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13/01/2021 | LUXEMBOURG | N°44095

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 janvier 2021, 44095


Tribunal administratif N° 44095 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2020 3e chambre Audience publique du 13 janvier 2021 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44095 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 février 2020 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l

’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Maroc), de nationalité maroc...

Tribunal administratif N° 44095 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2020 3e chambre Audience publique du 13 janvier 2021 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44095 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 février 2020 par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Maroc), de nationalité marocaine, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 novembre 2019 déclarant son séjour sur le territoire luxembourgeois irrégulier et lui ordonnant de quitter le territoire sans délai ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2020 ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu la communication de Maître Jean-Georges GREMLING du 27 octobre 2020 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 octobre 2020.

Il ressort d’un rapport de la Police Grand-Ducale, Région Nord, …, n° … du …, qu’en date du même jour, Monsieur … fut contrôlé par la police dans une maison abandonnée à …, lors duquel il déclara séjourner au Luxembourg depuis novembre 2018 et bénéficier du statut de réfugié en Grèce conformément à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres également le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », déclara le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois irrégulier et lui ordonna de quitter le territoire sans délai. Ledit arrêt est motivé comme suit :

« […] Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le rapport no … du … établi par la Police grand-ducale ;

Attendu que l’intéressé ne justifie pas l’objet et les conditions du séjour envisagé ;

Attendu que l’intéressé ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays dans lequel son admission est garantie ;

Attendu que l’intéressé s’est maintenu sur le territoire au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;

Attendu que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ; […] ».

En date du 25 novembre 2019, le ministre pria le Directeur Général de la Police Grand-Ducale de procéder au signalement national de Monsieur … aux fins de découvrir sa résidence, et en cas d’interception, d’en aviser la Police Judiciaire, Section Criminalité organisée - Police des étrangers en vue d’un placement en rétention.

Il ressort d’un rapport de la Police Grand-Ducale, Région Centre-Est, Commissariat …, n° … du … et d’un procès-verbal n° … du … du même commissariat, qu’en date du 25 décembre 2019, Madame … fit appel à la police dans le but de procéder à l’expulsion de Monsieur … de son domicile, lequel déclara à cette occasion résider habituellement auprès de Madame ….

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 février 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 6 novembre 2019.

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Etant donné que dans la présente matière aucune disposition légale n’instaure un recours au fond, et que l’article 113 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, dénommée ci-après la « loi du 29 août 2008 », par renvoi aux articles 109 et 112 de la même loi, prévoit un recours en annulation à l’encontre des décisions du ministre déclarant illégal le séjour d’un ressortissant de pays tiers et lui ordonnant de quitter le territoire, prises sur base de l’article 100 de la même loi, seul un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le tribunal est partant incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. En revanche, il est compétent pour connaître du recours principal en annulation, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur …, tout en admettant ne pas disposer d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, souligne bénéficier cependant du statut de réfugié en Grèce depuis mars 2016 en application de la Convention de Genève.

Il conteste ensuite la motivation de la décision ministérielle suivant laquelle il ne justifierait pas l’objet et les conditions du séjour envisagé et ne justifierait pas de ressources personnelles suffisantes, et avance à cet égard qu’il vivrait chez Madame …, avec laquelle il serait en couple, circonstance qu’il aurait toutefois jugée non approprié de signaler lors du premier contrôle policier le 6 novembre 2019. Il indique encore ne pas pouvoir demeurer de façon officielle chez Madame … pour éviter tout problème avec le propriétaire de l’immeuble, mais qu’ils auraient quand même une existence effective et stable. Il explique à cet égard envisager d’épouser Madame … et s’installer avec elle dans son appartement en cours de construction. Madame … présenterait dès lors toutes les garanties requises en termes de ressources financières afin de l’accueillir et de subvenir à ses besoins, le demandeur indique encore qu’elle serait titulaire d’une pension permettant à deux personnes de vivre décemment et de couvrir les frais liés à son retour éventuel vers son pays d’origine ou tout autre pays.

Le demandeur estime encore que l’ordre de quitter le territoire constituerait une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après la « CEDH », garantissant à tout personne le droit au respect de sa vie privée et familiale. Il donne encore à considérer que sa présence serait particulièrement importante au regard de l’état de santé de Madame …, laquelle souffrirait d’une maladie des yeux entraînant une altération inéluctable de la vue.

Toujours, en ce qui concerne l’ordre de quitter le territoire, le demandeur se basant sur un arrêt1 de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que sur un arrêt2 de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après la « CJUE », suivant lesquels les transferts « Dublin » vers la Grèce seraient incompatibles avec la CEDH en raison des défaillances systémiques dans sa procédure d’asile, et que les demandeurs d’asile courraient un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et sur un communiqué de presse de la Commission européenne du 8 décembre 2016, suivant lequel les transferts des demandeurs d’asile vers la Grèce seraient toujours suspendus, en affirmant être « chassé » en cas de son retour en Grèce Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés, étant précisé que le tribunal ne peut prendre en considération que les éléments se rapportant à la situation de fait telle qu’elle existait au jour de la décision attaquée à laquelle le tribunal doit limiter son analyse dans le cadre du recours en annulation dont il est saisi.

L’article 100 de la loi du 29 août 2008 dispose que :

« (1) Est considéré comme séjour irrégulier sur le territoire donnant lieu à une décision de retour, la présence d’un ressortissant de pays tiers:

1 CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10.

a) qui ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 34;

b) qui se maintient sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire;

c) qui n’est pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail si cette dernière est requise;

d) qui relève de l’article 117. […] ».

Force est au tribunal de constater qu’en son paragraphe (1), points a), b), c) et d), ledit article 100 prévoit des critères alternatifs permettant de conclure au caractère irrégulier du séjour d’un étranger, de sorte qu’il suffit que l’étranger en question tombe dans l’une des hypothèses y visées pour que le ministre puisse déclarer irrégulier son séjour.

Etant donné qu’il est constant en cause pour encore résulter des propres déclarations du demandeur, qu’au moment de la prise de la décision déférée, ce dernier s’est maintenu sur le territoire luxembourgeois au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur ledit territoire tel que prévu par le paragraphe (1), b) de l’article précité, le demandeur ayant, en effet, affirmé séjourner au Luxembourg depuis novembre 2018, et n’était pas non plus en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail tel que prévu par le paragraphe (1), c), le ministre pouvait valablement, sur base de l’article 100, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, déclarer irrégulier le séjour de Monsieur ….

Cette constatation n’est pas remise en cause par les allégations du demandeur, suivant lesquelles il aurait, au moment de la prise de la décision ministérielle, rempli les conditions fixées à l’article 34 de la loi du 29 août 2008, à savoir justifier l’objet et les conditions de son séjour ainsi que des ressources personnelles suffisantes, en raison de sa relation avec Madame …, dans la mesure où, d’un côté, il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que c’était effectivement le cas, le demandeur ayant, au contraire, déclaré lors du contrôlé par la police le 6 novembre 2019 vivre seul depuis sept mois dans une maison abandonnée, et, de l’autre côté, et tel que souligné ci-avant, les critères énoncés à l’article 100, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sont des critères alternatives et non point cumulatives, de sorte qu’un seul critère valablement rempli peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Quant à l’ordre de quitter le territoire litigieux, il y a lieu de relever que l’article 111, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Les décisions de refus visées aux articles 100, 101 et 102, déclarant illégal le séjour d’un étranger, sont assorties d’une obligation de quitter le territoire pour l’étranger qui s’y trouve, comportant l’indication du délai imparti pour quitter volontairement le territoire, ainsi que le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé en cas d’exécution d’office ».

Il suit de cette disposition légale qu’une décision déclarant irrégulier le séjour d’un ressortissant de pays tiers est assortie d’un ordre de quitter le territoire. Dès lors, étant donné que le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré irrégulier le séjour du demandeur sur le territoire luxembourgeois, il a a priori valablement pu prononcer un ordre de quitter le territoire à son égard.

En ce qui concerne le moyen du demandeur tiré d’une violation de l’article 8 de la CEDH, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de cette disposition « 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui », il convient de relever que s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de cette même convention. Dans ce contexte, l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.

Il convient encore de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis. S’il est vrai que sur base dudit article l’existence d’une vie familiale effective et stable, susceptible d’être protégée, peut effectivement constituer un éventuel obstacle à la prise d’une décision de retour, il faut encore que le demandeur puisse invoquer l’existence d’une vie familiale effective et stable que la décision de retour du ministre perturberait de façon disproportionnée.

La question de l’existence ou de la non-existence d’une vie familiale est essentiellement une question de fait qui dépend de l’existence réelle, dans la pratique, de liens personnels étroits.

Or, les rapports entre adultes ne bénéficieront pas nécessairement de la protection de l’article 8 de la CEDH sans que soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux3.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que le demandeur se limite à invoquer l’existence d’une vie familiale au Luxembourg avec Madame …, à laquelle il porterait des soins en raison de son état de santé et laquelle il envisagerait d’épouser.

Face aux contestations de la partie étatique sur ce point, le demandeur est cependant resté en défaut de soumettre au tribunal des documents probants étayant ses affirmations quant à l’existence d’une vie familiale réelle et effective sur le territoire luxembourgeois au moment de la décision ministérielle.

En effet, il se dégage d’un rapport de la Police Grand-Ducale n° … du …, que suite aux informations reçues par des riverains de la commune d’… suivant lesquelles une personne séjournerait souvent dans une maison abandonnée, la police a trouvé le demandeur dans ledit immeuble entouré de deux radiateurs électriques, et que le demandeur a déclaré à cette occasion vivre dans cette maison abandonnée depuis novembre 2018, ne pas avoir de membres de famille au Luxembourg, travailler au noir au Luxembourg et d’être venu au Luxembourg « Weil ich das Land interessant finde ».

3 Trib. adm., 7 juin 2010, n° 26270 du rôle, confirmé par Cour adm., 18 novembre 2010, n° 27084C du rôle, Pas.

adm. 2020, V° Etrangers, n° 479 et les autres références y citées.

S’il ressort certes du rapport de la Police Grand-Ducale n° … du … et d’un procès-

verbal n° … du … que le demandeur est en couple avec Madame …, force est cependant au tribunal de constater que cette seule circonstance est insuffisante pour faire bénéficier le demandeur de la protection de l’article 8 de la CEDH, à défaut de tout autre élément probant de nature à apprécier l’existence et la stabilité de sa relation avec Madame ….

Il s’ensuit que le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la CEDH est à écarter.

En ce qui concerne finalement l’allégation du demandeur, suivant laquelle il serait « chassé » en cas de son retour en Grèce, force est au tribunal de constater que le demandeur a obtenu le statut de réfugié en Grèce, de sorte qu’il n’entre pas dans le champ d’application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « le règlement Dublin III » limité aux demandeurs d’une protection internationale, de sorte que la jurisprudence invoquée par le demandeur ne s’applique pas à son cas.

Dans un souci d’exhaustivité, il échet encore de souligner que les Etats membres de l’Union européenne se sont dotés d’un mécanisme visant à garantir l’application d’un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire sur l’ensemble du territoire européen et que la Commission européenne, chargée de présenter un rapport au moins tous les cinq ans au Parlement européen et au Conseil sur l’application de cette directive par les Etats membres, veille encore à sa bonne application par les Etats membres. Par ailleurs, il convient encore de relever, à cet égard, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, y compris la Grèce, respectent les droits fondamentaux ainsi consacrés, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4.

Dans son arrêt du 19 mars 2019, rendu dans les affaires jointes C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C438/17, la CJUE a retenu que lorsque la juridiction dispose d’éléments produits par le demandeur aux fins d’établir l’existence d’un risque de subir des traitements contraires à l’article 4 de la Charte dans l’État membre ayant déjà accordé la protection internationale, cette juridiction est tenue d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union, la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes. Elle a, à cet égard, souligné que, pour relever de l’article 4 de la Charte, qui correspond à l’article 3 de la CEDH, les défaillances en question doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Elle a encore précisé que ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle 4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant.

Or, en l’espèce, le demandeur reste, en l’espèce, en défaut de démontrer qu’en cas de retour en Grèce, il risque d’encourir un quelconque traitement inhumain ou dégradant au sens des dispositions internationales précitées, respectivement dans le sens retenu par la CJUE, nécessitant des actes devant revêtir un certain seuil de gravité et entraînant des souffrances physiques ou psychologiques intenses. En effet, le demandeur n’a ni lors de son premier contrôle policier en date du 6 novembre 2019 ni à un stade ultérieur déclaré avoir subi des traitements inhumains ou dégradants en Grèce, voire subir de nouveau de tels traitements en cas de retour. Au contraire, il ressort des propres déclarations du demandeur auprès de la police qu’il serait disposé de quitter volontairement le pays5, le demandeur ayant encore déclaré être venu au Luxembourg « Pour trouver du travail, je voulais commencer une nouvelle vie6 ».

Le demandeur n’a ainsi pas rapporté la preuve que, dans son cas précis, ses droits ne seraient pas garantis en cas de retour en Grèce, ni que, de manière générale, les droits des bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Grèce aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités grecques en usant des voies de droit adéquates, étant encore relevé que la Grèce est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censée en appliquer les dispositions.

Le moyen encourt partant le rejet.

Il se dégage des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré irrégulier le séjour du demandeur et qu’il lui a ordonné de quitter le territoire sans délai, étant encore relevé que si le demandeur estime entretemps remplir les conditions légales pour pouvoir bénéficier d’une des autorisations de séjour prévues par la loi du 29 août 2008, il lui incombe de faire la demande afférente auprès du ministre.

Le recours en annulation est dès lors à rejeter, pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

reçoit le recours principal en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 janvier 2021 par :

5 Rapport de la Police Grand-Ducale, Région Nord, …, n° … …, page 2 et Rapport de la Police Grand-Ducale, Région Centre-Est, Commissariat …, n° … du …, page 3.

6 Rapport de la Police Grand-Ducale, Région Centre-Est, Commissariat …, n° … du …, page 2.

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Marc Frantz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 janvier 2021 Le greffier du tribunal administratif 8



Références :

Origine de la décision
Formation : Troisième chambre
Date de la décision : 13/01/2021
Date de l'import : 16/01/2021

Numérotation
Numéro d'arrêt : 44095
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-01-13;44095 ?

Source

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