du demandeur dont la demande de protection internationale est en cours d’examen dans un autre Etat membre, mais sur l’article 13, paragraphe (1) du même règlement, aux termes duquel « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n°603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

En l’espèce, à la lecture de la décision ministérielle déférée, celle-ci est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a irrégulièrement franchi la frontière italienne le 10 novembre 2020 et, d’autre part, par le fait que les autorités italiennes ont accepté de le prendre en charge le 18 février 2021.

Le tribunal relève ensuite que comme l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III prévoit le cas d’un demandeur ayant franchi irrégulièrement la frontière d’un autre Etat membre et que c’est sur cette base que le ministre a pris la décision attaquée, les développements du demandeur fondés sur la prémisse qu’il serait un demandeur de protection internationale dont la demande serait en cours d’examen dans un autre Etat membre au sens de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III sont rejetés pour ne pas être pertinents.

Force est ensuite de constater que le bien-fondé de la motivation invoquée à la base de la décision attaquée ressort des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, de même que du récit du demandeur tel qu’exposé lors de son entretien Dublin III.

C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Il y a ensuite lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Le tribunal constate que le demandeur ne remet pas en cause la compétence de principe des autorités italiennes pour procéder à l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises.

S’il critique les conditions d’accueil ainsi que la procédure d’asile en Italie en invoquant indistinctement l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III et les articles 1er et 4 de la Charte garantissant le respect de la dignité humaine respectivement interdisant la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, de l’entendement du tribunal, le demandeur entend se prévaloir essentiellement de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, qui dispose que « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, similaire à l’article 3 de la CEDH.

S’agissant de prime abord des obligations découlant pour le ministre de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, le tribunal relève que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2,3. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur d’asile de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.

Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte.

Le tribunal relève encore que suivant la jurisprudence constante des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle est arrivé la CJUE dans son arrêt du 16 février 2017, précité8.

A cet égard, il convient encore de relever que dans un arrêt du 19 mars 2019, portant le numéro C-163/17 du rôle, la CJUE a retenu que des défaillances ne sont contraires à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants que lorsqu’elles atteignent un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause, ce seuil étant atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

2 Ibidem, point. 79.

3 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur : www.jurad.etat.lu 4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

6 Trib. adm. 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur : www.jurad.etat.lu 7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

8 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine9, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant10.

Etant donné que le demandeur remet en substance en question cette présomption du respect des droits fondamentaux par l’Italie, en affirmant risquer des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers ledit pays, il lui appartient de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Dans la mesure où le demandeur n’a pas déposé une demande de protection internationale en Italie, le tribunal relève que, d’une part, par la force des choses, il ne peut pas faire état d’une expérience personnelle en tant que demandeur de protection internationale qui serait susceptible de mettre en doute la présomption du respect par l’Italie des droits fondamentaux ou encore qui mettrait en doute le traitement correct et effectif d’une demande d’asile future et, d’autre part, n’ayant pas eu la qualité de demandeur de protection internationale en Italie, le demandeur ne saurait reprocher aux autorités italiennes de ne pas lui avoir fourni un hébergement ou encore une aide matérielle conformément à la directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale (« directive Accueil »), tel qu’il l’affirme à l’appui de son recours.

Au-delà de ce constat et en tout état de cause, l’affirmation faite par le demandeur dans la requête introductive suivant laquelle il aurait rencontré des « problèmes graves » en Italie au niveau de l’hébergement, de la nourriture et des soins médicaux, reste particulièrement vague, le demandeur ne donnant aucune précision quant aux problèmes concrètement rencontrés, ni quant aux démarches qu’il aurait entreprises pour obtenir une aide quelconque, voire n’expliquant pas par rapport à quel problème médical il aurait eu besoin de soins médicaux qui ne lui auraient pas été fournis. S’agissant, par ailleurs, plus particulièrement des conditions de logement, le tribunal relève que lors de son entretien Dublin III, le demandeur a déclaré que durant les trois semaines de son séjour en Italie il avait logé dans un foyer pour demandeurs d’asile, de sorte que les prétendus problèmes de logement dont il fait état à l’appui de son recours, indépendamment de la question de la responsabilité de l’Etat italien à cet égard à défaut de dépôt d’une demande de protection internationale, sont contredits par les propres déclarations du demandeur.

Ensuite et de manière plus générale en ce qui concerne les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale et la procédure d’asile en Italie, le tribunal constate que le demandeur ne produit aucun rapport international ou autre source qui permettrait d’appuyer son argumentation fondée sur l’existence, en Italie, de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III atteignant un seuil de gravité tel que décrit ci-avant, les critiques afférentes du demandeur reposant sur des simples affirmations tout à fait générales et vagues suivant lesquelles il ne recevrait aucune aide matérielle ou médicale en cas de transfert en Italie, ni aucun logement, voire que sa demande 9 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland., C-163/17, point 92.

10 Ibidem, point 93.

de protection internationale ne serait pas correctement et effectivement examinée et traitée, que l’Italie serait confronté à un nombre important de demandeurs d’asile par rapport à ses capacités d’accueil et que la politique italienne actuelle viserait l’éloignement des demandeurs d’asile.

S’il ne peut être nié que l’Italie est confrontée à un nombre important de demandeurs d’asile et que les autorités italiennes ont connu et connaissent toujours de sérieux problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, ce qui implique que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent au niveau de l’accès à l’hébergement, aux soins et des conditions de vie en général, il n’en reste pas moins que les éléments soumis par le demandeur à l’appréciation du tribunal, qui reposent sur des simples allégations et qui ne sont pas documentés, ne permettent pas de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Italie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte, le demandeur restant en défaut d’apporter la preuve que les droits des demandeurs de protection internationale en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates, étant encore rappelé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

En tout état de cause, si le demandeur devait estimer que le système d'aide italien serait à tel point avilissant qu'il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 4 de la Charte, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates.

En ce qui concerne la politique migratoire italienne mise en avant par le demandeur, à supposer que le demandeur se réfère à un certain durcissement sous l’ancien ministre de l’Intérieur Matteo Salvini par l’adoption d’un décret-loi du 24 septembre 2018, il ressort des explications du délégué du gouvernement que le Conseil des ministres italien a adopté une série de lois pour modifier ledit décret-loi.

Dans ces circonstances et à défaut d’autres éléments, le tribunal ne saurait conclure à l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, ensemble les articles 1er et 4 de la Charte.

Néanmoins, dans ce cadre, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort encore de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant, en effet, pas irréfragable11.

Dans ces conditions, l’article 3 de la CEDH implique l’obligation de ne pas éloigner la personne en question vers ce pays12.

La CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte13, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant14.

Le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait toutefois constituer une violation des articles 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat.

Il appartient dès lors au tribunal de procéder à la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé15.

Or, comme dans ce contexte, le demandeur met en avant les mêmes critiques que celles invoquées par rapport à l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le tribunal est amené à rejeter le moyen afférent sur base des mêmes considérations, le demandeur n’ayant fait état d’aucun élément concret permettant de retenir que son transfert vers l’Italie soit contraire aux articles 1er et 4 de la Charte.

En ce qui concerne ensuite le moyen fondé sur une non-application, par le ministre, de la clause discrétionnaire instaurée par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, celui-ci prévoit que : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».

11 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

12 CEDH, 4 décembre 2008, Y./Russie, n°20113/07, point 75.

13 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

14 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.

15 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

S’il est vrai que, lorsqu’en application des critères du règlement Dublin III, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

Comme le tribunal vient de retenir dans le cadre de l’examen du moyen fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III que le demandeur est resté en défaut d’établir de faire l’objet d’un traitement inhumain et dégradant au sens des articles 1er et 4 de la Charte en cas de transfert en Italie et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur, alors même que cet examen incombe aux autorités italiennes.

Dans ces conditions, le constat fait par le ministre à travers la décision attaquée que le demandeur ne fait valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement Dublin III et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de sa demande de protection internationale n’est pas sujet à critique.

Le moyen relatif à la violation de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III est dès lors également à rejeter pour être non fondé.

S’agissant, enfin, de l’affirmation subsidiaire du demandeur qu’il serait prêt à quitter volontairement le Luxembourg, c’est à juste titre que la partie étatique a relevé que le règlement Dublin III vise précisément à lutter contre les demandes d'asile multiples (« asylum shopping»), en retenant le principe de l'examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only»), étant, en effet, relevé que le règlement Dublin III cherche justement à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d'asile, qui souhaitent, pour différentes raisons, de faire leur demande dans l'Etat membre de leur choix.

Dans ces conditions, la considération subsidiaire avancée par le demandeur n’est pas de nature à invalider la légalité de la décision attaquée.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 juin 2021 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 15



Références :

Origine de la décision
Formation : Première chambre
Date de la décision : 07/06/2021
Date de l'import : 11/06/2021

Numérotation
Numéro d'arrêt : 45868
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-07;45868 ?

Source

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