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19/01/2021 | LUXEMBOURG | N°43509

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 janvier 2021, 43509


Tribunal administratif N° 43509 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 août 2019 4e chambre Audience publique du 19 janvier 2021 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre deux arrêtés grand-ducaux et deux actes du ministre de la Justice en matière d’associations et fondations sans but lucratif

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43509 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2019 par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …

et de Madame …, demeurant à L-

…, tendant, aux termes de son dispositif, à l’annulati...

Tribunal administratif N° 43509 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 août 2019 4e chambre Audience publique du 19 janvier 2021 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre deux arrêtés grand-ducaux et deux actes du ministre de la Justice en matière d’associations et fondations sans but lucratif

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43509 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2019 par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de Madame …, demeurant à L-

…, tendant, aux termes de son dispositif, à l’annulation, sinon à la réformation d’un arrêté grand-ducal du 8 février 2019 refusant la création de la fondation dénommée « Fondation … », d’un courrier du ministre de la Justice du 18 février 2019 transmettant l’arrêté grand-

ducal du 8 février 2019 aux époux …, d’un arrêté grand-ducal du 9 juin 2019 portant rejet du recours gracieux des époux … du 13 mars 2019, ainsi que d’un courrier du ministre de la Justice du 26 juin 2019 transmettant l’arrêté grand-ducal du 9 juin 2019 aux époux … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2019 ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu l’information de Maître Michel Karp du 7 décembre 2020 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu l’information de Madame le délégué du gouvernement Pascale Millim du 7 décembre 2020 suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les actes critiqués ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 8 décembre 2020.

Par courrier du 10 novembre 2016, Maître Patrick Serres, notaire de résidence à Remich, soumit au ministre de la Justice, ci-après désigné par « le ministre », aux fins d’approbation grand-ducale un projet de statuts de la fondation « … », constituée par Monsieur … et Madame …, ci-après désignés par « les époux … », dont l’objet était « (…) la lutte contre la pauvreté des enfants soit en se consacrant directement aux tâches envisagées dans l’objet social soit en soutenant des organisations privées ou publiques dans leurs activités et leurs démarches (…) ».

Par courrier du 22 décembre 2016, le ministre sollicita de la part de Maître Patrick Serres, 1la communication d’un mémorandum expliquant, de manière précise et détaillée, le mode de fonctionnement de la fondation « … », ainsi qu’un plan de financement sur 5 ans, courrier auquel répondirent les époux … par plusieurs courriers électroniques notamment des 4 janvier 2017, 7 et 12 mars 2017, tout en rappelant celui de 23 novembre 2016 en détaillant l’objet de la fondation à créer et en fournissant un budget prévisionnel sur 5 ans.

Par courrier du 20 juin 2017, le ministre transmit pour avis la demande de constitution de la fondation « … » en vue d’être reconnue d’utilité publique au titre de l’article 27 de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et fondations sans but lucratif, ci-après désignée par « la loi du 21 avril 1928 », au ministre des Finances.

Le ministre des Finances informa, par courrier du 14 août 2017, le ministre qu’il se rallia à l’avis du directeur de l’administration des Contributions directes du 3 août 2017, lequel déconseilla d’accorder la reconnaissance d’utilité publique à la fondation « … », sur base des considérations, d’une part, que le projet des statuts de ladite fondation n’avait prévu qu’un capital de 1.000 euros, et d’autre part, que « (…) la conception des activités projetées de la Fondation est actuellement au stade d’idées ponctuelles et que l’objet social, qui vise en première ligne la lutte contre la pauvreté des enfants, ne cadre pas tout à fait avec les exemples cités. (…) ».

Suite au courrier des époux … du 30 août 2017 sollicitant une décision ministérielle sur leur demande de création de la fondation « … » du 10 novembre 2016, le ministre, par courrier du 13 septembre 2017, leur transmit l’avis négatif du ministre des Finances du 14 août 2017 et sollicita des informations supplémentaires de leur part quant au capital affecté à ladite fondation et quant à la réalisation concrète de l’objet de celle-ci.

Les époux … précisèrent l’objet de la future fondation, dans leur courrier du 16 octobre 2017 en expliquant que celui pourrait se traduire notamment :

« (…) - pour le financement des études, - pour permettre aux personnes handicapées de vivre de manière autonome, - pour financer une intervention chirurgicale nécessaire, - pour financer une thérapie d’un enfant orphelin. (…) » Par courrier du 24 novembre 2017, le ministre, afin de pouvoir continuer l’instruction du dossier, sollicita des époux … de lui faire parvenir « (…) les informations quant à la manière précise que la Fondation entend réaliser son objet. En d’autres mots, par quels moyens et actions concrets entendez-vous mettre en œuvre le but de la Fondation qui est la lutte contre la pauvreté des enfants ? (…) ».

Suite à la demande d’entrevue des époux … des 3 et 15 janvier 2018, le ministre leur rappela, par courrier du 17 janvier 2018, la nécessité de lui communiquer les informations sollicitées dans son courrier du 24 novembre 2017.

Suite à l’intervention du médiateur du Grand-duché de Luxembourg en date du 5 juin 2018, à une entrevue entre les époux … et le ministre le 9 août 2018 et à un courrier desdits époux du 24 août 2018 fournissant des informations complémentaires quant au fonctionnement projeté de la fondation « … », le ministre transmit à nouveau la demande de constitution de ladite fondation au ministre des Finances pour avis en date du 11 septembre 2018.

2 Par courrier du 4 décembre 2018, le ministre des Finances informa le ministre qu’il se ralliait à l’avis négatif du directeur de l’administration des Contributions directes du 5 octobre 2018 qui releva l’absence de mémorandum, respectivement de descriptif de projets d’activités concrètes, de sorte à ne pas être « (…) en mesure d’évaluer si les futures activités et, partant, l’action de la future Fondation rentre dans le cadre de l’article 112 L.I.R. (…) ».

Par arrêté grand-ducal du 8 février 2019, la création de la fondation « … » fut refusée aux motifs suivants :

« (…) Vu la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et les fondations sans but lucratif ;

Considérant qu'un projet de constitution d'une fondation dénommée « Fondation … » a été soumis par les fondateurs Monsieur … et Madame … en date du 10 novembre 2016 au Ministre de la Justice aux fins d'approbation ;

Considérant que par courrier du 22 décembre 2016, les fondateurs ont été priés de bien vouloir transmettre un mémorandum détaillé expliquant comment la future fondation entendait fonctionner concrètement ;

Considérant que les fondateurs ont été accueillis au Ministère de la Justice en date du 6 février 2017 afin de présenter leur projet de création d'une fondation dont l'objet serait la lutte contre la pauvreté des enfants sans toutefois donner de plus amples explications quant à la nature concrète des projets envisagés et comment ils seront mis en œuvre sur le plan pratique et financier ;

Considérant que le dossier a été soumis pour avis au Ministre des Finances en date du 20 juin 2017 ;

Considérant qu'à défaut de plus amples détails sur les activités de la fondation projetées, le Ministre des Finances n'a pas été en mesure d'évaluer si l'envergure du projet était suffisamment étendue et développée pour rentrer dans le cadre de l'article 112 L.I.R et a émis en conséquence un avis négatif en date du 14 août 2017 ;

Considérant que par courrier du 13 septembre 2017, le Ministre de la Justice a porté à la connaissance des demandeurs l'avis négatif du Ministre des Finances et a réitéré sa requête de fournir des explications détaillées repris dans un mémorandum quant à la manière dont la fondation à constituer entendait réaliser son objet ;

Considérant que par courrier du 16 octobre 2017, les fondateurs ont transmis une réponse au courrier du 13 septembre 2017 sans toutefois aborder tous les points relevés dans ledit courrier ;

Considérant que cette requête d'informations supplémentaires a par conséquent été réitérée par courrier du 24 novembre 2017 et du 17 janvier 2018 en priant les fondateurs de bien vouloir préciser par quels moyens et actions concrets la fondation à constituer entendait réaliser son objet ;

3Considérant que les fondateurs n'ont pas été en mesure de fournir ces explications supplémentaires par mémorandum indispensable pour poursuivre l'instruction du dossier ;

Considérant que suite à une intervention du Médiateur qui s'était déjà efforcé de donner des explications aux fondateurs, les fondateurs ont à nouveau été invités en date du 9 août 2018 au Ministère de la Justice afin de leur donner de plus amples explications quant au contenu que doit comporter ce document ;

Considérant que les fondateurs ont soumis le 25 août 2018 au Ministre de la Justice un dossier complémentaire sans toutefois donner des éléments réellement nouveaux ;

Considérant que le Ministre de la Justice a soumis le 11 septembre 2018 le projet de fondation avec ces « informations complémentaires » pour avis au Ministre des Finances ;

Considérant qu'à défaut d'éléments nouveaux, le Ministre des Finances n'a pas été en mesure d'évaluer le projet et a donc émis un avis négatif en date du 4 décembre 2018 ;

Considérant que malgré les efforts déployés par le Ministre de la Justice, les fondateurs n'ont pas été en mesure de fournir des explications détaillées quant à la manière dont la fondation à constituer entendait réaliser son objet et qu'à défaut de plus amples détails quant à la nature concrète des projets envisagés et comment ils seront mis en œuvre, le Ministre de la Justice n'est pas en mesure d'évaluer si les activités futures de la fondation rentrent dans le cadre de l'article 27 de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et fondations sans but lucratif.

Sur le rapport de Notre Ministre de la Justice et après délibération du Gouvernement en Conseil ;

ARRÊTONS :

Art.1er. - La création de la fondation dénommée « Fondation … » conformément à la loi du 21 avril 1928 sur les associations et fondation sans but lucratif est refusée.

Art.2. - Notre Ministre de la Justice est chargé de l'exécution du présent arrêté. (…) ».

Le ministre transmit l’arrêté grand-ducal précité du 8 février 2019 aux époux … par courrier du 18 février 2019 libellé comme suit :

« (…) Me référant à votre demande de création de la fondation dénommée « Fondation … », j'ai le regret de vous transmettre par la présente une expédition conforme de l'arrêté grand-

ducal du 8 février 2019 refusant la création de la fondation.

Je vous signale que la présente décision est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif, recours qui doit être intenté dans un délai de trois mois de la notification de la décision, par requête signée d'un avocat à la Cour. (…) ».

Suite au recours gracieux des époux …, introduit par courrier de leur litismandataire du 13 mars 2019, l’arrêté grand-ducal du 8 février 2019 fut confirmé par un arrêté grand-ducal du 9 juin 2019, dans les termes suivants :

4 « (…) Vu le recours gracieux du 13 mars 2019 présenté par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, contre l'arrêté grand-ducal du 8 février 2019 refusant la création de la fondation dénommée « Fondation … » conformément à la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et fondations sans but lucratif ;

Vu la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et les fondations sans but lucratif ;

Vu l'avis négatif émis par le Ministre des Finances en date du 14 août 2017 ;

Vu l'avis négatif émis par le Ministre des Finances en date du 4 décembre 2018 ;

Vu l'arrêté grand-ducal de refus du 8 février 2019 refusant la création de la fondation dénommée « Fondation … » conformément à la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et fondations sans but lucratif ;

Considérant que contrairement à ce qu'affirme le recours gracieux, l'autorité administrative, en l'absence de critères précis définis dans la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et fondations sans but lucratif en vue de déterminer si une fondation poursuit un but d'utilité publique à caractère philanthropique, social, religieux, scientifique, artistique, pédagogique, sportif ou touristique au sens de l'article 27 de ladite loi, dispose nécessairement d'un pouvoir d'appréciation lui permettant de vérifier si, au vu des moyens et actions concrètes proposés, l'activité envisagée est conforme à l'article 27, alinéa 2, de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et fondations sans but lucratif ;

Considérant, comme mentionné dans l'arrêté grand-ducal de refus du 8 février 2019, que des éléments précis n'ont pas été apportés nonobstant les indications demandées en ce sens ;

Considérant que le recours gracieux n'apporte pas non plus de nouveaux éléments de précision ;

Considérant que les développements faits dans le recours gracieux quant à l'organisation de la succession des époux Promme ne sont pas des éléments pertinents permettant d'apprécier si la fondation remplit ou non ces critères ;

Considérant que le recours gracieux n'est donc pas fondé pour ne pas apporter d'éléments nouveaux quant au fond ;

Sur le rapport de Notre Ministre de la Justice et après délibération du Gouvernement en Conseil ;

ARRÊTONS :

Art.1er. - Le recours gracieux contre la décision du 8 février 2019 est rejeté et la décision prise par arrêté grand-ducal du 8 février 2019 est confirmée.

Art.2. - Notre Ministre de la Justice est chargé de l'exécution du présent arrêté. (…) ».

5Par courrier du 26 juin 2019, le ministre transmit l’arrêté grand-ducal précité du 9 juin aux époux … dans les termes suivants :

« (…) Me référant à votre recours gracieux introduit le 13 mars 2019 suite au refus de la création de la fondation dénommée « Fondation … », j'ai le regret de vous transmettre par la présente une expédition conforme de l'arrêté grand-ducal du 9 juin 2019 rejetant le recours gracieux contre la décision du 8 février 2019 et confirmant la décision prise par arrêté grand-ducal du 8 février 2019.

Je vous signale que la présente décision de confirmation est susceptible d'un recours en annulation devant le Tribunal administratif, recours qui doit être intenté dans un délai de trois mois de la notification de la décision, par requête signée d'un avocat à la Cour. (…) » Par requête déposé au greffe du tribunal administratif le 30 août 2019, les époux … ont fait introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, à l’annulation, sinon à la réformation des « (…) décisions ministérielles attaqueés du [1]8 février 2019 et du 26 juin 2019 et les arrêtés grand-ducaux du 8 février 2019 et du 9 juin 2019 (…) ».

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par la « loi du 7 novembre 1996 », un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours subsidiaire en réformation au motif qu’aucune disposition légale ne prévoirait un tel recours en matière de refus de création d’une fondation sur base de la loi du 21 avril 1928, moyen par rapport auquel les époux … n’ont pas pris position.

Force est au tribunal de constater que bien que l’article 30 de la loi du 21 avril 1928, dans sa version initiale, prévoyait dans le chef notamment du fondateur un recours de pleine juridiction à l’encontre d’une décision intervenue sur la demande en approbation de l’acte constitutif ou des statuts de la fondation, ladite disposition légale a été supprimée par l’article 11, 3° de la loi du 19 décembre 2008 portant modification de certaines dispositions en matière des impôts directs, sans que le législateur, respectivement le pouvoir réglementaire n’ait prévu, dans une autre disposition légale, un recours au fond en la présente matière.

Le tribunal est partant incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation introduit contre la décision déférée.

En revanche, il est compétent pour connaître du recours principal en annulation sur base de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », en vertu duquel « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements. ».

6En ce qui concerne la recevabilité du recours principal en annulation, le délégué du gouvernement fait valoir, dans son mémoire en réponse, que seul le Grand-Duc serait compétent pour autoriser une fondation au sens de la loi du 21 avril 1928, de sorte que les arrêtés grand-ducaux du 8 février 2019 et du 9 juin 2019 seraient les seuls actes décisionnels pouvant faire l’objet d’un recours.

Les demandeurs n’ont pas pris position par rapport à ce moyen de la partie étatique.

Force est au tribunal de relever qu’à travers son argumentation, le délégué du gouvernement a entendu remettre en question le caractère décisionnel des courriers ministériels des 18 février et 26 juin 2019, actes que les demandeurs ont également visé par le biais du recours sous examen.

Il est rappelé qu’aux termes de l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ». Cet article limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.

L'acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame.

Si le caractère décisoire de l'acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n'est pas pour autant une condition suffisante. En effet, pour être susceptible de faire l'objet d'un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief2.

Or il échet de constater que les courriers ministériels des 18 février et 26 juin 2019 ne véhiculent, par eux-mêmes, aucun élément décisionnel de nature à faire grief, dans la mesure où le ministre se limite, à travers lesdits actes, à transmettre aux époux … les arrêtés grand-

ducaux des 8 février et 9 juin 2019 leur refusant la création de la fondation « … », et à indiquer les voies de recours à exercer contre ces arrêtés grand-ducaux. C’est ainsi à juste titre que la partie étatique fait valoir que seuls les arrêtés grand-ducaux des 8 février et 9 juin 2019 peuvent faire l’objet d’un recours devant les juridictions administratives.

Il s’ensuit que le recours principal en annulation, pour autant qu’il vise les courriers ministériels des 18 février et 26 juin 2019, doit être déclaré irrecevable pour viser des actes qui ne constituent pas des décisions administratives de nature à faire grief.

Par contre, le recours principal en annulation introduit contre les arrêtés grand-

ducaux des 8 février et 9 juin 2019 est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.

2 Trib. adm. 18 juin 1998, n° 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Actes administratifs, n° 40 et les autres références y citées.

7 A l’appui de leur recours, les époux … concluent à l’annulation des arrêtés grand-

ducaux des 8 février et 9 juin 2019 au motif qu’ils souffriraient d’un manque de motivation, en ce que le Grand-Duc se serait contenté, pour refuser la création de la fondation « … », d’une part, de se référer, sans autre explication, aux lois applicables, et, d’autre part, d’affirmer qu’ils n’auraient pas apporté des éléments précis, ce qu’aucun texte légal n’imposerait. Ils critiquent encore plus particulièrement, dans ce contexte, d’un côté, l’arrêté grand-ducal du 9 juin 2019 pour ne pas avoir pris position sur l’argumentation développée dans le cadre de leur recours gracieux et, de l’autre côté, l’arrêté grand-ducal du 8 février 2019, lequel aurait retenu comme motif de refus que « (…) les fondateurs n’ont pas été en mesure de fournir des explications détaillées quant à la manière dont la fondation à constituer entendait réaliser son objet (…) », motif qui manquerait de précision pour ne pas permettre l’identification des éléments qui nécessiteraient d’être clarifiés.

Ils font finalement valoir que le projet de statut de la fondation « … » remplirait les conditions de l’article 27, paragraphe (2) de la loi du 21 avril 1928, les demandeurs mentionnant encore que plusieurs personnes auraient manifesté leur volonté de s’engager, en tant qu’administrateurs et de manière bénévole, dans les actions de la future fondation « … ».

Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé, soutenant qu’en l’absence de critères précis fixés par la loi du 21 avril 1928, l’autorité administrative disposerait nécessairement d’un pouvoir d’appréciation devant lui permettre de vérifier, au vu des moyens et actions concrètes proposés, si l’activité de la fondation à créer serait conforme à l’article 27 de ladite loi. Dans ce contexte, la partie étatique se prévaut encore d’un jugement du tribunal administratif du 10 février 1999, inscrit sous le numéro 10758 du rôle, tout en précisant que les informations sur l’organisation de la succession des époux …, tout comme la liste des futurs membres bénévoles ne seraient pas pertinentes.

Quant au moyen d’annulation des demandeurs fondés sur un défaut, voire une imprécision des motifs de refus, force est au tribunal de rappeler qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes : « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :

- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ;

- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ;

- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ;

- intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale.

Dans les cas où la motivation expresse n’est pas imposée, l’administré concerné par la décision a le droit d’exiger la communication des motifs. […] ».

Dans la mesure où les arrêtés grand-ducaux des 8 février et 9 juin 2019 refusent aux demandeurs la création de la fondation « … », ils sont soumis à l’obligation de motivation inscrite à l’article 6 précité du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, de sorte qu’il incombe à l’auteur desdites décisions d’indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause 8juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de faits sur lesquels elles se basent.

A cet égard, force est de constater que les deux arrêtés grand-ducaux ont indiqué la base légale sur laquelle ils sont fondés, en l’occurrence la loi du 21 avril 1928 et notamment son article 27, ainsi que le motif du refus, à savoir, d’une part, les avis négatifs du ministre des Finances, et, d’autre part, la circonstance que les époux … seraient restés en défaut de fournir des explications circonstanciées sur les moyens et activités concrètes de leur fondation en vue de remplir son objet social, et ce malgré le fait qu’ils avaient été invités à plusieurs reprises, tant par courrier que lors d’une entrevue au Ministère de la Justice, de ce faire. Une telle motivation est de nature à satisfaire aux obligations de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. Cette motivation a encore été complétée par le délégué du gouvernement au cours de la procédure contentieuse par le biais de son mémoire en réponse, dans lequel il relève, sur base du jugement précité du 10 février 1999 du tribunal administratif, inscrit sous le numéro 10758 du rôle, qu’en l’absence de critères précis prévus à l’article 27 de la loi du 21 avril 1928 permettant de déterminer su une fondation poursuit un but d’utilité public, l’autorité administrative compétente, en l’occurrence le Grand-Duc, disposerait nécessairement d’un pouvoir d’appréciation et pourrait, dans ce cadre, exiger des personnes concernées une information précise sur l’activité concrète de la fondation et sur son financement, étant précisé que le bien-fondé de cette motivation, contesté par les demandeurs dans le cadre du recours sous examen, est une question de fond qui sera analysée ci-après.

Partant, le moyen relatif à un défaut de motivation, respectivement à une imprécision des motifs laisse d’être fondé, de sorte à devoir être rejeté.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation des demandeurs que le Grand-Duc n’aurait pas pris en considération, dans son arrêté grand-ducal litigieux du 9 juin 2019, les moyens développés dans le cadre de leur recours gracieux du 14 mars 2019, alors que ladite autorité a explicitement constaté, d’une part, que les époux … seraient toujours restés en défaut de fournir les éléments relatifs au fonctionnement et au financement de leur fondation, et, d’autre part, que les éléments mis en avant dans leur recours gracieux concernant l’organisation de leur succession ne seraient pas pertinents.

Quant au fond, il y a, tout d’abord, lieu de relever les arrêtés grand-ducaux déférés sont intervenus sur base de l’article 27 de la loi du 21 avril 1928, aux termes duquel « (…) sont seules considérées comme fondations, les établissements qui, essentiellement à l’aide des revenus des capitaux affectés à leur création ou recueillis depuis et à l’exclusion de la poursuite d’un gain matériel, tendent à la réalisation d’une œuvre d’un caractère philanthropique, social, religieux, scientifique, artistique, pédagogique, sportif ou touristique (…) ».

La détermination de l’objet d’une fondation est cruciale au niveau de la rédaction des statuts, étant donné que ce sont les indications y relatives qui doivent permettre de conclure à un établissement d’intérêt public au sens de l’article 27 de la loi du 21 avril 1928. En exigeant la mention de l’objet de la fondation, la loi a entendu consacrer la nécessité d’indiquer au-delà du but, voire du mobile faisant agir, plutôt la nature de l’activité sociale par une description très nette et large de l’activité statutaire de l’organisme créé3.

3 Les associations sans but lucratif et les établissements d’utilité publique au Grand-Duché de Luxembourg par Nicolas Majerus, 1930, p.53 9L’article 27 de la loi du 21 avril 1928 accorde également une importance primordiale au capital initial d’une fondation, de sorte que l’autorité investie du pouvoir d’approuver les statuts d’une fondation doit pouvoir apprécier la manière dont la fondation entend financer son activité telle que prévue par les statuts.

L’approbation gouvernementale doit partant s’étendre au-delà du but de la fondation, à une appréciation de la conformité de l’activité envisagée pour réaliser ce but par rapport au cadre d’action prétracé par la loi, ainsi que de la capacité patrimoniale de la fondation pour financer l’activité projetée4.

L’objet de la fondation « … », dont la création a été refusée par l’arrêté grand-ducal déféré du 8 février 2019, tel que ce refus a été confirmé par l’arrêté grand-ducal du 9 juin 2019, pris sur recours gracieux, a été défini à l’article 4 du dernier projet de statuts soumis au ministre de la manière suivante : « La Fondation a pour objet la lutte contre la pauvreté des enfants, soit en se consacrant directement aux tâches envisagées dans l’objet social soit en soutenant des organisations privées ou publiques dans leurs activités et leurs démarches. », moyennant, aux termes de l’article 5 desdits statuts, un premier apport en espèces de 50.000 euros et, aux termes de l’article 6 des statuts, des recettes de ladite fondation, consistant en des revenus des activités, respectivement de la gestion du patrimoine de la fondation, voire en des dons, legs, subsides et subventions reçus par cette dernière.

Il échet de constater, à titre liminaire, que la condition du financement n’est a priori plus litigieuse en l’espèce, dans la mesure où les arrêtés grand-ducaux déférés des 8 février et 9 juin 2019 se focalisent exclusivement sur l’absence d’informations quant à l’activité concrète de la fondation « … » pour en refuser la création. En effet, il y a lieu de relever que les époux … ont explicité, en cours d’instruction de leur dossier auprès du ministère de la Justice, que la fondation à créer disposerait d’un apport initial de 50.000 euros, tel que cela ressort explicitement du dernier projet de statuts soumis au ministre, apport au sujet duquel le directeur de l’administration des Contributions directes a retenu, dans son avis du 5 octobre 2018, que « (…) cette augmentation de capital [de 1.000 à 50.000 euros] est saluée et satisfait vraisemblablement au critère du capital suffisant pour exercer l’objet social (…) ». A cela s’ajoute que les époux … ont encore mis en avant, d’une part, à travers les budgets prévisionnels versés en cause, que les revenus locatifs tirés de leurs trois appartements seraient également versés à leur fondation, et d’autre part, dans leurs courriers des 4 janvier et 12 mars 2017 que l’ensemble de leur patrimoine immobilier évalué à 1.400.000 euros, respectivement 1.600.000 euros reviendrait également à la fondation à créer suite à leur décès.

A côté de ses revenus, les demandeurs ont encore précisé dans les budgets prévisionnels des projections de revenus provenant de dons, respectivement de l’organisation, voire de la participation à des événements en vue de récolter des fonds. La fondation à créer doit partant être considérée comme disposant de revenus suffisant pour exercer son objet social de lutte contre la pauvreté des enfants.

Quant à l’activité projetée de la fondation « … », force est au tribunal de constater, à l’instar de la partie étatique, que l’objet social de ladite fondation est décrit de manière très large dans son dernier projet de statuts, son but étant de lutter directement, voire indirectement, en soutenant des organisations privées ou publiques, contre la pauvreté des enfants. Un tel objectif entre a priori dans les prévisions de l’article 27 de la loi du 21 avril 4 Trib. adm., 10 février 1999, n° 10758 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Tutelle administrative, n° 109.

101928, pour constituer une œuvre philanthropique et sociale.

Contrairement aux conclusions des arrêtés grand-ducaux déférés des 8 février et 9 juin 2018, c’est à juste titre que les demandeurs affirment remplir les conditions de l’article 27 de la loi du 21 avril 1928, dans la mesure où, en cours d’instruction administrative du dossier, ils ont étayé l’objet de la fondation à créer par rapport au mode de fonctionnement concret de la fondation et par rapport à la nature des activités réelles envisagées pour atteindre le but de la fondation. Ainsi, ils ont précisé, dans leur courrier du 24 août 2018, que les projets en relation avec l’objet de la fondation seraient soumis, à l’initiative de ses administrateurs, au conseil d’administration, respectivement par des tiers, par le biais du site internet à créer de ladite fondation. Les époux … ont par ailleurs fourni, dans leurs différents courriers et courriers électronique adressés au ministre, une liste non-exhaustive d’exemples de situations où la fondation à créer agirait. Ainsi, les demandeurs ont précisé, dans leurs courriers du 16 octobre 2017 et du 25 juillet 2018, que leur fondation se consacrerait à aider les enfants se trouvant dans le besoin et habitant au Luxembourg, notamment en finançant leurs études, en permettant aux personnes handicapées de vivre de manière autonome, en finançant une intervention chirurgicale, respectivement en finançant une thérapie d’un enfant orphelin ou en réalisant le dernier souhait d’un enfant mourant. Force est, dans ce cadre, au tribunal de relever qu’il ne saurait être exigé des personnes souhaitant créer une fondation de devoir fournir une énumération exhaustive des activités à venir, surtout au regard de la multitude de situations pouvant se présenter au regard d’un objet social tel que celui de la fondation « … » consistant à soutenir, de la manière la plus large possible, des enfants se trouvant dans une situation financière difficile.

Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent amenant le tribunal à la conclusion que l’activité de la fondation litigieuse ainsi conçue est de nature purement philanthropique et sociale, sans procurer à ladite fondation un gain matériel, c’est à tort que les arrêtés grand-ducaux déférés des 18 février et 9 juin 2019 ont retenu que l’objet de la fondation « … » ne rentre pas dans les prévisions de l’article 27 de la loi du 21 avril 1928, de sorte à encourir l’annulation.

Par ces motifs :

le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

déclare le recours principal en annulation irrecevable en ce qu’il est dirigé contre les courriers du ministre de la Justice du 18 février 2019 et du 26 juin 2019 ;

pour le surplus, reçoit le recours principal en annulation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule les arrêtés grand-ducaux déférés des 8 février et 9 juin 2019 refusant la création de la fondation « … », pour violation de l’article 27 de la loi du 21 avril 1928 ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

11 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 janvier 2021 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Hélène Steichen, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, 19 janvier 2021 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 43509
Date de la décision : 19/01/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-01-19;43509 ?

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