La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/01/2021 | LUXEMBOURG | N°45502

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 janvier 2021, 45502


Tribunal administratif N° 45502 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2021 Audience publique du 15 janvier 2021 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)

__________________________________________________________________________


ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45502 du rôle et déposée le 12 janvier 2021 au greffe du tribunal administratif Maître

Françoise NSAN NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb...

Tribunal administratif N° 45502 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 janvier 2021 Audience publique du 15 janvier 2021 Requête en institution d’une mesure provisoire introduite par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)

__________________________________________________________________________

ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45502 du rôle et déposée le 12 janvier 2021 au greffe du tribunal administratif Maître Françoise NSAN NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à voir ordonner une mesure provisoire, consistant en l’institution d’une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 décembre 2020 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la France, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, un recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 29 décembre 2020, inscrit sous le numéro 45501, introduit le même jour, étant pendant devant le tribunal administratif ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée au fond ;

Maître Françoise NSAN NWET et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST entendues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

___________________________________________________________________________

Le 26 octobre 2020, Monsieur …, de nationalité camerounaise, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Le même jour, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale de la circonscription régionale SPJ, unité de la criminalité organisée et de la police des étrangers, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion que l’intéressé avait précédemment introduit deux demandes de protection internationale, à savoir en Allemagne en date du 4 décembre 2017 et en France en date du 30 janvier 2019.

Le 27 octobre 2020, il passa encore un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».

Par décision du 6 novembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile notifia à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Par décision du 29 décembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa l’intéressé que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il serait transféré vers la France, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, la décision étant libellée comme suit :

«Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 26 octobre 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »), En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 26 octobre 2020 et le rapport d’entretien Dublin sur votre demande de protection internationale du 27 octobre 2020.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 26 octobre 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment Introduit deux demandes de protection internationale, dont une en Allemagne en date du 4 décembre 2017 et une en France en date du 30 janvier 2019.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 27 octobre 2020.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 30 octobre 2020 une demande de reprise en charge aux autorités allemandes sur base de l’article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut refusée par lesdites autorités allemandes en daté du 3 novembre 2020 au motif que les autorités françaises leur avalent déjà adressé une demande de reprise en charge qu’elles avaient accepté, mais que les autorités françaises auraient échoué à vous transférer dans le délai prévu par le règlement DIII. Par conséquent, la France serait responsable pour le traitement de votre demande de protection internationale. La Direction de l’immigration a alors adressé en date du 4 novembre 2020 une demande de reprise en charge aux autorités françaises sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 13 novembre 2020.

2.

Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer [‘Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection Internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a, présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3.

Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 26 octobre 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment introduit deux demandes de protection internationale, dont une en Allemagne, en date du 4 décembre 2017 et une en France en date du 30 janvier 2019.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Cameroun entre juin et juillet 2016 en direction du Nigéria. Après quinze jours, vous auriez pris un avion en direction de la Serbie où vous auriez emprunté la route des Balkans en direction de l’Allemagne. Vous y avez introduit une demande de protection internationale qui aurait été rejetée. Vous auriez fait recours contre cette décision des autorités allemandes, mais sans succès. Vous auriez donc quitté l’Allemagne pour introduire une nouvelle demande de protection internationale en France. Comme les autorités françaises auraient considéré que l’Allemagne serait responsable pour le traitement de votre demande de protection internationale, votre demande de protection internationale en France aurait été rejetée. Vous auriez vécu pendant deux années en situation irrégulière à … et à … avant de venir au Luxembourg en date du 23 octobre 2020.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 27 octobre 2020, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France, qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 23 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, Il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence la France. Vous ne faites valoir aucun indice que la France ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les ‘juridictions françaises, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la France, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n’ont pas été constatées.

4.

Quant aux voies de recours Contre la présente décision, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif en application de l’article 35(3) de la loi du 18 décembre 2015. Le recours doit être introduit moyennant requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le jugement du tribunal administratif n’est pas susceptible d’appel.

Le recours prévu à l’article 35(3), n’a pas d’effet suspensif. Une requête en référé signée d’un avocat à la Cour peut être déposée devant le président du tribunal administratif afin d’obtenir le sursis à l’exécution ou une mesure de sauvegarde. La décision du ministre n’est pas exécutée tant que l’ordonnance de référé n’a pas été prononcée. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2021, inscrite sous le numéro 45501 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 29 décembre 2020. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 45502 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à l’autoriser à résider au Grand-Duché de Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.

A l’appui de son recours en obtention d’une mesure provisoire, Monsieur … relate avoir dû fuir son pays d’origine, le Cameroun en raison des brimades et des persécutions violentes dont il y aurait fait l’objet en raison de son homosexualité.

Il reproche au ministre d’avoir décidé de le transférer en France en raison de l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en France, le requérant soutenant, en substance, qu’en raison d’un nombre significatif de demandeurs d’asile, ceux-ci seraient privés d’hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d’insalubrité ou de violence. A cet égard, le requérant renvoie à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 2 juillet 2020 « N. H. et autres c. France », n° 28820/13, qui aurait condamné la France pour violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », ainsi qu’à diverses publications de l’« European Council on Refugees and Exilees » (ECRE) dénonçant la situation de demandeurs d’asile, contraints de dormir à la rue, notamment en région parisienne, le requérant relevant enfin que des organisations non gouvernementales dénonceraient un recours croissant et inédit en Europe à la détention.

Le requérant en conclut qu’il ne serait plus possible dans ces conditions, de maintenir la présomption de respect par la France des droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale faisant l’objet d’un transfert en vertu du règlement Dublin III, de sorte que les défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil en France entraîneraient bien dans son chef « un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte » au sens de l’article 3(2), 2e alinéa du règlement Dublin III, le requérant estimant que son transfert en France l’exposerait à des violations de ses droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par les articles 4 de de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ci-après désignée par « la Charte » et 3 de la CEDH.

Il s’empare dès lors de l’article 3(2), 2e alinéa du règlement Dublin III pour soutenir qu’il serait impossible de le transférer vers la France.

Le requérant soutient encore que l’exécution de la décision attaquée risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif ; à ce titre, après avoir relevé l’importance fondamentale que la doctrine et la jurisprudence attacheraient à la dignité humaine, il affirme que le fait pour un demandeur de protection internationale tel que lui de se retrouver laissé à la rue, sans aucune garantie quant à la satisfaction de ses besoins les plus élémentaires (eau, nourriture, accès à des sanitaires) constituerait une atteinte grave à sa dignité, constitutive en soi d’un préjudice grave et définitif. Or, il s’agirait du scénario le plus probable s’il venait à être transféré vers la France.

Le délégué du gouvernement pour sa part conclut au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.

En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.

Sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la même loi, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours.

Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde.

L’institution d’une mesure provisoire devant rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’affaire au fond relative à la décision déférée ayant été introduite le 12 janvier 2021, elle devra être prononcée conformément à l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », endéans 2 mois de l’introduction de la requête - la date des plaidoiries étant d’ailleurs fixée au 24 février 2021 -, de sorte qu’elle doit être considérée comme pouvant être plaidée à relativement brève échéance.

Le soussigné constate ensuite qu’en l’espèce, la décision litigieuse semble avoir été prise par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et de l’article 18, paragraphe 1b) du règlement Dublin III, au motif que le Luxembourg ne serait pas compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par le requérant, mais la France, la France ayant d’ailleurs accepté en date du 13 novembre 2020 la reprise en charge de l’intéressé sur base de l’article 18, paragraphe b) du règlement Dublin III, disposition qui vise le cas d’un demandeur « dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Or, à cet égard, le requérant reste en défaut de prouver en quoi la décision de transfert vers la France risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif.

En effet, en ce qui concerne la matière plus particulièrement sous analyse, ce ne serait que lorsqu’un demandeur d’asile produit des éléments objectifs de nature à démontrer la gravité particulière de son état et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, que les autorités de l’Etat membre concerné, y compris ses juridictions, doivent tenir compte de ces éléments, ces autorités étant alors tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci.

En effet, il se dégage de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne1 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), 2e alinéa, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de cette jurisprudence, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine2. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant3.

Il convient ensuite de relever qu’il résulte de la jurisprudence des juges du fond que comme le système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au requérant de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées.

Enfin, la France respecte a priori - le requérant ne fournissant aucun indice tangible permettant au soussigné d’en douter - en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions les droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que plus particulièrement le respect du principe de non-

refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Le soussigné relève d’ailleurs que les juges du fond sont parvenus tout récemment à la même conclusion4.

Cette conclusion n’est énervée par la référence faite à un arrêt déterminé de la CourEDH. En effet, si la CourEDH a certes condamné la France, cela l’a été dans un contexte particulier, à savoir le retard dans l’enregistrement de demandes de protection internationale de primo-arrivants en 2013 et 2014, les empêchant ainsi de bénéficier des droits liés au statut de demandeur de protection internationale pendant de nombreux mois. Or, Monsieur … n’a pas établi qu’il risquerait d’être exposé à une telle pratique en cas de transfert en France, et ce d’autant plus qu’il y a pu faire enregistrer une demande de protection internationale, de sorte que sa situation est différente de celle dans laquelle se trouvaient les migrants dans l’affaire toisée par la CourEDH, dans la mesure où il ne sera pas considéré comme un primo-arrivant 1 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, point 91 2 Ibidem., point 92.

3 Ibidem., point 93.

4 Trib.adm. 30 novembre 2020, n° 45070 ; trib. adm. 17 décembre 2020, n° 45145.

entrant de manière illégale en France, d’autant plus que les autorités françaises ont enregistré sa demande de protection internationale, encore qu’il en ait été débouté, et ont explicitement accepté la reprise en charge de l’intéressé.

Les documents produits par le requérant à l’appui de son argumentation ne laissent pas non plus transparaître un risque de préjudice grave et définitif dans son chef. Si ces documents font certes état de difficultés au niveau de la procédure de demande de protection internationale en France, notamment en ce qui concerne l’enregistrement des demandes, l’hébergement et l’accès aux soins des migrants, ces problématiques tournent essentiellement autour du primo-

accueil des migrants en 2016, 2017 et 2018 et sont étrangères à la situation concrète de prise en charge du requérant, qui laisse d’établir qu’il se trouverait dans une situation comparable, les autorités françaises, comme relevé ci-dessus, ayant enregistré sa demande de protection internationale et ayant explicitement accepté de le reprendre en charge.

Dès lors, si des problèmes affectant le système d’accueil français en raison du nombre important de demandeurs de protection internationale sont certes décelables au vu des pièces versées en cause, il n’apparaît toutefois pas que la procédure de demande d’asile ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale soient affectées en France par des défaillances systémiques au sens de la jurisprudence et en particulier de l’arrêt de la CJUE du 19 mars 2019, cité ci-avant, à savoir que ces conditions l’exposeraient, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humain.

Si le requérant devait estimer que le système d’aide français serait à tel point déficient, dans la mesure où il serait inaccessible aux migrants et demandeurs de protection internationale qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates : dans ce contexte, il est d’ailleurs relevé que l’arrêt du 2 juillet 2020 de la CourEDH condamnant la France sous le couvert de l’article 3 CEDH est de nature à démontrer que les demandeurs de protection internationale détiennent des voies de recours en France, tant nationales qu’internationales, contre les violations dont ils peuvent être victimes5. Il en va de même si le requérant devait estimer que le système français ne serait pas conforme aux normes européennes : dans ce cas, il appartiendrait au requérant de faire valoir ses droits sur base de la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (« directive Procédure ») ainsi que la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« directive Accueil ») directement auprès des autorités françaises.

Enfin, la référence au recours en France de manière importante à des mesures de détention n’est pas non plus pertinent en l’espèce pour établir un risque de préjudice grave et définitif : en effet, non seulement la mise en détention administrative du requérant en France demeure à ce jour totalement hypothétique, mais le requérant dispose là encore de voies de 5 Trib. adm. 30 novembre 2020, n° 45070.

recours en France permettant, le cas échéant, de soumettre pareille mesure à un contrôle judiciaire.

Etant donné que l’une des conditions cumulatives pour prononcer un sursis à exécution, en l’occurrence la condition de l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, n’est pas remplie en l’espèce, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire ;

condamne le requérant aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 janvier 2021 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence de Xavier Drebenstedt, greffier en chef.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 janvier 2021 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45502
Date de la décision : 15/01/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 16/01/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-01-15;45502 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award