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20/10/2020 | LUXEMBOURG | N°43190

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 octobre 2020, 43190


Tribunal administratif Numéro 43190 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2019 3e chambre Audience publique du 20 octobre 2020 Recours formé par Monsieur …, … (France), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43190 du rôle et déposée le 27 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Stéphane EBEL, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à F- …, ayant...

Tribunal administratif Numéro 43190 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2019 3e chambre Audience publique du 20 octobre 2020 Recours formé par Monsieur …, … (France), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43190 du rôle et déposée le 27 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Stéphane EBEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à F- …, ayant élu domicile à l’étude de Maître Stéphane EBEL sise à L-1134 Luxembourg, 55, rue Charles Arendt, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du 28 mars 2019 prise par le directeur de l’administration des Contributions directes portant rejet de la réclamation introduite à l’encontre du bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d’imposition … en date du 10 octobre 2018 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2019 ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu la communication de Maître Stéphane EBEL du 1er septembre 2020 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en sa plaidoirie à l’audience publique du 23 septembre 2020.

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En date du 10 octobre 2018, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’encontre de Monsieur … en sa qualité d’administrateur de la société anonyme … SA, ci-après dénommée la « société … », ledit bulletin déclarant Monsieur … codébiteur solidaire d’un montant de ….-€, en principal et intérêts au titre de l’impôt sur les traitements et salaires qui aurait dû être retenu et continué à l’administration des Contributions directes par la société … pour les années d’imposition 2014 et 2015.

1Ledit bulletin est libellé comme suit :

« […] Il est dû à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société … S.A. en faillite ayant son siège à L-…, immatriculée sous le numéro fiscal … et enregistrée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … à titre de l’impôt sur les traitements et salaires :

Année Principal Intérêts Total 2014 … € … € … € 2015 … € … € … € TOTAL … € … € … € Il résulte du dépôt au Registre de Commerce et des Sociétés sous la référence … du 17.02.2015 que vous avez été nommé administrateur de la société … S.A. en faillite.

En cette qualité vous avez eu le pouvoir d’engager la société sous signature conjointe depuis le 11 02.2015.

En votre qualité d’administrateur vous étiez en charge de la gestion de la société … S.A.

en faillite.

Par conséquent et conformément aux termes des §§ 108 et § 103 AO, vous étiez personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société … S.A. en faillite, dont notamment le paiement des impôts dus par la société … S.A. en faillite à l’aide des fonds administrés.

En vertu de l’article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu de retenir l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu à déclarer et à verser l’impôt retenu à l’Administration des contributions directes.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions, l’employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.

Dans le cas d’une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers.

En votre qualité de représentant de la société … S.A. en faillite il vous appartenait de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d’impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.

2Or pour les années 2014 à 2015 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.

L’omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d’impôt est à qualifier d’inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société … S.A. en faillite.

L’omission de payer sur les fonds disponibles de la société … S.A. en faillite les retenues échues avant votre entrée en fonction est à qualifier d’inexécution de vos obligations.

Suite à l’inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l’Administration des contributions directes n’a pas perçu les retenues d’impôt d’un montant de … €.

Ce montant de … € se compose comme suit :

Année Principal Intérêts Total 2014 … € … € … € 2015 … € … € … € TOTAL … € … € … € En vertu du § 110 AO votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l’extinction de votre pouvoir de représentation.

Considérant qu’en vertu du § 103 AO vous êtes tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société … S.A. en faillite.

Considérant que l’inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.

Considérant que l’inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d’impôt sur les traitements et salaires d’un montant de … €.

Considérant que dans la mesure où, par l’inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l’impôt légalement dû, vous êtes constitué codébiteur solidaire de ce montant conformément au § 109 AO.

Considérant que le § 118 AO m’autorise à engager votre responsabilité.

Considérant le fait qu’en votre qualité de représentant vous êtes chargé de la gestion de la société … S.A. en faillite j’engage votre responsabilité, l’appel en garantie s’élève au montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.

Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l’Administration des contributions directes à Luxembourg […].

Des bulletins d’appel en garantie ont aussi été adressés aux codébiteurs solidaires suivants :

3Monsieur … Monsieur … Monsieur … ».

Par un courrier recommandé du 8 janvier 2019, Monsieur … introduisit, par l’intermédiaire de son mandataire, une réclamation à l’encontre du bulletin d’appel en garantie, précité, du 10 octobre 2018 auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur ».

Par une décision du 28 mars 2019, référencée sous le numéro … du rôle, le directeur rejeta ladite réclamation lui adressée dans les termes suivants :

« […] Vu la requête introduite le 8 janvier 2019 par Me Stéphane Ebel, au nom du sieur …, F-…, pour réclamer contre le bulletin d’appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d’imposition … en date du 10 octobre 2018 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu le § 119, alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu’elle est partant recevable ;

Considérant que le bulletin attaqué a déclaré le réclamant codébiteur solidaire de l’impôt sur les traitements et salaires des années 2014 et 2015 au motif qu’il aurait, en sa qualité de représentant légal de la société anonyme …, en état de faillite, commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes qui ont été retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d’impôt sur les salaires, et dont la société était et est toujours redevable ;

Considérant, à titre liminaire tout comme en matière de principe, que le représentant d’une personne morale est responsable du paiement des dettes d’impôt de la personne morale qu’il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ;

qu’aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;

Considérant dès lors que dans la mesure où le représentant, par l’inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l’impôt légalement dû, il est, en principe, constitué codébiteur solidaire des arriérés d’impôt de la société, conformément au § 109 AO ;

que la responsabilité du représentant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l’administration ;

Considérant qu’il s’avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu’en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l’auteur du dommage ne peut pas s’exonérer en invoquant une prétendue faute d’un tiers, lequel n’entrera en ligne de compte qu’au stade du recours entre les coresponsables ; que le représentant responsable 4sur le fondement du § 109 AO ne peut s’opposer à une poursuite au motif qu’elle n’a pas été engagée contre l’autre, quod non en l’espèce, étant donné que d’autres bulletins d’appel en garantie ont été émis à l’encontre des sieurs …, … et … ;

Considérant, matériellement, qu’en vertu de l’article 136, alinéa 4 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) l’employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel ; que dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers (§ 103 AO) ; que la responsabilité de l’administrateur, voire du gérant, selon le cas, est à qualifier de fautive du moment que des paiements de salaires sont effectués sans retenue d’impôt et sans continuation des montants à retenir à l’administration (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle) ; qu’il en est de même en ce qui concerne les retenues échues avant son entrée en fonction, si, par sa faute, elles ne sont pas payées sur les fonds disponibles de la société ;

Considérant que sous l’empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l’imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d’adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 24 novembre 1961, BStBI. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBI. 1981 II 493 ; cf Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG Anm.

5 Abs. 3) ; que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en œuvre de la responsabilité d’un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu’un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du représentant (« Vertreter ») d’une société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;

Considérant que la responsabilité du représentant est cependant à qualifier de fautive du moment qu’il n’accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d’avant son entrée en fonction, à l’aide des fonds administrés ; que cette dernière prémisse l’emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu’elle s’est présentée durant les années antérieures ;

Considérant dans ce contexte, et notamment d’après une jurisprudence constante, que le paiement de salaires sans retenue d’impôt et sans continuation des montants à retenir à l’administration des contributions directes est à qualifier de fautif per se (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle ; Cour administrative du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle ;

Tribunal administratif du 15 janvier 2009, n° 24145 du rôle) ;

Considérant encore qu’en ce qui concerne la notion de l’inexécution fautive, à savoir de la « schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter des Steuerpflichtigen » au sens du § 109, alinéa 1er AO, que la Cour administrative a consigné que :

51) « Dans la mesure où il n’est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n’ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n’ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d’imposition à procéder par la voie de la taxation d’office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d’avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d’imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l’appelant, étant donné qu’en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (…), de sorte qu’il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d’impôt et que l’omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif.

(…) Or, le fait pour l’appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société (…), à ce que les déclarations d’impôt soient déposées en temps utile auprès de l’administration des Contributions directes, est à qualifier d’inexécution fautive des obligations du représentant d’une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle à l’égard des créances d’impôt visées dans le bulletin d’appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. Cette conclusion ne saurait être invalidée par l’argumentation de l’appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu’il est resté trop longtemps inactif et qu’il semblerait, d’après les éléments du dossier, qu’il n’est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. » (CA du 23 août 2016, n° 38378C), et que :

2) « Les premiers juges ont essentiellement retenu que le « § 103 AO soumet les dirigeants d’une société à l’obligation de veiller à ce que les impôts dus soient payés au trésor public », pointant de la sorte essentiellement l’obligation des représentants d’une société de veiller au paiement des impôts dus (…).

La Cour ne saurait entériner cette vision des choses.

En premier lieu, il est erroné de limiter l’analyse sur l’obligation de paiement des impôts dus, mais il convient d’avoir égard à l’ensemble des obligations incombant au contribuable en vue de la fixation et du paiement de l’impôt dû.

(…) Cette façon de procéder au cours de la procédure d’imposition est aux antipodes de l’attitude que l’on peut attendre d’une société raisonnablement prudente et diligente et elle caractérise manifestement une violation des obligations incombant aux organes d’administration de la société (…). Le manquement ainsi dépeint est encore de toute évidence grave.

(…) (…), il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que Monsieur (…) a de façon prolongée rendu impossible la détermination exacte des bases d’imposition et qu’il a singulièrement et fautivement manqué de remplir les obligations fiscales qui lui incombaient en tant que représentant de la société (…), de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de 6sa responsabilité personnelle pour les impôts visés par le bulletin d’appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. » (CA du 31 janvier 2017, n° 38343C) ;

Considérant qu’il découle de ce qui précède que c’est à tort que le réclamant estime sa responsabilité personnelle ne pas devoir être engagée, de sorte que la mise à charge des arriérés de la société au titre de la retenue d’impôt sur les traitements et salaires des années 2014 et 2015, ainsi que les intérêts de retard y relatifs, est parfaitement justifiée en ce qui le concerne ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. […] ».

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 juin 2019, inscrite sous le numéro 43190 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du 28 mars 2019 prise par le directeur portant rejet de la réclamation introduite à l’encontre du bulletin d’appel en garantie du 10 octobre 2018.

Conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, les personnes à l’encontre desquelles un bulletin d’appel en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes au contribuable. Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt.

Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours principal en réformation, qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, Monsieur … rappelle tout d’abord les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tel que repris ci-avant.

En droit, et après avoir rappelé le cadre juridique de la présente affaire, il insiste plus particulièrement sur la notion de « Schuldhafte Verletzung », laquelle viserait le manque de diligence ou de soins apportés à l’exécution des obligations fiscales de la société qu’il administre, voire la mauvaise administration, c’est-à-dire la faute que n’aurait pas commise une personne normalement prudente et vigilante placée dans les mêmes circonstances. Ainsi, le seul non-paiement des impôts d’une société ne serait pas nécessairement fautif et dès lors insuffisant pour engager la responsabilité de son dirigeant.

A cet égard, Monsieur … souligne l’extrême brièveté de son mandat d’administrateur de la société … et le contexte qui aurait conduit à son « arrivée aux affaires ». Il indique à cet égard que son mandat aurait duré moins d’un mois, à savoir du 11 février 2015 au 9 mars 2015, date du prononcé du jugement de faillite sur aveu de la société en question, et qu’il aurait été nommé 7au conseil d’administration de ladite société le 11 février 2015 pour remplacer Monsieur …, administrateur-délégué alors révoqué, le demandeur décrivant son intégration au conseil d’administration comme celui « d’un pompier qui viendrait combattre un feu que l’on ne parvient pas à éteindre ». Il explique encore qu’il serait administrateur de la société anonyme … SA, ci-après la « société … », actionnaire majoritaire de la société … et qu’une plainte pénale aurait été déposée le 20 avril 2015 au nom de la société … contre Monsieur … pour des faits ayant trait aux infractions d’abus de biens sociaux, abus de confiance, escroquerie, faux et usage de faux, vol, banqueroute simple et frauduleuse et déclaration mensongère. Cette plainte pénale témoignerait du fait que les autres membres du conseil d’administration de la société … auraient été exclus de plusieurs décisions hautement préjudiciables à la société et à son insolvabilité. Un courrier adressé au curateur de la société … témoignerait encore de ses efforts pour remédier à une situation « savamment orchestrée et longtemps cachée » tant aux autres administrateurs qu’à lui-même, Monsieur … n’étant arrivé au sein du conseil d’administration que quelques jours avant la décision de déposer le bilan de la société. Le demandeur donne également à considérer que depuis fin 2013, des audits auraient été effectués et des discussions menées avec Monsieur … et que les comptes de l’exercice 2014 n’auraient pas été arrêtés ni approuvés au moment de son arrivée au conseil d’administration le 11 février 2015. Sur base de toutes ces considérations, il serait difficilement concevable de mettre à sa charge une quelconque responsabilité.

Le demandeur souligne encore qu’il n’aurait pas été le seul membre du conseil d’administration de la société … et que le bulletin d’appel en garantie omettrait de préciser les raisons pour lesquelles sa responsabilité aurait été engagée plutôt que celle de Monsieur ….

Finalement il se base sur un arrêt de la Cour administrative du 4 avril 2017, inscrit sous le numéro 38878C du rôle pour conclure à la présence d’un administrateur-délégué omnipotent dans la personne de Monsieur … « privatisant » le pouvoir dans la société ….

En omettant, d’un côté, de rapporter la preuve d’une inexécution fautive dans son chef et, de l’autre côté, de prendre en considération les actes posés par Monsieur …, la décision querellée ne serait pas fondée et devrait être réformée.

La partie étatique s’étant limitée à se rapporter à prudence de justice tant en ce qui concerne la recevabilité qu’en ce qui concerne le bien-fondé du recours sans avoir pris plus particulièrement position quant au fond du litige.

En vertu des dispositions de l’article 136 (4) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après désignée par « LIR », l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que « Die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die den Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln, die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder, die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln, die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».

Quant à la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du fait du non-paiement des impôts dont est redevable une personne morale, le paragraphe 109 AO dispose dans son alinéa 81er: « Die Vertreter und die übrigen in den §§ 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den §§ 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind ».

Il s’ensuit que le représentant d’une société anonyme est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable directement, respectivement ceux dont elle est redevable pour compte d’autrui. Ces dispositions légales mettent ainsi une obligation personnelle à charge des représentants légaux d’une société.

Il est en l’espèce constant en cause que lors d’une assemblée générale extraordinaire qui s’est tenue le 11 février 2015, Monsieur … a été nommé avec effet au même jour au poste d’administrateur de la société …, la révocation de l’ancien administrateur, Monsieur …, ayant également été décidée lors de cette même assemblée générale. Il ressort, par ailleurs, de l’extrait de cette assemblée générale extraordinaire du 11 février 2015, que les statuts de la société … ont été modifiés en ce sens que celle-ci se trouvait engagée soit par la signature conjointe de deux administrateurs soit par la signature individuelle d’un administrateur lorsque le conseil d’administration est composé d’un seul membre. Il ressort finalement des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que par jugement du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 9 mars 2015, la faillite sur aveu a été prononcée à l’égard de la société ….

Dans la mesure où le demandeur a été nommé à partir du 11 février 2015 jusqu’au 9 mars 2015, date du poncé du jugement déclaratif de faillite, à la fonction d’administrateur de la société …, il doit être considéré comme ayant été pendant cette période officiellement en charge de l’administration de la société, et, conformément à l’article 441-91 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, comme ayant été pendant cette période un des représentants légaux de ladite société à l’égard des tiers, la société … ayant été représentée à l’égard des tiers par son conseil d’administration.

En tant que personne étant de jure et de facto en charge de l’administration de la société …, Monsieur …, conformément au paragraphe 103 AO, était en effet personnellement tenu, pendant l’exercice de cette fonction, à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société pendant cette période, de sorte qu’il était obligé de retenir, lors du paiement des salaires, l’impôt sur les salaires, ainsi que de le continuer au trésor public, et ce même indépendamment du fait que cette dette serait née avant son mandat.

Il se dégage toutefois des dispositions légales précitées que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO précité n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.

1 Version coordonnée annexée au règlement grand-ducal du 5 décembre 2017 portant coordination de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales.

9Le paragraphe 7, alinéa (3) de la loi d’adaptation fiscale, ci-après désignée par « StAnpG », disposant par ailleurs que « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung.

Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

En cas de pluralité de responsables, la possibilité de poursuivre simultanément tous les responsables résulte implicitement du paragraphe 7 StAnpG qui dispose que ceux qui sont poursuivis en qualité de responsables sont tenus solidairement. Le bureau d’imposition n’est, par contre, pas obligé de poursuivre tous les co-responsables et peut limiter son recours contre un ou plusieurs d’entre eux. En toute hypothèse, il appartient au bureau d’imposition de relever les circonstances particulières qui ont déterminé son choix2.

Conformément au paragraphe 2 StAnpG disposant que « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessens-Entscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessens-Entscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen », l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles, en raison et en équité, de fonder sa décision.

En l’espèce, il résulte du bulletin d’appel en garantie litigieux que la responsabilité de Monsieur … a été engagée pour avoir omis pendant la période de son mandat allant du 11 février au 9 mars 2015 de retenir, de déclarer et de payer à l’administration les sommes dues par la société … à titre de retenue d’impôt sur les traitements et salaires du personnel de la société des années 2014 et 2015. Par la décision déférée, le directeur a confirmé le bulletin d’appel en garantie ainsi émis par le bureau d’imposition.

Concernant plus particulièrement le comportement fautif dans le chef de Monsieur … pendant la durée de son mandat, il ressort des pièces versées en cause par le demandeur, non utilement contestées par la partie étatique, à savoir, de la copie du courrier adressé par Monsieur … au curateur de la faillite de la société … le 26 mars 2015 ainsi que de la copie de la plainte pénale déposée le 21 avril 2015 par la société … à l’encontre de l’ancien administrateur, Monsieur …, de la société …, que suite à sa nomination au conseil d’administration de la société … le 11 février 2015, Monsieur … a constaté l’absence de tout document comptable de la société … ainsi que des documents sociaux, et, de manière générale, de tout document utile permettant d’analyser la situation financière et administrative de la société … relative à l’année 2014.

Il résulte de ces mêmes pièces que le demandeur a ensuite procédé à un audit de la société …, qu’il a réalisé des démarches auprès d’un établissement bancaire pour obtenir les extraits bancaires concernant la société … de l’année 2014, qu’il a procédé aux vérifications 2 Trib. adm., 14 juin 2010 n° 26277 du rôle, confirmé par arrêt du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle, Pas. adm.

2020, V° Impôts, n° 497, et les autres références y citées.

10auprès du registre de commerce et des sociétés de Luxembourg dans le contexte d’un contrat de nantissement conclu au nom de la société … au profit d’une tierce société inconnue, qu’il a contacté les différentes administrations publiques luxembourgeoises afin d’obtenir les décomptes actualisés des sommes dues par la société … et qu’il a entrepris des diligences en vue d’identifier les salariés de la société …. Il en résulte également que Monsieur … a, ensemble avec un cabinet d’expertise-comptable, dressé la situation comptable sommaire de la société …, qu’il a, ensuite, constaté l’état de cessation de paiement de ladite société et finalement pris la décision de faire l’aveu de sa faillite auprès du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg.

Au regard de ces démarches concrètement entreprises, et eu égard à l’absence de toute contestation y relative de la part de la partie étatique, le délégué du gouvernement s’étant, dans son mémoire en réponse, rapporté à prudence de justice en ce qui concerne le bien-fondé du recours, force est au tribunal de constater que Monsieur … a, pendant l’extrême brièveté de son mandat de 26 jours, mis tout en œuvre pour assumer ses responsabilités en tant qu’administrateur de la société … sans avoir, par une quelconque négligence de sa part, contribué à la naissance, voire à une augmentation de la dette de ladite société envers le fisc.

Au contraire, par son intervention rapide et efficace depuis le début de son mandat, et suite à l’élaboration de la situation comptable et financière de la société … ayant relevé son état de cessation de paiement et l’aveu de la faillite, Monsieur … a évité toute augmentation inutile de la dette de la société en question envers le trésor public.

Le tribunal ne saurait ainsi dégager du comportement de Monsieur … une quelconque inexécution fautive de ses obligations envers l’administration fiscale au sens du paragraphe 109 AO pendant la durée de son mandat allant du 11 février au 9 mars 2015.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours est fondé, de sorte que la décision directoriale déférée encourt la réformation en ce sens qu’il n’y a pas lieu d’appeler Monsieur … en garantie pour les impôts redus par la société … pour les années 2014 et 2015, sans qu’il n’y a lieu de statuer plus en avant.

La demande de Monsieur … tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000.-

€ sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter, étant donné qu’il ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non répétibles à sa charge.

Quant à la demande de Monsieur … figurant au dispositif de son recours et visant la distraction des frais au profit du mandataire concluant qui la demande, affirmant en avoir fait l’avance, il convient de rappeler qu’il ne saurait être donné suite à la demande en distraction des frais posée par le mandataire d’une partie, pareille façon de procéder n’étant point prévue en matière de procédure contentieuse administrative.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond le déclare justifié, partant par réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 28 mars 2019, dit qu’il n’y a pas lieu d’appeler 11Monsieur … en garantie pour l’impôt sur les salaires et traitements redus par la société anonyme … SA pour les années 2014 et 2015 ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure sollicitée par le demandeur ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 octobre 2020, par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, vice-président, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 octobre 2020 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 43190
Date de la décision : 20/10/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-10-20;43190 ?

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