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21/09/2020 | LUXEMBOURG | N°43981

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 septembre 2020, 43981


Tribunal administratif N° 43981 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2020 2e chambre Audience publique du 21 septembre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43981 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2020 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour

, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à...

Tribunal administratif N° 43981 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2020 2e chambre Audience publique du 21 septembre 2020 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43981 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2020 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 novembre 2019 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 22 juin 2020.

Le 13 octobre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée et remplacée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 27 novembre 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et 1 mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Par courrier du 3 décembre 2015, les autorités allemandes acceptèrent la demande de reprise en charge de Monsieur … leur adressée le 1er décembre 2015 par leurs homologues luxembourgeois.

Le 21 décembre 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », sur base de la considération selon laquelle, d’une part, l’intéressé avait déposé une demande de protection internationale en Allemagne le 30 septembre 2015 et, d’autre part, en date du 3 décembre 2015, les autorités allemandes avaient accepté de reprendre en charge l’examen de sa demande d’asile, informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne, sur base de l’article 15 de la loi du 5 mai 2006 et de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III.

Il se dégage d’une note brevi manu du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du 4 février 2016 que le transfert de Monsieur … vers l’Allemagne, prévu pour le 2 février 2016, ne put être exécuté, alors que l’intéressé avait disparu de son foyer depuis le 1er février 2016.

Le 27 décembre 2018, Monsieur … introduisit une nouvelle demande de protection internationale auprès du ministère.

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 16 janvier 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu règlement Dublin III.

Les 19 avril et 3 mai 2019, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 27 novembre 2019, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé envoyé le surlendemain, le ministre informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre deuxième demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 27 décembre 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

2 Avant tout autre développement, il convient de mentionner que vous avez introduit une première demande de protection internationale au Luxembourg le 13 octobre 2015. Il s’est avéré que vous aviez déjà déposé une demande de protection internationale en Allemagne en date du 30 septembre 2015. Le Luxembourg a alors pris la décision de vous transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne, pays responsable pour examiner votre demande de protection internationale suivant les dispositions du « Règlement Dublin III ». Or, vous avez fait le choix de quitter votre foyer en date du 1er février 2016 et vous n’y êtes plus retourné. Par conséquent, le transfert vers l’Allemagne a dû être annulé. Vous êtes réapparu aux guichets du Service Réfugiés le 27 décembre 2018 et vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale le même jour.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre deuxième demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains, le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 décembre 2018, le rapport d’entretien Dublin III du 16 janvier 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 19 avril et 3 mai 2019 sur les motifs sous-tendant votre deuxième demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre deuxième demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de …, d’ethnie arabe et de confession musulmane sunnite.

Vous avancez que votre père aurait été officier au sein de l’armée irakienne jusqu’à sa retraite en 2017.

Vous faites état d’attaques en 2008 de la part d’Al-Queda, respectivement Daesch, dans la province de … et plus particulièrement à ….

Vous mentionnez ensuite l’assassinat de votre oncle en date du 30 décembre 2007. Vous expliquez qu’il aurait été policier et qu’il aurait été tué par balle. Vous précisez qu’un des suspects aurait été capturé par des militaires irakiens et qu’il aurait purgé une peine de prison d’un an, de 2008 à 2009. Vous ajoutez que les autorités auraient été à la recherche des deux autres suspects en cavale mais qu’elles ne les auraient jamais retrouvé et levé leur mandat d’arrêt en 2017 ou 2018.

Votre père aurait reçu des menaces téléphoniques pendant toute cette période, donc à partir de 2008 ou 2009 jusqu’en 2016. Vous énoncez que les menaces auraient cessé à partir de 2016.

En décembre 2013 vous vous seriez engagé volontairement dans l’armée irakienne et vous auriez été affecté dans une caserne près de …. Vous poursuivez votre récit en décrivant les conditions difficiles au sein de l’armée.

3 Vers fin juillet 2014 deux de vos collèges seraient décédés lors d’une opération militaire et vous auriez été sélectionné pour être envoyé comme renfort au front. Vous auriez été d’avis que cet ordre risquerait de vous couter la vie et vous auriez fait le choix de déserter.

Vous expliquez ensuite que des milices chiites se seraient formées à … et auraient commencé à procéder à des recrutements forcés pour combattre Daesh.

En août 2015, des miliciens se seraient rendus à votre domicile et auraient sollicité que vous les suiviez dans un de leurs bureaux. La personne responsable du bureau en question vous aurait ouvertement annoncé qu’elle serait au courant de votre désertion de l’armée irakienne et que vous devriez les rejoindre dans le but de combattre Daesh. Vous indiquez qu’il s’agirait d’une milice chiite et qu’elle agirait ainsi parce que vous seriez de confession musulmane sunnite. Dans un premier temps vous auriez accepté leur requête par peur, mais vous auriez néanmoins fait le choix de quitter votre pays d’origine.

Vers fin août 2015, alors que vous auriez déjà entamé les préparatifs pour quitter le pays, vous auriez été en voiture avec un ami en direction de …. Après 40 minutes de trajet un véhicule vous aurait coupé la route, quatre individus, seraient descendus et se seraient approchés de vous.

Une des personnes vous aurait frappé à la tête avec son arme et vous aurait mis dans le coffre de la voiture. 20 minutes plus tard vous auriez remarqué qu’un accident se serait produit et vous auriez commencé à entendre des voix. Quelques instants plus tard un milicien sunnite aurait ouvert le coffre afin de vous libérer et vous aurait conseillé de vous éloigner des lieux.

Vous ajoutez que les ravisseurs seraient des miliciens chiites et que vous vous seriez rendu auprès de la police avec votre père pour déposer une plainte au sujet de cet incident. La plainte aurait été enregistrée au nom de votre père et l’affaire aurait été remise aux mains d’un juge. Vous auriez néanmoins décidé de quitter l’Irak le 18 septembre 2015.

Vous concédez ensuite que vous seriez resté en Allemagne jusqu’au 6 octobre 2016 et que vous auriez effectué un retour volontaire dans votre pays à cette date en évoquant que la situation sécuritaire en Irak se serait améliorée. Vous vous seriez donc rendu à … en avion en date du 6 octobre 2016 et vous auriez effectivement constaté que la situation se serait améliorée.

Le 27 novembre 2016 vous vous seriez rendu auprès d’une « Stadtverwaltung fur Zivil Angelegenheiten » [sic] (p.6/24 du rapport d’entretien) et vous auriez appris qu’un avis de recherche aurait été émis contre vous. Quelques jours plus tard, des policiers auraient mené des perquisitions de grande envergure dans tout le quartier, y compris à votre domicile. Vous vous seriez caché et vous auriez réussi à ne pas vous faire repérer. Vous seriez ensuite resté à la maison pendant plus ou moins un an.

Le 4 ou 5 mars 2018, un individu aurait sonné à votre porte, vous auriez ouvert et il vous aurait demandé si vous aviez déposé une plainte. Ensuite il serait reparti et une demi-heure plus tard un véhicule serait passé devant votre maison et les individus à bord de cette voiture auraient tiré sur vous. Votre frère, qui se trouvait devant la porte avec vous, aurait été touché. Il serait décédé sur place, par contre vous vous en seriez sorti indemne.

4 Au vu de cette situation, vous auriez de nouveau pris la décision de partir et vous auriez quitté votre pays d’origine une nouvelle fois en date du 10 mars 2018.

Vous présentez votre carte d’identité irakienne et plusieurs documents pour étayer vos dires, que vous retrouverez en annexe de la présente décision.

2. Quant à la motivation du refus de votre deuxième demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article lA paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

A titre liminaire, retenons que votre prétendue crainte en relation avec l’organisation terroriste dénommée « Al-Qaeda », respectivement « Daesh » dans votre pays d’origine n’entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève.

En effet, vous indiquez que le groupement aurait été présent à …, notamment aux alentours de la ville de … en 2008, or il ressort clairement de vos déclarations que vous n’étiez à aucun moment et d’aucune façon personnellement visé par l’organisation terroriste en question. Vous mentionnez uniquement que la ville de … aurait été libérée d’« Al-Qaeda », respectivement de « Daesh » vers fin 2008 et que votre maison parentale aurait été détruite lors des opérations militaires de sorte qu’on ne peut retenir dans votre chef une crainte de persécution en raison de votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.

5 Il y a lieu de constater que votre prétendue peur, même si elle entrait dans le champ d’application de la Convention de Genève, est tout au plus une crainte hypothétique qui traduit plutôt un sentiment général d’insécurité.

Ceci est autant plus vrai que l’organisation terroriste ne contrôle plus aucun territoire en Irak. Même s’il est vrai que « Daesh » était bien présent entre 2014 et 2017 dans la province de …, … et de …, la situation a toutefois changé depuis fin 2017. En effet, « Daesh » a perdu tous les territoires qu’il contrôlait depuis 2014 et n’exerce plus aucune autorité sur le sol irakien. Ce constat est soutenu par une déclaration du Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Irak.

A cela s’ajoute que la reconstruction a commencé et continue à se poursuivre depuis l’expulsion de « Daesh ». Même s’il est vrai que certaines villes de la province de … ont subi de grands dégâts lors des affrontements et que la reconstruction prend du temps, force est néanmoins de constater que les travaux avancent et que les écoles ainsi que les hôpitaux sont de nouveau en service grâce. De plus, soulignons que le gouvernement irakien est très investi dans le processus de réparation et que les autorités locales s’efforcent d’attirer des investisseurs en vue d’un redressement économique dans les régions libérées.

Il y a donc lieu de conclure qu’au vu de la situation actuelle concernant « Daesh » en Irak, aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef du fait que vous ne risquez plus de tomber dans le collimateur de l’organisation terroriste en question.

La même conclusion s’impose pour le prétendu recrutement forcé que vous auriez risqué dans ce contexte par une milice en août 2015. En effet, ce fait n’entre pas non plus dans le champ d’application de la Convention de Genève alors que vous concédez que la milice aurait procédé à des recrutements dans le but de combattre une organisation terroriste. Il ressort donc avec évidence que ces prétendus recrutements n’ont aucun lien avec un des critères de fond des prédits textes.

Monsieur, même à supposer que ce fait serait lié à un des critères de fond, il appert au vu des constats susmentionnés que les faits invoqués ne sont manifestement pas d’une gravité suffisante du simple fait que cette menace a été éradiquée alors que « Daesh » est vaincu. Il n’existe dès lors aucun besoin pour une milice de procéder à des prétendus recrutements dans ce contexte.

En ce qui concerne le décès de votre oncle en 2007 et les menaces reçues par votre père de 2008 à 2016, force est de constater qu’il s’agit là de faits non personnels. Il convient de retenir que des faits non personnels mais vécus par d’autres membres de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens des prédits textes que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières.

Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, les faits invoqués concernent uniquement votre oncle défunt et votre père. Il ressort clairement de votre récit que vous n’avez jamais été personnellement menacé par les ravisseurs non autrement identifiés de sorte qu’on ne saurait 6 retenir dans votre chef l’existence d’un risque de persécution.

A cela s’ajoute que les menaces auraient définitivement cessé en 2016, de sorte qu’il convient de conclure qu’aucune crainte n’existe à ce jour dans votre chef.

Vous affirmez avoir rejoint l’armée irakienne volontairement en 2013 et que vous auriez pris la fuite peu après la chute de … en juin 2014.

Monsieur, vous admettez que vous auriez déserté par peur de mourir au combat. Le fait de craindre des conséquences disciplinaires respectivement pénales pour avoir déserté constitue un fait dénué de lien avec les motifs figurant dans la Convention de Genève.

Ayant choisi de votre propre gré un poste en tant que soldat de l’armée irakienne, vous avez signé un contrat d’engagement avec votre « employeur » en sachant qu’il vous appartiendra de respecter et d’exécuter les ordres et en étant conscient des conséquences encourues en cas de désertion. De plus, au lieu de prendre la fuite et de déserter l’armée irakienne, il vous aurait été loisible de démissionner de votre poste et de trouver un autre emploi correspondant à votre niveau d’études dans le secteur privé.

Il convient également de souligner qu’il est indéniable que les procédures visant à obtenir une protection internationale n’ont pas pour finalité de permettre aux demandeurs de se soustraire à la justice de leur pays d’origine. En effet, essayer d’éviter des sanctions pour avoir déserté ne permet pas de vous octroyer le statut de réfugié.

Vous indiquez ensuite avoir été agressé par des personnes non autrement identifiées vous ayant coupé la route en août 2015 et vous faites également état d’un incident qui aurait eu lieu devant votre domicile le 4 ou 5 mars 2018 lors duquel votre frère serait décédé.

Monsieur, ce fait n’entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève alors qu’il ressort clairement de votre récit que vous ne connaitriez pas l’identité des auteurs et a fortiori pas leur motif pour aucun des incidents. Vous supposez que les auteurs pourraient être des miliciens, or aucun élément du dossier ne permet de corroborer vos dires de sorte qu’il y a lieu de retenir qu’il s’agit d’actes isolés commis par des personnes non autrement identifiées dont on ignore la motivation.

Quand bien même les faits seraient liés à un des critères de fond et seraient d’une gravité suffisante, notons que s’agissant d’actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale.

Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, vous indiquez n’avoir à aucun moment saisi personnellement la police pour aucun des faits survenus, de sorte qu’aucun reproche ne saurait donc être formulé à l’égard des autorités qui n’auraient jamais été mises en mesure de remplir leur mission (p.21/24 du rapport d’entretien).

7 Monsieur, vous mentionnez une seule plainte au nom de votre père concernant l’incident d’août 2015, vous affirmez que les autorités auraient enregistré les déclarations et auraient envoyé le dossier auprès d’un juge d’instruction (p.5&6/24 du rapport d’entretien). Or, vous concédez avoir quitté votre pays d’origine avant même que l’enquête soit clôturée de sorte qu’aucun reproche ne saurait être formulé à l’égard des autorités irakiennes.

A toutes fins utiles, il convient de rappeler que vous avez indiqué être retourné de plein gré dans votre pays d’origine en juin 2016, affirmant que la situation sécuritaire se serait améliorée.

Il convient donc de souligner que ceci démontre que la situation sécuritaire est bien meilleure.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

Retenons qu’en Irak les déserteurs peuvent être sanctionnés sur la base de l’article 33 du Military Penal Code promulgué en 2007. Cet article prévoit des peines de prison qui varient de quelques mois à trois ans. De plus, selon l’article 36 §1 dudit code pénal militaire, les déserteurs se voient accorder des circonstances atténuantes s’ils se rependent et se rendent aux autorités. En pratique, la désertion est alors moins sévèrement sanctionnée que ce prévoit le Military Penal 8 Code. Ces peines ne peuvent dès lors être qualifiées de disproportionnées.

Soulignons que l’article 35 du Code pénal militaire prévoit aussi la peine de mort dans des circonstances très spécifiques et particulières. En effet, cette peine n’est prévue que dans le cas d’une trahison, notamment pour ceux qui ont déserté en temps de guerre dans le but de rejoindre l’ennemie. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En tout état de cause, force est de constater qu’aucun cas de déserteur(s) condamné(s) à mort sur la base de l’article 35 du Code pénal militaire n’a été recensé jusqu’à présent.

Compte tenu des constatations qui précèdent, il s’avère que les autorités irakiennes ne sanctionnent pas la désertion de manière disproportionnée.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément crédible de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre deuxième demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d’Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 27 novembre 2019 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 27 novembre 2019 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 27 novembre 2019, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations actées lors de ses auditions par un agent du ministère.

En droit et à titre liminaire, le demandeur expose la situation sécuritaire régnant en Irak, 9 ainsi que, plus particulièrement, la situation des Sunnites, qu’il qualifie d’ « extrêmement fragilisée », en se prévalant, à cet égard, de l’article 37 (3) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de deux rapports d’Amnesty International intitulés respectivement « Irak 2016/2017 » et « Irak 2017/2018 », d’un article de la même organisation, publié le 5 janvier 2017 et intitulé « L’Irak des milices », d’un article publié le 5 janvier 2017 sur le site internet « www.lefigaro.fr », intitulé « Irak : Amnesty International dénonce les crimes commis par les milices chiites », d’un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (« OSAR ») du 26 juin 2019, intitulé « Irak :

persécution des tribus sunnites – al-Sadoun », d’un article publié le 5 janvier 2017 sur le site internet « www.amnesty.fr », intitulé « Le terrible sort des Sunnites en Irak », ainsi que d’un article publié le 4 décembre 2018 sur le site internet « www.france-irak-actualite.com », intitulé « Au Congrès américain, un projet de loi contre des milices chiites pro-iraniennes », faisant état, notamment, de défaillances du système judiciaire irakien, d’exactions commises par les forces irakiennes et kurdes, les milices paramilitaires, les forces de la coalition et le groupe armé « Etat islamique », ci-après désigné par « l’EI », dans le cadre du conflit armé ayant sévi en Irak, ainsi que de violations des droits de l’Homme commises par les milices majoritairement chiites surtout à l’encontre de membres de l’ethnie sunnite, au motif de leurs liens allégués avec l’EI.

Le demandeur fait ensuite valoir, en substance, qu’il remplirait l’ensemble des conditions d’obtention du statut de réfugié, étant donné (i) que les agissements dont il aurait été victime de la part de miliciens chiites seraient motivées par ses opinions politiques présumées – alors que le fait, par lui, d’avoir déserté de son poste de soldat avant de refuser d’intégrer les milices chiites, qui seraient aujourd’hui elles-mêmes incorporées dans l’armée régulière de l’Irak, pourrait être interprété par les autorités en place comme l’expression politique d’une personne qui s’opposerait à la ligne de conduite politique des autorités en place –, sinon par son appartenance ethnique, (ii) que, de par leur nature, ces agissements seraient d’une gravité suffisante au regard des exigences de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 – le demandeur insistant sur le fait qu’il aurait été victime d’une tentative d’assassinat après avoir été kidnappé –, (iii) que les auteurs de ces actes seraient à qualifier d’acteurs de persécution, conformément aux dispositions des articles 39 et 40 de ladite loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où les actes en question seraient le fait de l’Etat irakien, dès lors que les milices chiites auraient été incorporées dans l’armée régulière irakienne, et où les autorités irakiennes ne pourraient, sinon ne voudraient pas accorder à la population sunnite une protection appropriée par rapport à de tels agissements et (iv) qu’il n’existerait aucune « bonne raison », au sens de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de penser que les agissements en question ne se reproduiraient pas en cas de retour en Irak, alors que depuis le départ du demandeur de son pays d’origine, la situation n’aurait pas évolué de manière suffisamment favorable.

A l’appui de sa demande tendant à l’obtention de la protection subsidiaire, le demandeur soutient qu’un retour en Irak l’exposerait à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015. En se prévalant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après désignée par « la CourEDH » relative à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », il fait plaider que les menaces et les actes de violence dont il aurait été victime dans son pays d’origine seraient à qualifier de traitements inhumains ou dégradants, étant donné qu’ils lui auraient causé des souffrances 10 mentales et physiques aiguës, voire l’exposeraient à un risque de mort. Les autorités irakiennes ne seraient pas en mesure de faire échec à ce risque, alors que l’Etat de droit irakien « (…) reste[rait] à l’état embryonnaire (…) ». Cette souffrance, respectivement ce risque de violences seraient aggravés par la situation personnelle du demandeur, qui ferait l’objet d’un mandat d’arrêt de la part des autorités en place en Irak, de sorte à ne pas pouvoir bénéficier d’une fuite interne. En effet, l’avis de recherche émis à son encontre l’empêcherait de circuler librement, de sorte qu’il serait « (…) particulièrement exposé (…) » en cas de retour dans son pays d’origine.

Finalement, le demandeur se prévaut d’un article publié le 14 novembre 2019 sur le site internet « www.lorientlejour.com », intitulé « la CEDH condamne la Finlande pour l’expulsion d’un Irakien tué à son retour », aux termes duquel la CourEDH aurait condamné la Finlande pour avoir décidé, en considérant que les Sunnites ne feraient pas, en tant que tels, l’objet de persécutions en Irak, d’expulser un Irakien, qui aurait été un ancien enquêteur au ministère de l’Intérieur irakien, qui aurait enquêté sur des milices chiites et qui aurait été victime de deux tentatives d’attentat dans un contexte de tensions entre groupes musulmans chiites et sunnites, alors que la personne concernée aurait été tuée dans une rue de … par trois balles peu de temps après son retour dans son pays d’origine en novembre 2017.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

11 Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être 12 persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

13 Le tribunal relève en premier lieu que les attaques ayant eu lieu en 2008 de la part de l’EI, ainsi que, plus particulièrement, la destruction de la maison familiale du demandeur lors d’opérations militaires dans le cadre de la libération de la ville de … de cette organisation terroriste ne sont pas de nature à établir l’existence, dans le chef du demandeur, d’une crainte fondée de subir des actes de persécution ou des atteintes graves dans son pays d’origine, étant donné qu’outre le fait que le demandeur n’établit pas avoir été personnellement visé lors de ces incidents, la situation factuelle a changé depuis lors, alors qu’il ressort des explications de la partie étatique, lesquelles n’ont, sur ce point, pas fait l’objet de contestations circonstanciées de la part du demandeur, qu’à l’heure actuelle, l’EI ne contrôle plus aucun territoire en Irak.

Quant au meurtre de l’oncle du demandeur en 2007, le tribunal relève que des persécutions, respectivement des atteintes graves subies par une personne autre que le demandeur de protection internationale peuvent établir une crainte fondée de persécutions, respectivement d’atteintes graves dans le chef de ce dernier, à condition que le demandeur puisse établir l’existence, dans son chef, d’un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, un tel risque n’est pas prouvé en l’espèce, à défaut, pour le demandeur, d’avoir établi un lien suffisant entre le sort de son oncle et sa situation personnelle.

Si le demandeur a déclaré lors de son entretien qu’entre 2008, respectivement 2009 et 2016, son père aurait reçu des menaces téléphoniques visant l’ensemble de sa famille de la part de l’un des auteurs du meurtre de son oncle, suite à la sortie de prison de cet individu, ces menaces ne sont pas de nature à justifier l’octroi, au demandeur, d’un statut de protection internationale, étant donné qu’elles ont cessé depuis 2016, sans avoir été suivies d’un quelconque acte de violence.

La même conclusion s’impose en ce qui concerne les mauvais traitements subis par le demandeur de la part de son supérieur hiérarchique dans l’armée irakienne, étant donné que du fait de sa désertion, le demandeur ne risque plus d’être exposé aux agissements de cette personne.

Quant à la tentative de recrutement forcé dont le demandeur affirme avoir fait l’objet en août 2015 de la part d’une milice chiite, le tribunal relève qu’il ressort des propres déclarations du demandeur qu’à l’époque, les milices chiites procédaient à de tels recrutements forcés dans le but de combattre l’EI. Ce dernier ayant été vaincu, ainsi que cela se dégage des développements de la partie étatique, non contestées de façon circonstanciée par le demandeur sur ce point, les milices chiites n’ont, à l’heure actuelle, plus aucun besoin de procéder à des recrutements forcés dans ce contexte, tel que souligné à juste titre par le ministre. La tentative de recrutement forcé sous analyse n’est, dès lors, pas de nature à justifier l’octroi, au demandeur, d’un statut de protection internationale.

Par ailleurs, quant à l’enlèvement dont le demandeur a été victime fin août 2015, le tribunal constate que si le demandeur a affirmé que lors de sa libération par des miliciens sunnites, ses ravisseurs auraient déclaré à ces derniers qu’ils appartiendraient à al-Haschd asch-Scha’bī, il n’en reste pas moins, d’une part, qu’au vu des circonstances dans lesquelles cette déclaration a été faite – les miliciens sunnites ayant fouillé la voiture de ces individus, qui étaient masqués et habillés en civil, et y ont trouvé le demandeur, qui était caché dans le coffre du véhicule –, la véracité de cette 14 déclaration est sujette à caution et, d’autre part, qu’en tout état de cause, les motifs gisant à la base de cet enlèvement sont restés inconnus et que le demandeur a pu s’évader après une vingtaine de minutes, de sorte que cet incident, certes condamnable, n’est pas d’une gravité suffisante, au regard des dispositions de les articles 42 (1) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, pour pouvoir être qualifié d’acte de persécution ou d’atteinte grave.

Quant à l’incident survenu le 4 ou le 5 mars 2018, lors duquel le frère du demandeur a été tué, le tribunal relève que si le demandeur suggère que les auteurs de cet acte seraient des membres d’al-Haschd asch-Scha’bī qui se seraient vengés de la plainte déposée par Monsieur … suite à son enlèvement en 2015, le tribunal constate qu’il s’agit d’une supposition de sa part, qui n’est pas suffisamment corroborée par des éléments concrets issus de son vécu personnel. En effet, il est certes exact qu’il ressort des explications du demandeur qu’une demi-heure avant cet incident, des inconnus vêtus d’uniformes militaires seraient passés à pied devant sa maison familiale et que l’un de ces individus lui aurait demandé s’il avait déposé une plainte à leur encontre. Il n’en reste pas moins qu’il ne se dégage d’aucun élément concret du récit du demandeur qu’il se serait agi des mêmes personnes que celles ayant, par la suite, tiré les coups de feu ayant blessé mortellement son frère, le demandeur n’ayant, par ailleurs, pas fourni d’autre élément permettant de rattacher ces mêmes individus aux auteurs de ces coups de feu, outre le fait que l’appartenance de ces deux groupes de personnes à al-Haschd asch-Scha’bī est restée à l’état de pure allégation. Ainsi, à défaut d’autres éléments, le tribunal constate que le lien allégué entre ces deux événements n’est – malgré le bref laps de temps les ayant séparés – pas établi à suffisance de droit. Il en est a fortiori ainsi en ce qui concerne le lien invoqué entre les coups de feu tirés sur le demandeur et son frère et la plainte déposée en 2015 par Monsieur … suite à l’enlèvement dont il a été victime. Dans ces circonstances, tant l’identité des auteurs de ces coups de feu que leurs motifs sont restés inconnus, de sorte que cet événement, certes d’une gravité incontestable, n’est pas de nature à établir l’existence, dans le chef du demandeur, d’une crainte fondée d’être persécuté ou de subir des atteintes graves, en cas de retour dans son pays d’origine.

Il en est de même en ce qui concerne l’inscription du demandeur sur une liste de personnes recherchées par les autorités irakiennes, à défaut de tout renseignement concret sur les circonstances gisant à la base de cette inscription, étant précisé que les explications du demandeur selon lesquelles il aurait été inscrit sur cette liste, premièrement, pour avoir déserté, deuxièmement, pour avoir refusé de rejoindre les milices chiites et, troisièmement, pour avoir déposé une plainte à l’encontre de ces dernières sont constitutives de simples suppositions de sa part, non corroborées par de quelconques éléments concrets.

Finalement, quant aux éventuelles sanctions pénales que le demandeur risque d’encourir dans son pays d’origine du fait de sa désertion, le tribunal constate qu’il se dégage des explications de la partie étatique, qui, sur ce point, n’ont pas fait l’objet de contestations circonstanciées de la part du demandeur, (i) qu’en Irak, les déserteurs peuvent être sanctionnés sur la base de l’article 33 du Military Penal Code promulgué en 2007, (ii) que cet article prévoit des peines d’emprisonnement qui varient de quelques mois à trois ans, (iii) que selon l’article 36 §1 dudit code pénal militaire, les déserteurs se voient accorder des circonstances atténuantes, s’ils font preuve de repentir et se rendent aux autorités et (iv) que si l’article 35 de ce même code prévoit aussi la peine de mort, il n’en est ainsi que dans des circonstances très spécifiques et particulières, 15 à savoir dans le cas d’une trahison, notamment pour ceux qui ont déserté en temps de guerre dans le but de rejoindre l’ennemi, hypothèse qui n’est pas donnée en l’espèce. Etant donné que les sanctions pénales que le demandeur pourrait ainsi encourir, le cas échéant, dans son pays d’origine pour avoir déserté ne sont pas d’une sévérité disproportionnée, tel que souligné à juste titre par la partie étatique, ces mêmes sanctions ne sont pas d’une gravité suffisante, au regard des dispositions des articles 42 et 48 de la loi du 18 décembre 2015, de sorte à ne pas justifier l’octroi d’un statut de protection internationale.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre a valablement pu être introduit en l’espèce, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Le demandeur, au nom du principe de non-refoulement, sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision ministérielle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) Une décision du ministre vaut décision de retour (…) », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Monsieur … dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de non-refoulement, tel qu’invoqué par le demandeur.

16 En l’absence d’autres moyens, le tribunal ne saurait remettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 27 novembre 2019 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 27 novembre 2019 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Hélène Steichen, premier juge Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 21 septembre 2020 par le premier juge, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21/09/2020 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 43981
Date de la décision : 21/09/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2020
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2020-09-21;43981 ?

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