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20/01/2021 | LUXEMBOURG | N°43960

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 janvier 2021, 43960


Tribunal administratif N° 43960 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 décembre 2019 3e chambre Audience publique du 20 janvier 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43960 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 décembre 2019 par Maître Edévi AMEGANDJI, a

vocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur...

Tribunal administratif N° 43960 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 décembre 2019 3e chambre Audience publique du 20 janvier 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43960 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 décembre 2019 par Maître Edévi AMEGANDJI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 novembre 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 février 2020 ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu la communication de Maître Edévi AMEGANDJI du 28 décembre 2020 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick MULLER en sa plaidoirie à l’audience publique du 6 janvier 2021.

Le 17 décembre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la Police Grand-Ducale, service criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date des 1er et 7 mars 2019, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 26 novembre 2019, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 17 décembre 2018 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 1er et 3 mars 2019 sur les motifs sous-

tendant votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez né le … dans le village de … en Côte d’Ivoire et que vous y auriez vécu jusqu’à votre départ en 2016. Vous indiquez avoir également possédé un second logement à …, à sept kilomètres de … et où vous auriez effectué un apprentissage pour devenir chauffeur de camion. Vous mentionnez que vos deux enfants vivraient avec votre sœur à ….

Vous évoquez avoir quitté la Côte d’Ivoire car vous craindriez des représailles de la part des membres du parti « Rassemblement des Républicains » (RDR) pour avoir été un membre du parti « Front Populaire Ivoirien » (FPI) et pour avoir aidé à organiser la campagne électorale du parti FPI pour les élections des députés dans votre village. Vous indiquez que les membres du parti RDR auraient essayé de vous persuader de les rejoindre, mais vous auriez refusé. Par la suite, ils vous auraient rendu visite au champ et vous auraient menacé. Vous seriez par la suite allé vous plaindre auprès de la gendarmerie. Après les élections, les membres du RDR vous auraient demandé de les suivre dans leurs bureaux, où vous vous seriez bagarré avec eux. Les gendarmes vous auraient par la suite emprisonné pendant une semaine avant de vous relâcher. Après avoir été relâché de prison, vous auriez remarqué que votre maison aurait été vandalisée. Par peur de devenir victime d’actes plus graves, vous auriez décidé de partir.

En ce qui concerne votre départ, vous déclarez avoir quitté la Côte d’Ivoire en 2016 en direction du Maroc via le Mali et l’Algérie. Vous auriez vécu pendant trois ans au Maroc avant de partir en Espagne où vous seriez resté pendant deux mois avant de prendre le train en direction du Luxembourg via la Belgique.

Vous ne présentez aucun document d’identité ni aucun autre document pour étayer vos dires. […] ».

Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015.

Le ministre estima tout d’abord que si les faits invoqués par Monsieur … à l’appui de sa demande de protection internationale, à savoir sa crainte de faire l’objet des représailles pour avoir été membre du parti « Front Populaire Ivoirien », ci-après « FPI » en cas de retour dans son pays d’origine, pourraient tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève », ils manqueraient toutefois de gravité et ne sauraient ainsi être assimilés à des persécutions au sens de ladite Convention. Dans ce contexte, sa crainte d’être tué en cas de retour dans son pays d’origine pour avoir été membre du parti FPI serait purement hypothétique.

Après avoir souligné l’amélioration considérable de la situation sécuritaire en Côte d’Ivoire depuis 2011, le ministre précisa que même à admettre que les faits en question puissent être qualifiés de persécutions au sens de la Convention de Genève, ces mêmes faits, qui émaneraient de personnes privées, ne sauraient fonder une crainte légitime de persécution qu’en cas de défaut de protection de la part des autorités ivoiriennes pour l’un des motifs énoncés dans la Convention en question. Dans la mesure où Monsieur … se serait rendu au poste de gendarmerie pour dénoncer les membres du parti « Rassemblement des Républicains », ci-après « RDR » et que les agents de police seraient effectivement intervenus, il ne saurait reprocher aux autorités ivoiriennes un défaut de protection.

Concernant la circonstance d’avoir été arrêté par les gendarmes suite à une bagarre avec des membres du RDR, le ministre retint que le fait d’avoir été emprisonné pendant une semaine serait légitime et ne constituerait pas une persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant l’acte de vandalisme perpétué dans la maison de Monsieur …, le ministre estima, après avoir souligné que Monsieur … ignore l’identité des auteurs, que ce fait ne serait pas motivé par un des critères de fond prévus par la Convention de Genève. Le ministre précisa ensuite que même à admettre que le fait en question aurait été motivé par un des critères de fond de la Convention de Genève, il manquerait toutefois de gravité et ne saurait ainsi être assimilé à une persécution.

En mettant encore en exergue que ce fait émanerait de personnes privées, de sorte qu’il ne saurait fonder une crainte légitime de persécution qu’en cas de défaut de protection de la part des autorités ivoiriennes pour l’un des motifs énoncés dans la Convention en question, le ministre constata que dans la mesure où Monsieur … ne se serait pas adressé à la police pour dénoncer l’incident en question, celui-ci n’aurait pas démontré une incapacité de protection de la part des autorités de son pays d’origine.

Le ministre souligna, par ailleurs, que Monsieur … aurait laissé ses deux enfants chez sa sœur en Côte d’Ivoire et n’aurait pas introduit une demande de protection internationale lors de son séjour en Espagne, comportement, qui ne correspondrait pas à celui d’une personne réellement persécutée.

Il retint ainsi qu’il n’existerait aucun élément de nature à établir l’existence de raisons sérieuses de croire que Monsieur … aurait été ou aurait pu être persécuté, respectivement risquerait d’être persécuté dans son pays d’origine et il refusa de lui accorder le statut de réfugié.

S’agissant de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Monsieur … ne ferait état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

Finalement, Monsieur … aurait encore pu bénéficier d’une fuite interne dans la mesure où il aurait pu s’installer à Abidjan, capitale et métropole économique de la Côte d’Ivoire.

En conséquence, il constata que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2019, Monsieur … a fait déposer un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 26 novembre 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 26 novembre 2019, telle que déférée. Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … renvoie, en substance, aux faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits dans le rapport d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes.

En droit, le demandeur estime remplir les conditions d’octroi du statut de réfugié, dans la mesure où les faits subis auraient été motivés par ses opinions politiques, à savoir sa qualité de membre actif du parti politique FPI et son refus d’adhérer au parti politique RDR.

Il estime, par ailleurs, que les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale seraient d’une gravité suffisante pour être qualifiés de persécutions, le demandeur soulignant dans ce contexte les menaces lui proférées par les membres du parti RDR ainsi que le vandalisme dans sa maison tout en alléguant que ledit acte de vandalisme aurait été l’œuvre des membres du parti RDR et qu’il n’aurait pas survécu ce dernier évènement s’il avait été à la maison. La gravité des faits subis serait encore suffisante, étant donné qu’il se serait « retrouvé face à des gens sans foi ni loi », qui n’hésiteraient pas à s’attaquer à sa personne et à ses biens.

Il prétend ensuite que les membres du parti RDR seraient sous les ordres d’une autorité publique, à savoir les dirigeants du parti RDR, sinon, les responsables du parti RDR, et n’auraient pas agi dans un cadre personnel, privé ou familial, de sorte qu’ils seraient à qualifier d’acteurs de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015. Il fait encore valoir que la circonstance que les agents de la gendarmerie ne l’auraient pas protégé, mais l’auraient, au contraire, emprisonné, démontrerait à suffisance la qualité d’acteur de persécution des membres du parti RDR.

Il affirme, par ailleurs, que le fait que dans sa décision litigieuse, le ministre a souligné que la situation sécuritaire en Côte d’Ivoire se serait améliorée depuis 2011, démontrerait que la situation à l’époque des faits dont il se prévaut n’aurait pas été « aux normes », tout en soulignant qu’en l’espèce, les gendarmes auraient pris la décision de ne pas protéger les opposants du parti RDR.

En ce qui concerne le reproche du ministre qu’il n’aurait pas introduit de demande de protection internationale dès son arrivée dans l’espace Schengen, le demandeur est d’avis que cette circonstance ne saurait servir à mettre en doute la gravité des faits dont il se prévaut et ne saurait d’ailleurs justifier la décision ministérielle sous analyse pour être totalement étrangère aux critères fixés par la Convention de Genève.

Le demandeur conteste également toute possibilité de fuite interne dans son chef au motif, d’un côté, que la capitale Abidjan serait le bastion du parti RDR, et, de l’autre côté, que la capitale ne serait pas accessible pour lui, étant donné qu’il aurait vécu toute sa vie au village.

Le demandeur est dès lors d’avis que de par son audition, il aurait établi à suffisance une crainte d’être persécuté en raison de ses opinions politiques. En se basant sur un jugement du tribunal administratif du 2 juin 1997, inscrit sous le numéro 9798 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 18 novembre 1997, portant le numéro 10119C du rôle, et sur les articles 12, paragraphe (1) et 37, paragraphes (3) et (5) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur fait valoir que le ministre n’aurait pas pris la mesure appropriée. Sa situation personnelle, telle que détaillée dans son rapport d’audition, répondrait aux conditions requises par la Convention de Genève et les dispositions de la loi du 18 décembre 2015.

Au vu de ce qui précède, le demandeur conclut qu’il remplirait les conditions prévues aux articles 2 point f) et 41, paragraphe (2), a) de la loi du 18 décembre 2015, articles qui édicteraient que les actes de persécutions pourraient prendre la forme de violences physiques ou mentales, de mesures légales, et administratives de police.

Quant au refus de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur estime que sa situation personnelle serait telle qu’il tomberait dans le champ d’application de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, tout en soutenant qu’il craindrait pour sa vie en cas de retour dans son pays d’origine, étant donné que le RDR y serait toujours au pouvoir.

Dans la mesure où l’ensemble des conditions sous-tendant l’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire seraient remplies dans son chef, ce serait dès lors à tort que le ministre aurait refusé de faire droit à sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il se dégage des éléments du dossier administratif, et plus précisément du rapport d’entretien du demandeur des 1er et 7 mars 2019 auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, que celui-ci invoque à la base de sa demande de protection internationale (i) des menaces de la part des membres du parti RDR en raison de sa qualité de membre actif du parti politique FPI et de son refus d’adhérer au parti politique RDR, (ii) le vandalisme dans sa maison et (iii) son emprisonnement pendant une semaine suite à une bagarre avec des membres du RDR.

Concernant tout d’abord les menaces de la part des membres du parti RDR et le fait que sa maison a été vandalisée, force est de constater que ces faits, indépendamment de leur qualification et de leur gravité, ne sauraient fonder ni une crainte de persécution susceptible de justifier l’octroi du statut de réfugié ni une crainte d’atteintes graves susceptible de justifier l’octroi de la protection subsidiaire, dans la mesure où ils proviennent de personnes privées sans lien avec l’Etat. A cet égard, il échet de retenir que même si les faits dont le demandeur se prévaut à la base de sa demande de protection internationale émanent des membres du parti RDR, dont le président au moment de ces faits, …, est également l’actuel président de la Côte d’Ivoire, cette seule qualité ne saurait suffire pour pouvoir les qualifier d’agents de persécution au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015. Il ne ressort, en effet, aucunement du récit du demandeur auprès de la Direction de l’immigration, ni des éléments à la disposition du tribunal, que les agissements répréhensibles de ces cinq personnes auraient été commis à l’instigation du régime au pouvoir en Côte d’Ivoire, voire du président … ou cautionné par ceux-ci, voire qu’ils seraient encouragés ou tolérés par les autorités en place.

Cette constatation est encore corroborée par la circonstance que la gendarmerie est, à plusieurs reprises, intervenue dans le litige ayant opposé le demandeur à ces cinq personnes, de sorte que c’est à tort que le demandeur conteste à travers sa requête introductive d’instance la qualification de ses agresseurs en tant que personnes privées.

La crainte de faire l’objet d’actes de persécution, voire d’atteintes graves, ne saurait dès lors être considérée comme fondée que si les autorités ivoiriennes ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source des actes de persécution, respectivement des atteintes graves1.

En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale2. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des 1 Trib. adm., 13 juillet 2009, n° 25558 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Etrangers, n° 150, et les autres références y citées.

2 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p. 21, n° 100.

autorités de son pays, en déposant notamment une plainte contre l’auteur des actes de persécution, respectivement des atteintes graves, pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut3.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

A ce titre, il y a encore lieu de que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et l’existence d’une persécution ou d’atteintes graves ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel mais suppose une insuffisance de démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En l’espèce, et en ce qui concerne plus particulièrement les menaces lui proférées par les cinq personnes membres du parti RDR, il ressort des déclarations de Monsieur … lors de ses entretiens auprès de la Direction de l’immigration que suite à ces menaces, il s’est adressé aux autorités locales afin de solliciter une protection contre ces agissements et que les autorités locales sont effectivement intervenues auprès des agresseurs, le demandeur ayant indiqué à cet égard que « Je suis allé à la police pour dire ce qui se passe. La police est partie pour leur demander, ils ont expliqué et on leur a dit de ne plus aller chez moi pour me menacer.4 », « Je suis allé à la maison. Et suis parti à la gendarmerie de …. Il y a un poste de gendarmerie. […] J’ai expliqué. Après je suis revenu à la maison. Les gendarmes les ont appelés. On a envoyé deux gendarmes pour les appeler 5», et « Les gendarmes m’ont appelé aussi. En fait on m’avait dit de passer le lendemain et je suis passé. Les cinq sont venus à la gendarmerie et moi aussi j’y étais. J’ai réexpliqué le problème. […] Ils ont parlé, parlé, et les gendarmes leur ont interdit de venir dans mon champ. Après on s’est levés.6 ». Dans la mesure où il ressort des déclarations du demandeur auprès de la Direction de l’immigration que la gendarmerie locale est effectivement intervenue suite aux faits desquels le demandeur se prévaut à l’appui de sa demande de protection internationale, celui-ci ne saurait leur reprocher une quelconque inaction volontaire, voire une impossibilité de le protéger.

3 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

4 Rapport d’entretien de Monsieur … des 1er et 3 mars 2019, page 6.

5 Rapport d’entretien de Monsieur … des 1er et 3 mars 2019, page 9.

6 Rapport d’entretien de Monsieur … des 1er et 3 mars 2019, page 9.

Concernant ensuite le fait que la maison du demandeur a été vandalisée, et même à admettre, tel que le prétend le demandeur, que les auteurs de cet acte ont également été des membres du parti RDR, force est au tribunal de constater que Monsieur … ne s’est pas adressé aux autorités de son pays d’origine afin de dénoncer ce fait et de solliciter une protection. En effet, le demandeur a précisé à cet égard que « Je n’ai même pas cherché d’aller à la gendarmerie, j’en avais marre et j’ai préféré quitter7 » et sur question s’il n’avait pas cherché une protection auprès d’une autre autorité de son pays « Non. Parce que je voulais quitter le pays, c’est tout. Comme ils voulaient me tuer…8 ». Or, à défaut d’avoir au moins tenté de porter plainte contre les auteurs du vandalisme auprès des autorités ivoiriennes, le demandeur ne saurait leur reprocher une quelconque inaction volontaire ou un refus de l’aider, ce d’autant plus qu’il n’a, en particulier, pas fait état du fait que le dépôt d’une plainte lui aurait été refusé.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en matière de vandalisme, communément la forme d’une plainte.

En ce qui concerne finalement la détention du demandeur, force est au tribunal de constater que, contrairement aux allégations de ce dernier soutenues pour la première fois dans sa requête introductive d’instance, Monsieur … n’a pas fait l’objet d’une détention arbitraire en raison de son appartenance au parti politique FPI, voire, en raison d’une subordination de la gendarmerie locale aux membres du parti politique RDR, mais s’est vu arrêter pendant une semaine en raison d’une bagarre dans laquelle il était impliqué dans les bureaux des membres du RDR. En effet, le demandeur a, à ce sujet, déclaré auprès de la Direction de l’immigration « On m’a dit de venir dans leur parti et j’ai refusé encore une fois.

Il y a eu des palabres et moi j’ai porté main. On voulait me forcer, ils m’ont tapé et moi, j’ai répondu. Puis ils ont appelé les gendarmes.9 » et sur question pour quelle raison il a été arrêté par les gendarmes, le demandeur a déclaré « Parce que je suis parti faire des palabres dans leurs bureaux10», de sorte que sa détention préventive a constitué qu’une conséquence légitime de l’incident en question et ne saurait constituer ni une persécution susceptible de justifier l’octroi du statut de réfugié ni une atteinte grave susceptible de justifier l’octroi de la protection subsidiaire dans le chef du demandeur.

Il s’ensuit que le demandeur n’a pas fait état et n’a pas établi des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet telle que présentée par le demandeur.

7 Rapport d’entretien de Monsieur … des 1er et 3 mars 2019, page 12.

8 Rapport d’entretien de Monsieur … des 1er et 3 mars 2019, page 13.

9 Rapport d’entretien de Monsieur … des 1er et 3 mars 2019, page 10.

10 Rapport d’entretien de Monsieur … des 1er et 3 mars 2019, page 10.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A l’appui de ce volet du recours, le demandeur fait valoir qu’un retour dans son pays d’origine aurait pour lui des conséquences graves et irrémédiables.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […]». En vertu de l’article 2, point q), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné que le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015 dans son pays d’origine et que c’était à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse, de sorte que ni la légalité, ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 26 novembre 2019 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;

au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 26 novembre 2019 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 janvier 2021 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Marc Frantz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 janvier 2021 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 43960
Date de la décision : 20/01/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-01-20;43960 ?

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