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18/01/2021 | LUXEMBOURG | N°44339

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 janvier 2021, 44339


Tribunal administratif N° 44339 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er avril 2020 2e chambre Audience publique du 18 janvier 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44339 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2020 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, i

nscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … ...

Tribunal administratif N° 44339 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er avril 2020 2e chambre Audience publique du 18 janvier 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44339 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2020 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 mars 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 4 janvier 2020.

Le 16 avril 2019, Monsieur … déposa une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-

après désigné par « le ministère ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 17 avril 2019, Monsieur … fut auditionné par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

En date des 5 juillet et 21 août 2019, Monsieur … fut encore auditionné par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

1 Par décision du 9 mars 2020, notifiée par lettre recommandée envoyée le 11 mars 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée pour être non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 16 avril 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 16 avril 2019, le rapport d'entretien Dublin III du 17 avril 2019 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 5 juillet 2019 et du 21 août 2019 sur les motifs sous-

tendant votre demande de protection internationale.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez d'ethnie peule, né à … en Guinée et que vous auriez vécu avec votre famille à …. Votre père serait décédé en 2010 des suites d'une maladie. En 2012, vous auriez décidé d'arrêter l'école pour aider votre mère à vendre des vêtements au marché de …. A partir de 2015, vous auriez effectué un apprentissage en « mécanique moto » (p.2/15 du rapport d'entretien) et auriez travaillé dans un garage jusqu'à votre départ de votre pays d'origine en octobre 2016.

Vous déclarez avoir quitté votre pays d'origine parce qu'en date du 5 octobre 2016, vous auriez eu un accident de moto lors duquel votre collègue de travail serait décédé à l'hôpital suite à ses blessures. Etant donné que vous auriez été le chauffeur de la moto, la famille de votre collègue décédé vous aurait accusé de l'avoir tué et ils vous auraient agressé et frappé le lendemain de l'accident dans le garage de votre patron. La police serait intervenue et vous aurait arrêté et enfermé dans une cellule au poste de police « Cimenterie ».

Après deux semaines de détention, vos trois codétenus se seraient enfuis de la cellule en cassant les barreaux de fer de la fenêtre. Vous vous seriez échappé par la même occasion.

Par la suite, vous seriez retourné à la maison et votre mère qui aurait été effrayée par la famille de votre collègue décédé vous aurait dit de partir, raison pour laquelle vous auriez immédiatement quitté votre pays d'origine en direction du …. Votre mère aurait aussi décidé de quitter la Guinée en direction de la Gambie afin d'échapper à cette famille. Vous auriez appris plus tard que votre maison aurait été détruite par la famille de votre collègue.

Vous auriez quitté votre pays d'origine le … en direction de la Libye, via le …, le … et le …. Vous seriez resté en Libye pendant quatre mois avant de partir en bateau pour rejoindre l'Italie, où vous auriez séjourné pendant deux années et où vous avez introduit une demande de protection internationale à … en date du 4 mai 2017. Vous auriez pris le train en direction du Luxembourg via la France sans attendre la décision de votre demande de protection internationale en Italie (p.5/8 du rapport d'entretien Dublin III).

2Vous ne présentez aucun document d'identité ni aucun autre document pour étayer vos dires.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Avant tout progrès en cause, notons que les problèmes rencontrés en Libye ne sont pas pris en considération dans le cadre de l'évaluation de votre demande de protection internationale. En effet, suivant l'article 2 de la Loi de 2015 sont pris en compte dans le cadre de l'examen d'une demande de protection internationale uniquement les faits qui se sont déroulés dans le pays d'origine du demandeur. Etant donné que vous êtes de nationalité guinéenne, les faits qui se seraient déroulés en dehors de votre pays d'origine, c'est-à-dire la Guinée, ne sauraient pas être pris en considération dans l'évaluation de votre demande de protection internationale.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Vous indiquez avoir causé un accident avec une moto au cours duquel votre collègue de travail aurait été tué. Suite à l'accident vous auriez été emprisonné pendant deux semaines jusqu'à ce que vous vous soyez enfui de votre cellule.

Or, le fait d'être placé en détention par les autorités après avoir causé un accident mortel ne saurait évidemment pas justifier l'octroi du statut de réfugié, alors que ce fait n'est lié à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015 qui prévoient une protection à toute personne persécutée ou qui risque d'être persécutée dans son pays d'origine à cause de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social. Ajoutons dans ce contexte que le but de la 3procédure de protection internationale n'est pas de permettre à une personne d'échapper à une peine qu'elle risquerait de subir dans son pays d'origine pour une infraction commise. Le fait d'être placé en détention provisoire jusqu'à ce que votre cas aurait pu être examiné et le fait que vous vous seriez échappé pendant votre détention ne saurait par conséquent pas non plus justifier l'octroi du statut de réfugié. Ce constat vaut d'autant plus qu'il n'est nullement établi que vous auriez été accusé arbitrairement, respectivement que vous n'auriez pas pu faire valoir vos droits dans le cadre d'un procès équitable.

En effet, le fait de devoir éventuellement rendre des comptes devant la justice guinéenne en cas de retour dans votre pays d'origine pour des infractions commises est tout à fait légitime et ne saurait être considéré comme une persécution au sens de la prédite Convention.

Monsieur, vous indiquez également avoir eu des problèmes avec les membres de la famille de votre collègue de travail décédé. Ils vous auraient menacé et auraient détruit votre maison.

Notons que, aussi déplorable et condamnable que ces actions puissent être, elles ne pourront de nouveau pas être considérées comme acte de persécution ou crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, il s'agit d'un acte de vengeance qui n'est lié à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015.

A cela s'ajoute que vous vous bornez à émettre des suppositions, respectivement vous vous bornez à émettre vos craintes hypothétiques d'être tué en cas de retour en Guinée. Or, de simples suppositions et craintes hypothétiques ne présentent pas un caractère de gravité suffisante pour pouvoir retenir dans votre chef l'existence d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Quand bien même ces faits seraient liés à l'un des critères énumérés par la Convention de Genève et qu'ils seraient suffisamment graves pour constituer un acte de persécution, notons que s'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, cela n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous n'avez aucunement porté plainte contre la famille de votre collègue de travail respectivement recherché de l'aide dans votre pays d'origine, de sorte qu'on ne saurait reprocher une quelconque défaillance aux forces de l'ordre qui n'ont jamais été mises en mesure d'effectuer leur mission.

A cela s'ajoute que votre comportement n'est manifestement pas celui d'une personne persécutée alors que vous indiquez en effet avoir quitté la Guinée pour vous rendre en Italie, où vous auriez séjourné pendant deux années et introduit une demande de protection internationale. Sans avoir attendu les suites réservées à vos démarches en Italie, vous seriez venu au Luxembourg via la France. Ceci démontre que vous êtes nullement persécuté dans votre pays d'origine et est manifestement de nature à mettre en doute la gravité de votre situation dans votre pays d'origine.

Monsieur, Il convient de mentionner que vous avez décidé d'introduire votre demande au Luxembourg le 16 avril 2019 parce que « Je me suis dit au Luxembourg alors on ne rapatrie pas et donc je me suis dirigé vers ici » (p.11/15 du rapport d'entretien). Or, un 4demandeur de protection internationale ne saurait choisir le pays où il introduit une demande de protection internationale pour des seules considérations de convenance personnelle.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Guinée, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2020, Monsieur … a f De ait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du tout mini stre du 9 mars 2020 portant refus de sa demande de protection internationale et de celle l ce ui ordonnant de quitter le territoire.

qui pré cèd 5 e, les con diti Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et de celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 9 mars 2020, prise dans son double volet, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur affirme qu’il aurait été victime d’un accident de moto lors duquel son passager, un collègue de travail, serait décédé. Il aurait, depuis lors, été inquiété par les membres de la famille de ce dernier. Ceux-ci se seraient rendus sur son lieu de travail pour le passer à tabac et le menacer de mort. Monsieur … indique ensuite que la police aurait procédé à son arrestation de manière arbitraire. Il aurait ainsi été emprisonné sans être informé de ses droits et sans accès à un avocat. Il n’aurait pas non plus été présenté à un juge. Il souligne avoir fait l’objet d’un traitement inhumain et dégradant lors de sa détention et, lors d’une évasion de détenus, il aurait profité de l’occasion pour échapper à son sort. Il ajoute que l’impossibilité de faire valoir ses droits auprès de la police guinéenne et les menaces de mort proférées par la famille de son défunt collègue l’auraient poussé à quitter son pays d’origine.

En droit, le demandeur fait valoir que la décision ministérielle portant refus de lui accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale serait entachée d’illégalité au motif qu’il remplirait les conditions prévues par la loi du 18 décembre 2015 pour obtenir soit le statut de réfugié, soit celui conféré par la protection subsidiaire, ce d’autant plus que ses affirmations quant aux agissements dont il déclare avoir été victime n’auraient pas été utilement critiquées par le ministre, de sorte à devoir être considérées comme étant établies.

Ensuite, il reproche, en substance, au ministre d’avoir basé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits de l’espèce, respectivement d’avoir procédé à une analyse erronée de ces mêmes faits. Ainsi, et contrairement aux conclusions retenues par le ministre, les violences et menaces dont Monsieur … aurait été victime par ses oncles établiraient à suffisance dans son chef une crainte fondée de persécution.

Le demandeur estime dès lors que les faits qu’il a invoqués devraient être assimilés à des actes de menace, de violence et de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », de sorte que le ministre aurait dû lui octroyer soit le statut de réfugié, soit le statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

6 La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et l’article 40 de la même loi dispose que : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

7 (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, précité, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, ces dernières sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Or, le tribunal est amené à constater qu’en l’espèce, les faits invoqués par Monsieur … à l’appui de sa demande de protection internationale, à savoir les violences et menaces perpétrées par la famille de son défunt collègue, ainsi que le fait qu’il ait été placé en détention ne tombent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève pour ne pas être motivés par sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou encore con appartenance à un certain groupe social.

Il s’ensuit que c’est donc à bon droit que le ministre a refusé d’accorder le statut de réfugié à Monsieur ….

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ainsi que de celles des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 cités plus en avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

8Les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier de la protection subsidiaire.

Il convient de rappeler que l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale est celle de la preuve, à fournir par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, étant relevé que les agissements dont le demandeur déclare avoir été victime émanent de personnes privées, en l’occurrence les membres de la famille de son défunt collègue.

Dans le cadre de son audition, le demandeur a affirmé ne jamais s’être adressé aux autorités guinéennes pour obtenir une protection contre les violences que ces derniers ont exercées à son encontre.

Or, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection. En effet, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut1. Une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de violences et de menaces, communément la forme d’une plainte.

Il y a encore lieu de souligner qu’une protection est considérée comme suffisante si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection. La disponibilité d’une protection nationale exige par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves. Cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

Force est, à cet égard, de relever que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel mais seulement dans l’hypothèse où les actes de violence physique ou verbale commis par une personne seraient encouragés ou tolérés par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

1 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

9A cet égard, si le demandeur fait valoir avoir été arrêté arbitrairement, placé en détention et ne pas avoir été informé de ses droits ni présenté à un juge, et même si le système judiciaire et policier en Guinée ne rencontre pas nécessairement les standards européens, il ne découle pas des éléments à la disposition du tribunal que Monsieur … n’aurait pas pu obtenir une protection suffisante, dans sa situation personnelle, dans son pays d’origine contre les agissements dont il fait état, non seulement à l’égard des membres de la famille de son collègue mais également contre les policiers, qu’il estime, avoir outrepassé leurs prérogatives.

Par ailleurs, force est de constater que le comportement que le demandeur reproche à ces derniers, à savoir de l’avoir placé en détention, est en adéquation avec le fait qu’ils l’accusent d’avoir tué son collègue.

Par ailleurs, Monsieur … n’a pas mis en avant le fait que les autorités guinéennes ne voudraient ou ne pourraient le protéger, alors qu’il ressort surtout de ses déclarations qu’il n’a pas réclamé à être assisté d’un avocat pour la défense de ses droits2, et qu’il s’est enfui de prison au bout de deux semaines de détention, sans chercher à démontrer son innocence.

Le tribunal est dès lors amené à constater qu’au regard des éléments à sa disposition, il n’est pas établi que Monsieur … ne peut pas obtenir une protection suffisante de la part des autorités de son pays d’origine, respectivement qu’elles refuseraient de lui fournir une telle aide.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention d’une protection subsidiaire.

Il s’ensuit que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2. Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire A l’appui de ce volet du recours, le demandeur requiert la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision lui ayant refusé l’octroi d’un statut de protection internationale.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné que le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, d’un risque réel de subir des actes de persécution ou des atteintes graves dans son pays d’origine et que c’était, dès lors, à bon droit que le ministre a refusé de lui accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale, le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-

ci de son analyse, de sorte que ni la légalité, ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.

2 Page 9 de son rapport d'audition.

10Il suit, partant, des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 9 mars 2020 portant refus d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 9 mars 2020 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 18 janvier 2021 par le vice-président en présence du greffier Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 janvier 2021 Le greffier du tribunal administratif 11



Références :

Origine de la décision
Formation : Deuxième chambre
Date de la décision : 18/01/2021
Date de l'import : 22/01/2021

Numérotation
Numéro d'arrêt : 44339
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-01-18;44339 ?

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