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26/02/2021 | LUXEMBOURG | N°45448

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 février 2021, 45448


Tribunal administratif N° 45448 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 décembre 2020 4e chambre Audience publique du 26 février 2021 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45448 du rôle et déposée le 30 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Gross, avocat à la Co

ur, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à ...

Tribunal administratif N° 45448 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 décembre 2020 4e chambre Audience publique du 26 février 2021 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45448 du rôle et déposée le 30 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Gross, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Somalie), de nationalité somalienne, ayant été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer et ayant élu domicile en l’étude de son litismandataire sise à L-2155 Luxembourg, 78, Muehlenweg, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 décembre 2020 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 2021 ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu la communication de Maître Alain Gross du 5 février 2021 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame la délégué du gouvernement Jeannine Dennewald en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 février 2021.

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Le 3 novembre 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service criminalité organisée-

police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 A cette occasion il révéla, tel que confirmé par la comparaison de ses empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac qu’il avait introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 27 septembre 2013, une en Allemagne en date du 14 octobre 2014 et une en France le 19 mars 2019.

Toujours le même jour, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ». A cette occasion, il déclara avoir été débouté définitivement de ses demandes de protection internationale introduites en Allemagne, puis en France.

Le 5 novembre 2020, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces dernières suivant courrier électronique du 11 novembre 2020.

Par décision du 12 novembre 2020 lui notifiée en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Par décision du 17 décembre 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 3 novembre 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 3 novembre 2020 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 3 novembre 2020.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale 2En date du 3 novembre 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez déposé, respectivement précédemment introduit trois demandes de protection internationale, dont une en Italie en date du 27 septembre 2013, une en Allemagne en date du 14 octobre 2014 et une en France en date du 19 mars 2019.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 3 novembre 2020. Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 5 novembre 2020 une demande de reprise en charge aux autorités allemandes sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 11 novembre 2020.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'État luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-

après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 3 novembre 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment déposé, respectivement introduit trois demandes de protection internationale, dont une en Italie en date 3du 27 septembre 2013, une en Allemagne en date du 14 octobre 2014 et une en France en date du 19 mars 2019.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Somalie en avril 2013 en direction de la Libye en passant par l'Ethiopie et le Soudan. Vous auriez embarqué sur un bateau en direction de l'Italie où vous avez déposé une demande de protection internationale. Vous seriez parti après un an et deux mois sans attendre la réponse des autorités italiennes. En Allemagne, vous avez déposé une nouvelle demande de protection internationale qui a été rejetée. Vous auriez fait recours, mais sans succès. Après avoir vécu cinq ans en Allemagne, vous vous seriez rendu en France où vous auriez vécu pendant quatre mois et où vous avez introduit une troisième demande de protection internationale qui aurait été rejetée. Les autorités françaises vous auraient transféré en Allemagne où vous auriez vécu d'août 2019 jusqu'au 1er novembre 2020 quand vous seriez venu au Luxembourg.

Monsieur, vous indiquez ne pas vouloir retourner en Allemagne parce que vous n'y auriez aucune perspective après le rejet de votre demande de protection internationale. Lors de votre entretien Dublin III en date du 3 novembre 2020, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l'Allemagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l'Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, dans l'hypothèse où les autorités allemandes auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d'origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l'Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous 4renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence l'Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l'Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Allemagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n'ont pas été constatées. (…) ».

Le même jour, le service de police judiciaire, section criminalité organisée-police des étrangers, fut chargé d’organiser le transfert de Monsieur … vers l’Allemagne avec la mention de ne pas procéder audit transfert avant le 4 janvier 2021, ce dernier ayant eu lieu en date du 5 février 2021.

5Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation, subsidiairement à la réformation et plus subsidiairement à la suspension de la décision ministérielle précitée du 17 décembre 2020, jusqu’à ce que le ministre rapporte la preuve avec certitude que le demandeur ne se fera pas refouler.

Il convient de prime abord de souligner que quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives, un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telle que la décision litigieuse, le tribunal est incompétent pour statuer sur le recours subsidiaire en réformation et seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de cette dernière.

Le recours principal en annulation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Quant à la demande de suspension du transfert, force est au tribunal de relever qu’aux termes de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « (…) (2) Le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

(3) La demande en sursis à exécution est à présenter par requête distincte à adresser au président du tribunal et doit remplir les conditions prévues aux articles 2 et 4;(…) ».

Il s’ensuit qu’une demande tendant à la suspension d’une décision administrative est à adresser au président du tribunal administratif, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître de la demande tendant à la suspension du transfert de Monsieur … prévu par la décision déférée, étant relevé par ailleurs que le demandeur s’est déjà vu transférer en Allemagne en date du 5 février 2021, soit avant l’audience des plaidoiries.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, après avoir exposé les faits et rétroactes à la base du présent litige, explique avoir été transféré en Allemagne au mois d’août 2019 après avoir été débouté de sa demande de protection internationale en France et d’y avoir vécu jusqu’au 1er novembre 2020, jour où il se serait rendu au Luxembourg, alors qu’il se serait senti en insécurité en Allemagne.

En droit, il s’oppose à la décision déférée, alors que cette dernière serait contraire à l’article 3 paragraphe (2), alinéas 2 et 3 du règlement Dublin III en raison de l’existence de défaillances systémiques en Allemagne en violation de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte ».

6Il estime en effet avoir vécu en Allemagne dans une situation de dénuement extrême et « entièrement dépendant de l’aide publique » après avoir été définitivement débouté de sa demande de protection internationale suite aux voies de recours y exercées. De plus, le fait que sa demande ait été refusée « sans raison valable aucune » témoignerait d’une indifférence totale des autorités allemandes. Ces éléments correspondraient au seuil particulièrement élevé de gravité tel qu’exigé dans le cadre de l’application de l’article 3, paragraphe (2), alinéas 2 et 3 du règlement Dublin III par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 19 mars 2019, C-163/17.

Il fait, par ailleurs, valoir que, vu sa minorité lors de son séjour en Allemagne, le manque de prise en charge par les services compétents allemands, ainsi que les mauvaises fréquentations du foyer auraient eu une influence néfaste sur lui.

Il fait ensuite valoir qu’il rentrerait dans les conditions prévues par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève », alors qu’en tant qu’homosexuel notoire, il appartiendrait à un groupe social qui ferait objet de persécutions en Somalie au sens de l’article 9 de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, désignée ci-après « la directive 2004/38/CE », ledit pays réprimant sévèrement l’homosexualité par la peine de mort.

Dans ce contexte il invoque encore les articles 8 et 14 alinéa 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH ».

Il en conclut qu’en cas de transfert en Allemagne, il risquerait de se faire refouler en Somalie, sinon un autre Etat dans lequel l’homosexualité ne serait pas tolérée, de façon à ce que la décision déférée encourrait l’annulation également de ce chef.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, voire des suites à réserver à la décision de rejet d’une telle demande, et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

7L’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour assurer le suivi du dossier du demandeur à la suite du rejet de sa demande de protection internationale prévoit que « 1. L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre.».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application des prédits articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale et de ses suites est l’Allemagne, en ce qu’il y a introduit une demande de protection internationale en date du 14 octobre 2014 et que les autorités allemandes ont accepté sa reprise en charge le 11 novembre 2020, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner la demande de protection internationale déposée par le demandeur au Luxembourg et de le transférer vers l’Allemagne.

Le tribunal relève, ensuite, que le demandeur ne conteste ni cette compétence de principe des autorités allemandes, ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais soutient, en substance, que son transfert en Allemagne serait contraire aux articles 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III, au principe de non refoulement prévu à l’article 33 de la Convention de Genève et à l’article 4 la Charte.

Aux termes de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 3 du règlement Dublin III « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans le cadre de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.

8La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.

A cet égard, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la CEDH, au respect des dispositions de celle-ci ainsi que de la Charte, de même que celles du Pacte international des droits civils et politiques et de la Convention contre la torture du 10 décembre 1984, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3/4.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son arrêt du 16 février 2017 la CJUE, a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Dans le cadre de son argumentation ayant trait au prédit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le demandeur invoque surtout la violation de l’article 4 de la Charte, 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S, c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

3 Ibidem, point 79.

4 voir par exemple trib. adm., 1er juillet 2015, n° 36439 du rôle ; trib. adm., 1er juillet 2015, n° 36441 du rôle ;

trib. adm., 14 octobre 2015, n° 36966 du rôle ; trib. adm., 21 octobre 2015, n° 36996 du rôle ; trib. adm. 28 octobre 2015, n° 37015 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

9en soutenant que lors de son séjour précédent en Allemagne, il y aurait été victime de défaillances systémiques.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal précise qu’il se dégage de l’arrêt de la CJUE du 19 mars 20197 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité qui dépend de l’ensemble des données de la cause.

En l’espèce, le demandeur invoque plusieurs éléments à l’appui de son moyen, à savoir (i) le rejet de sa demande de protection internationale en Allemagne « sans raison valable aucune », (ii) la durée de la procédure y relative (iii) son séjour en Allemagne dans un foyer « de mauvaise réputation » qui aurait eu une « influence néfaste » sur lui (iv) l’absence de prise en charge des autorités allemandes ainsi que (v) sa dépendance complète de l’aide publique suite au refus de sa demande de protection internationale pour conclure à l’existence d’une situation de dénuement extrême dans son chef lors de ses précédents séjours en Allemagne.

Le tribunal est dès lors amené à vérifier le respect de l’article 4 de Charte dans le cadre de l’analyse de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

En effet, en vertu notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, désignée ci-après « la CourEDH », dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse être de nature à entraîner un risque sérieux qu’un demandeur de protection internationale soit, en cas de transfert vers un Etat, traité d’une manière incompatible avec les droits fondamentaux, étant relevé que la présomption selon laquelle les Etats participant au système instauré par le règlement Dublin III respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH est réfragable8.

Afin d’apprécier s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur encourt un risque réel de traitement prohibé par l’article 4 de la Charte, la CourEDH a jugé que pour vérifier l’existence d’un risque de mauvais traitements, il y a lieu d’examiner les conséquences prévisibles de l’éloignement du requérant dans le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres au cas de la partie requérante9.

Il se dégage de la jurisprudence de la CourEDH10 que le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale et des suites à y donner, en application du règlement Dublin III, ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH, qu’à la 7 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, point 91.

8 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

9 CEDH, 4 décembre 2008, Y./Russie, n°20113/07, point 78 ; CEDH, 28 février 2008, Saadie/Italie, n°37201/06, points 128-129 ; CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres/Royaume-Uni, n°13448/87, point 108 in fine.

10 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09 ; CEDH, 4 décembre 2008, Y./Russie, n°20113/07, point 78 ; CEDH, 28 février 2008, Saadie/Italie, n°37201/06, points 128-129 ; CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres/Royaume-Uni, n°13448/87, point 108 in fine ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c.

Belgique et Grèce, n°30696/09, point 286 10condition que l’intéressé démontre, soit qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat, soit qu’il ne bénéficierait pas d’une protection contre le non-refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire responsable du traitement de sa demande de protection internationale, à savoir en l’occurrence l’Allemagne.

Par ailleurs, la CJUE11 a retenu que lorsque la juridiction saisie d’un recours contre une décision rejetant une nouvelle demande de protection internationale comme irrecevable dispose d’éléments produits par le demandeur aux fins d’établir l’existence d’un tel risque dans l’Etat membre ayant déjà accordé l’un des statuts conférés par la protection internationale, cette juridiction est tenue d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union, la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes. Elle a, à cet égard, souligné que, pour relever de l’article 4 de la Charte, qui correspond à l’article 3 de la CEDH, et dont le sens et la portée sont donc, en vertu de l’article 52, paragraphe (3), de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère ladite convention, les défaillances en question doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Elle a encore précisé que ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant.

A titre liminaire, le tribunal relève qu’il n’est ni saisi de la demande de protection internationale déposée par le demandeur en Allemagne, le Grand-Duché de Luxembourg étant, tel que retenu ci-avant, a priori incompétent à cet égard, ni a fortiori saisi de la vérification des critères de fond de celle-ci, de sorte à ce que l’argument selon lequel la demande de protection internationale déposée par le demandeur en Allemagne aurait été rejetée « sans raison valable aucune » est sans pertinence dans le cadre du présent litige, étant précisé que le même constat vaut pour les développements du demandeur relatifs à la durée de la procédure relative à sa demande de protection internationale en Allemagne, alors que ladite demande a d’ores et déjà été définitivement toisée, de sorte à ce que ladite situation ne se reproduira pas en cas de transfert en Allemagne.

Force est ensuite au tribunal de constater que les développements du demandeur manquent de précision permettant au tribunal d’apprécier si celui-ci s’est retrouvé dans une situation de dénuement matériel extrême lors de ses précédents séjours en Allemagne, ni a fortiori si, en cas de transfert en Allemagne, celui-ci risque de se retrouver à nouveau dans une telle situation.

11 CJUE, 19 mars 2019, C-163/17 et affaires jointes C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-428/17 11En effet, le demandeur n’explique pas dans quelle mesure les fréquentations dans le foyer dans lequel il a séjourné en Allemagne auraient été mauvaises et quelles influences néfastes concrètes ces dernières auraient eu sur lui.

Force est encore au tribunal de relever que suivant la jurisprudence visée ci-avant, le fait d’être entièrement dépendant de l’aide publique ne constitue pas une situation de dénuement extrême, celle-ci étant constituée uniquement dans une situation qui ne permettrait pas à une personne de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait ainsi atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, par contre une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie ne suffisant pas à cet égard. Or, le demandeur n’a pas établi une telle situation dans son chef.

Finalement, force est encore de constater que le demandeur n’établit pas avoir dû faire face à l’indifférence totale des autorités allemandes, alors que, tel que relevé par le demandeur même, il était logé dans un foyer pour demandeurs d’asile, a reçu des aides publiques et a pu utiliser des voies de recours contre la décision de rejet de sa demande de protection internationale par les autorités allemandes.

Le moyen du demandeur fondé sur la violation tant de l’article 3, paragraphe (2), alinéas 2 et 3 du règlement Dublin III que de l’article 4 de la Charte est, par conséquent, à rejeter pour ne pas être fondé, dans la mesure où le demandeur n’apporte aucun élément concret, permettant de remettre en question la présomption selon laquelle l’Allemagne respecte les prescriptions minimales dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, respectivement qu’il n’aurait pas accès au système judiciaire pour faire valoir ses droits.

En l’absence de rapports pertinents publiés par des organisations non gouvernementales ou autres agences accréditées dans le domaine de l’immigration qui seraient de nature à corroborer la thèse des défaillances systémiques dans le cadre de la procédure de demande d’asile, le moyen du demandeur fondé sur l’existence de défaillances systémiques en Allemagne, s’opposant à son transfert, est, par conséquent, à rejeter pour ne pas être fondé.

S’agissant du moyen fondé sur une violation du principe de non-refoulement, force est au tribunal de rappeler à titre liminaire qu’il n’est pas compétent, tel que relevé ci-avant, de vérifier si le demandeur satisfait aux conditions de fond de la protection internationale, de sorte à ce que les développements du demandeur ayant trait à l’article 1er de la Convention de Genève, aux articles 8 et 14 alinéa 1er de la CEDH et à l’article 9 de la directive 2004/38/CE sont à écarter pour ne pas être pertinents dans le présent contexte.

S’agissant ensuite du risque dans le chef du demandeur de faire objet d’une expulsion en cascade, en cas de transfert vers l’Allemagne, vers son pays d’origine en violation du principe de non-refoulement prévu à l’article 33 de la Convention de Genève, le tribunal constate tout d’abord que la décision attaquée n’implique pas un retour du demandeur vers son pays d’origine mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande d’asile et de ses suites, en l’occurrence l’Allemagne, ce pays ayant, tel que relevé ci-

dessus, reconnu sa compétence pour reprendre en charge le demandeur.

A cela s’ajoute que si par impossible les autorités allemandes devaient décider de le rapatrier vers son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH, de l’article 3 de la 12Convention contre la torture du 10 décembre 1984 et de l’article 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes compétentes en usant des voies de droit adéquates. Par ailleurs, même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait encore possible au demandeur de saisir la CourEDH pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de demander aux autorités allemandes de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

Dès lors, dans la mesure où le demandeur reste en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser qu’il n’a pas ou n’aurait pas accès à la justice de cet Etat pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, en relation avec une éventuelle mesure d’éloignement vers son pays d’origine, le demandeur n’est pas fondé à reprocher au ministre d’avoir violé le principe de non-refoulement.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation, ainsi que de la demande en suspension de la décision déférée ;

reçoit le recours principal en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 février 2021 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Laura Urbany, attaché de justice délégué, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 février 2021 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 45448
Date de la décision : 26/02/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-02-26;45448 ?

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