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08/01/2021 | LUXEMBOURG | N°45349

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 janvier 2021, 45349


Tribunal administratif N° 45349 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2020 Audience publique du 8 janvier 2021 Requête en obtention d’un sursis à exécution introduite par la société X, …, contre des décisions de la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER LUXEMBOURGEOIS (CFL), Luxembourg, en présence de la société Y,…, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45349 du rôle et déposée le 11 décembre 2020 au greff

e du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois NAU...

Tribunal administratif N° 45349 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2020 Audience publique du 8 janvier 2021 Requête en obtention d’un sursis à exécution introduite par la société X, …, contre des décisions de la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER LUXEMBOURGEOIS (CFL), Luxembourg, en présence de la société Y,…, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 45349 du rôle et déposée le 11 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois NAUTADUTILH AVOCATS LUXEMBOURG SARL, inscrite sur la Liste V du Tableau de l’Ordre des Avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1233 Luxembourg, 2, rue Jean Bertholet, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B 189.905, représentée par Maître Vincent WELLENS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société X, établie et ayant son siège social à …, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son ou ses gérants actuellement en fonction(s), tendant à l’institution d’un sursis à exécution par rapport à une décision du 30 novembre 2020 émanant de la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER LUXEMBOURGEOIS (CFL), établie et ayant son siège social à L-1616 Luxembourg, 9, Place de la Gare, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B59025, représenté par son conseil d’administration, d’attribuer le marché public portant sur le gardiennage, la surveillance et la sécurisation des sites CFL et à bord des trains CFL à la société Y, établie et ayant son siège social à …, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro … et contre la décision corrélative des CFL du 2 décembre 2020 par laquelle son offre a été rejetée, un recours en annulation sinon en réformation ayant été par ailleurs introduit contre lesdites décisions par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 45348 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Geoffrey GALLE, demeurant à Luxembourg, du 16 décembre 2020, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire aux CFL, ainsi que du 17 décembre 2020, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à la société Y ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics ;

Vu les notes de plaidoiries déposées en date du 4 janvier 2021 par respectivement Maître Marc THEWES pour les CFL et par Maître Benjamin MARTHOZ, pour la société Y ;

1 Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Maître Vincent WELLENS, pour la société requérante, Maître Marc THEWES, assisté de Maître Hicham RASSAFI-GUIBAL, pour les CFL, ainsi que Maître Benjamin MARTHOZ, pour la société Y, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 janvier 2021.

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Par avis de marché du 24 avril 2020, la SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER LUXEMBOURGEOIS, ci-après « les CFL », annonça l’ouverture d’une procédure négociée avec publication d’un avis de marché en vue de l’attribution du marché public relatif au gardiennage, à la surveillance et à la sécurisation des sites CFL et à bord des trains CFL.

La société X ainsi que la société Y, entre autres concurrents, déposèrent une offre y relative.

Après une première sélection, les candidats sélectionnés, dont la société X et la société Y furent invités à une réunion de négociation, suite à laquelle ils déposèrent une seconde offre.

Par courrier du 2 décembre 2020, les CFL informèrent la X, ci-après « la société X », que son offre a été classée en 2ème position, de sorte que par décision du 30 novembre 2020 le marché aurait été attribué à la société Y, le dit courrier étant libellé comme suit :

« (…) Les CFL tiennent à vous remercier de l’offre remise et de l’intérêt manifesté dans le cadre de la soumission citée en rubrique.

Après un examen approfondi et une évaluation des offres, votre offre a été classée en :

2ème position.

Conformément aux dispositions de l’art. 3.1. du cahier des charges, les critères pris en compte pour la détermination de l’offre économiquement la plus avantageuse étaient pondérés comme suit :

Art. 3.1. - Critères d’évaluation Entreprise socialement responsable = 10 points Approche organisationnelle et personnelle = 15 points Description des procédures de contrôle, des procédures en cas de réclamation, etc.

= 15 points Prix = 60 points Votre offre ne se classe pas comme étant l’offre économiquement la plus avantageuse car elle n’a obtenu que 87 points sur maximal 100 points Elle a donc été éliminée sur base de l’article 143 c) de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics.

Conformément à l’article 7 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concession, nous vous informons que 2 la décision d’attribution du marché est intervenue le 30/11/2020 et a été attribuée à l’adjudicataire suivant, dont l’offre a été classée en première position :

Y avec 91 points En vertu de l’article 5 de la loi précitée un délai d’au moins dix jours sera observé par les CFL entre le lendemain de la date de notification de la présente lettre et la date de conclusion du marché.

La décision d’attribution peut faire l’objet d’un recours par voie d’avocat à la Cour devant le Tribunal administratif endéans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente. (…) » La société X s’adressa le 8 octobre 2020 aux CFL afin d’obtenir une motivation plus détaillée ainsi que la communication intégrale du dossier, sinon au moins la communication des éléments d’informations sur lesquels les CFL se sont basés pour venir à leur décision d’attribution.

Par courrier du 7 décembre 2020, les CFL y répondirent en lui communiquant la différence entre les prix hors TVA de son offre et de celle du soumissionnaire gagnant, ainsi qu’un tableau reprenant les notations obtenues pour chacun des critères d’évaluations prévus par le cahier des charges.

Par courrier du 8 décembre 2020, la société X réitéra sa demande de se voir fournir une motivation adéquate lui permettant le cas échéant d’introduire un recours contentieux, courrier auquel les CFL répondirent le 9 décembre 2020.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2020, inscrite sous le numéro 45348 du rôle, la société X a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision d’attribution du marché ainsi que de la décision de rejet de son offre. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 45349 du rôle, la société X sollicita encore le sursis à exécution des deux décisions attaquées dans le cadre du recours au fond.

La société X estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée sont remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision d’adjudication risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.

Pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, elle fait valoir que le caractère définitif du préjudice serait dans la mesure où elle risquerait de perdre définitivement et de manière irréversible toute chance de se voir attribuer un marché d’une telle envergure dans le domaine de la sécurisation et du gardiennage et ce pour l’entièreté du territoire luxembourgeois en relation directe avec les chemins de fer et pour une période de 4 années, reconductible pour une période supplémentaire de deux années.

En ce qui concerne le caractère grave du préjudice allégué, elle expose d’abord que le fait qu’elle puisse le cas échéant réclamer des dommages et intérêts, ne ferait aucunement 3 obstacle à l’existence d’un préjudice grave dans son chef, la société X se référant à une jurisprudence dont il résulterait que le caractère réparable du préjudice du soumissionnaire injustement évincé moyennant l’allocation de dommages-intérêts ne saurait faire obstacle au sursis à exécution d’une décision d’adjudication d’un marché public.

Elle explique ensuite qu’en l’espèce elle perdrait, à côté d’un chiffre d’affaires considérable, le marché ayant une valeur de … d’euros sur 4 années, un marché de référence et d’envergure dans son domaine d’activité, à savoir les services de gardiennage, de surveillance et de sécurisation sur tous les sites des CFL et à bord des trains des CFL, marché qui serait non seulement d’une envergure énorme, mais qui serait encore le seul et unique marché public dans ce domaine d’activité précis. Elle relève que le fait que la perte de ce marché aurait fait la une de la presse luxembourgeoise ne ferait que confirmer l’importance du marché et soulignerait que la perte du marché porterait également préjudice à sa réputation.

Enfin, elle donne à considérer qu’en cas d’allocation du marché public à la société Y, elle subirait encore un préjudice considérable compte tenu du fait que ses employés qui étaient affectés à la mission des CFL pour une période de moins de 6 mois ne seraient, en principe, pas repris par la société Y, de sorte qu’elle devrait elle-même leur trouver une autre occupation, voire les licencier pour des motifs économiques.

Par ailleurs, comme la grande majorité du personnel actuellement affecté au gardiennage et à la sécurisation des sites des CFL et à bord de ses trains sera repris par la société Y, la perte du marché aurait aussi un impact significatif pour cette partie du personnel qui serait alors confrontée à un nouvel employeur, la société X soutenant que la société Y serait probablement obligée de restructurer parce que son offre financière serait substantiellement plus basse que celle de la société X, ce qui serait anormal, alors que la société Y serait obligée de reprendre la grande majorité du personnel de X affecté à la mission des CFL aux mêmes conditions de travail que la société X offrait, ce qui impliquerait que la société Y devrait offrir ses services à une marge minuscule, ce qui serait assimilable à une vente à perte, voire à un prix anormalement bas, ou, dans le pire des cas, devrait licencier plusieurs employés, ce qui constituerait un aspect social à prendre en compte dans le cadre de l’analyse de la gravité du préjudice.

La société requérante estime encore que ces moyens exposés devant les juges du fond feraient preuve de sérieuses chances de succès de son recours au fond à une annulation, sinon reformation.

La société requérante, à l’appui de son recours au fond, soulève ainsi en premier lieu un défaut de motivation de la décision de rejet de l’offre, en donnant à considérer que la lettre de refus des CFL ne lui permettrait pas de connaître avec précision les motifs qui ont conduit au rejet de son offre, accusant avec l’offre retenue une différence minime de 4 points sur 100, sa propre offre s’étant en effet vue octroyer une note totale de 87/100, alors que l’offre de la société Y aurait obtenu la note de 91/100.

La société X invoque à l’appui de son moyen l’article 97(2) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics ainsi que les articles 6, 11 et 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, pour soutenir que les CFL n’auraient pas satisfait à leur obligation de motivation dans la lettre de refus susvisée, puisqu’ils se seraient contentés, dans un premier temps, de simplement donner sa propre notation finale et globale et 4 celle du candidat retenu et seulement, suite à une demande de clarification de fournir le prix fourni par le candidat retenu et un tableau comparatif entre les notes attribuées par grande catégorie de sous-critères d’attribution au candidat retenu et à elle-même.

La société X estime à cet égard que la simple présentation des notes obtenues pour chaque catégorie de critères d’attribution indiquée dans le cahier des charges serait insuffisante pour permettre à tout soumissionnaire évincé de retracer le raisonnement suivi par les CFL dans le cadre de la décision d’adjudication remise en cause : ainsi, elle-même ne disposerait d’aucune indication sur les raisons qui, de manière générale, ont poussé les CFL à lui attribuer, ainsi qu’à la société Y de telles notes pour chacun des critères de sélection, ni sur les éléments concrets au sein des dossier d’offres soumis aux CFL sur lesquels se fondent ces notations afin notamment de pouvoir s’assurer que les différences entre ces dernières sont réellement justifiées.

Elle estime par conséquent que l’application de simples notes ne permettrait pas de vérifier le respect des critères d’adjudication initiaux figurant au cahier des charges et devrait par conséquent justifier l’annulation pour défaut de motivation de la décision d’attribution.

Quant aux motifs complémentaires fournis par les CFL sur sa demande, la société X considère que les CFL ne lui auraient fourni qu’une analyse très sommaire de la motivation de refus, ne permettant pas de comprendre pleinement la décision d’adjudication, la société X mettant encore en exergue le fait que les critères qualitatifs dans le cahier des charges seraient de manière générale vagues et imprécis de sorte à laisser une certaine marge d’appréciation excessive, voire subjective pour certains critères. Or, des critères subjectifs et donc également des critères vagues et imprécis obligeraient un pouvoir adjudicateur d’adopter une motivation plus poussée.

Toutefois, les CFL n’auraient motivé chacune des notations avec une ou maximum deux phrases courtes, ce qui serait largement insuffisant pour un marché d’une telle envergure et d’une valeur de … d’euros.

La société X en conclut que le moyen tiré de l’absence de motivation serait suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire.

En second lieu, la société X estime que plusieurs critères du cahier des charges manqueraient de précision et ne permettraient pas d’appréhender suffisamment les attentes du pouvoir adjudicateur.

Elle s’empare à cet effet de l’article 35(4) de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics pour soutenir que la plupart des critères du cahier de charges ne correspondrait pas à l’exigence légale inscrite à cette disposition, de sorte à ouvrir la voie à l’arbitraire ; elle entend établir cette affirmation en se référant à deux exemples de deux critères sur lesquels elle a perdu des points par rapport à la société Y, qui sont la « description de l’approche organisationnelle » et « la prise en compte et le respect du bien-être au travail ».

Elle estime que s’il semblerait que les CFL auraient eu des attentes bien précises, les CFL se seraient toutefois livré à une appréciation arbitraire faute de les avoir exprimées, de sorte qu’il aurait été impossible de garantir une concurrence effective entre les différents candidats. Plus précisément, si les CFL auraient sans doute suivi une méthode d’évaluation précise et auraient eu des attentes particulières sans doute reprises dans leur méthode 5 d’évaluation, il s’agirait toutefois d’un complément et donc une altération des critères d’attribution qui auraient sans aucun doute eu un impact sur la pondération relative.

De manière surabondante et par rapport à ces critiques, la société X estime que les CFL ne sauraient lui opposer l’article 39 de la loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics (sic), disposition qui stipulerait que « le soumissionnaire qui constaterait dans le dossier de soumission des ambiguïtés, erreurs ou omissions, est tenu, sous peine d’irrecevabilité, de les signaler au pouvoir adjudicateur au moins sept jours avant la date de remise des offres, à moins que le cahier spécial des charges ne stipule un délai plus long », la société X affirmant que la Cour administrative aurait dans un arrêt du 6 avril 2000, nos ° 11392C et 11406C du rôle, précisé que cette règle ne s’appliquerait pas aux marchés relevant du Livre III de la loi modifiée du 8 avril 2018.

En troisième lieu la société requérante conteste certaines des notations attribuées qui seraient entachées de plusieurs erreurs manifestes d’appréciation.

Ainsi, en ce qui concerne le prix de l’offre de la société Y, de l’ordre de … euros HTVA pour les 2 lots, contre un montant de … euros pour son offre, dont le prix du personnel représenterait 95%, la société X fait plaider que comme le marché public comportait l’obligation pour l’adjudicataire de reprendre le personnel de l’entreprise qui assurait précédemment les prestations, les coûts de revient respectifs de X et de Y devraient être très rapprochés, et comme le coût salarial représenterait 95% des coûts du marché, l’écart entre les offres financières ne pourrait jamais être de l’ordre de grandeur … d’euros environ. Or, si à première vue, cette différence de +1- 5% ne semblerait pas importante en pourcentage, elle le serait néanmoins compte tenu de la faible marge bénéficiaire dans le secteur, ce qui amène la société X à douter de l’effectivité du prix présenté par la société Y, lequel lui semblerait insuffisant pour permettre à la société Y d’assurer ses frais de personnel une fois le transfert effectué, de sorte que l’adjudicataire n’aurait d’autre choix que soit de continuer de vendre à perte ou à une marge minuscule, soit de procéder à des licenciements par la suite.

La société X en conclut que l’offre de la société Y semblerait anormalement basse pour les CFL, lesquels auraient dû en vertu de l’article 38(1) de la loi modifiée du 8 avril 2018 et sur la base du principe de bonne administration, exiger que les opérateurs économiques expliquent le prix ou les coûts proposés dans l’offre : les CFL n’ayant pas respecté leur obligation au titre de ladite disposition, la décision de rejet devrait encourir pour cette seule raison l’annulation.

En ce qui concerne le critère de l’« entreprise socialement responsable », critère valorisé à raison de 10 points sur 100, la société X relève avoir obtenu la note de 7, tandis que la société Y a obtenu la note de 8, la société requérante ayant perdu plus de points sur le sous-

critère de « la prise en compte et le respect du bien-être au travail pour l’ensemble de son personnel », ce qu’elle conteste.

La société X estime en effet que la société Y bénéficierait uniquement, à ce jour, de la certification ISO 9001 (système de gestion de la qualité) tandis qu’elle-même cumulerait un nombre important de certifications.

La société X conteste encore l’attribution des points au regard du sous- critère « démonstration de la prise en compte et du respect du bien-être au travail pour l’ensemble de son personnel » pour lequel elle a perdu 3 points, alors que la société Y n’en a perdu qu’un seul, en estimant que les notations attribuées par les CFL pour ce sous-critère ne seraient pas 6 justifiées, étant donné qu’elles se baseraient uniquement sur l’exhaustivité (ou non) d’un descriptif remis par les candidats et non sur des éléments concrets et vérifiés ou vérifiables.

La société X insiste à cet égard sur ses propres certifications, lesquelles auraient dû jouer un rôle primordial, tout en égrenant les avantages dont bénéficieraient ses propres employés ainsi que les éléments positifs concrets de son propre dossier, éléments probants et vérifiables qui auraient une valeur supérieure à des déclarations non-vérifiées telles que la société Y ferait des fêtes d’entreprises, « des fêtes qui de toute façon ne peuvent pas être organisées dans le contexte actuel ».

La société requérante s’empare encore du sous-critère « démontrer comment la société prévoit de combattre le dumping social » pour soutenir que l’écart des points entre elle-même et la société Y aurait dû être beaucoup plus important, alors que là encore la société Y ne disposerait pas d’une certification pertinente.

Bien au contraire, elle estime que la société Y se serait livrée à une offre financière agressive et anormalement basse qui augmenterait le risque de dumping social.

La société X donne encore à considérer que la société Y serait une petite structure au Luxembourg et les employés actuels étant affectés à d’autres missions, il serait fort probable qu’elle aura recours aux employés du groupe en …, notamment en cas d’une pénurie de personnel dans le contexte pandémique actuel, de sorte que la société requérante douterait que ces agents seraient payés le salaire minimal luxembourgeois en conformité avec la convention collective applicable, tout comme elle met en doute que ces agents disposeraient de l’agrément requis en vertu de la loi du 12 novembre 2002 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance, la société X relevant finalement encore que la société Y refuserait d’adhérer à la Fédération des Sociétés de gardiennage au sein de la FEDIL, laquelle négocie la convention collective ; elle estime qu’il serait important d’en être membre afin d’appréhender correctement la teneur de la convention collective.

Quant au critère « approche organisationnelle et gestion du personnel », comprenant les sous-critères « 1° - description de l’approche organisationnelle et du remplacement du personnel absent ; 2° - description de la gestion du personnel (qualification, formation initiale, formation continue, langue, certifications de connaissances des langues A2 minimum, …) », pour lequel les deux concurrents auraient obtenu la note de 11/15, la société X estime en substance qu’elle aurait dû obtenir une notation supérieure.

Ainsi, en ce qui concerne le sous-critère « l’approche organisationnelle et du remplacement du personnel absent » pour lequel elle a perdu 2 points, là où la société Y n’en a perdu qu’un seul, elle souligne que les CFL se seraient basés sur son organigramme avec lequel elle travaillerait pourtant déjà actuellement à l’entière satisfaction des CFL, ce qui d’ailleurs ne ferait que confirmer sa stabilité et le contentement de son personnel affecté aux CFL.

La société X fait encore valoir que la complexité du contrat actuel prévoirait des changements journaliers, tandis que le taux d’erreur serait de 0,01%, la société requérante expliquant travailler en temps réel et garantir un remplacement de personnel endéans une heure.

Elle n’aurait d’ailleurs jamais reçu de réclamation concernant un manque de réactivité de sa part et toutes les absences auraient toujours pu être justifiées rapidement auprès des CFL. Elle met toutefois en doute que la société Y puisse faire face à une pénurie de personnel, notamment 7 dans le contexte pandémique actuel, sans faire appel à des agents des sociétés … du groupe, qui risqueraient de ne pas avoir l’agrément requis.

La société X reproche à la société Y de n’avoir aucun client de cette envergure et de n’avoir par conséquent pas pu démontrer que son approche organisationnelle permettait d’assurer l’exécution d’un tel marché, alors qu’elle-même ne serait pas étrangère à la mise en place de ce genre d’organisation.

Elle met encore en exergue toutes les possibilités de formations internes et externes offertes à ses agents, tout en affirmant disposer des mêmes instruments techniques et informatiques permettant de s’assurer de la disponibilité des agents que la société Y.

Finalement, sur le critère « Description du suivi de la prestation contractuelle », pour lequel elle a obtenu la note de 11/15 et la société Y celle de 12/15, la société X conteste à nouveau l’attribution des points.

Ainsi, au niveau des procédures de contrôle, elle affirme disposer d’un système de contrôle, à savoir le système de ronde, dont la société Y ne disposerait pas, de sorte qu’il serait incompréhensible qu’elle ait obtenu la même notation que la société Y sur ce point.

Quant à la procédure en cas de réclamation, si les CFL sembleraient critiquer que la société X a présenté sa procédure actuellement en place, elle affirme de son côté n’avoir jamais eu de reproches que la procédure ne fonctionnerait pas. Par ailleurs, si les CFL critiqueraient que le système de réclamation ne serait pas digitalisé, elle affirme qu’elle serait au contraire bien munie d’un système informatique sur tablette.

Elle estime qu’en tout état de cause que la notation égale des deux concurrents ne se justifierait pas, la société X considérant à cet égard que la procédure de réclamation de la société Y serait bien inférieure à la sienne, de sorte que sa propre notation devrait toujours être supérieure à celle de la société Y sur ce point.

Quant à la description des équipements logiciels et digitaux, elle critique le fait de s’être vue attribuer une notation inférieure à celle de la société Y au motif que les CFL ne pourraient pas faire des statistiques avec l’application et changer les paramètres, ce qui serait incorrect.

Finalement, elle affirme avoir mis en place les outils techniques les plus performants actuellement sur le marché, ce qui ne serait le cas d’aucune société de gardiennage au Luxembourg, et encore moins de la société Y.

Les CFL, rejoints en leurs plaidoiries par le représentant de la société Y, contrent cette argumentation en relevant que les conditions légales pour obtenir une mesure provisoire ne seraient pas remplies en cause, en contestant tant le risque d’un préjudice grave et définitif que le caractère sérieux des moyens de la société X.

Les CFL argumentent en effet, en substance, que la société X confondrait la perte définitive du marché en jeu et le critère légal du préjudice définitif, tandis qu’elle aurait omis de démontrer concrètement la gravité de son préjudice, tout en exposant que le montant du marché ne constituerait pas le critère pertinent pour apprécier l’existence d’un risque grave et définitif, alors que ce montant ne constituerait pas le résultat retiré de l’obtention du contrat, le soumissionnaire encourant également des dépenses nécessaires à l’exécution de ce marché.

8 Les CFL évaluent ensuite, sur base de la marge bénéficiaire indiquée par la société X, le bénéfice annuel résultant du marché à … euros, montant à mettre en parallèle avec le chiffre d’affaires de la société requérante de … euros et son résultat de … euros pour en déduire que le manque à gagner résultant de la perte du marché litigieux ne serait pas de nature à mettre la société X en péril, d’autant plus qu’elle n’assumerait pas les risques liés à l’activité en question et que les capacités libérées permettraient aussi à la société X de postuler pour d’autres marchés.

En ce qui concerne la condition tenant au caractère sérieux des moyens développés devant le juge du fond, les CFL, de concert avec la société Y, contestent en substance l’admissibilité de ces moyens, tant au regard de la condition légale de caractère sérieux que des compétences des juges du fond.

L’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics dispose que « le président du tribunal administratif peut être saisi endéans les délais prévus à l’article 5 conformément à l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice est obligé de surseoir à la conclusion du contrat jusqu’à la notification de l’ordonnance en référé et jusqu’à l’expiration du délai prévu à l’article 5 ».

L’article 5 auquel il est ainsi renvoyé est libellé comme suit :

« La conclusion du contrat qui suit la décision d’attribution d’un marché relevant du champ d’application des livres II et III de la loi sur les marchés publics ou du champ d’application de la loi sur les marchés publics de la défense et de la sécurité ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai d’au moins dix jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché a été envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, avant l’expiration d’un délai d’au moins quinze jours à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés.

Les soumissionnaires sont réputés concernés s’ils n’ont pas encore été définitivement exclus. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée aux soumissionnaires concernés et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours.

Les candidats sont réputés concernés si le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas communiqué les informations relatives au rejet de leur candidature avant que la décision d’attribution du marché soit notifiée aux soumissionnaires concernés ».

Ces articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 sont intimement liés et doivent être entendus comme instituant, par dérogation au principe du caractère directement exécutoire des actes administratifs individuels, un délai de suspension entre la communication de la décision d’adjudication aux opérateurs économiques concernés et la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire pour permettre aux soumissionnaires écartés d’agir en justice moyennant un recours en annulation contre la décision d’attribution ou celle écartant un candidat ou une offre, recours dont l’utilité et l’effectivité, au jour où le juge administratif 9 statuera, sont garanties par la possibilité de compléter pareil recours au fond par une demande en institution d’un sursis à exécution.

Si l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 énonce expressément la possibilité d’agir devant le juge des référés pendant le délai de carence minimum prévu par l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010, il n’est pas à entrevoir comme étant dérogatoire au droit commun posé par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999. Les auteurs du projet de loi allant devenir la loi du 10 novembre 2010 ont d’ailleurs précisé que cette disposition ne fait que décrire la possibilité de recours devant le président du tribunal administratif durant la période de standstill1.

Ainsi, après l’expiration du délai de carence, le droit commun garde tout son office et un recours en référé reste recevable dans les conditions de l’article 11 de la loi du 21 juin 19992, toutefois à la condition que le contrat n’ait pas encore été conclu.

Il est en l’espèce constant que le contrat n’a pas encore été signé.

En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 11 décembre 2020 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

En ce qui concerne ensuite la condition du préjudice grave et définitif tel qu’invoqué, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est définitif lorsque le succès de la demande présentée au fond ne permet pas ou ne permet que difficilement un rétablissement de la situation antérieure à la prise de l’acte illégal, la seule réparation par équivalent du dommage qui se manifeste postérieurement à son annulation ou sa réformation ne pouvant être considérée à cet égard comme empêchant la réalisation d’un préjudice définitif.

En ce qui concerne le caractère grave du préjudice, la perte d’une chance de se voir attribuer un marché public ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, une telle perte étant inhérente à l’exclusion de la procédure d’appel d’offres en cause, procédure qui a pour objet de permettre à l’autorité concernée de choisir, parmi plusieurs offres concurrentes, celle qui lui paraît la plus appropriée, de sorte que l’entreprise qui participe à une telle procédure doit toujours tenir compte de l’éventualité de son attribution à un autre soumissionnaire3. Dans ces conditions, les conséquences financières négatives pour l’entreprise en question, qui découleraient du rejet de son offre, font, en principe, partie du risque 1 Projet de loi n° 6119, commentaire relatif à l’article 6, page 14.

2 Trib. adm. (prés.) 16 janvier 2014, n° 33723; trib. adm. (prés.) 30 avril 2014, n° 34403, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 580.

3 Par analogie : Trib. U.E., 10 novembre 2012, lntrasoft International c/ Commission, aff. T-403/12 R ; Trib.

U.E., 23 janvier 2009, Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, T 511/08 R.

10 commercial habituel, auquel chaque entreprise active sur le marché doit faire face4 indépendamment d’une appréciation concrète de la gravité de l’atteinte spécifique alléguée dans chaque cas d’espèce5.

En conséquence, c’est à la condition que l’entreprise requérante ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave. Par ailleurs, la gravité d’un préjudice d’ordre matériel doit être évaluée au regard, notamment, de la taille de l’entreprise requérante6.

Le soussigné relève en l’espèce que le préjudice invoqué serait essentiellement, voire exclusivement d’ordre pécuniaire.

A cet égard, il convient de rappeler qu’un préjudice est grave au sens de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 lorsqu’il dépasse par sa nature ou son importance les gênes et les sacrifices courants qu’impose la vie en société et doit dès lors être considéré comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques ; en ce qui concerne plus particulièrement la matière des marchés publics, un préjudice peut être qualifié de grave notamment lorsqu’il est d’une envergure telle qu’il menace la survie même d’une entreprise, ou lui impose une restructuration néfaste, lorsqu’il résulte de la perte d’un marché de référence ou encore lorsque les circonstances du refus d’attribution entraînent une perte de réputation pour l’entrepreneur du fait de la publicité donnée à la mesure.

Comme indiqué ci-avant, la preuve de la gravité du préjudice implique toutefois en principe que le requérant donne concrètement des indications concernant la nature et l’ampleur du préjudice prévu, et qui démontrent le caractère difficilement réparable du préjudice7.

Or, en l’espèce, la société requérante se borne à affirmer que l’exécution immédiate de la décision d’adjudication déférée avant que le tribunal administratif ne se soit prononcé sur le recours au fond impliquerait nécessairement, c’est-à-dire ipso facto, l’existence d’un risque tant définitif que grave, sans pour autant préciser d’une quelconque façon la nature et l’ampleur du préjudice allégué, si ce n’est de faire état du montant de son offre, respectivement de la valeur du marché, la société requérante n’ayant pas non plus précisé sa situation financière, ni procédé à une mise en perspective de la perte du marché en question par rapport à sa situation patrimoniale : la seule allégation d’un préjudice, non autrement précisé et étayé, est insuffisante, l’exposé du préjudice grave et définitif ne pouvant se limiter à un exposé théorique, se cantonner à la seule évocation de précédents ou encore consister en des considérations générales. Dans un souci de garantir le caractère contradictoire des débats, le juge du provisoire ne peut de surcroît avoir égard qu’aux arguments contenus dans la requête et doit écarter les éléments développés par le conseil de la partie requérante, pour la première fois, à l’audience8.

Aussi, faute de toute information détaillée y relativement, le risque d’un préjudice financier grave et définitif n’est en tout état de cause pas justifié à suffisance de droit.

4 Par analogie : Trib. U.E., 14 septembre 2007, AWWW/FEACVT, aff. T 211/07 R.

5 Par analogie : Trib. U.E., 20 septembre 2005, Deloitte Business Advisory/Commission, T 195/05 R.

6 Par analogie : Trib. U.E., 10 novembre 2012, lntrasoft International c/ Commission, aff. T-403/12 R.

7 Trib. adm. (prés.) 10 juillet 2013, n° 32820, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 626.

8 Trib. adm. (prés.) 18 mars 2019, n° 42408, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 623, et autres références y citées.

11 Cette conclusion n’est pas énervée par la référence à deux ordonnances9 dont il résulterait qu’en matière de marchés publics, le préjudice résultant de l’exécution immédiate d’une décision d’adjudication serait quasiment automatiquement définitif et grave, lesdites ordonnances ayant été prises sur une jurisprudence désuète selon laquelle un préjudice financier serait ipso facto toujours réparable, de sorte à rendre l’accès au juge du provisoire impossible.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la société requérante selon laquelle la condition du préjudice grave et définitif telle qu’appliquée par la jurisprudence constituerait une entrave à l’accès au juge du provisoire, une telle condition n’exigeant qu’une démarche probatoire concrète et chiffrée de la part du requérant, à la portée de tout un chacun.

Dans la mesure où la demande en référé peut encore être interprétée en ce sens que la société requérante entend invoquer une atteinte à sa réputation sur le marché, il suffit de relever que la participation à une soumission publique, par nature hautement compétitive, implique des risques pour tous les participants et que le rejet de l’offre d’un soumissionnaire, en vertu des règles de passation de marchés publics, n’a, en elle-même, rien de préjudiciable. Lorsqu’une société a vu ses offres illégalement rejetées dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, il existe d’autant moins de raisons de penser qu’elle risque de subir une atteinte grave et irréparable à sa réputation que, d’une part, ledit rejet de ses offres est sans lien avec ses compétences et, d’autre part, l’arrêt d’annulation qui s’ensuivra permettra en principe de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation10.

Enfin, en ce qui concerne l’impact social de l’attribution du marché public à la société Y, à savoir son impact sur les salariés devant être transférés, outre qu’il s’agit là encore d’une circonstance inhérente aux marchés publics en matière de gardiennage, voulue explicitement par le législateur au travers des articles L. 127-1 du travail et suivants du Code du travail, il convient de relever que le préjudice invoqué doit être personnel11, de sorte que la société X ne saurait en l’espèce se prévaloir d’un tel préjudice. Quant aux employés affectés à la mission des CFL pour une période de moins de 6 mois, par rapport auxquels la société requérante a fait plaider que ceux-ci ne seraient en principe pas repris par la société Y, de sorte qu’elle devrait leur trouver une autre occupation, sinon les licencier pour des motifs économiques, il s’est avérée qu’une seule personne sur 86 employés concernés par le marché entrait en ligne de compte.

En ce qui concerne l’examen, superfétatoire, de la deuxième condition énoncée par l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 pour justifier une mesure de sursis à exécution, à savoir que les moyens présentés par la société requérante à l’appui de son recours au fond soient suffisamment sérieux, il y a lieu de rappeler que concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque 9 Trib. adm (prés.) 18 avril 2007, n° 22757 et trib. adm. (prés.) 5 juin 2009, n° 25746.

10 Par analogie : Trib. U.E. 23 janvier 2009, Unity OSG FZE/Conseil et EUPOL Afghanistan, T-511/08 R.

11 Trib. adm (prés.) 10 août 2010, n° 27149, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 589, et autres références y citées.

12 qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge des référés est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le demandeur apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’il constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès. Il s’ensuit que, face à une situation où le caractère sérieux des moyens soulevés au fond n’apparaît pas comme étant évident à première lecture, le juge du référé ne peut pas admettre que les moyens en question sont suffisamment sérieux pour justifier une mesure provisoire : en d’autres termes, les moyens doivent offrir une apparence de droit suffisante ou un degré de vraisemblance tel que l’on peut nourrir des doutes importants quant à la légalité de l’acte12.

Si une certaine doctrine estime certes qu’il ne saurait être admis que lorsque l’évaluation du caractère fondé des moyens proposés à l’appui d’une demande de suspension ou d’institution d’une mesure de sauvegarde nécessite un examen poussé non différent de celui auquel il devra être procédé dans le cadre de la procédure au fond, le juge du référé ne pourrait pas admettre que lesdits moyens sont sérieux, puisqu’un tel raisonnement aboutirait à exclure d’office du champ des référés tout recours qui susciterait des questions juridiques complexes, ce qui viderait la protection juridictionnelle d’une partie de sa substance13, cette position méconnaît toutefois que la procédure de référé, fondée sur un examen prima facie, n’est pas conçue pour établir la réalité de faits complexes et hautement controversés : en effet, le juge des référés ne dispose pas des moyens nécessaires pour procéder à de tels examens, ne bénéficiant d’ailleurs pas de l’éclairage dont bénéficie le juge du fond à travers les mémoires en réponse, en réplique et en duplique et, dans de nombreux cas, il ne serait que difficilement à même d’y parvenir en temps utile. Ainsi, l’office même du juge des référés l’empêche d’exercer un contrôle semblable à celui du juge du fond qui aura un pouvoir d’investigation plus important : le juge des référés ne doit ainsi pas se fonder sur des appréciations réservées au juge du fond.

12 Trib. adm (prés.) 14 avril 2016, n° 37733, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 592, et les autres références y citées.

13 Contentieux administratif luxembourgeois, Pas. adm. 2020, p.97.

13 Partant, si une matière technique ou juridique complexe n’échappe évidemment pas automatiquement et par définition à la compétence d’un juge du provisoire, alors que même une question complexe peut susciter une réponse évidente ou directe - par exemple lorsqu’il existe un précédent jurisprudentiel aisément transposable ou une illégalité ou irrégularité manifeste, dont le caractère manifeste résulte soit de la décision déférée per se, soit des explications convaincantes du requérant, de sorte que le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés14, une matière technique ou juridique complexe se heurte toutefois à davantage d’obstacles pour justifier l’intervention du juge du provisoire, appelé seulement retenir comme sérieux les moyens s’imposant prima facie et ne requérant pas une analyse poussée.

Le soussigné tient encore à rappeler que, l’institution d’une mesure provisoire devant rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’elle constitue une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

Ainsi, le Conseil d’Etat français a rappelé15 que le caractère exécutoire des actes administratifs est « la règle fondamentale du droit public et que le sursis à exécution n’est pour le juge qu’une simple faculté, alors même qu’existent des moyens sérieux d’annulation et un préjudice difficilement réparable ». Pour cette raison, le sursis reste pour la Haute juridiction française « anormal, puisqu’il entrave le pouvoir de création juridique des autorités administratives et jette la suspicion sur un acte qui bénéficie d’une présomption de légalité »16.

Le juge du référé appréciera partant si un moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, et ce eu égard à son office.

Il prendra donc en compte la situation juridique en s’en tenant à l’évidence et sans trancher des questions de droit qui ne l’ont pas encore été. L’évidence se définit communément comme la « qualité de ce qui emporte l’assentiment immédiat de l’esprit en s’imposant à lui de façon claire et distincte »17. Elle est caractérisée par son immédiateté, par ce qu’elle ne nécessite aucune démonstration ni aucun raisonnement préalable pour être regardée comme vraie18 : l’évidence est partant une qualité dont est paré le fait ou le raisonnement qui, portant en lui révélation de son existence ou de son bien-fondé, vaut preuve de lui-même et dispense d’autre preuve ou d’autre démonstration19.

Le juge du référé ne peut ainsi en aucun cas tirer d’enseignements et encore moins de conclusions définitives lorsqu’il analyse la condition du caractère sérieux car il ne devra procéder uniquement qu’à un « premier examen » sans anticiper sur l’appréciation, sur le contrôle qu’effectuera le juge du fond. Cet examen se veut sommaire et basé sur les seuls éléments en possession de ce juge ou qui peuvent lui être apportés lors de l’audience. Il doit, en quelque sorte, seulement s’en référer à son intuition provenant de la lecture du dossier, tout en gardant à l’esprit que le juge du fond pourra toujours revenir sur la mesure prononcée en effectuant un contrôle approfondi du dossier.

14 Trib. adm. (prés.) 22 mars 2019, n° 42434 ; trib. adm. (prés.) 5 avril 2019, n° 42557 ; trib. adm. (prés.) 14 juin 2019, n° 43039.

15 Conseil d’Etat fr., 2 juillet 1982, Huglo, Rec. p. 257.

16 Morand-Deviller Jacqueline, « Le contrôle de l’administration : la spécificité des méthodes du juge administratif et du juge judiciaire », in Dupuis Georges (Dir.), Le contrôle juridictionnel de l’administration - Bilan critique, Paris : Économica, 1991, p. 190 17 Trésor de la langue française.

18 Le Littré la définit ainsi comme « notion si parfaite d’une vérité qu’elle n’a pas besoin d’autre preuve ».

19 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 8e éd., 2000.

14 Ainsi, un moyen est sérieux lorsqu’il laisse présager, aux termes d’une analyse sommaire, une probable réformation ou annulation : un moyen sérieux fait pressentir une annulation ou réformation, tandis que l’examen du caractère sérieux d’un tel moyen se caractérise par son caractère prima facie.

Ce caractère de sérieux peut résulter d’une situation de fait ou de droit manifeste (un élément matériel important a été ignoré, une disposition légale n’a été manifestement pas appliquée) ou encore d’une jurisprudence à tout le moins solidement établie ; le caractère sérieux dépend dès lors également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés : le simple fait de transcrire l’argumentation développée devant les juges du fond, respectivement de s’y référer peut, face à des matières ou questions complexes, s’avérer de ce point de vue insuffisant.

C’est pourquoi le juge du provisoire doit prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

Ne présente en revanche pas un caractère sérieux suffisant, un moyen soulevant un simple doute quant à l’issue du recours, un moyen basé sur une jurisprudence fluctuante ou minoritaire ou lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément aux questions devant être tranchées en l’espèce par le jugement à rendre ultérieurement sur le fond, surtout lorsqu’il s’agit de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale : le juge du référé est réellement le juge de l’évidence car il est cantonné à une position, sur ce problème, d’archiviste se contentant de reprendre à son compte une position adoptée par une autre juridiction20.

Si la solution du problème conduit le juge des référés à une appréciation juridique motivée qui fait la part entre la thèse de l’un et celle de l’autre, il excède ses pouvoirs dans la mesure où il est obligé de discuter juridiquement pour écarter l’une de ces thèses qui est donc forcément sérieuse. Lorsque le juge des référés, pour repousser une contestation, est obligé de bâtir un raisonnement juridique que ne dénierait pas un juge du fond, il va au-delà de ses pouvoirs21.

Sur cette toile de fond, le moyen de la société requérante tiré d’un défaut de motivation de la décision déférée n’entraine pas la conviction dans le chef du soussigné d’une annulation probable de ce chef des décisions déférées.

En effet, en ce qui concerne d’abord l’argumentation basée sur une absence formelle de motivation suffisante en violation de l’article 97 (2) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics ainsi que les articles 6, 11 et 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il convient de relever que d’une manière générale, les juges du fond admettent, d’une part, la fourniture d’une motivation sommaire, ce qui apparaît être le cas en l’espèce, les CFL, à travers les différents échanges pré-contentieux, 20 J. Piasecki, L’office du juge administratif des référés : Entre mutations et continuité jurisprudentielle. Droit, Université du Sud Toulon Var, 2008, n° 337, p.197.

21 Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse Strasbourg, 1993, p. 96 et 97.

15 ayant fourni à la société X sa notation (87) sur un total possible de 100, la différence entre les prix hors TVA des offres des deux concurrents en lice ainsi qu’un tableau reprenant les notations obtenues par les deux concurrents pour chacun des critères d’évaluations prévus par le cahier des charges, ces explications s’inscrivant à première vue dans le contexte des critères d’évaluation prévus à l’article 3.1. du cahier des charges, et plus particulièrement des modalités d’évaluation des critères qualitatifs.

Les juges du fond admettent encore, d’autre part, la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif, la jurisprudence semblant encore considérer comme sanction adéquate d’un éventuel défaut de motivation la suspension des délais de recours22, voire l’attribution d’une indemnité de procédure.

En effet, si l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, tel que notamment invoqué par la société X, impose certes pour certaines décisions une obligation de motivation formelle, en ce sens que les décisions administratives, notamment lorsqu’elles portent un refus, doivent reposer sur des motifs légaux et formellement indiquer lesdits motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, il résulte toutefois d’une jurisprudence solidement établie, assise sur un arrêt de la Cour administrative du 20 octobre 2009, n° 25783C du rôle, que les juges du fond refusent de sanctionner une violation par l’administration de son obligation de motivation par l’annulation, au motif que la sanction de l’annulation serait « disproportionnée par rapport au but poursuivi consistant à mettre l’administré le plus tôt possible en mesure d’apprécier la réalité et la pertinence de la motivation à la base d’une décision administrative », la juridiction suprême ayant retenu « par souci de protéger les intérêts bien compris du justiciable » qu’il appartiendrait plutôt au juge de la légalité, statuant en matière d’annulation, de permettre à l’administration de produire ou de compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse, le juge de la légalité, statuant comme en l’espèce sur un recours dirigé contre une décision administrative intervenue en violation de la loi et des formes destinées à protéger les intérêts privés, ayant en effet à sa disposition « une sanction plus adéquate se dégageant d’une législation postérieure à la législation sur la procédure administrative non contentieuse, à savoir la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, prise en ses articles 32 et 33 permettant aux juridictions administratives de condamner par décision motivée une partie ayant gagné son procès à une fraction ou la totalité des dépens ou de mettre à charge de cette partie la totalité ou une partie des sommes exposées par l’autre partie et non comprises dans les dépens, dont plus particulièrement les frais d’avocat, pour l’hypothèse où il paraît inéquitable de laisser ces frais à charge de cette autre partie ».

Il s’ensuit dès lors que l’éventuelle insuffisance formelle de motivation de la décision de rejet de l’offre de la société requérante, ne paraît pas, au vu de la jurisprudence citée ci-

dessus et de ce constat provisoire et sommaire, devoir entraîner ipso facto l’annulation par le juge du fond de la décision déférée.

En ce qui concerne la communication du dossier administratif - outre que celle-ci est de nature à éventuellement soulever des questions de secret des affaires - il convient de relever que selon les juges du fond, du moins selon une jurisprudence majoritaire de ceux-ci, la non-

communication intégrale des éléments du dossier administratif ne constitue pas nécessairement 22 Voir tout spécifiquement trib. adm. 14 janvier 2008, n° 22756, par rapport à une problématique analogue à celle sous analyse.

16 et automatiquement une cause d’annulation de la décision déférée, puisqu’un refus de communiquer le dossier administratif est de nature à affecter la légalité d’une décision administrative dans la seule hypothèse d’une lésion vérifiée des droits de la défense23, lésion en l’espèce à priori non donnée compte tenu de la possibilité telle que constatée ci-dessus, pour le pouvoir adjudicateur, de préciser respectivement de compléter sa motivation, en ce compris en communiquant le dossier administratif conformément à l’article 8 (5) de la loi du 21 juin 1999, et pour la société requérante de prendre position par rapport à cette motivation éventuellement complémentaire et des pièces versées en cause, si nécessaire dans le cadre d’un mémoire supplémentaire à accorder par le tribunal.

Une telle approche, si elle permet certes d’éviter une lésion des droits de la défense devant les juges du fond tout en permettant à ces derniers d’appréhender la question de la légalité de la décision sur base d’un dossier complet, peut toutefois s’avérer délicate devant le juge du provisoire, lequel est appelé à statuer de manière sommaire le cas échéant sur base d’un dossier incomplet, respectivement sur une argumentation incomplète du requérant, lequel n’aurait ainsi pas nécessairement disposé de tous les éléments pour préparer sa défense, de sorte que le juge du provisoire ne dispose ainsi, à ce stade, pas de l’éventuel éclairage que fournira l’échange des mémoires subséquents devant les juges du fond.

Il convient toutefois à ce sujet de souligner que le caractère sérieux des moyens ne dépend pas uniquement de leur qualité intrinsèque, mais également fondamentalement de la qualité de la démonstration des droits menacés : le simple fait de transcrire l’argumentation développée devant les juges du fond, respectivement de s’y référer peut, face à des matières ou questions complexes, s’avérer de ce point de vue insuffisant, alors que, d’une part, une telle présentation requiert que le juge du provisoire, appelé à seulement retenir des moyens s’imposant prima facie, à se livrer à une analyse identique de cette argumentation que celle à laquelle les juges du fond, statuant en composition collégiale, seront appelés à s’adonner, alors pourtant que le juge des référés ne doit pas se fonder sur des appréciations réservées au juge du principal et, d’autre part, que les questions peuvent se présenter différemment, voire distinctement devant le juge du provisoire, statuant sur base d’un dossier figé par la requête introductive d’instance et les réponses y apportées par le défendeur et éventuellement un tiers-

intéressé, alors que les juges du fond disposeront d’un dossier ayant éventuellement évolué.

La problématique éventuellement propre à l’office du juge des référés24 n’ayant pas été abordée par la société requérante dans sa requête, le juge du provisoire ne saurait s’en emparer de son propre chef.

Le moyen afférent ne paraît dès lors pas présenter en l’état actuel d’instruction du dossier le sérieux nécessaire.

La même conclusion au provisoire s’impose en ce qui concerne le reproche tiré du fait que plusieurs critères du cahier des charges manqueraient de précision et ne permettraient pas d’appréhender suffisamment les attentes du pouvoir adjudicateur.

D’une manière générale, et contrairement à l’appréciation faite par la société X, il résulte de la jurisprudence régulière des juges du fond, sur base de l’article 21 du règlement grand-

ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, au contenu identique à l’actuel article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant 23 Trib. adm. 29 octobre 2009, n° 24429, Pas. adm. 2020, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 140.

24 Voir trib. adm. (prés.) 27 octobre 2020, n° 45124.

17 exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, aux termes duquel « le soumissionnaire qui constaterait dans le dossier de soumission des ambiguïtés, erreurs ou omissions, est tenu sous peine d’irrecevabilité, de les signaler par lettre recommandée au pouvoir adjudicateur au moins sept jours avant l’ouverture de la soumission, à moins que le cahier spécial des charges ne stipule un délai plus long », que cette disposition implique l’association active de tous les soumissionnaires à l’établissement d’un dossier clair et exact garantissant une saine mise en concurrence, moyennant le droit et l’obligation des intéressés, tous des professionnels avertis, de contrôler et de vérifier soigneusement la documentation remise par le commettant et de signaler toute ambiguïté, erreur ou omission risquant d’empêcher la comparabilité des offres.

Les juges du fond, tel que rappelé par les CFL, insistent à cet égard plus particulièrement sur le fait que cette obligation à charge des soumissionnaires, qui peut être mise en parallèle avec l’obligation de loyauté et de collaboration entre parties telle que développée par les juridictions civiles à partir de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, a non seulement pour but de veiller à mettre tous les candidats soumissionnaires à égalité par rapport au cahier des charges, en clarifiant par exemple les interrogations que l’un des soumissionnaires pourrait avoir par rapport au dossier de soumission, mais encore de veiller, en permettant ainsi préalablement l’évacuation des problèmes liés à la compréhension et à l’interprétation du cahier des charges, une fois les soumissions déposées, à ce que la procédure d’adjudication soit menée à bien dans les meilleurs délais dans l’intérêt de l’achèvement des travaux publics.

En aucun cas, d’après cette jurisprudence, il ne serait admissible que, dans un premier temps, un soumissionnaire participe à une soumission sans dire mot quant à des ambiguïtés, erreurs ou omissions qu’il a pu - ou dû - constater, pour par la suite s’en emparer et s’en prévaloir dans le cas de figure défavorable où son offre n’aurait pas été retenue, un tel soumissionnaire pouvant se voir reprocher une attitude incohérente et contradictoire, consistant à accepter dans un premier temps, du moins en apparence, les règles régissant une soumission publique, pour ensuite, en se prévalant de prétendues illégalités à ce point criantes et évidentes qu’elles ne pouvaient pas lui avoir précédemment échappé, chercher à annuler l’intégralité de ladite soumission alors que son offre n’a pas été retenue, faisant ainsi encore preuve de mauvaise foi manifeste, violant ainsi l’exigence de bonne foi entre parties, et ce tant au niveau précontentieux que contentieux. Un tel comportement doit, selon les juges du fond, être sanctionné en vertu du principe suivant lequel une partie ne peut se contredire au détriment d’autrui (théorie de l’estoppel), rattachable encore à l’article 1134, alinéa 3 du Code civil, suivant lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, et tromper ainsi l’attente légitime de son cocontractant25.

De même, la jurisprudence a encore retenu qu’une contestation du cadre légal choisi par le pouvoir adjudicateur levée par un soumissionnaire qui a participé sans réserve à la procédure de soumission publique querellée constitue l’adoption d’une attitude incohérente et contradictoire et une violation de l’exigence de bonne foi entre parties26.

Il est dès lors possible que les juges du fond, plutôt que d’annuler la décision déférée du fait de la prétendue imprécision de certaines conditions du cahier des charges, renvoient le soumissionnaire à son obligation telle que figurant à l’article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 précité - article explicitement référencé sous l’article 1.3. du cahier des charges -, et 25 Trib. adm. 26 mai 2014, n° 32374; trib. adm. 2 février 2015, n° 33722 ; trib. adm. 11 février 2015, n° 33802 ;

trib. adm. 16 mars 2016, n° 35736, Pas. adm. 2020, V° Marchés publics, n° 83.

26 Trib. adm. 26 janvier 2015, n° 33531, Pas. adm. 2020, V° Marchés publics, n° 218.

18 ce d’autant plus que la société requérante disposait, sinon dans le cadre de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics, sinon dans celui du droit commun, d’une voie de recours directe qui lui aurait permis le cas échéant de faire écarter les exigences du cahier des charges auxquelles elle reprocherait de permettre une évaluation arbitraire.

En effet, l’article 3 de la loi du 10 novembre 2010 précitée donne la possibilité aux opérateurs économiques dans le cadre des marchés visés par les livres II et III - à savoir les marchés d’une certaine envergure et les marchés publics dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux -, d’agir contre des irrégularités au niveau des documents de soumission et qui par le biais de ce référé précontractuel, peuvent être corrigées par ordonnance du président du tribunal administratif : en d’autres termes, ledit article 3 donne la possibilité aux opérateurs économiques d’introduire par voie de référé un recours déjà avant toute décision d’adjudication, afin de corriger des irrégularités au niveau des dossiers de soumission, sans qu’une nouvelle procédure de mise en concurrence ne doive être lancée, tandis que le droit commun prévoit en tout état de cause la possibilité d’agir contre un cahier des charges, acte règlementaire, pressenti comme irrégulier ou illégal, par le biais d’un recours au fond doublé d’un recours en suspension.

Le soussigné ne saurait en l’espèce suivre l’argumentation de la société requérante tendant à voir écarter le prédit article 39, attribué erronément à la loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics, alors que la jurisprudence invoquée n’a aucunement le contenu ou la portée alléguée par la société X. En effet, outre que la Cour administrative ne saurait faire preuve de préscience et écarter dans un arrêt datant du 6 avril 2000 l’application d’une disposition datant de 2018, ledit arrêt27 n’a pas perdu un traitre mot par rapport à la problématique des conditions éventuellement ambiguës ou imprécises et par rapport à l’article 39 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, dans sa mouture actuelle, ou par rapport à la disposition analogue alors applicable. Quant à la question d’une éventuelle contrariété du prédit article 39 avec le droit communautaire, question seulement incidemment indiquée par la société requérante, il s’agit d’une question, à défaut de toute jurisprudence, qu’elle soit nationale ou communautaire, à ce sujet, qui dépasse très largement les compétences du juge du provisoire et qui, en tout état de cause, devra faire l’objet de développements plus précis afin de pouvoir le cas échéant être apprécié par les juges du fond.

Enfin, un bref examen du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 permet de dégager que ladite disposition figure au Chapitre IV, Titre 1er « Cahier général des charges applicable à tous les pouvoirs adjudicateurs » du Livre I, « Dispositions générales » dudit règlement grand-

ducal, de sorte à être à première vue applicable, conformément à l’article 1er du même règlement, « à tous les marchés publics et à tous les pouvoirs adjudicateurs visés par le Livre Ier de la loi sur les marchés publics » et partant « aux marchés passés soit par soumission publique, soit par soumission restreinte avec publication d’avis, soit par soumission restreinte sans publication d’avis, soit par marché négocié »28.

Enfin, le fait que les critères sommaires indiqués aient ensuite été détaillés et discutés de manière plus approfondie ne saurait, de l’avis du soussigné, être retenu comme constituant la preuve que le pouvoir adjudicateur ait unilatéralement, ou plutôt à l’insu de la société requérante, modifié ou ajouté des critères d’attribution ; bien au contraire, il semblerait plutôt qu’un parallèle puisse être tiré avec la situation dans laquelle une autorité administrative apporte une motivation en rapport avec des conditions légales : si une autorité administrative, par 27 Cour adm. 6 avril 2000, n ° 11392C et 11406C du rôle.

28 Voir par analogie trib. adm. 12 juillet 2006, n° 21533, Pas. adm. 2020, V° Marchés publics, n° 33.

19 référence à des dispositions légales nécessairement concises et générales livre ensuite à l’administré une motivation détaillée, comportant une discussion précise et fouillée de l’application au cas d’espèce des conditions légales, il ne saurait là non plus être reproché automatiquement à l’autorité administrative d’avoir rajouté des conditions ou sous-conditions aux conditions figurant de manière succincte dans le texte légal29.

Il convient d’ailleurs de relever que par rapport à une problématique similaire les juges du fond30, en réponse à l’ordonnance citée ci-avant, ont de leur côté également admis la possibilité pour le pouvoir adjudicateur, par l’application d’une grille d’évaluation plus précise que celle figurant au cahier des charges et comportant des sous-critères, de procéder ainsi à une mise en application concrète des critères théoriques généraux fixés au cahier des charges en détaillant les critères d’attributions fixées dans le document descriptif et en les appliquant concrètement aux différentes offres lui soumises.

Le moyen en question ne présente dès lors pas, au terme d’un examen nécessairement sommaire, le sérieux nécessaire pour justifier la mesure sollicitée.

La même conclusion s’impose enfin en ce qui concerne le dernier moyen formulé par la société requérante, au travers duquel la société X entend remettre en question certaines des notations attribuées qui seraient selon elles entachées de plusieurs erreurs manifestes d’appréciation, ce moyen, pris en ses différents sous-points, se heurtant à un triple écueil :

Il appert en effet à la lecture de ce moyen, et des critiques afférentes relatives aux notations accordées par le pouvoir adjudicateur tantôt à l’offre de la société X, tantôt à l’offre de la société Y, que la société requérante entend procéder, respectivement faire procéder par les juges du fond, à une réévaluation en détail de certaines des notations attribuées par le pouvoir adjudicateur sur base d’explications fournies par la société X en ce qui concerne son offre, et de contestations, respectivement d’interrogations voire de simples doutes en ce qui concerne l’offre de la société Y, la seule formulation de cette argumentation sous forme d’interrogations ou de suspicions étant d’ores et déjà de nature à lui enlever tout caractère manifeste.

Force est encore de constater que les différents points mis en exergue, hormis la question du prix de l’offre de la société Y, relèvent d’après le cahier des charges de critères qualitatifs évalués comme suit : « L’offre est évaluée sur la base des documents remis par l’Opérateur Economique démontrant la capacité qu’il a ou qu’il compte acquérir pour accomplir ce qu’il annonce » : il apparaît qu’une telle évaluation repose, du moins en partie, sur une appréciation subjective de l’autorité adjudicatrice impliquant à priori l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

Enfin, le soussigné constate que les notations des deux concurrents en lice ne divergent pas d’une grande mesure, mais ne présentent à chaque fois qu’un point de différence, encore que la différence s’affine quelque peu au niveau des sous-critères tels que détaillés dans le rapport d’évaluation fourni par les CFL.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, le moyen de la société X est à analyser, à première vue, comme un reproche adressé aux CFL de ne pas avoir correctement exercé leur pouvoir discrétionnaire.

29 Trib. adm. (prés.) 30 août 2012, n° 31142 30 Trib. adm. 12 février 2014, n° 31141.

20 Or, il résulte à cet égard de la jurisprudence des juges du fond que si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend non pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge, le contrôle afférent à exercer par le juge de l’annulation est limité aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité, alors que ce contrôle ne saurait avoir pour but de priver le ministre, ni l’autorité, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale et n’est pas sujette à un recours en réformation31. En d’autres termes, lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il ne saurait pas, sous peine de méconnaître le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision attaquée en ce qu’il dispose d’une marge d’appréciation, se placer tout simplement en lieu et place de l’administration et substituer son appréciation à celle de l’administration. Cependant, dans le cadre du contrôle de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation est appelé à vérifier s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision attaquée32.

Il découle de cette limitation apportée au pouvoir de contrôle du juge de l’annulation, qu’en ce qui concerne plus particulièrement le juge du provisoire, que celui-ci doit user avec une parcimonie extrême de ses pouvoirs lorsqu’une erreur d’appréciation manifeste ou la violation du caractère proportionné d’une décision administrative est reprochée à son auteur33 ;

ainsi, un moyen reprochant à une autorité une erreur d’appréciation non manifeste, là où l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, voire d’un pouvoir discrétionnaire, ne constitue pas un moyen sérieux au sens de la loi modifiée du 21 juin 1999, puisqu’un moyen sérieux doit faire pressentir une annulation au terme d’un examen prima facie et qu’un simple doute quant à l’issue du recours n’est à cet égard pas suffisant.

Il convient ensuite de relever que tant les CFL (« L’offre est évaluée sur la base des documents remis par l’Opérateur Economique (…) » que les juges du fond, statuant en tant que juges de l’annulation, ont exercé respectivement exerceront leur contrôle sur base des documents effectivement remis par les concurrents à l’appui de leur offre : de ce point de vue, si l’instruction du litige est encore susceptible d’évoluer devant les juges du fond, il n’appert pas, à ce stade, que les explications actuellement fournies par la société X pour contrer l’évaluation et les notations des CFL aient intégralement fait partie du dossier remis conjointement avec l’offre de la société X : à titre d’exemple, le soussigné constate qu’en ce qui concerne le sous-critère « la prise en compte et le respect du bien-être au travail pour l’ensemble de son personnel », les CFL ont retenu que la société Y aurait fourni un descriptif très détaillé, tandis que la société requérante aurait seulement remis un « descriptif très sommaire » de sorte qu’il n’appert pas que les explications actuelles, basées essentiellement sur la signification des différentes certifications obtenues par la société X ainsi que sur les avantages dont bénéficierait son personnel, aient été fournies en temps utile au pouvoir adjudicateur. Ainsi, par exemple, le dossier de présentation notamment de la gestion du personnel, de la formation, de la sécurité et santé au travail versé aux débats date du 9 septembre 31 Cour adm. 8 octobre 2002, n° 14845C, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 54.

32 Cour adm. 14 juillet 2011, n° 28611C et 28617C, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 35, et les autres références y citées.

33 Trib. adm. (prés.) 14 novembre 2006, n° 22110 ; trib. adm. (prés.) 30 mai 2013, n° 32344, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 605.

21 2020, soit postérieurement à la date limite de la remise initiale des dossiers des concurrents, à savoir le 3 juin 2020.

Le même constat doit par exemple encore être notamment fait en ce qui concerne « l’approche organisationnelle et gestion du personnel » et les explications et documentations techniques fournies actuellement en cause par la société X, laquelle estime que pour s’assurer du bien-fondé de sa décision, les CFL auraient eu la possibilité de lui demander un complément d’informations, ou encore en ce qui concerne le critère « Description du suivi de la prestation contractuelle », où, si la société X procède à une description des équipements logiciels et digitaux utilisé et affirme avoir mis en place des outils techniques les plus performants actuellement sur le marché, il n’appert pas que les documents actuellement produits, tel que le « Guide de Présentation de la main courante électronique » ou encore la présentation d’un développeur de logiciels à l’attention de la société X aient fait partie du dossier initial : par ailleurs, le document intitulé « Vue d’ensemble du tableau de bord » utilisé actuellement par la société requérante semble dater de décembre 2020.

Il n’appert dès lors pas que les juges du fond, compte tenu de la double limitation exposée ci-avant, puissent procéder ex post à une nouvelle réévaluation des offres concurrentes, les juges du fond, comme relevé ci-avant, n’étant pas appelés à statuer comme juges de la réformation : le soussigné, juge du provisoire et du manifeste, ne saurait encore moins procéder à une telle appréciation impliquant un examen détaillé des deux offres et, le cas échéant, la substitution de sa propre appréciation à celle du pouvoir adjudicateur.

Enfin, en ce qui concerne la question du prix global de l’offre, prix en son double volet, c’est-à-dire en ce qui concerne la question de l’effectivité du prix et celle du dumping social allégué, si la société X estime que l’offre de la société Y semblerait être une offre anormalement basse et qu’elle douterait de l’effectivité du prix proposé, le moyen et les explications de la société requérante, encore que susceptibles de soulever certaines interrogations, ne sont toutefois pas de nature à pouvoir être considérées comme susceptibles d’étayer une probable annulation de la décision a quo.

Ainsi arithmétiquement, la différence indiquée - que ce soit la différence d’environ 1,5 % entre les offres financières ou celles de 4,2 % entre les offres globales des deux concurrents - n’est manifestement pas de nature à étayer un prix anormalement bas, alors que la différence de prix n’appert pas, à priori, comme étant importante.

Il semble par ailleurs ressortir de la jurisprudence34 que la simple différence de prix, même importante (de l’ordre de 20 %), entre deux offres n’est en tout état de cause pas à elle seule déterminante pour permettre de qualifier une offre d’anormalement basse, son caractère normal pouvant se dégager d’autres éléments ; aussi, toujours d’après les solutions retenues par les juges du fond, s’il incombe certes au pouvoir adjudicateur de s’assurer que les prix proposés sont économiquement viables et que le candidat a pris en compte l’ensemble des exigences formulées dans le dossier de consultation, le pouvoir adjudicateur ne peut toutefois se fonder sur le seul écart de prix entre deux offres pour qualifier une offre d’anormalement basse, sans rechercher si le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué, c’est-à-dire susceptible de compromettre la bonne exécution du marché35.

34 Trib. adm. 23 avril 2013, n° 32217, Pas. adm. 2020, V° Marchés publics, n° 109.

35 CE fr., 29 mai 2013, Min. Int. c/ Sté Artéis, n° 366606, ainsi que CE fr., 3 novembre 2014, Office national des forêts, n° 382413, cités dans trib. adm. 2 février 2015, n° 33722 ; voir aussi trib. adm. (prés.), 7 décembre 2016, n° 38722.

22 En l’espèce, il appert des explications des CFL qu’ils n’avaient à ce stade eu aucune raison de douter de la possibilité pour la société Y d’assumer l’exécution de ce marché, les CFL ayant expliqué avoir vérifié le respect par la société Y des barèmes prévus par la convention collective applicable.

D’un autre côté, en ce qui concerne l’appréciation des arguments factuels avancés par la société requérante, il s’agit là essentiellement d’une question d’appréciation technique qui requiert une analyse plus poussée et une discussion au fond, à laquelle le juge du provisoire ne saurait pas procéder, même à admettre que le juge du fond, statuant en tant que juge de l’annulation, puisse y procéder.

Il n’appert dès lors pas, dans le cadre de l’analyse sommaire et prudente à effectuer par le juge du provisoire, que l’existence de l’écart objective de prix sus-indiqué ait dû nécessairement amener légalement les CFL à exiger une analyse de prix et que l’absence d’analyse des prix soit de nature à établir dans le chef des CFL une erreur manifeste d’appréciation, étant en tout état de cause relevé qu’il résulte des documents soumis par les CFL au soussigné que les CFL ont bien procédé à une analyse des prix offerts tant par la société Y que par la société X, comportant un comparatif détaillé ainsi que la vérification de l’adéquation des prix offerts avec le « barème des salaires mensuels pour les sociétés de service de sécurité et de gardiennage » valable au 1er octobre 2019, les prix offerts par la société Y, tout en respectant au terme d’une analyse superficielle ce barème étant néanmoins inférieurs à ceux offerts par la société X.

Ce moyen ne présente dès lors non plus, au stade actuel d’instruction de l’affaire et au terme d’une analyse nécessairement sommaire, le sérieux requis.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, l’exigence tirée du caractère sérieux des moyens actuellement invoqués à l’appui de la demande d’annulation de la décision attaquée n’est pas non plus remplie en cause.

La société requérante doit partant être déboutée de sa demande en obtention d’une mesure provisoire, aucune des conditions devant être cumulativement remplies n’étant données en l’espèce.

Les demandes reconventionnelle en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de …euros tel que demandé par les CFL respectivement de … euros demandé par la société Y laissent d’être fondées, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.

Il y a en effet lieu de constater que les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge des parties défenderesse et tiers-intéressée n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, - étant souligné que les honoraires d’avocat ne constituent pas des frais non répétibles36 -, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande afférente.

36 Cass. 9 février 2012, n° 5/12.

23 Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;

rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire ;

rejette encore les demandes en allocation d’indemnités de procédure respectives formulées par les CFL et par la société Y ;

condamne en revanche la société requérante aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 janvier 2021 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 janvier 2021 Le greffier du tribunal administratif 24


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45349
Date de la décision : 08/01/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-01-08;45349 ?

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