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26/02/2021 | LUXEMBOURG | N°43420

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 février 2021, 43420


Tribunal administratif N° 43420 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 août 2019 4e chambre Audience publique du 26 février 2021 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police d’étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43420 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 août 2019 par Maître Ana Real Geraldo Dias, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Brésil), de na

tionalité brésilienne, ayant été retenue au Centre de rétention au Findel et ayant élu domicile en...

Tribunal administratif N° 43420 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 août 2019 4e chambre Audience publique du 26 février 2021 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police d’étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43420 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 août 2019 par Maître Ana Real Geraldo Dias, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Brésil), de nationalité brésilienne, ayant été retenue au Centre de rétention au Findel et ayant élu domicile en l’étude de Maître Ana Real Geraldo Dias sise à L-1330 Luxembourg, 26, Boulevard Grande-Duchesse Charlotte, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 juillet 2019 lui interdisant l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu la communication de Maître Ana Real Geraldo Dias du 28 janvier 2021 suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jeannine Dennewald en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 février 2021.

___________________________________________________________________________

Suivant rapport n° R25182/2019 de la police grand-ducale, région capitale, C3R Luxembourg du 21 juillet 2019, Madame … fut interpellée sans être en possession d’une autorisation de séjour valable.

Par arrêté datant du 21 juillet 2019, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Madame … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai et prononça à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans. Ledit arrêté est motivé comme suit :

« (…) Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le procès-verbal Nr. : 21173/2019 du 21 juillet 2019 établi par la Police grand-

ducale, Région Capitale – C3R Luxembourg ;

Attendu que l’intéressée s’est maintenue sur le territoire au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;

Attendu que l’intéressée n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ;

Attendu que l’intéressée ne justifie pas l’objet et les conditions du séjour envisagé ;

Attendu que l’intéressée ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie ;

Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressée ; (…) ».

Par arrêté ministériel du même jour, Madame … fut placée au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté ministériel, laquelle eut lieu à la même date.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 août 2019, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 21 juillet 2019 lui interdisant l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans.

Dans la mesure où l’article 113 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », prévoit un recours en annulation à l’encontre des décisions du ministre prononçant une interdiction d’entrée sur le territoire, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.

Ledit recours est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse expose être arrivée au Luxembourg au début du mois de février 2019, munie d’un visa valide pour une période de trois mois, afin de visiter Monsieur … avec lequel elle aurait entretenu une relation romantique. Or après quelques jours de vie commune, ce dernier se serait avéré agressif et violent à son égard, pour finalement lui confisquer son passeport et la séquestrer, ayant eu pour conséquence qu’elle se serait trouvée au Luxembourg au-delà de la durée de trois mois contre son gré. Après plusieurs semaines de séquestration, la demanderesse aurait réussi à s’enfuir et à se cacher auprès d’un ami, avant d’avoir été arrêtée le 21 juillet 2019, suite à la dénonciation de la part de Monsieur …. Elle affirme finalement vouloir quitter volontairement le territoire luxembourgeois, tel que cela ressortirait du courrier de son litismandataire du 30 juillet 2019.

En droit, la demanderesse conteste l’existence d’un risque de fuite, au sens de l’article 111 de la loi du 29 août 2008, ainsi que toute mauvaise foi dans son chef, au regard des circonstances de son séjour au Luxembourg, marqué par des violences, la confiscation de son passeport et la séquestration par son partenaire de l’époque. Elle en conclut que la décision litigieuse de lui interdire l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans serait disproportionnée et que le ministre aurait dû se limiter à déclarer son séjour au Grand-

Duché de Luxembourg irrégulier et à lui imposer de quitter le territoire sans délai.

La demanderesse estime dès lors que la décision litigieuse devrait encourir l’annulation en ce qu’elle lui interdit l’entrée sur le territoire pendant trois ans.

Le délégué du gouvernement soutient que la décision ministérielle litigieuse serait fondée en fait et en droit et il conclut au rejet du recours sous analyse.

Force est, à titre liminaire, au tribunal de constater qu’à travers le recours sous examen, la demanderesse s’est limitée à contester la légalité de l’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois de trois ans prononcée à son encontre, sans remettre en cause les deux autres volets de la décision ministérielle litigieuse du 21 juillet 2019, à savoir le constat de l’irrégularité de son séjour et l’ordre de quitter ledit territoire sans délai.

L’article 100 de la loi du 29 août 2008, sur lequel ladite décision est, entre autres, basée, prévoit ce qui suit :

« (1) Est considéré comme séjour irrégulier sur le territoire donnant lieu à une décision de retour, la présence d’un ressortissant de pays tiers:

a) qui ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 34;

b) qui se maintient sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire;

c) qui n’est pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail si cette dernière est requise;

d) qui relève de l’article 117. […] ».

Force est au tribunal de constater qu’en son paragraphe (1), points a), b), c) et d), ledit article 100 prévoit des critères alternatifs permettant de conclure au caractère irrégulier du séjour d’un étranger, de sorte qu’il suffit que l’étranger en question tombe dans l’une des hypothèses y visées pour que le ministre puisse déclarer irrégulier son séjour.

Etant donné qu’il est constant en cause, et d’ailleurs non contesté par la demanderesse, qu’au moment de la prise de la décision déférée, la demanderesse ne remplissait plus les conditions de l’article 34 de la loi du 29 août 2008, le ministre pouvait valablement, sur base de l’article 100, paragraphe (1) a) de la loi du 29 août 2008, déclarer irrégulier le séjour de Madame …, ce volet de la décision ministérielle sous analyse n’étant d’ailleurs, tel que retenu ci-avant, pas contesté par cette dernière.

Quant à l’ordre de quitter le territoire litigieux, il y a lieu de relever que l’article 111, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Les décisions de refus visées aux articles 100, 101 et 102, déclarant illégal le séjour d’un étranger, sont assorties d’une obligation de quitter le territoire pour l’étranger qui s’y trouve, comportant l’indication du délai imparti pour quitter volontairement le territoire, ainsi que le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé en cas d’exécution d’office ».

Il suit de cette disposition légale qu’une décision déclarant irrégulier le séjour d’un ressortissant de pays tiers est assortie d’un ordre de quitter le territoire. Dès lors, étant donné que le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré irrégulier le séjour de la demanderesse sur le territoire luxembourgeois, il a valablement pu prononcer un ordre de quitter le territoire à son égard. Il y a encore lieu de relever, dans ce cadre, que le fait que le ministre ait ordonné à la demanderesse de quitter le territoire sans délai, lui est expressément imposé par l’article 111, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, en présence d’une des hypothèses y énumérées, telle que notamment l’existence d’un risque de fuite qui, d’après l’article 111, paragraphe (3), c) de ladite loi, est présumé, notamment dans le cas où la personne concernée ne remplit plus les conditions de l’article 34 de la même loi. C’est dans ce cadre que le ministre a fait état, dans la décision litigieuse, de l’existence d’un risque de fuite dans le chef de Madame … et non pas pour justifier l’interdiction d’entrée sur le territoire prise à l’encontre de cette dernière. Or comme le volet de la décision litigieuse du 21 juillet 2019 relatif à l’ordre de quitter le territoire n’a pas été utilement déféré au tribunal, les développements de la demanderesse relatifs à l’absence d’un risque de fuite, dans son chef, sont à rejeter pour défaut de pertinence.

En ce qui concerne la décision litigieuse prise en son volet portant interdiction d’entrée sur le territoire de trois ans à l’égard de la demanderesse, seul volet critiqué par cette dernière, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 112 de la loi du 29 août 2008 : « (1) Les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée maximale de cinq ans prononcée soit simultanément à la décision de retour, soit par décision séparée postérieure. Le ministre prend en considération les circonstances propres à chaque cas. Le délai de l’interdiction d’entrée sur le territoire peut être supérieur à cinq ans si l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. (…) ».

L’article 112, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008 permet dès lors au ministre, en prenant en considération les circonstances propres à chaque cas, d’assortir une décision de retour d’une interdiction d’entrée sur le territoire, prononcée soit simultanément à la décision de retour, soit par décision séparée postérieure, la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire ne pouvant, en principe, pas excéder cinq ans, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.

Quant à l’argumentation de la demanderesse selon laquelle la décision d’interdiction d’entrée sur le territoire serait disproportionnée, alors qu’elle n’aurait jamais eu l’intention de rester sur le territoire luxembourgeois au-delà de la durée de validité de son visa, mais qu’elle aurait fait l’objet d’une séquestration, ainsi que de la confiscation de son passeport par son partenaire de l’époque, circonstances hautement traumatisantes et indépendantes de sa volonté, il y a lieu de rappeler que pour qu’une décision puisse être qualifiée de disproportionnée, il faut que le ministre ait une certaine marge d’appréciation dans la prise de décision, étant en effet rappelé à cet égard que lorsqu’une disposition légale ou règlementaire comporte des conditions objectives ne laissant aucune marge d’appréciation à l’administration quant à la décision à prendre, cette dernière agit dans le cadre d’une compétence liée. Dans pareil cas de figure, l’intervention de l’administration s’opère de manière mécanique voire automatique en ce qu’elle se limite à entériner une situation de fait ou de droit objective1.

Dans ce contexte, force est de rappeler qu’il ressort d’un arrêt de la Cour administrative que le pouvoir discrétionnaire du ministre en la matière se limite au cadre de la fixation de la 1 Trib. adm., 20 avril 2015, n° 33808 du rôle, Pas. adm. 2019, V° Actes administratifs, n° 7.

durée de l’interdiction d’entrée, la prise de décision même d’une interdiction d’entrée constituant quant à elle un automatisme2.

Ainsi, il ressort de l’article 112 précité de la loi du 29 août 2008 que le ministre est obligé d’assortir automatiquement une décision de retour comportant pour l’intéressé un ordre de quitter le territoire sans délai, d’une interdiction d’entrée sur ledit territoire et que l’obligation faite par ce même article de prendre en considération les circonstances propres à chaque cas se rapporte essentiellement à l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire dans la fixation de la durée d’interdiction d’entrée3.

Or, en ce qui concerne la durée de trois ans de l’interdiction d’entrée sur le territoire sous analyse, la demanderesse laisse d’établir que celle-ci devrait être qualifiée de disproportionnée compte tenu de la présence illégale de la demanderesse sur le territoire luxembourgeois, étant précisé que les explications de la demanderesse quant à son vécu traumatisant au Luxembourg ne sont étayées par aucune pièce probante soumise à l’appréciation tant du ministre que du tribunal, tel que notamment une plainte déposée contre la personne qu’elle accuse l’avoir violentée et séquestrée pendant plusieurs semaines. A cela s’ajoute que le procès-verbal de la police grand-ducale du 21 juillet 2019 ne relate pas non plus une explication en ce sens, alors qu’il en ressort au contraire que la demanderesse a valablement pu remettre son passeports aux agents de police, ce qui contredit les affirmations contenues dans la requête introductive d’instance selon lesquelles elle se serait vu dérober son passeport et qui n’aurait seulement pu être localisé pendant qu’elle se serait trouvée en rétention administrative.

C’est dès lors à bon droit, et sans avoir agi de manière disproportionnée, que le ministre a assorti la décision de retour sous analyse d’une interdiction d’entrée sur le territoire de trois ans.

Au vu de l’ensemble de ces considérations et en l’absence de tout autre moyen, le recours en annulation sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 février 2021 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Laura Urbany, attaché de justice délégué, 2 Cour adm., 11 octobre 2018, n° 40795C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

3 Cour adm. 5 février 2019, n°42047 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 février 2021 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 43420
Date de la décision : 26/02/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-02-26;43420 ?

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