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18/01/2021 | LUXEMBOURG | N°44060

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 janvier 2021, 44060


Tribunal administratif N° 44060 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 janvier 2020 2e chambre Audience publique du 18 janvier 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44060 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2020 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …,...

Tribunal administratif N° 44060 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 janvier 2020 2e chambre Audience publique du 18 janvier 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44060 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2020 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 janvier 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 mars 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley Freyermuth, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 novembre 2020.

Le 15 février 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

1 A la même date, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit deux demandes de protection internationale, à savoir une en Grèce, le 13 septembre 2017, et une autre au Royaume-Uni, en date du 23 décembre 2018.

Par courrier du 27 février 2019, les autorités britanniques refusèrent de faire droit à la demande de reprise en charge de Monsieur … leur adressée le 21 février 2019 par les autorités luxembourgeoises Par courrier du 18 mars 2019 faisant suite à une demande d’informations leur adressée par les autorités luxembourgeoises le 6 mars 2019, sur base de l’article 34 du règlement Dublin III, les autorités grecques informèrent ces dernières du fait, d’une part, qu’elles avaient décidé de clore l’examen de la demande de protection internationale introduite en Grèce par Monsieur … le 13 septembre 2017, au motif qu’elles l’auraient considérée comme ayant été implicitement retirée par l’intéressé, et, d’autre part, qu’aucun permis de séjour pertinent dans le cadre du règlement Dublin III ne lui aurait été délivré.

Les 12 et 24 avril 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 6 janvier 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 15 février 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Avant tout autre développement, il convient de mentionner que vous aviez déjà introduit des demandes de protection internationale en Grèce le 13 septembre 2017 et au Royaume-Uni le 23 décembre 2018 avant de venir au Luxembourg. Le Luxembourg a alors pris la décision de vous transférer dans les meilleurs délais vers le Royaume-Uni, pays responsable pour examiner votre demande de protection internationale suivant les dispositions du « Règlement Dublin III ».

Or, il s’avère que les autorités vous auraient notifié une décision de refus et il a été décidé que le Luxembourg allait examiner votre demande de protection internationale.

2 Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport d’entretien Dublin III du 15 février 2019, le rapport du Service de Police Judiciaire du 15 février 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 12 et 24 avril 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de …, d’ethnie turkmène et de confession musulmane sunnite.

Vous indiquez que vous seriez un ancien membre du parti … et que vous auriez travaillé au palais présidentiel sous le régime de Saddam Hussein mais que vous auriez été licencié après la chute du régime en 2003. Ensuite une milice dénommée « … » se serait manifestée et aurait procédé à des arrestations sur base de listes regroupant d’anciens membres du parti …. Vous auriez dès lors décidé de quitter l’Irak et vous seriez parti à … en Syrie la même année avec 14 autres anciens membres du parti.

Arrivé en Syrie, vous expliquez que vous auriez été interrogé par les services de renseignement syriens et vous avancez que beaucoup de leurs agents auraient collaboré avec des milices irakiennes soutenues par l’Iran. Vous laissez entendre que vous auriez eu peur de vous faire extrader et que vous auriez décidé de quitter la Syrie.

En 2004 vous seriez parti à Istanbul en Turquie. Vous y auriez travaillé comme chauffeur de taxi et vous seriez resté sur place pendant plus ou moins un an. Or, vous vous seriez ennuyé en Turquie et vous auriez fait le choix de rentrer en Irak vers fin 2004 ou début 2005.

En Irak, vous seriez resté auprès de votre famille pendant une semaine. Vous seriez ensuite parti à … et vous auriez été arrêté par des personnes affiliées à la milice « … ». Vous expliquez que vous auriez été emmené dans un immeuble abandonné et vous qu’auriez été malmené pendant quelques heures. Vous avancez ensuite que vous auriez été libéré quelques heures plus tard par un autre détenu sur place, alors que les miliciens auraient rapidement quitté les lieux, sans néanmoins être à même de fournir de plus amples indications sur le déroulement exact de cette rocambolesque fuite.

Vous précisez ensuite que vous auriez été hospitalisé pendant 2 mois et que votre belle-mère vous aurait fait parvenir une lettre exigeant que vous divorciez votre épouse. Vous auriez dès lors décidé de déménager à … en 2005 et vous auriez loué un appartement pour y séjourner avec votre épouse. Vous indiquez que vous auriez vécu en paix jusque fin 2006.

Début 2007 vous auriez reçu une convocation pour vous présenter auprès du bureau de l’« … » à …. Vous auriez revu un officier qui serait une ancienne connaissance et qui vous en 3 voudrait à cause d’un incident survenu en 1994. Vous avancez que cet individu aurait raconté partout à … que vous seriez un ancien membre du parti ….

Vous auriez dès lors quitté l’Irak une nouvelle fois en 2007 pour retourner en Turquie et vous y seriez resté jusqu’en 2014.

En 2014 votre mère serait tombée malade et vous seriez encore une fois retourné à …. Vous auriez appris que l’officier en question vous rechercherait toujours, vous seriez donc retourné en Turquie 2 mois plus tard et vous y auriez séjourné jusqu’en 2017.

En 2017 vous seriez retourné une troisième fois à … parce que votre mère aurait été hospitalisée. Dès l’obtention de votre passeport vous auriez quitté l’Irak une dernière fois le 1er août 2017 afin de vous rendre en Europe.

Vous présentez votre carte d’identité irakienne.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Il y a lieu de préciser que conformément à l’article 2 de la Loi de 2015 seuls les faits respectivement craintes exprimées en relation avec votre pays d’origine seront analysés. Ainsi les faits qui se sont déroulés en dehors de l’Irak respectivement qui sont dépourvus de liens avec votre pays d’origine ne sont pas pris en considération.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

4 Monsieur, vous mentionnez un incident survenu en 2005 à … lors duquel vous auriez été enlevé par des personnes non autrement identifiées dont vous supposez qu’elles seraient affiliées à la milice « … ». Dans ce contexte vous expliquez : « Ich war draußen im Stadtzentrum (…). Es war nachmittags. Plötzlich hat ein Pick-Up neben mir angehalten. Vier Personen sind aus dem Pick-Up ausgestiegen. Ohne ein Wort auszusprechen, haben sie mich festgenommen und haben mich ins Pick-Up gezerrt. » (p.10/17 du rapport d’entretien).

Force est donc de constater qu’il ressort clairement de votre récit que vous ne connaissiez pas l’identité des auteurs et donc a fortiori vous ignorez également les motifs qui les auraient conduits à vous enlever. Il s’agit dès lors d’un fait isolé commis par des personnes inconnues il y a plus de 15 ans.

Ce fait remonte à 2005 et il est ainsi beaucoup trop éloigné dans le temps pour justifier l’octroi d’une protection internationale en 2020. De plus, il ressort clairement de votre récit qu’aucun incident semblable n’est survenu depuis cette date, en dépit de vos allers-retours réguliers en Irak et vos séjours de plusieurs mois, respectivement années dans votre pays d’origine sans recevoir une menace ou encourir un incident quelconque.

Vous indiquez craindre des représailles de la milice « … », pour avoir été membre du parti …. Vos craintes étant liées à vos opinions politiques, elles entrent dans le champ d’application de la Convention de Genève. Or, au vu de ce qui précède, force est de constater que les faits dont vous faites état ne sont pas d’une gravité suffisante pour être qualité de persécution au sens des prédits textes car vos craintes sont à ce jour purement hypothétiques.

Ajoutons qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale.

Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, vous indiquez n’avoir à aucun moment saisi la police de sorte qu’aucun reproche ne saurait donc être formulé à l’égard des autorités qui n’auraient jamais été mises en mesure d’exécuter leur mission.

Ensuite vous indiquez également craindre depuis 2007 des représailles de la part d’un dénommé …, membre de l’« … » alors qu’un incident serait survenu entre vous deux en 1994.

Monsieur, il importe de préciser que ce fait n’est pas motivé par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

A cet égard, vous expliquez : « Als ich in sein Büro reinging, hat er sofort angefangen mich zu beschimpfen und zu beleidigen. Ich fragte ihn was das sollte. Er antwortete: „Du bist unser Feind.“ Nachdem er sich mit seinem Namen … vorstellte, habe ich mich sofort an den damaligen Vorfall erinnert. » (p.12/17 du rapport d’entretien).

5 Vous admettez qu’il vous aurait connu depuis des décennies et qu’il entretiendrait une certaine animosité envers vous depuis 1994. Il ressort donc avec évidence que votre souci avec cet individu est uniquement basé sur un conflit d’ordre purement privé ne répondant à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et par la Loi de 2015.

A cela s’ajoute que vous n’auriez personnellement perçu aucune menace de la part de cet individu en question et qu’aucun incident ne serait survenu. Vous mentionnez uniquement qu’il vous aurait interrogé et qu’il aurait partout raconté que vous seriez un ancien membre du …. Il échet dès lors de conclure que ce fait ne présenterait, même s’il rentrait dans le champ d’application de la Convention, pas un degré de gravité suffisant permettant de le qualifier d’acte de persécution au sens des prédits textes.

Quand bien même les faits seraient liés à un des critères de fond et seraient d’une gravité suffisante, notons qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale.

Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, rappelons que vous indiquez n’avoir à aucun moment saisi les autorités irakienne.

Au vu des constats susmentionnés, il ressort avec évidence que vos prétendues craintes traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité alors que vous avez concédé avoir effectué plusieurs allers-retours entre la Turquie et l’Irak de 2004 à 2017 lors desquels vous auriez vécu de votre propre gré dans votre pays d’origine pendant plusieurs mois, respectivement des années.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de 6 ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

En effet, vous laissez entendre une crainte par rapport à la milice « … » pour avoir été membre du parti … à l’époque de Saddam et vous indiquez également craindre des représailles d’un dénommé …, membre de l’« … », à cause d’un incident survenu entre vous deux en 1994.

Au vu des constats susmentionnés, il appert que vos motifs traduisent tout au plus un sentiment général d’insécurité, or un sentiment général d’insécurité ne justifie pas l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

De plus, rappelons que vous n’auriez pas porté plainte ou demandé une protection auprès des autorités de votre pays d’origine de sorte qu’aucun reproche ne peut être fait aux forces de l’ordre irakiennes.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément crédible de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d’Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 6 janvier 2020 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 6 janvier 2020 portant refus d’une protection internationale 7 Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 6 janvier 2020, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations actées lors de ses auditions par un agent du ministère.

En droit, il conclut en premier lieu à une violation des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 1er, section A2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », sinon à une erreur manifeste d’appréciation des faits, en ce que ce serait à tort que le ministre aurait refusé de lui accorder le statut de réfugié.

A cet égard, il soutient qu’il serait confronté à une menace réelle de la part de ses persécuteurs, à savoir, d’une part, la milice « … » et, d’autre part, le dénommé « … », officier qui serait toujours à sa recherche, le demandeur soulignant que lesdits persécuteurs pourraient agir impunément, étant donné qu’il ne pourrait accéder à une protection étatique appropriée.

Quant aux difficultés qu’il aurait rencontrées avec le dénommé « … », le demandeur conteste l’argumentation du ministre selon laquelle ces dernières s’inscriraient dans le cadre d’un conflit purement privé ne répondant à aucun des critères de fond prévus par la Convention de Genève et la loi du 18 décembre 2015. A cet égard, il soutient que bien qu’il s’agirait d’une connaissance ancienne et que l’individu en question pourrait éprouver une certaine animosité à son encontre, cette même personne serait un officier, qui serait toujours actif au sein des forces irakiennes et qui agirait, non pas en son nom personnel, mais au nom de l’Etat irakien. En effet, la convocation qu’il aurait reçue lui aurait été adressée par les autorités irakiennes, et non pas pour une affaire privée par l’officier « … », qui serait un représentant de l’autorité publique et qui pourrait agir comme bon lui semblerait.

Après avoir souligné que ces éléments seraient « (…) des éléments d’aggravation de [sa] situation (…) face à son refus de recrutement et sa résistance au régime que ces derniers [voudraient] mettre en place (…) », le demandeur souligne être victime de discriminations dans son pays d’origine, étant donné qu’il serait sunnite, tandis que les autorités irakiennes seraient chiites. De ce fait, il ne pourrait avoir confiance en ces dernières, de sorte qu’il ne saurait leur réclamer une quelconque protection.

Au vu des faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale, il craindrait avec raison de subir des actes de persécution en Irak du fait de sa religion, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques.

Le demandeur expose ensuite la situation sécuritaire régnant en Irak, en se prévalant d’un 8 rapport d’Amnesty International du 24 février 2016, intitulé « Amnesty International Report 2015/2016 – Iraq », d’un rapport de la même organisation internationale intitulé « Irak 2016/2017 » et d’un rapport du « Finnish Immigration Service » du 29 avril 2015, intitulé « Security Situation in Baghdad – the Shia Militias », faisant état, notamment, d’exactions commises par les forces irakiennes et les milices paramilitaires, dans le cadre du conflit armé ayant sévi en Irak, ainsi que de défaillances du système judiciaire et policier irakien, et, plus particulièrement, de difficultés rencontrées par des Irakiens sunnites pour s’adresser à la police, en raison de l’appartenance de la majorité des policiers à la confession chiite, voire de la présence de miliciens chiites à certains commissariats de police. Monsieur … en déduit qu’il ne pourrait obtenir une protection étatique adéquate dans son pays d’origine, du fait d’être de confession sunnite, à l’instar de ses persécuteurs, qui seraient des membres de « … ». Il ajoute qu’en plus d’être persécuté par ces derniers, il risquerait lui-même d’être considéré par les autorités de son pays d’origine comme étant un terroriste de « … ».

Monsieur … insiste sur le fait que la situation actuelle dans son pays d’origine serait celle d’un conflit armé marqué par des attentats à la bombe à un rythme hebdomadaire à … et à divers autres endroits du pays, en citant, à cet égard, des extraits de divers articles de presse, sans cependant les verser en cause ou en fournir les liens internet, à savoir, un article publié le 15 janvier 2018 sur le site internet du journal « Le Monde », intitulé « Irak : un double attentat-suicide fait plus de trente morts à … », un article de « International » du 12 mai 2018, intitulé « Irak : trois morts dans une explosion au sud de … le jour des législatives », un article intitulé « Un ciel rouge après l’explosion d’une bombe IEM en Syrie et en Irak », publié le 11 mai 2018, un article de « … » du 12 mai 2018, intitulé « Au moins 10 morts et 14 blessés dans des explosions à des funérailles en Irak » et un article publié le 25 mars 2018, intitulé « Irak : 6 civils blessés dans une série d’explosions à … ».

Par ailleurs, il souligne qu’en tant que citoyen défendant ses droits, sous la menace directe des membres de « … » encore actifs en Irak, il risquerait sa vie en cas de retour dans son pays d’origine.

Les menaces de mort qui auraient été proférées à son encontre par les membres encore actifs de « … » seraient d’une gravité suffisante au regard des dispositions de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et tomberaient dans le champ d’application de l’article 42 (2) de la même loi. Ces actes auraient été motivés par des considérations politiques et religieuses. Dans ce contexte, le demandeur soutient, d’une part, que le fait, pour lui, d’être de confession musulmane sunnite serait considéré par les autorités de son pays d’origine comme étant l’expression d’une conviction politique et religieuse, voire de son opposition politique face au régime en place et, d’autre part, qu’en tant que Sunnite, son refus d’intégrer les rangs de « … » serait perçu par les membres de cette milice comme l’expression de son opposition politique et religieuse.

A l’appui de sa demande tendant à l’octroi de la protection subsidiaire, le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs que ceux invoqués à l’appui de sa demande tendant à l’obtention du statut de réfugié, tout en insistant sur le fait qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, plus particulièrement à des actes de harcèlement, des discriminations et des traitements inhumains, 9 voire la mort.

Par ailleurs, le demandeur conteste toute possibilité de fuite interne dans son chef et fait valoir qu’il n’existerait, en l’espèce, aucune « bonne raison », au sens de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de penser que les atteintes graves qu’il aurait subies dans son pays d’origine ne se reproduiraient pas, en cas de retour en Irak.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » 10 et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la 11 personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

A titre liminaire, le tribunal constate que dans sa requête introductive d’instance, le demandeur fait état de menaces proférées à son encontre par des membres de « … » pour avoir refusé d’intégrer les rangs de cette milice, ainsi que d’un risque, dans son chef, d’être faussement considéré par les autorités irakiennes comme étant lui-même un membre de « … ».

Or, dans le cadre de ses auditions par un agent ministériel, le demandeur n’a, à aucun moment, fait état de quelconques problèmes rencontrés avec « … » ou avec les autorités irakiennes en raison de ses liens supposés avec cette milice. Dès lors, et dans la mesure où la requête introductive d’instance contient à plusieurs reprises le nom d’un autre demandeur de protection internationale, à savoir un dénommé « … », le tribunal conclut que ces développements relatifs à « … » sont manifestement le fruit d’une erreur matérielle et ne reflètent pas le vécu personnel du 12 demandeur, de sorte à ne pas être de nature à justifier l’octroi, à Monsieur …, d’un statut de protection internationale.

Quant aux faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale et s’agissant d’abord de l’enlèvement suivi d’actes de torture dont le demandeur déclare avoir fait l’objet en 2005 de la part de membres de la milice « … » en raison de sa qualité d’ancien membre du parti « … » (alternativement orthographié « …»), le tribunal constate, en premier lieu et en ce qui concerne l’argumentation ministérielle selon laquelle l’identité des ravisseurs du demandeur serait restée inconnue, que Monsieur … a expliqué de manière plausible avoir pu identifier ces derniers comme appartenant à la milice « … », à l’aide de leur tenue vestimentaire.1 Cependant, si le demandeur soutient que cette milice aurait, à l’époque, persécuté les anciens membres du parti « …» en les identifiant comme tels à l’aide de listes de membres de ce parti et d’espions, il ressort néanmoins des propres déclarations de Monsieur … qu’il ignore les motifs exacts gisant à la base de son enlèvement et de ses suites, mais qu’il suppose que ces faits auraient été liés à son appartenance à l’ethnie kurde, à sa qualité d’ancien membre du parti « …» et au fait qu’en tant que Kurde, il serait marié à une femme arabe.2 A défaut d’éléments concrets corroborant cette simple supposition du demandeur, le tribunal conclut que le lien allégué entre les faits sous analyse et la qualité du demandeur d’ancien membre du parti « …», respectivement son appartenance ethnique, n’est pas établi à suffisance de droit et que, de manière plus générale, les motifs se trouvant à la base de ces faits restent inconnus, de sorte que les faits en question ne sont de nature à établir l’existence, dans le chef du demandeur, ni d’une crainte fondée d’être persécuté, ni d’un risque réel de subir des atteintes graves, en cas de retour en Irak.

A titre superfétatoire, même à supposer que les agissements susmentionnés de la milice « … » auraient été motivés par la qualité du demandeur d’ancien membre du parti « …», ces événements seraient à considérer comme s’inscrivant dans le contexte historique particulier de la « … » de 2003 à 2007, dans le cadre de laquelle, suite à la chute du régime de Saddam Hussein, les anciens membres du parti « …» ont souvent été victimes de menaces, d’agressions, d’enlèvements et de meurtres de la part d’auteurs non identifiés appartenant aux forces de l’ordre locales, aux milices chiites, aux familles victimes de la dictature, à des groupes criminels pratiquant le chantage et la demande de rançon, ou encore à des groupes insurgés clandestins les considérant comme « traîtres » ou « transfuges », ainsi que cela ressort du rapport de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (« OFPRA ») du 29 janvier 2016, intitulé « Situation des anciens membres du parti …en Irak », tel que versé par le demandeur.3 Dès lors, et dans la mesure où, d’une part, il ne se dégage d’aucun élément produit en cause qu’à l’heure actuelle, les anciens membres du parti « …» courraient, de manière générale et indépendamment de leur situation personnelle, un risque réel de subir des actes de persécution ou des atteintes graves, notamment de la part de la milice « … », et, d’autre part, le demandeur n’a depuis lors plus rencontré le moindre problème avec cette milice, le tribunal conclut que même à admettre qu’ils aient été liés à la qualité de Monsieur … d’ancien membre du susdit parti, les événements sous analyse, survenus en 2005, soit il y a plus 1 Page 10 du rapport d’audition : « (…) nachdem meine Augen geöffnet wurden, sah ich ihre grünen Stirnbänder auf denen in weißer Schrift « Badr Brigade » draufstand (…) ».

2 Ibid..

3 OFPRA, « Situation des anciens membres du parti … en Irak », 29 janvier 2016, p. 4 et 5.

13 de 15 ans, ne sont, malgré leur gravité, pas de nature à justifier l’octroi, à Monsieur …, d’un statut de protection internationale.

Si Monsieur … a encore déclaré qu’au cours de son hospitalisation ayant suivi son enlèvement, sa belle-mère aurait reçu une prétendue lettre de menace de la part de la milice « … », par le biais de laquelle les miliciens auraient essayé de le contraindre à divorcer, le tribunal constate que l’existence de cette lettre, de même que l’identité alléguée de ses auteurs ne sont pas établies à suffisance de droit, étant donné que Monsieur … a expressément déclaré qu’il n’a jamais personnellement vu ladite lettre et qu’il soupçonne sa belle-mère de l’avoir elle-même rédigée, après avoir été informée de l’enlèvement du demandeur, afin de ne pas voir sa fille et sa famille impliquées dans les problèmes de ce dernier avec les miliciens.4 Dans ces circonstances, le récit du demandeur ayant trait à la susdite lettre de menace n’est de nature ni à ébranler la conclusion, dégagée ci-avant, selon laquelle l’enlèvement du demandeur par la milice « … » ne justifie pas l’octroi d’un statut de protection internationale, ni à établir, à son tour, l’existence, dans le chef du demandeur, d’un risque réel de subir des actes de persécution ou des atteintes graves, en cas de retour en Irak.

Quant aux craintes du demandeur en relation avec le dénommé « … », le tribunal constate qu’il est certes exact que c’était en sa qualité d’officier de l’« … » à … que ce dernier a interrogé Monsieur … en 2007, tel que souligné par le demandeur dans sa requête introductive d’instance. Il n’en reste pas moins qu’il se dégage du récit de Monsieur … qu’à cette occasion, cette personne l’a insulté et traité d’ennemi, au motif que, selon elle, le demandeur serait responsable d’une arrestation dont elle aurait fait l’objet en 1994, lorsqu’elle aurait travaillé en tant que serveur de thé pour le cousin de Saddam Hussein.5 Le tribunal en déduit que c’est à juste titre que la partie étatique soutient que les difficultés rencontrées par Monsieur … avec le dénommé « … » s’inscrivent dans le cadre d’un conflit privé.

En tout état de cause, le fait, pour le dénommé « … » d’avoir insulté le demandeur, de l’avoir traité d’ennemi et d’avoir, par la suite, partout raconté à … que Monsieur … serait un ancien membre du parti « …» d’ethnie kurde ayant travaillé au sein du palais présidentiel et ayant exercé des activités contre les Kurdes n’est pas d’une gravité suffisante au regard des dispositions des articles 42 (1) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, étant rappelé, dans ce contexte, qu’il n’est pas établi en cause qu’à l’heure actuelle, les anciens membres du parti « …» risqueraient, de manière générale et indépendamment de leur situation personnelle, d’être victimes d’actes de persécution ou d’atteintes graves.

Si le demandeur a encore expliqué que le dénommé « … » aurait toujours été à sa recherche en 2014, étant donné qu’un inconnu ayant été approché par des amis de son frère dans la rue où se trouverait le domicile familial de Monsieur … aurait affirmé être un membre de l’« … » à la recherche d’une personne non autrement identifiée, le tribunal constate que la conclusion tirée par 4 Rapport d’audition, p. 11 et 12.

5 Ibid., p. 8 : « (…) Er erwiderte mir : « Wir sind Feinde. » (…) Ich fragte aus welchem Grund wir Feinde seien. Er antwortete mir, dass er der ehemalige Teediener von … (…s Cousin) gewesen ist. (…) Er erwähnte: « Wegen dir wurde ich damals festgenommen » (…) ».

14 le demandeur selon laquelle il serait lui-même la personne ainsi recherchée équivaut à une simple supposition de sa part, à défaut d’être corroborée par d’autres éléments.

Eu égard aux considérations qui précèdent et dans la mesure où, depuis 2007, les agissements du dénommé « … », tels qu’invoqués par le demandeur, n’ont été suivis ni d’un quelconque acte de violence, ni de menaces concrètes, le cas échéant proférées à l’égard de Monsieur … à travers des membres de sa famille résidant toujours en Irak, le tribunal est amené à conclure que la crainte du demandeur de subir des actes de persécution ou des atteintes graves de la part de cette personne est trop hypothétique pour justifier l’octroi d’un statut de protection internationale.

Quant aux discriminations dont le demandeur prétend, aux termes de la requête introductive d’instance, être victime dans son pays d’origine en raison de son appartenance à la confession musulmane sunnite, force est de constater qu’à cet égard, Monsieur … n’a pas fait état d’un incident concret – que ce soit au cours de ses auditions ou dans sa requête. Dans ces circonstances et dans la mesure où il ne se dégage, par ailleurs, pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal qu’en Irak, tous les Sunnites courraient, indépendamment de leur situation personnelle, un risque réel de subir des actes d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution ou d’atteintes graves, la référence, faite par le demandeur, aux susdites discriminations n’est pas non plus de nature à justifier l’octroi, à Monsieur …, d’un statut de protection internationale.

Par ailleurs, pour autant qu’à travers son argumentation selon laquelle la situation actuelle dans son pays d’origine serait celle d’un conflit armé marqué par des attentats à la bombe à un rythme hebdomadaire à … et à divers autres endroits du pays, le demandeur ait entendu se prévaloir des dispositions de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, afin de se voir accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, le tribunal relève que la Cour administrative a retenu dans son arrêt du 27 mars 2018 portant le numéro 40740C du rôle6 que si la situation de sécurité était et restait dangereuse et précaire dans différentes parties de l’Irak, et en particulier dans la ville de …, étant donné que les incidents violents continuaient d’être nombreux et largement répandus, il n’y avait néanmoins pas lieu de conclure que la simple présence d’un individu à … l’exposerait ipso facto, avec un certain degré de probabilité, à des menaces individuelles graves, la Cour ayant conclu que le seul fait d’être originaire de l’Irak, plus particulièrement, de …, ville dont le demandeur ne provient pas, n’est pas un élément justifiant à lui seul et automatiquement l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire. Cette position a encore été confirmée par un arrêt de la Cour administrative du 11 juin 2019 portant le numéro 42665C du rôle7. Etant donné que le demandeur reste en défaut de rapporter des éléments probants de nature à renverser la conclusion à laquelle la Cour administrative est ainsi arrivée, il ne saurait prétendre à l’octroi de la protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que l’argumentation sous analyse encourt le rejet.

6 Disponible sur www.jurad.etat.lu.

7 Idem.

15 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre a valablement pu être introduit en l’espèce, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Le demandeur sollicite en premier lieu la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale, en soulignant qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à un risque réel de subir des atteintes graves, au sens des articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Monsieur … dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

En outre, le demandeur fait plaider que l’ordre de quitter le territoire violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ainsi que l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».

Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ces moyens.

Il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 de la loi du 29 août 2008 – qui est applicable à la décision de retour découlant d’une décision de rejet d’une demande de protection internationale, conformément à l’article 34 (2), alinéa 3 de la loi du 18 16 décembre 2015 –, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement – telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Irak, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH,8 le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que les moyens tirés d’une violation dudit article 3 de la CEDH et de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourent le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

8 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, pt. 59.

17 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 6 janvier 2020 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 6 janvier 2020 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Hélène Steichen, premier juge, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 18 janvier 2021 par le premier juge Hélène Steichen, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 janvier 2021 Le greffier du tribunal administratif 18


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44060
Date de la décision : 18/01/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-01-18;44060 ?

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