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16/10/2020 | LUXEMBOURG | N°44861

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 octobre 2020, 44861


Tribunal administratif N° 44861 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2020 4e chambre Audience publique du 16 octobre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44861 du rôle et déposée le 19 août 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né … à ...

Tribunal administratif N° 44861 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2020 4e chambre Audience publique du 16 octobre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art.35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44861 du rôle et déposée le 19 août 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né … à … (Syrie), de nationalité syrienne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 août 2020 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers les Pays-Bas, Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale, ainsi que de la « décision (…) sous-jacente à la décision du 13 août 2020 (…) chargeant la police judiciaire pour l’organisation matérielle de son transfert vers les Pays-Bas sous peu de temps » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 septembre 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marlène Aybeck, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 octobre 2020.

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Le 23 avril 2020, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait préalablement introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas les 1er septembre 2015, 20 décembre 2017, 1er mai 2019 et 29 janvier 2020, en Allemagne le 25 avril 2017, en Belgique le 25 juin 2018 et en Autriche le 17 novembre 2019. Il ressortit également d’une consultation du Système d’information Schengen(SIS) que Monsieur … est signalé par les autorités néerlandaises suite à une interdiction d’accès ou de séjour délivrée par ces dernières.

Par arrêté du 23 avril 2020, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), pour une durée de trois mois.

Toujours le 23 avril 2020, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues néerlandais une demande de reprise en charge de Monsieur …, sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », demande qui fut acceptée conformément à l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III par les autorités néerlandaises en date du 29 avril 2020.

Le 6 juillet 2020, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.

Par arrêté ministériel du 22 juillet 2020, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, l’assignation à résidence de Monsieur … fut prorogée pour une nouvelle durée de trois mois.

Par décision du 13 août 2020, expédiée à l’intéressé par courrier recommandé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … qu’il serait transféré aux Pays-Bas, l’État membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 23 avril 2020 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers les Pays-Bas qui sont l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 23 avril 2020 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 6 juillet 2020.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale 2 En date du 23 avril 2020, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment déposé, respectivement introduit sept demandes de protection internationale, dont quatre aux Pays-Bas en date du 1er septembre 2015, en date du 20 décembre 2017, en date du 1er mai 2019 et en date du 29 janvier 2020, une en Allemagne en date du 25 avril 2017, une en Belgique en date du 25 juin 2018 et une en Autriche en date du 17 novembre 2019.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 23 avril 2020 une demande de reprise en charge aux autorités néerlandaises sur base de l’article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités néerlandaises en date du 29 avril 2020.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge – dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 – le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 23 avril 2020 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment déposé, respectivement introduit sept demandes de protection internationale, dont quatre aux Pays-Bas en date du 1er septembre 2015, en date du 20 décembre 2017, en 3 date du 1er mai 2019 et en date du 29 janvier 2020, une en Allemagne en date du 25 avril 2017, une en Belgique en date du 25 juin 2018 et une en Autriche en date du 17 novembre 2019.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Syrie en août 2015 par voie maritime en direction de la Turquie. Vous seriez resté une semaine à Istanbul avant de vous rendre à Izmir où vous seriez monté à bord d’un bateau en direction de la Grèce. Étant donné que la situation en Grèce en 2015 n’était pas bonne et que vous auriez désiré rejoindre votre famille en Europe, vous auriez continué votre voyage en direction des Pays-Bas où vous avez déposé votre première demande de protection internationale et où vous auriez vécu pendant un an et demi.

Vous auriez quitté les Pays-Bas après le rejet de votre demande de protection internationale et vous avez par la suite introduit des demandes de protection internationale en Allemagne, en Belgique et en Autriche, avant d’être transféré aux Pays-Bas où vous seriez resté pendant six mois avant de vous rendre an Autriche où vous auriez introduit une nouvelle demande qui aurait été rejetée parce que les autorités autrichiennes auraient considéré que les Pays-Bas sont responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale et elles vous auraient transféré aux Pays-Bas. Après trois mois, vous seriez reparti en direction du Luxembourg où vous seriez arrivé en date du 22 avril 2020.

Vous déclarez avoir de nouveau quitté les Pays-Bas parce que les autorités néerlandaises vous auraient informé, lors de votre dernier séjour, que vous n’auriez plus le droit d’y introduire une demande de protection ni droit à un logement.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 6 juillet 2020, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers les Pays-Bas qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que les Pays-Bas sont liés à la Charte UE, et sont partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que les Pays-Bas sont liés par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que les Pays-Bas profitent, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’ils respectent leurs obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, les Pays-Bas sont présumés respecter leurs obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

4 Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n'existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers les Pays-Bas sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, dans l’hypothèse où les autorités néerlandaises auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d’origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires néerlandaises.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que les Pays-Bas ne respecteraient pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à leurs obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence les Pays-Bas. Vous ne faites valoir aucun indice que les Pays-Bas ne vous offriraient pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions néerlandaises, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence aux Pays-Bas revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers les Pays-Bas, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

5 Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers les Pays-Bas, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avérait nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers les Pays-Bas en informant les autorités néerlandaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités néerlandaises n’ont pas été constatées (…) ».

Le même jour, le ministre s’adressa au service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, afin d’organiser le transfert de Monsieur … vers les Pays-Bas.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 août 2020, inscrite sous le numéro 44861 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 13 août 2020, d’une part, ainsi que contre « l’ordre d’expulsion sous-

jacente à la décision ministérielle attaquée », respectivement la « décision ministérielle du 13 août 2020 consistant à [le] transférer (…) [vers] les Pays-Bas ».

Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre ladite décision du ministre du 13 août 2020.

Concernant la demande de suspension du transfert « pour raison de santé publique, respectivement en raison des mesures nationales prises pour endiguer le Covid-19 », force est au tribunal de relever que, saisi en l’espèce d’un recours en annulation contre la décision du ministre de ne pas statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … et de le transférer vers les Pays-Bas, il ne peut qu’annuler celle-ci ou rejeter le recours contentieux, au regard de la situation de fait et de droit au jour où le ministre a statué, de sorte à ne pas pouvoir prendre en compte l’évolution de la situation sanitaire liée à la pandémie COVID-19, étant encore relevé que ce n’est que l’exécution matérielle de la décision déférée qui serait éventuellement concernée par cette évolution, exécution dont le tribunal n’est pas saisi pour ne pas relever de sa compétence.

Le tribunal ne pouvant pas ordonner la suspension du transfert ou prendre toute autre mesure de sauvegarde, cette compétence appartenant exclusivement, en vertu de l’article 11, paragraphe (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, au président du tribunal administratif statuant comme juge des référés, il est dès lors incompétent pour connaître de la demande, telle que formulée dans le dispositif de la requête introductive d’instance, de suspendre le transfert du demandeur vers les Pays-Bas, étant encore précisé que l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est inapplicable en la matière, faute d’instance d’appel.

Quant à la recevabilité, le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse soulève l’irrecevabilité du recours, en ce qu’il est dirigé contre la décision « chargeant la police judiciaire pour l’organisation matérielle de son transfert vers les Pays-Bas sous peu de 6 temps », que le demandeur qualifie encore d’« ordre d’expulsion sous-jacente à la décision ministérielle attaquée ». Il soutient que le transmis adressé au service de police judiciaire en vue de l’organisation du transfert de Monsieur … ne constituerait qu’une mesure prise en exécution de la décision de transfert du même jour, sans pouvoir être qualifié d’acte ayant un caractère décisionnel et modifiant par lui-même la situation juridique du demandeur, de sorte à ne pas constituer un acte faisant grief contestable devant le tribunal administratif, tout en précisant qu’aucun ordre d’expulsion n’aurait été prononcé par le ministre.

Aux termes de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après dénommée « la loi du 7 novembre 1996 », un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ». Cet article limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. En effet, pour être susceptible de faire l’objet d’un recours, la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief2.

N’ont pas la qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les simples mesures d’exécution d’une décision administrative puisqu’elles ne sont pas susceptibles de produire un effet de droit indépendamment de la décision dont elles constituent l’exécution, la modification apportée à l’ordonnancement juridique étant l’œuvre de la décision exécutée3.

En l’espèce, force est de constater que le courrier du 13 août 2020, adressé au service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, afin d’organiser matériellement le transfert de Monsieur … vers les Pays-Bas ne constitue effectivement qu’une mesure d’exécution de la décision de transfert prise le 13 août 2020. Elle ne peut partant être considérée comme constitutive d’une décision susceptible d’un recours contentieux, alors que, non seulement, ledit courrier ne contient pas d’élément décisionnel propre, mais il n’est par ailleurs pas non plus adressé à Monsieur ….

Ainsi, le recours en annulation, pour autant qu’il est dirigé contre « l’ordre d’expulsion sous-jacente à la décision ministérielle attaquée, respectivement la décision ministérielle du 13 août 2020 consistant à transférer le requérant [vers] les Pays-Bas », est à déclarer irrecevable.

1 F. Schockweiler, « Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois », n° 46, p. 28.

2 trib. adm., 18 mars 1998, n° 10286 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Actes administratifs, n° 43, et les autres références y citées.

3 trib. adm. 29 février 2016, n° 35543 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Actes administratifs, n° 67, et les autres références y citées.

Par contre, le recours en annulation, pour autant qu’il est dirigé contre la décision du ministre du 13 août 2020 de ne pas statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … et de le transférer vers les Pays-Bas, est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur réitère, tout d’abord, les faits et rétroactes à la base de la décision ministérielle déférée, tout en soulevant que sa demande de protection internationale aurait été rejetée par les autorités néerlandaises qui l’auraient informé qu’il ne pourrait plus introduire de nouvelle demande et qu’il ne bénéficierait plus de droit au logement, raison pour laquelle il aurait décidé de quitter les Pays-Bas pour se rendre au Luxembourg, ayant déjà introduit une demande en Allemagne, en Belgique, et en Autriche.

En droit, Monsieur … reproche au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en droit et des faits en ne prenant pas en considération sa situation de vulnérabilité, alors que le dépôt de sa demande de protection internationale au Luxembourg serait la conséquence du rejet définitif de sa demande de protection internationale aux Pays-

Bas, de sorte qu’il craindrait d’être renvoyé en Syrie où la guerre ferait rage.

Il fait ensuite valoir que le ministre aurait violé l’article 17, paragraphes (1) et (2) du règlement Dublin III, alors qu’il résulterait des considérants (14), (15) et (17) dudit règlement qu’un Etat membre, en l’occurrence l’Etat luxembourgeois, pourrait déroger au mécanisme du règlement Dublin III, en examinant une demande de protection internationale d’un demandeur, même si cet examen ne lui incomberait pas, notamment pour des motifs humanitaires, respectivement de « santé publique », étant donné que les Pays-Bas feraient de nouveau face à des foyers de contamination du Covid-19.

Par conséquent, le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté et la clause humanitaire en vertu des dispositions de l’article 17, paragraphes (1) et (2) du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Le tribunal n’étant pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis, il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personneconcernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités néerlandaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers les Pays-Bas et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale est le Pays-Bas, en ce qu’il y a introduit auparavant une demande de protection internationale en date des 1er septembre 2015, 20 décembre 2017, 1er mai 2019 et 29 janvier 2020, et que les autorités néerlandaises ont accepté sa reprise en charge le 29 avril 2020, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers les Pays-Bas et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Il échet également de relever que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe des Pays-Bas, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais soutient, en substance, que la décision déférée serait contraire à l’article 17, paragraphes (1) et (2) du règlement Dublin III au vu de son état de vulnérabilité que le ministre aurait omis de prendre en considération et au vu de la situation sanitaire aux Pays-Bas due à la pandémie liée à la maladie du COVID-19.

S’agissant du moyen consistant à revendiquer la compétence des autorités luxembourgeoises sur base de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement », le tribunal est amené à relever que s’il est vrai que, lorsqu’en application des critères dudit règlement, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres4. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge5, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée6, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou 4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

5 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.

6 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

Or, en l’espèce, force est de constater que le demandeur n’a pas soumis au tribunal des éléments permettant de retenir que le ministre, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au paragraphe (1) de l’article 17 du règlement Dublin III, ait commis une erreur manifeste d’appréciation susceptible d’être sanctionnée par l’annulation de la décision déférée.

En effet, le demandeur est resté plus particulièrement en défaut de faire état d’un quelconque élément humanitaire ou exceptionnel qui aurait dû amener les autorités ministérielles luxembourgeoises à se déclarer responsables du traitement de sa demande de protection internationale.

En ce qui concerne, à cet égard, tout d’abord l’état de vulnérabilité alléguée du demandeur, force est de constater qu’il ne ressort ni du dossier administratif, ni d’un quelconque autre élément soumis au tribunal, que le demandeur serait à considérer comme une personne vulnérable, étant encore relevé qu’il a affirmé lors de son entretien relatif à la procédure Dublin III du 6 juillet 2020 que son état de santé est « Bon ».

S’agissant, ensuite, de l’argumentation du demandeur qu’il ne pourrait être transféré vers les Pays-Bas en raison de la situation sanitaire actuelle à cause de la pandémie due au virus COVID-19 rendant impossible son déplacement en raison des mesures nationales prises dans ce contexte par les autorités compétentes, il échet de relever que les éventuels problèmes liés au transfert en lui-même ne sauraient mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, puisqu’ils sont relatifs à l’exécution de la décision de transfert du 13 août 2020, étant, à cet égard, encore relevé que même si le transfert est momentanément suspendu et que malgré la cessation des contrôles aux frontières, la date de transfert de Monsieur … vers les Pays-Bas n’était pas connue au moment de la prise de la décision de transfert, il n’en demeure pas moins que les autorités luxembourgeoises disposent d’un délai allant jusqu’au 29 octobre 2020 pour procéder au transfert de l’intéressé en application de l’article 29, paragraphe (1) du règlement Dublin III aux termes duquel le transfert vers un autre Etat membre en application notamment de l’article 18, paragraphe (1), point d), du même règlement doit avoir lieu, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par l’autre Etat membre de la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée, en l’occurrence, en l’espèce, à partir du 29 avril 2020.

En ce qui concerne, enfin, le moyen fondé sur une violation de l’article 17, paragraphe (2), du règlement Dublin III, aux termes duquel « 2. L’Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l’Etat membre responsable, ou l’Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu’une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n’est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit », ensemble les considérants (14), (15) et (17) du même règlement, force est de relever que cette disposition vise la possibilité soit pour un Etat membre dans lequelune demande de protection est présentée et qui procède à la détermination de l’Etat membre responsable, en l’occurrence, le Luxembourg, soit pour l’Etat membre responsable, en l’occurrence, les Pays-Bas, de demander à un autre Etat membre, avant qu’une première décision ne soit prise sur le fond, de prendre un demandeur en charge pour le rapprocher de tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels même si cet autre Etat membre n’est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16 du même règlement, étant toutefois relevé que les personnes concernées doivent dans ce cas exprimer leur consentement par écrit.

Or, en l’espèce, indépendamment du fait qu’il ne ressort pas du dossier administratif que le demandeur ou une personne dont il y aurait lieu de le rapprocher ait exprimé son consentement y relatif par écrit, il échet de constater qu’il n’a pas non plus fait état d’un parent se trouvant sur le territoire d’un autre Etat membre et duquel il souhaiterait être rapproché, de sorte que les dispositions prévues au paragraphe (2) de l’article 17, précité, du règlement Dublin III, ne sont pas pertinentes en l’espèce, d’autant plus qu’une décision au fond a déjà été prise par les autorités néerlandaises.

Il s’ensuit que les moyens fondés sur l’article 17, paragraphes (1) et (2) du règlement Dublin III sont rejetés pour ne pas être fondés.

Quant au moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation en droit, respectivement des faits, le tribunal relève finalement que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève », ainsi que dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard7. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants8 9. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur d’asile de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées10. Dans son arrêt du 16 février 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système 7 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

8 Ibidem, point. 79.

9 trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur : www.jurad.etat.lu 10 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.européen commun d’asile11, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore que la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désigné par « la CJUE »12, vient, dans un arrêt du 19 mars 2019, de confirmer ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale que chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.

En ce qui concerne le risque allégué d’une expulsion en cascade, le tribunal constate tout d’abord que la décision attaquée n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites, étant relevé que ledit Etat membre, en l’occurrence les Pays-Bas, ont explicitement reconnu être compétents pour reprendre le demandeur en charge.

Il n’en demeure pas moins qu’en vertu notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après désignée par « la CourEDH », dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse être de nature à entraîner un risque sérieux qu’un demandeur de protection internationale soit, en cas de transfert vers un Etat membre, traité d’une manière incompatible avec les droits fondamentaux, étant relevé que la présomption selon laquelle les Etats membres respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH et la Charte est réfragable.

Force est toutefois de constater qu’en l’espèce, outre le fait que le demandeur n’affirme pas que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés aux Pays-Bas lors du traitement de sa demande de protection internationale, il n’apporte pas non plus la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis aux Pays-Bas, que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés aux Pays-Bas ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient aux Pays-Bas aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que les Pays-Bas sont signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-

refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censé en appliquer les dispositions.

Force est encore au tribunal de relever que s’il n’est pas contesté en l’espèce que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale aux Pays-Bas, le 11 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

12 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, précité.demandeur reste toutefois en défaut de fournir un quelconque élément susceptible de démontrer que les Pays-Bas ne respecteraient systématiquement pas le principe du non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.

En effet, il ne se dégage en tout état de cause pas des éléments soumis au tribunal qu’au moment de la prise de la décision actuellement litigieuse, tout demandeur de protection internationale syrien définitivement débouté de sa demande de protection internationale aux Pays-Bas risque d’être, automatiquement et sans possibilité de recours, éloigné de force vers son pays d’origine en violation du principe de non-refoulement.

Le tribunal relève encore qu’au-delà de son affirmation lors de son audition selon laquelle le retour aux Pays-Bas n’aurait aucune conséquence pour lui, le demandeur ne fournit pas de précisions quant à la situation générale des personnes transférées vers les Pays-Bas dans le cadre du règlement Dublin III, ni n’invoque-t-il une jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers les Pays-Bas, voire une demande en ce sens de la part du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ci-après désigné par « l’UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis de l’UNHCR interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers les Pays-Bas dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile néerlandaise ou du renvoi des demandeurs d’asile déboutés syriens qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.

Il ne se dégage dès lors pas des éléments soumis au tribunal que le transfert du demandeur vers les Pays-Bas l’exposerait à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant des articles 3 de la CEDH et 4, respectivement 19 de la Charte.

A supposer même que les autorités néerlandaises devaient procéder à son éloignement vers la Syrie en cas de transfert vers les Pays-Bas en violation du principe de non-refoulement, tel que consacré par l’article 33 de la Convention de Genève et par l’article 19 de la Charte, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal qu’il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates13. A cela s’ajoute que même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait possible au demandeur de saisir la CourEDH pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de demander aux autorités néerlandaises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

Il s’ensuit que le moyen du demandeur fondé sur une erreur manifeste d’appréciation en droit, respectivement des faits est à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter dans tous ses moyens.

Enfin, en ce qui concerne la demande formulée par Monsieur … dans le dispositif de la requête introductive d’instance de voir surseoir à statuer, au motif qu’« à ce jour il est 13 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.impossible de déterminer une date de transfert (…) vers les Pays-Bas en raison de la pandémie due au Covid-19, et [qu’il] ignore les conditions dans lesquelles sa prise/reprise en charge s’effectuera sur le territoire néerlandais, en raison de sa qualité de demandeur d’asile débouté », d’une part, le tribunal rappelle qu’aux termes de l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, il est tenu de statuer dans un délai de deux mois à compter de l’introduction de la requête, et, d’autre part, que la problématique soulevée par le demandeur en relation avec la pandémie liée au virus COVID-19 a trait à un problème d’exécution de la décision litigieuse, de sorte qu’une telle demande est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître de la demande de suspension du transfert du demandeur vers les Pays-Bas ;

déclare irrecevable le recours en annulation, en ce qui concerne la « décision (…) sous-

jacente à la décision du 13 août 2020 (…) chargeant la police judiciaire pour l’organisation matérielle de son transfert vers les Pays-Bas sous peu de temps » ;

reçoit le recours en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre la décision de transfert du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 août 2020 ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

rejette la demande de surseoir à statuer ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 octobre 2020 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 octobre 2020 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 44861
Date de la décision : 16/10/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-10-16;44861 ?

Source

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