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29/06/2018 | LUXEMBOURG | N°41332

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 juin 2018, 41332


Tribunal administratif No 41332 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juin 2018 4e chambre Audience publique du 29 juin 2018 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120. L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41332 du rôle et déposée le 21 juin 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …...

Tribunal administratif No 41332 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juin 2018 4e chambre Audience publique du 29 juin 2018 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120. L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41332 du rôle et déposée le 21 juin 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 juin 2018 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Daisy Wagener, en replacement de Maître Eric Says, et Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en leurs plaidoiries respectives.

Il ressort d’un procès-verbal de la police grand-ducale du 1er avril 2017, portant le n° 51486, que Monsieur…, déclarant être né le 24 janvier 1987 au Maroc, fut appréhendé dans le quartier de la Gare de Luxembourg sans papiers d’identité valables et sans aucune autorisation de séjour, ce dernier ayant seulement pu s’identifier par le biais d’un « refus d’entrée » émis par les autorités françaises en date du 23 mars 2017.

Le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », prit un arrêté, notifié le jour même, constatant le séjour irrégulier de Monsieur …, lui ordonnant de quitter le pays et prononçant une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois à son égard d’une durée de trois ans.

Il ressort ensuite d’une information du greffe du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 19 juillet 2017 que Monsieur … fut placé en détention préventive dans une affaire de vol.

Par un arrêt du 6 mars 2018, la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle, confirma la peine d’emprisonnement de dix-huit mois prononcée à l’encontre de Monsieur … par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 13ième chambre correctionnelle, du 17 janvier 2018, tout en assortissant ladite peine d’un sursis à exécution de neuf mois.

Il ressort d’un acte d’écrou émis par le Centre pénitentiaire de Luxembourg du 4 avril 2018, que la peine de Monsieur … prendrait fin le 15 avril 2018.

Par un arrêté du 12 avril 2018, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 12 avril 2018 ;

Attendu que l’intéressé est dans le système Eurodac comme ayant introduit une demande de protection internationale en Suisse ;

Attendu que l’intéressé s’est maintenue sur le territoire au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale du 25 avril 2018 que la police des Etrangers et des Jeux fut informé par télégramme Interpol que le dénommé… fut identifié par les autorités policières marocaines de Rabat comme étant …, né le … à ….

Par un arrêté du 8 mai 2018, notifié à l’intéressé en date du 11 mai 2018, le ministre prorogea la mesure de placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification.

Par un arrêté du 6 juin 2018, notifié à l’intéressé en date du 11 juin 2018, le ministre prorogea la mesure de placement en rétention de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 12 avril et 8 mai 2018, notifiés le 13 avril, respectivement le 11 mai 2018, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 12 avril 2018 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 juin 2018, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 6 juin 2018 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre du susdit arrêté ministériel du 6 juin 2018, qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à sa libération immédiate pour violation de la loi, en contestant d’abord l’existence d’un risque de fuite dans son chef, respectivement qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement.

Le demandeur conteste ensuite que toutes les diligences seraient faites par le ministre afin d’exécuter la mesure d’éloignement, tout en soulignant qu’il semblerait que depuis les demandes d’identifications adressées au Consulat général du Royaume de Maroc en date des 3 et 30 mai 2018, plus aucune démarche n’aurait plus été entreprise par le ministre.

Il estime finalement qu’il n’existerait pas de chances raisonnables de croire que son éloignement puisse être mené à bien, étant donné que plusieurs mois se seraient écoulés depuis l’arrêté de placement en rétention initial, sans qu’il n’y ait eu un quelconque progrès dans les démarches étatiques, son identification étant « toujours au point mort, alors que la période maximale légale de la rétention commence[rait] à toucher à sa fin. ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre, étant donné qu’en vertu de l’article 3 g) de la loi du 29 août 2008, le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions est compétent pour prendre une décision de placement en rétention et qu’en vertu de l’arrêté grand-

ducal du 28 janvier 2015 portant constitution des ministères, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, qui a pris la décision litigieuse, a l’immigration dans ses attributions.

Quant au fond, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) » et de l’article 120 (3) de la même loi : « (…) La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire (…) ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une décision de prorogation d’une mesure de placement en rétention est partant soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.

S’agissant des contestations du demandeur quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal relève qu’il est constant en cause que Monsieur … ne dispose pas de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, de sorte que l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite est présumée, en vertu de l’article 111 (3) c), point 6. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite est présumé (…) si l’étranger ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité (…) ».

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement, d’autant plus que le demandeur reste en défaut de présenter le moindre élément en vue d’établir l’existence de garanties de représentation suffisantes propres à renverser la présomption de risque de fuite dans son chef.

S’agissant ensuite des contestations de Monsieur … quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal relève qu’en date du 4 avril 2018, soit déjà avant la mise en rétention du demandeur, une demande de renseignement a été adressée au Centre de coopération policière et douanière ayant permis de confirmer que le demandeur avait effectivement fait l’objet, en France, d’une obligation de quitter le territoire en date du 14 septembre 2015 et que la France n’avait plus eu de traces de lui depuis 2016.

En date du 5 avril 2018, le ministre a lancé une recherche dans la base de données EURODAC de laquelle est ressorti que le demandeur avait introduit une demande de protection internationale en Suisse en date du 19 août 2016. Une demande de reprise en charge, adressée aux autorités suisses en date du 5 avril 2018, a été refusée par un courrier de ces dernières du 17 avril 2016 au motif qu’en date du 9 décembre 2016, les autorités françaises avaient accepté de reprendre le demandeur, transfert qui n’a cependant jamais pu être exécuté en raison de la disparition de ce dernier.

En date du 18 avril 2018, le ministre a contacté le Consulat général du Royaume du Maroc à Liège pour leur demander de bien vouloir procéder à l’identification du demandeur.

Suite à une information leur parvenue par le bureau Interpol de Rabat en date du 25 avril 2018, selon laquelle le demandeur serait connu sous le nom de …, né le … à …, les services du ministère des Affaires étrangères ont recontacté, en date du 3 mai 2018, le consulat marocain afin d’actualiser la demande d’identification leur adressée au vu de ces nouveaux renseignements.

Cette demande d’identification a encore été rappelée par des courriers adressés aux autorités consulaires marocaines en date des 17 et 30 mai, ainsi que 14 juin 2018.

Au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, actuellement tributaire de la collaboration des autorités marocaines, le tribunal retient que la procédure d’éloignement du demandeur est toujours en cours, mais qu’elle n’a pas encore abouti, et que les démarches ainsi entreprises en l’espèce par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées, à ce stade, comme suffisantes pour justifier la prorogation de la mesure de placement en rétention litigieuse, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement est exécutée avec toute la diligence requise. Il s’ensuit que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Par ailleurs, le tribunal retient qu’à défaut d’autres éléments, dont il se dégagerait que les démarches ainsi accomplies par le ministre seraient vouées à l’échec, le simple fait qu’à l’heure actuelle, l’identification du demandeur n’ait pas encore abouti ne permet pas d’ores et déjà de conclure qu’il n’existerait pas de chances raisonnables de croire que son éloignement puisse être mené à bien, d’autant plus qu’il ressort du dossier administratif que les autorités policières Interpol de Rabat ont déjà pu l’identifier à l’aide de ses empreintes digitales comme s’appelant en réalité …, de sorte que le moyen afférent est également à rejeter.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 29 juin 2018 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 juin 2018 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 41332
Date de la décision : 29/06/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-06-29;41332 ?

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