Tribunal administratif N° 34953a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juillet 2014 3e chambre Audience publique du 27 juin 2018 Recours formé par l’administration communale de …, …, contre une décision du conseil de discipline des fonctionnaires communaux, en présence de Madame …, …, en matière de discipline
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JUGEMENT
Revu la requête inscrite sous le numéro 34953 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2014 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de …, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, ayant ses bureaux à la maison communale à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du 29 avril 2014 du conseil de discipline des fonctionnaires communaux, ayant prononcé à l’encontre de Madame … la peine disciplinaire de l’avertissement ;
Vu le jugement interlocutoire du tribunal administratif du 11 novembre 2015 ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 29 novembre 2017 ayant accordé aux parties un délai pour déposer un mémoire supplémentaire ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 26 février 2018 ayant accordé aux parties un délai supplémentaire pour déposer un mémoire supplémentaire ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé le 12 avril 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG au nom et pour le compte de l’administration communale de … ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé le 4 juin 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER au nom et pour le compte de Madame … ;
Vu les pièces versées en cause, et notamment la décision critiquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cathy HOFFMANN, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, et Maître Jonathan HOLLER, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 juin 2018.
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1 Madame … entra au service de … le 1er janvier 2004, obtint sa nomination définitive le 1er août 2006 et fut affectée en la fonction d’éducatrice graduée au foyer scolaire de la rue … à ….
Le 15 décembre 2009, le collège des bourgmestre et échevins de …, ci-après désigné par « le collège des bourgmestre et échevins », saisit le commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, ci-après désigné par « le commissaire du gouvernement », pour procéder à une instruction disciplinaire à l’encontre de Madame ….
Le 17 décembre 2009, Madame … fut informée de l’ouverture d’une instruction disciplinaire à son encontre.
Le 24 décembre 2013, le commissaire du gouvernement adjoint dressa son rapport d’instruction.
Dans sa séance du 29 avril 2014, le conseil de discipline des fonctionnaires communaux, ci-après désigné par « le conseil de discipline », prononça à l’encontre de Madame … la sanction disciplinaire de l’avertissement.
Ladite décision est basée sur les motifs et considérations suivantes :
« 1. Violation des articles 7 de la CEDH et 14 de la Constitution :
… invoque une violation de l’article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), ainsi que de l’article 14 de la Constitution, au motif que le caractère vague des incriminations ainsi que le vaste éventail des peines disciplinaires susceptibles d’être prononcées violerait le principe de la légalité des peines et offrirait à l’administration un pouvoir discrétionnaire, voire arbitraire, ce qui serait incompatible avec un Etat de droit.
En vertu de l’article 7, paragraphe 1er de la CEDH « nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».
Ledit article consacre le principe de la légalité des peines tel que consacré également par l’article 14 de la Constitution, en vertu duquel « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi ».
Tel que cela a été retenu par la Cour Constitutionnelle à différentes occasions, en droit disciplinaire la légalité des peines suit les principes généraux du droit pénal et doit observer les mêmes exigences constitutionnelles de base. Le principe de la légalité de la peine entraîne la nécessité de définir les infractions en termes suffisamment clairs et de préciser le degré de répression pour en exclure l’arbitraire et pour permettre aux intéressés de mesurer exactement la portée de ces dispositions et le principe de la spécification de l’incrimination est le corollaire de celui de la légalité des peines. La Cour Constitutionnelle a encore retenu que le droit disciplinaire tolère dans la formulation des comportements illicites et dans 2l’établissement des peines à encourir une marge d’indétermination sans que le principe de la spécification de l’incrimination et de la peine n’en soit affecté, si des critères logiques, techniques et d’expérience professionnelle permettent de prévoir avec une sûreté suffisante la conduite à sanctionner et la sévérité de la peine à appliquer.
La Cour Constitutionnelle a pareillement retenu que le principe de la légalité des peines ne fait pas obstacle à ce qu’en matière disciplinaire les infractions soient définies par référence aux obligations légales et réglementaires auxquelles est soumise une personne en raison des fonctions qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution dont elle relève.
La circonstance que la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux prévoit un certain nombre de devoirs et d’obligations incombant aux fonctionnaires communaux et que, par ailleurs, la même loi prévoit un catalogue de sanctions disciplinaires, n’est pas contraire au principe de la légalité des peines, dans la mesure où les devoirs sont décrits avec suffisamment d’objectivité et que l’arbitraire des sanctions à appliquer est évité par le biais de l’article 64 de la loi modifiée du 24 décembre 1985, qui impose que l’application des sanctions disciplinaires doit se régler notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation de l’article 7 de la CEDH et de l’article 14 de la Constitution est à rejeter pour ne pas être fondé.
L’inculpée invoque encore une violation des droits de la défense et de l’article 6 de la CEDH au regard de l’instruction menée par le commissaire du Gouvernement, et ce au vu du cumul des actes lui confiés.
Par rapport à l’instruction menée par le commissaire du Gouvernement, l’inculpée reproche une partialité objective au commissaire du Gouvernement, en soutenant que les principes généraux tenant au respect des droits de la défense et à un procès équitable proscriraient que l’autorité ayant marqué son accord avec le déclenchement des poursuites instruise également les faits dont elle est saisie. En l’espèce, ce serait le commissaire du Gouvernement qui a mené l’enquête et le commissaire du gouvernement adjoint qui a proposé de renvoyer le dossier au conseil de discipline. De la sorte, ils auraient également exercé les fonctions de partie poursuivante, ce qui corroborerait leur manque d’impartialité.
Suivant le droit national, le conseil de discipline ne constitue pas une juridiction. Dans la mesure où l’intéressée trouve à sa disposition au niveau contentieux un double degré de juridiction avec des organes juridictionnels répondant aux exigences de l’article 6 de la CEDH, celles-ci ne sauraient être appliquées avec la même rigueur à l’encontre d’organes siégeant au niveau précontentieux, à savoir au niveau administratif, tels le commissaire du Gouvernement.
Le commissaire du Gouvernement, du seul fait qu’il soit appelé, en fonction des résultats de l’enquête, soit à classer l’affaire, soit à transmettre le dossier au collège des bourgmestre et échevins aux fins de décision ou encore au conseil de discipline, ne peut pas être soupçonné de partialité objective au cours de l’enquête, la partialité ne pouvant être déduite ex post du seul résultat de l’enquête. En effet, le commissaire du Gouvernement n’exerce pas trois fonctions 3distinctes et incompatibles, mais est appelé, aux termes d’une instruction à charge et à décharge, à décider du sort de l’affaire, cette décision n’ayant par ailleurs que la qualité d’un acte préparatoire, le conseil de discipline demeurant souverain dans son appréciation et pouvant décider soit qu’il n’y a pas lieu de prononcer une sanction, soit d’appliquer une ou plusieurs sanctions mineures, soit d’appliquer une sanction plus sévère que celle envisagée par le commissaire du Gouvernement. Le fait que le rapport du commissaire du Gouvernement clôture l’instruction disciplinaire menée à charge et à décharge du fonctionnaire et qu’il délimite les faits mis à charge ne saurait non plus être considéré comme mettant en cause son impartialité, le commissaire du Gouvernement n’étant pas, par la suite, appelé à intervenir dans la procédure devant le conseil de discipline.
Le mandataire de … soulève ensuite la question de la légalité de la communication du dossier par le fonctionnaire qui a procédé à l’instruction, en l’occurrence le commissaire du Gouvernement, à un collègue, en l’espèce le commissaire du Gouvernement adjoint, pour finaliser le dossier. Il affirme qu’une telle délégation ne peut se faire qu’ab initio ou pour empêchement caractérisé et légitime en cours de procédure et que, dans tous les cas une telle délégation en cours de procédure devrait être dûment motivée sous peine de nullité.
Ce moyen n’est pas fondé, alors que l’article 68 du statut général des fonctionnaires communaux mentionne que « l’instruction disciplinaire appartient au commissaire du Gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire ou à ses adjoints, dénommés par la suite indistinctement le commissaire du Gouvernement dans le présent statut, et au Conseil de discipline », ne prescrit ni que cette délégation ne puisse se faire qu’ab initio, ni qu’elle doive être dûment motivée sous peine de nullité si elle s’opère en cours de procédure.
Le fait que le commissaire du Gouvernement adjoint ayant clôturé l’instruction n’a pas procédé à l’audition de la fonctionnaire est sans pertinence, le commissaire du Gouvernement adjoint n’agissant qu’en remplacement du commissaire du Gouvernement.
2. Violation du délai raisonnable :
… invoque encore une violation du principe du respect du délai raisonnable.
Même en l’absence de texte prévoyant un délai déterminé, toute autorité disciplinaire a, dès qu’elle a connaissance de faits susceptibles de donner lieu à sanction, l’obligation d’entamer et de poursuivre la procédure disciplinaire avec célérité afin que sa décision intervienne dans un délai raisonnable. La fonctionnaire fait plaider que l’affaire n’aurait pas été instruite dans un délai raisonnable dans la mesure où les faits remontent au mois de janvier/février 2009 et juin 2009. Elle conclut à l’irrecevabilité sinon à la nullité de la procédure, subsidiairement elle fait valoir que le dépassement du délai raisonnable devrait avoir une incidence sur la sanction à prononcer.
Le principe du délai raisonnable est appelé à régir l’ensemble de la procédure, précontentieuse et contentieuse et s’applique dès lors à la procédure d’instruction disciplinaire ; il faut prendre en compte la durée qui s’est écoulée entre la date de notification des reproches qui a déclenché la procédure et la date de la décision juridictionnelle définitive.
La sanction du dépassement du délai raisonnable n’est pas l’irrecevabilité ou la nullité 4de la procédure, sauf dans la mesure où le dépassement du délai a apporté une entrave à l’exercice des droits de la défense du fonctionnaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; le conseil de discipline tiendra compte du dépassement du délai raisonnable lors de l’application de la peine disciplinaire.
En l’espèce le conseil de discipline se doit de constater que les faits reprochés à … ne sont pas complexes et nombreux et ne comportent pas de procédure d’instruction compliquée, de sorte que l’instruction qui a porté sur plus de quatre ans de juin 2009 à décembre 2013 a violé le délai raisonnable. Le conseil relève surtout une longue période d’inactivité entre avril 2011 et janvier 2013, ainsi qu’entre le 15 mars 2013 et le 21 novembre 2013.
Les faits reprochés à … Les faits suivants sont reprochés à … :
1. D’avoir en sa qualité de chargée de direction, omis d’utiliser les moyens de discipline mis à sa disposition aux fins de faire cesser l’utilisation de la méthode de ligotage pour discipliner des enfants suite au fait :
a) D’avoir été informée d’un cas de ligotage évoqué par Madame … au cours d’une team-session en janvier/février 2009 sans préjudice quant à la date exacte, dont se serait rendue coupable Madame … soupçonnée d’avoir, à une date non déterminée en janvier ou février 2009, sans préjudice quant à la date exacte, ligoté pour le discipliner l’enfant […], âgée de 5 ans à l’époque des faits, […] qui a fréquenté à ce moment le foyer scolaire de la rue … à ….
Madame … est présumée avoir ligoté l’enfant sur une chaise au moyen d’un ruban adhésif du type scotch. L’enfant est présumée avoir été attachée de la poitrine aux pieds, sinon seulement aux mollets pendant environ cinq minutes en dehors de la salle de classe avant d’avoir été détachée par la concernée au moyen d’une grande paire de ciseaux, l’enfant ayant à ce moment été en panique et en pleurs.
b) D’avoir été informée d’un cas de ligotage évoqué par Madame … le 17 juin 2009 après une réunion interne dont se serait rendue coupable Madame …, soupçonnée d’avoir, en date du 16 juin 2009, sans préjudice à la date exacte, ligoté pour le discipliner l’enfant […], âgé de 7 ans à l’époque des faits, […] qui a fréquenté à ce moment le foyer scolaire de la rue …à ….
Madame … est présumée avoir ligoté l’enfant sur une chaise au moyen d’un ruban adhésif du type scotch. L’enfant est présumé avoir été attaché aux mollets et aux mains pendant dix à quinze minutes en présence des quinze à seize autres enfants du groupe préscolaire, puis détaché par Madame … au moyen de ciseaux pour enfants.
2. D’avoir, depuis une date non déterminée jusqu’en juin 2009 proposé sinon du moins toléré le recours en cas de besoin au ligotage à une chaise d’enfants indisciplinés. Ces faits sont présumés établis par les explications :
a) De Madame … notamment suite aux faits décrits sub 1) a) ci-dessus ;
5b) De Madame … notamment suite aux faits décrits sub 1) b) ci-dessus ;
c) De Madame … suite à une situation où cette dernière est présumée avoir, à une date non déterminée mais probablement il y a deux ou trois ans, sinon au cours de l’année 2008/2009, sans préjudice quant à la date exacte, ligoté pour le discipliner l’enfant […], âgé de 4 ou 5 ans à l’époque des faits, […] qui a fréquenté à ce moment le foyer scolaire de la rue …à … ;
Madame … est présumée avoir ligoté l’enfant sur une chaise au moyen d’un ruban adhésif du type scotch.
Lors de l’audience devant le conseil de discipline … a souligné qu’en sa qualité d’éducatrice graduée elle aurait accompli en majeure partie des travaux administratifs. Elle n’aurait jamais proposé à Madame … d’utiliser la méthode du ligotage pour discipliner un enfant et n’aurait jamais cautionné une telle méthode. Elle se serait au contraire opposée à cette façon d’agir tel que cela résulterait de la déposition d’…. Elle admet avoir été informée du fait du ligotage de l’enfant […] au premier ou au début du deuxième trimestre de l’année scolaire 2008/2009 par Madame …. L’incident aurait été abordé lors de la prochaine team-
session, lors de laquelle il aurait été clairement indiqué aux éducatrices diplômées qu’il leur était interdit d’avoir recours à la méthode du ligotage d’enfants. … souligne que les enfants […] et […] étaient des enfants à problèmes qui auraient été signalés au psychologue … et au service de pédagogie curative. Elle estime avoir accompli tout ce qui était dans son devoir pour éviter que des procédures de ligotage se reproduisent à l’avenir et n’aurait pas réalisé que ces faits fussent d’une gravité telle qu’une dénonciation à ses supérieurs hiérarchiques eut été nécessaire. Elle conteste avoir été informée le 17 juin 2009 par Madame … du cas de ligotage de l’enfant […] dont se serait rendue coupable …. Elle n’en aurait eu connaissance qu’en date du 26 octobre 2009 lors d’un entretien téléphonique avec Madame …. Elle donne à considérer qu’au vu du nombre élevé d’enfants confiés à chaque éducatrice et du fait que lors des congés de maladie et de maternité les éducatrices absentes n’étaient pas remplacées, le personnel du foyer scolaire travaillait dans des conditions extrêmement difficiles et très stressantes. Leurs supérieurs hiérarchiques auraient été régulièrement avertis de ces conditions de travail et d’accueil et des demandes de renfort de personnel leur auraient été régulièrement adressées, mais ces demandes seraient restées sans réponse.
En l’espèce, il résulte des dépositions d’… que vers la fin du mois de septembre 2007 à la pause de midi elle était seule pour s’occuper de onze enfants. Comme l’enfant […] était très nerveux et qu’il ne cessait de bousculer le chariot contenant les bacs chauds mettant de la sorte en danger les autres enfants placés devant le chariot pour venir chercher leur plat, … a décidé de faire un jeu avec […] lui expliquant qu’il allait rouler en voiture avec son chat, animal qu’il adorait. Elle a placé l’enfant sur une chaise et l’a attaché avec du scotch autour des jambes.
Par après elle a fait part du comportement d’[…] à … en lui indiquant la solution à laquelle elle avait eu recours. … lui a répliqué qu’elle n’approuverait pas le choix de la méthode de ligotage et a enjoint à … d’en parler à la mère d’[…].
Quant au ligotage de l’enfant […], qui au début de l’année scolaire 2008-2009 avait été attachée à une chaise avec du Tesacrep par … dans le couloir du foyer scolaire, … affirme en avoir été informée par Madame …. L’affirmation de l’inculpée qui était présente dans la salle de classe au moment de l’incident qu’elle ne se serait pas aperçue du ligotage de l’enfant […] est peu crédible, même s’il existe un doute quant au point de savoir si … a suggéré à … d’essayer la méthode du ligotage sur l’enfant […].
6 Pour ce qui est de l’enfant […], il n’est pas établi que … ait été avertie du fait de ligotage, en juin 2009, de sorte que ce grief libellé sub 1. b) et 2. b) n’est pas à retenir comme faute disciplinaire à l’encontre de l’inculpée.
Il découle de ces éléments que … avait été mise au courant du fait de ligotage d’ […] à la fin du mois de septembre 2007. S’il est vrai qu’elle a indiqué à … qu’elle n’approuvait pas cette méthode, elle n’a néanmoins pas jugé utile de soumettre la question du recours au ligotage pour discussion à la prochaine team session ou d’en avertir ses supérieurs hiérarchiques. Même lorsque le deuxième cas de ligotage, à savoir celui d’ […], fut porté à sa connaissance elle n’a pas considéré nécessaire d’en informer ses supérieurs hiérarchiques.
C’est encore à tort qu’elle se base sur les règles de conduite imposées par Monsieur … pour conclure que les griefs libellés à son encontre ne seraient établis ni en fait ni en droit, alors que ce dernier a clairement indiqué que dès que les éducateurs gradués avaient appris le recours au ligotage, ils auraient dû le signaler. En tolérant le recours à la méthode de ligotage et en omettant d’informer ses supérieurs hiérarchiques dès qu’elle avait connaissance de ces faits, … n’a pas utilisé tous les moyens mis à sa disposition pour éviter que des cas de ligotage d’enfants ne se reproduisent.
Ces faits reprochés à … sub 1. a) et 2 a) et c) constituent des manquements disciplinaires au sens des articles 11 paragraphe 3 et 12 paragraphe 1 alinéa 1er du statut général des fonctionnaires communaux.
La sanction:
A l’audience du conseil de discipline du 1er avril 2014, le représentant de … a requis à l’encontre de … la peine de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle.
Le mandataire de … soutient que sa mandante aurait été transférée sans autre procédure dans un autre service où elle travaille depuis quatre ans à la satisfaction de ses supérieurs et du service. II soutient que cette réaffectation constituerait une sanction disciplinaire cachée, de sorte qu’en vertu du principe « non bis in idem » elle ne saurait être sanctionnée une deuxième fois pour le même fait. Il s’insurge contre la sanction qu’il qualifie d’exorbitante requise par le représentant de …. Il demande en ordre principal de renvoyer sa mandante des fins de sa poursuite, sinon et en ordre subsidiaire de prononcer la sanction disciplinaire de l’avertissement ou de la réprimande.
S’il résulte d’un courrier établi le 21 mars 2014 par la préposée du … que depuis le mois d’août 2010 … est affectée au … et qu’elle y effectue son travail de façon très consciencieuse et s’est très bien intégrée dans l’équipe, il ne ressort d’aucun élément du dossier que l’affectation de … au … aurait été prise suite à une décision de l’autorité administrative en tant que sanction disciplinaire pour les faits actuellement reprochés à l’inculpée. Le moyen tiré de la violation du principe « non bis in idem » n’est donc pas fondé.
Il ressort des développements qui précèdent que les faits retenus à charge de … sont d’une gravité certaine alors que par le fait de tolérer le recours à la méthode de ligotage et l’omission de le dénoncer aux supérieurs hiérarchiques, l’inculpée n’a pas utilisé les moyens de discipline mis à sa disposition pour éviter qu’à l’avenir des enfants doivent endurer les mêmes 7sanctions. S’il est vrai que les actes de ligotage portent atteinte à la dignité de l’enfant, il ne ressort néanmoins pas des éléments du dossier que les enfants qui en ont été les victimes en auraient subi des séquelles. De même … ne fait pas état d’un préjudice particulier subi par les griefs reprochés à …. Il convient encore de souligner que les conditions de travail dans lesquelles exerçaient les éducatrices diplômées étaient difficiles et que les éducateurs gradués ont à maintes reprises insisté auprès de leurs supérieurs sur la nécessité de renforcer le personnel du foyer, demande qui est restée sans suite.
Devant le conseil de discipline … a exprimé des regrets sincères.
Comme antérieurement à la lettre de saisine du 15 décembre 2009 aucun avertissement ou ordre de justification n’a été adressé à l’inculpée et que depuis cette date … exerce son travail d’éducatrice graduée à l’entière satisfaction de son employeur et eu égard au dépassement du délai raisonnable, le Conseil de discipline estime que la peine disciplinaire de l’avertissement est appropriée […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2014, … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision du conseil de discipline du 29 avril 2014.
Dans son jugement interlocutoire du 11 novembre 2015, n° 34953 du rôle, le tribunal, après avoir déclaré le mémoire en réplique déposé par Maître Valérie DUPONG au nom et pour le compte de l’administration communale de … recevable, s’être déclaré compétent pour statuer sur le recours principal en réformation et s’être déclaré incompétent pour connaître de la légalité de la délibération du conseil communal de … du 2 juin 2014 par voie d’exception, déclara le recours principal en réformation recevable en la forme.
Dans ce même jugement, le tribunal rejeta encore la demande de saisine de la Cour Constitutionnelle telle que formulée par l’administration communale de … et, quant au fond, rejeta le moyen de la Madame … tenant à une violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », au niveau de la procédure disciplinaire, de même que les moyens relatifs à une partialité objective et subjective du commissaire du gouvernement, les moyens tenant à une violation alléguée de l’article 7 de la CEDH et de l’article 14 de la Constitution et le moyen relatif à une violation du principe « non bis in idem ». En ce qui concerne la matérialité des faits reprochés à Madame …, le tribunal sursit à statuer en attendant l’issue du procès pénal dirigé contre Madame … et Madame …, tout en réservant les frais et la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par Madame ….
Suite au jugement de la chambre correctionnelle de et à Luxembourg du 2 mars 2017, jugement n’ayant pas été frappé d’appel, le tribunal de céans, par avis des 29 novembre 2017 et 26 février 2018 autorisa les parties à déposer des mémoires supplémentaires pour prendre position quant à l’issue du dossier pénal.
Dans son mémoire supplémentaire l’administration communale de … fait valoir que le tribunal correctionnel aurait retenu comme établi que « durant l’heure de midi pendant laquelle le repas de midi a été servi, la chargée de direction du foyer … était venue dans le groupe de … afin de l’assister » et que Madame …, confrontée à un enfant perturbateur aurait demandé 8conseil à Madame …, laquelle lui aurait alors « proposé de ligoter … sur une chaise à l’aide d’un ruban adhésif de type Scotch en indiquant qu’… aurait résolu une situation identique dans le passé au moyen de cette méthode ». La demanderesse ajoute que suivant les déclarations de Madame …, lesquelles auraient été confirmées sous la foi du serment, Madame … aurait affirmé que Madame … lui aurait proposé de ligoter l’enfant … avec du Tesacrep en précisant que Madame … aurait déjà eu recours à cette méthode avec succès sur l’enfant …. Elle ajoute que Madame … serait en aveu d’avoir ligoté l’enfant … et d’en avoir fait part à Madame ….
Il conviendrait partant de retenir que Madame …, laquelle tenterait de minimiser son rôle dans les affaires de ligotage, était présente au moment du ligotage de l’enfant … et aurait non seulement toléré cet acte, mais aurait conseillé à Madame … de procéder de la sorte.
Madame …, quant à elle, insiste sur le fait qu’elle n’aurait jamais conseillé à Madame … de ligoter l’enfant … sur une chaise et se prévaut à cet égard des contradictions qui existeraient entre les témoignages de Madame … et de Madame …, notamment en ce qui concerne l’heure à laquelle les faits en question auraient eu lieu. En mettant en exergue qu’elle n’aurait été ni inculpée, ni poursuivie au niveau pénal, elle conteste encore l’affirmation de l’administration communale de … selon laquelle le tribunal correctionnel aurait retenu comme établi qu’elle aurait invité Madame … à attacher l’enfant en question sur une chaise.
Elle insiste ensuite sur le dépassement du délai raisonnable en soulignant que les faits litigieux remonteraient à plus de dix ans et elle affirme que compte tenu de l’autonomie du droit disciplinaire par rapport au droit pénal, les procédures disciplinaire et contentieuse n’avaient pas à être tenues en suspens. Dans la mesure où elle n’aurait par ailleurs pas été prévenue dans la procédure pénale ayant abouti au jugement du tribunal correctionnel du 2 mars 2017, la procédure disciplinaire et la procédure contentieuse subséquente auraient dû continuer.
Finalement, elle fait plaider que si elle devait être frappée d’une sanction disciplinaire, même la plus minime, pour des faits qui lui seraient étrangers et qui se seraient déroulés il y a plus de 10 ans, une telle sanction serait manifestement disproportionnée et violerait de fait le principe du délai raisonnable.
Il convient de prime abord de trancher le moyen relevé par Madame … dans le cadre de ses mémoires en réponse et en duplique relatif à une violation de l’article 8 du Code d’instruction criminelle et tendant à voir écarter du dossier disciplinaire les pièces recueillies dans le cadre de l’instruction criminelle, Madame … ayant en effet fait plaider que le commissaire du gouvernement adjoint aurait intégré des procès-verbaux de l’instruction pénale dans le dossier disciplinaire et ce en violation de ladite disposition légale.
L’article 8 du Code d’instruction criminelle pose le principe que, sauf les exceptions prévues par la loi, l’instruction est secrète en retenant ce qui suit :
« Art. 8. (1) Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.
(2) Sous réserve des dérogations découlant en droit interne notamment des engagements internationaux en matière de coopération internationale, toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines de l’article 9458 du Code pénal.
(3) Le Procureur général d’Etat ou le Procureur d’Etat peuvent toutefois donner à la presse des informations sur le déroulement d’une procédure, en respectant les droits de la défense et la vie privée ainsi que les nécessités de l’instruction ».
Force est de relever que d’un point de vue procédural, l’article 8 du Code d’instruction criminelle ne protège pas le secret de l’instruction de manière objective, mais ne fait qu’assujettir certaines personnes au secret1. La violation du secret de l’instruction n’est dès lors pas sanctionnée par la nullité de l’acte posé, sauf en cas de violation des droits de la défense, même si elle peut le cas échéant donner lieu à des sanctions civiles en cas de faute2. A cela s’ajoute que le but du secret d’instruction consiste d’une part à empêcher la révélation de certains éléments de l’enquête qui pourrait rendre celle-ci plus difficile voire même anéantir toute l’enquête, et d’autre part, de garantir un procès équitable à la personne poursuivie et d’assurer le respect effectif de sa présomption d’innocence ainsi que de garantir, si faire se peut, la protection de sa vie privée et son honneur.
En l’espèce, et outre le fait que Madame … ne revêt pas la qualité de personne poursuivie au niveau pénal, de sorte à n’avoir aucun intérêt à se prévaloir du secret d’instruction, lequel est uniquement censé protéger les personnes faisant l’objet d’une instruction, le tribunal est amené à constater que si le rapport du commissaire du gouvernement adjoint contient certes des pièces lui communiquées par Monsieur le Substitut, sa conclusion et la décision subséquente du conseil de discipline reposent non pas sur les seuls témoignages recueillies au cours de l’instruction pénale, mais bien sur les témoignages recueillies au cours de la procédure disciplinaire, lesquels concordent d’ailleurs avec les témoignages recueillis au niveau pénal, procédure disciplinaire au cours de laquelle Madame … avait la possibilité de faire valoir ses droits, de sorte qu’elle ne saurait par ailleurs pas se prévaloir d’une quelconque violation de ses droits de la défense.
Ainsi, et compte tenu du principe que la violation du secret de l’instruction ne saurait porter préjudice qu’à la seule personne faisant l’objet d’une instruction, et non pas à une tierce personne qui ne fait pas partie du procès pénal, et n’est en tout état de cause pas sanctionnée par la nullité de l’acte posé, sauf en cas de violation des droits de la défense, une telle violation n’étant point donnée en l’espèce, la décision déférée ne saurait en tout état de cause pas être affectée dans sa légalité par le seul fait de reposer sur le rapport du commissaire du gouvernement adjoint lequel contient, entre autres, comme annexes des informations obtenues moyennant une éventuelle violation du secret de l’instruction.
Il s’ensuit que le moyen relatif à une violation du secret d’instruction est à rejeter pour ne pas être fondé et qu’il n’y a pas lieu d’écarter les pièces recueillies dans le cadre de l’instruction pénale.
En ce qui concerne les développements de Madame … relatifs au dépassement du délai raisonnable, il convient de rappeler que même en l’absence de texte prévoyant un délai déterminé, toute autorité disciplinaire a, dès qu’elle a connaissance de faits susceptibles de 1 Dean Spielmann et Alphonse Spielmann, Droit pénal général luxembourgeois, deuxième édition, p. 218.
2 Ibidem page 397 10donner lieu à sanction, l’obligation d’entamer et de poursuivre la procédure disciplinaire avec célérité afin que sa décision intervienne dans un délai raisonnable. En effet, le respect du délai raisonnable s’impose notamment pour assurer la sécurité juridique et pour éviter une trop longue incertitude sur l’issue de la procédure disciplinaire. Le caractère raisonnable du délai s’apprécie dans chaque cas et aux divers stades de la procédure, en fonction des circonstances de la cause, de la nature de l’affaire, du comportement de l’agent et de celui de l’autorité3.
Néanmoins, en matière disciplinaire un dépassement du délai raisonnable n’est pas de nature à entraîner la nullité de la procédure, mais il permet, d’une part, au fonctionnaire qui en aurait souffert, de saisir éventuellement la juridiction compétente d’une demande de réparation et doit, d’autre part, être pris en compte, le cas échéant, lors de l’appréciation de la sanction, de sorte à être susceptible d’aboutir à un allègement de la sanction à prononcer par le tribunal siégeant en tant que juge de la réformation4. Le tribunal administratif n’ayant pas compétence pour allouer des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice causé par l’Etat, le non-
respect d’un délai raisonnable ne peut partant devant le tribunal administratif avoir uniquement comme conséquence un allègement de la sanction à prononcer par le tribunal siégeant en tant que juge de la réformation, respectivement le constat du caractère disproportionné de la sanction prononcée par le juge de l’annulation.
En ce qui concerne la période à prendre en compte pour l’appréciation du délai raisonnable, il convient de préciser qu’il faut prendre en compte la durée qui s’est écoulée entre la date de la notification des reproches ayant déclenché la procédure disciplinaire et la décision juridictionnelle définitive statuant sur le recours introduit contre la sanction disciplinaire prononcée5.
En l’espèce, le conseil de discipline a retenu un dépassement du délai raisonnable au motif que l’instruction a porté sur plus de 4 ans, à savoir de juin 2009 à décembre 2013, tout en relevant une longue période d’inactivité entre avril 2011 et janvier 2013 ainsi qu’entre 15 mars 2013 et 21 novembre 2013, étant encore précisé que contrairement à ce qui a été retenu par le conseil de discipline, l’appréciation du délai raisonnable doit en l’espèce débuter non pas en juin 2009, mais le 17 décembre 2009, moment auquel Madame … s’est vue notifier l’ouverture d’une instruction disciplinaire à son encontre.
En ce qui concerne l’avancement de la procédure disciplinaire, force est de constater que même si après la saisine du commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire le 15 décembre 2009, des mesures d’instruction ont été entreprises immédiatement, dans la mesure où Madame … a été convoquée en janvier 2010, et a, en février 2010 après une demande de report de l’audition de sa part, été entendue en ses explications, que, par ailleurs, Madame … a été entendue comme témoin le 16 février 2010, Madame … le 19 février 2010, et Madame … le 28 février 2011. D’autres témoins ont été entendus dans les autres dossiers disciplinaires, tel Monsieur … dont l’audition a été ajoutée le 19 décembre 2013 au dossier de Madame …. En 3 Trib. adm. 28 mars 2012, n° 28730 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Fonction publique, n° 240 et les autres références y citées.
4 Trib. adm. 12 mars 2008, n° 22010a du rôle, confirmé sur ce point par la Cour adm. 11 novembre 2008, n° 24324C, Pas. adm. 2017, V° Fonction publique, n° 243 et les autres références y citées.
5 Cour adm. 11 novembre 2008, n° 24324C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Fonction publique, n° 242 et l’autre référence y citée.
11même temps, à diverses reprises des informations supplémentaires ont été demandées à …, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que d’une part, des devoirs d’instruction ont été entrepris immédiatement et à un rythme régulier, et d’autre part, que les devoirs accomplis étaient multiples.
Il convient en outre de souligner que la circonstance que plusieurs personnes ont été impliquées, contre lesquelles une procédure disciplinaire a été diligentée, et la circonstance qu’une partie des reproches respectifs ont été contestés par les concernés, a nécessairement également eu des implications sur le délai de la procédure d’instruction, un retard provoqué par une intervention supplémentaire dans un des dossiers impliquant nécessairement un retard sur les autres dossiers, dont l’instruction a, à bon droit, été faite de manière parallèle par le commissaire du gouvernement. De même, la circonstance que certains des fonctionnaires concernés n’ont, sur invitation de la délégation du personnel, pas collaboré immédiatement, en ce sens que, dans une première phase, certains ont affirmé devant la commission de … mise en place afin de clarifier les faits qu’ils ne savaient rien des faits et n’ont dévoilé aucun nom des impliqués, tel que cela est relevé notamment par Monsieur …, par Madame … et par Madame … lors de leurs auditions devant le commissaire du gouvernement, a pareillement retardé la procédure, rendant, par la force des choses, des investigations supplémentaires nécessaires.
Par ailleurs, et comme retenue ci-avant, une instruction pénale a été lancée contre différents éducateurs et il avait été décidé dans ce contexte, dans l’intérêt des enfants concernés, de procéder à leurs auditions par des services spécialisés de la police dotés de l’infrastructure et des techniques d’entretien adaptés aux circonstances, cette façon de procéder ayant nécessairement encore prolongé le délai de l’instruction disciplinaire, étant, par ailleurs, relevé que l’instruction a été suspendue en attendant le résultat de ces investigations.
Il est vrai qu’en présence de poursuites pénales, sauf disposition contraire expresse, lorsque les mêmes faits font l’objet de poursuites pénales et de poursuites administratives, l’autorité n’est pas tenue de surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction répressive se soit définitivement prononcée, bien qu’elle puisse estimer prudent d’attendre qu’une décision judiciaire ait statué définitivement sur l’action publique mais une telle prudence ne la dispense pas de l’obligation de statuer dans un délai raisonnable. Celle-ci doit poursuivre l’instruction administrative aussi loin qu’elle le peut par ses propres moyens d’investigation. Si compte tenu de ces éléments, la matérialité des faits n’est pas contestée ou est incontestable, l’attente du résultat des poursuites pénales n’est pas nécessaire et par conséquent risque d’entraîner un dépassement du délai raisonnable. Par contre, si la matérialité des faits est, comme en l’espèce, contestée et qu’il est nécessaire ou utile d’attendre l’issue des poursuites pénales pour avoir l’assurance qu’ils sont établis, le principe du délai raisonnable ne s’oppose pas à ce que l’autorité attende l’issue de la procédure pénale, pourvu qu’elle fasse diligence pour en connaître le résultat et pour agir en conséquence par la suite.
Compte tenu des contestations d’autres éducateurs impliqués dans les faits de ligotage en ce qui concerne la matérialité de certains des faits reprochés, et plus particulièrement la question de savoir si Madame … a conseillé à Madame … de procéder au ligotage de l’enfant …, la suspension de la procédure disciplinaire en attendant le résultat de l’instruction pénale était justifiée, cette suspension expliquant, du moins en partie, le délai s’étant écoulé entre la notification des faits fautifs et la prise de la décision du conseil de discipline.
12Néanmoins et encore que ce n’est que le 15 mars 2013 que le Substitut auprès du Parquet du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg en charge du dossier a transmis au commissaire du gouvernement une copie des procès-verbaux d’audition des enfants, ensemble avec les autres auditions effectuées dans le cadre de l’instruction pénale, bien que les auditions aient déjà eu lieu entre janvier à mars 2011 et ont été rassemblées dans un rapport de la police judiciaire du 20 janvier 2011, il convient de préciser que si ce délai peut éventuellement s’expliquer par la circonstance que l’instruction pénale était encore en cours, aucune des parties n’a toutefois soumis au tribunal de céans des explications concrètes sur la raison du délai entre avril 2011 et mars 2013 et les diligences entreprises pendant ce temps.
Ainsi, si au regard de ces considérations une prolongation de l’instruction disciplinaire était tout à fait compréhensible et justifiée, il n’en reste pas moins que le délai entre l’audition des témoins par les services de la police judiciaire s’étant écoulé de janvier à mars 2011 et la remise de ces procès-verbaux au commissaire du gouvernement seulement en mars 2013 reste inexpliqué. Par ailleurs, le délai entre la réception du dossier de l’audition des enfants par le Parquet et la clôture de l’instruction disciplinaire le 20 décembre 2013 est marqué par des périodes importantes d’inactivité restant inexpliquées.
Le tribunal est partant amené à partager la conclusion du conseil de discipline suivant laquelle le délai raisonnable a été dépassé.
Il convient dès lors de tenir compte de ce dépassement du délai raisonnable au niveau de la sanction à appliquer.
En ce qui concerne les affirmations de Madame … que la procédure administrative contentieuse aurait dû continuer dans la mesure où elle n’aurait pas été prévenue dans la procédure pénale ayant abouti au jugement du tribunal correctionnel du 2 mars 2017, il convient de souligner en ce qui concerne la matérialité des faits reprochés à Madame …, que pour conclure à la réformation de la décision précitée du Conseil de discipline du 29 avril 2014, dans le sens qu’une mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnel s’imposerait en l’espèce, l’administration de … a notamment insisté sur le rôle actif de Madame … dans les faits de ligotage, l’administrations communale de … ayant en effet fait plaider que Madame … aurait conseillé à Madame … d’utiliser cette même méthode pour calmer un enfant perturbateur.
Comme cet élément factuel, contesté par l’intéressée, est entre autre susceptible d’avoir une incidence sur la sanction à appliquer, le tribunal a, dans son jugement interlocutoire du 11 novembre 2015, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, dans un souci de clarifier le déroulement exact des faits et dans l’optique tant de ne pas multiplier les mesures d’instruction faisant double emploi, que dans celle de ne pas multiplier des décisions judicaires contradictoires, suspendu la présente procédure jusqu’à l’issue du procès pénal.
A cet égard, il convient de souligner que dans une optique de mise en cohérence, le juge administratif est amené à reprendre, du moins en ce qui concerne la matérialité des faits, ce qui a été définitivement jugé au niveau pénal6, alors qu’une fois que le juge pénal, spécialisé en termes de constatation d’infractions plus spécifiquement libellées dès l’ingrès du procès pénal, aura définitivement conclut à l’existence de cette même infraction, il n’appartient pas au juge 6 Voir en ce sens Cour adm 26 mai 2016, n°36501aC du rôle, Pas. adm. 2017, V° Agriculture, n° 55.
13administratif, amené à statuer sur base de la même situation de fait, à dégager des conclusions en substance divergentes. Ainsi, une fois un jugement pénal intervenu postérieurement à un acte administratif individuel, les enseignements à retirer de pareil jugement pénal définitif doivent pouvoir utilement influer dans l’analyse du juge administratif, dans la mesure où il s’agit d’éléments de preuve voire de clarification par rapport aux données de fait et de droit qui, globalement, sont appelés à se cristalliser dans le temps à la date de la prise dudit acte administratif7.
Force est en l’espèce de constater que si, dans le cadre de son procès pénal Madame … a continué à affirmer qu’elle aurait agi sur recommandation directe de Madame …, cet élément n’a toutefois et contrairement aux affirmations de la demanderesse, pas été retenu en tant que tel par le juge pénal, lequel n’a fait que reprendre les déclarations de Madame …8 sans pour autant mettre un quelconque fait à charge de Madame …, cette dernière ayant bien été entendue comme témoin dans le procès pénal des trois autres éducatrices impliquées dans les faits de ligotage, mais n’ayant, contrairement aux autres éducatrices, fait l’objet d’aucune poursuite pénale.
Il n’est partant pas établi que Madame … aurait recommandé à Madame … de procéder au ligotage de l’enfant …, de sorte qu’au vu de l’ensemble des pièces du dossier administratif et au vu des conclusions du juge pénal, le seul fait établi en l’espèce et que le tribunal de céans est amené à prendre en considération pour se prononcer sur le caractère légal et proportionné de la sanction disciplinaire retenue par le conseil de discipline consiste dans le fait que Madame …, après avoir été mise au courant du fait que Madame … a procédé au ligotage de l’enfant … fin septembre 2007, et du fait que Madame … a eu recours à cette même méthode sur l’enfant … en date du 16 octobre 2009, a oms dénoncer ces faits à ses supérieurs hiérarchiques, de sorte à ne pas avoir utilisé tous les moyens mis à sa disposition pour éviter que des cas de ligotage d’enfants ne se reproduisent et d’avoir dans une certaine manière toléré ces mêmes faits.
Comme retenu dans le jugement interlocutoire du 11 novembre 2015, les agissements de Madame … constituent des manquements à l’article 11, paragraphe 3, de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, ci-après désignée par « la loi du 24 décembre 1985 », en vertu duquel le fonctionnaire « est tenu de veiller à ce que les fonctionnaires placés sous ses ordres accomplissent les devoirs qui leur incombent, et d’employer le cas échéant, les moyens de discipline mis à sa disposition », et à article 12, paragraphe 1, alinéa 1er de la même loi, en vertu duquel « Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.».
En ce qui concerne la sanction disciplinaire à appliquer, il y a lieu de rappeler que l’article 64 de la loi du 24 décembre 1985 dispose que « L’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. ».
7 Le contentieux administratif en droit luxembourgeois par Rusen ERGEC, Pasicrisie administrative 2017, page 105.
8 Page 38 du jugement de la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 2 mars 2017.
14Le tribunal est amené à cet égard à relever que les faits de ligotage sont par nature particulièrement graves en ce qu’ils ont été commis sur des enfants en bas âge dont la garde a été confiée à des éducatrices et indirectement à Madame …, indépendamment de la question de savoir si les enfants en question ont subi ou non des séquelles. Même si ces mêmes enfants étaient, le cas échéant, des enfants difficiles, et même si les conditions de travail au foyer étaient difficiles, tel que cela résulte encore des déclarations des différents éducateurs, Madame … en tant que responsable du foyer et en tant que personne formée dans le domaine de l’encadrement d’enfants en bas âge aurait dû avoir le discernement nécessaire pour savoir que le ligotage d’un enfant sur une chaise ne constitue guère une mesure appropriée et afin d’exclure en toute hypothèse le recours à de telles méthodes, que ce soit pour les discipliner ou simplement pour les calmer, un tel traitement constituant une atteinte grave aux droits de l’enfant. Elle aurait partant dû, au lieu de tolérer indirectement ces méthodes fortement condamnables, dénoncer ces faits de ligotage à ses supérieurs hiérarchiques dès qu’elle en avait eu connaissance afin d’éviter de tels pratiques pour l’avenir.
D’autre part, vu que les différents cas de ligotage ont fait la une de la presse à un moment donné, et ont certainement été débattus par les parents des enfants ayant fréquenté le foyer à l’époque, le comportement passif de Madame … a contribué à ternir l’image des services de … auprès du public.
Dans le cadre de l’examen du caractère proportionné et adéquat de la sanction disciplinaire litigieuse, il y a cependant également lieu de tenir compte, outre du dépassement du délai raisonnable, de la circonstance que Madame … a indiqué à Madame … qu’elle n’approuve pas cette méthode et l’a forcée à en parler à la mère de l’enfant …. Le tribunal est également amené à tenir compte de l’ancienneté relativement faible de Madame … au moment des faits, celle-ci ayant été entrée en service auprès de l’administration communale de … le 1er janvier 2004 et ayant obtenu sa nomination définitive le 1er août 2006, c’est-à-dire moins d’un an avant l’incident en question. Aussi convient-il de prendre en compte la circonstance qu’à l’heure actuelle elle travaille toujours pour l’administration communale de …, à savoir dans le Service seniors et ce sans incident apparent et à la satisfaction de ses employeurs. Il y encore lieu de noter qu’avant la lettre de saisine du 15 décembre 2009 aucun avertissement ou ordre de justification ne lui a jamais été adressé.
Il convient par ailleurs de souligner que si les conditions de travail difficiles dans le foyer en question ne sont certes, comme relevé ci-avant, pas de nature à excuser le manque de réaction de Madame …, elles peuvent toutefois influer la sanction à appliquer. A cet égard, il y a encore lieu de relever, qu’en ce qui concerne les contestations de l’administration communale de … quant à l’existence effective des conditions de travail difficiles dans le foyer, que cette circonstance se dégage sans équivoque des déclarations de l’ensemble des éducateurs et a, par ailleurs, été mis en évidence par le tribunal correctionnel, qui dans son jugement du 2 mars 2017 a retenu que :
« […] il est avéré, au vu des éléments du dossier répressif et des débats menés à l’audience, que dans les faits le … avait à l’époque des faits incriminés souvent trop d’enfants par salle.
En effet, ceci se dégage à suffisance du fait que le nombre d’éducateurs et d’animateurs à affecter à un groupe d’enfants d’un certain nombre était déterminé par les responsables du 15Foyer de façon théorique afin de respecter le ratio enfants/ nombre de personnel encadrant tel que fixé par règlement grand-ducal sans pourtant toujours regarder si cela coïncidait par rapport à l’âge des enfants du groupe et par rapport aux besoins d’encadrement spécifiques nécessaires au cas où des « VIC » faisaient partie du groupe d’enfants (ce qui était en principe le cas pour chaque groupe au sein du …).
Il ressort du dossier répressif que, conformément à l’agrément reçu par le … en relation avec la période des faits incriminés sur base de l’article 20 du règlement grand-ducal du 20 juillet 2005 concernant l’agrément à accorder aux gestionnaires de maisons relais pour enfants, le Foyer pouvait accueillir 115 usagers au plus, nombre qui pour des raisons exceptionnelles pouvait être augmenté de 38 usagers (soit de 33%). Ces ratios d’encadrement ont été calculés sur base du rapport « enfants présents » sur « personnel d’encadrement présent ».
Suivant les explications fournies par …, chef de service des Foyers scolaires de …, les ratios à respecter auraient ainsi été de 9 enfants âgée entre 2 et 5 ans pour un adulte et de 11 enfants par adulte au-delà de cette tranche d’âge des enfants. Elle a encore indiqué que … aurait mis en place un ratio de 1 sur 10 et que les ratios auraient toujours été respectés.
Or, pour les raisons déjà relevées ci-avant et bien que les statistiques concernant les ratios d’enfants au … durant la période de janvier 2007 à février 2009 versés par … au commissaire chargée de l’instruction disciplinaire ne renseignent que trois périodes pendant lesquelles le ratio d’enfants de 115 usagers augmenté de 33% aurait été dépassé, il est avéré en cause qu’en fait ce ratio d’enfants a été souvent dépassé et ceci au vu du nombre d’enfants et des spécificités des enfants composant un groupe d’enfants sous la garde d’une seule éducatrice dans une des salles du ….
Au vu de ce qui précède, il y dès lors lieu de retenir que les trois prévenues travaillaient à l’époque des faits dans des conditions de travail très difficiles tant d’un point de vue physique que psychologique […] ».
De même, la circonstance que les enfants concernés étaient connus pour être des enfants difficiles est susceptible non pas d’excuser le comportement de Madame …, mais d’être pris en compte dans la détermination de la sanction à appliquer.
Finalement, le tribunal relève encore qu’il se dégage de la décision du conseil de discipline que Madame … a exprimé ses regrets sincères devant le conseil de discipline.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal rejoint les conclusions du conseil de discipline selon lesquelles la peine disciplinaire de l’avertissement s’impose en l’espèce, de sorte qu’il y a lieu de rejeter le recours tel qu’introduit par … visant une mise à la retraite pour inaptitude professionnelle, ainsi que la demande de Madame … tendant à voir prononcer un acquittement pur et simple.
Madame … sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de 1.000.- euros au vœu de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui n’est point justifiée en l’espèce étant donné qu’elle omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et 16qu’elle ne précise pas concrètement en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à sa charge.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
vidant le jugement du 11 novembre 2015 ;
déclare le recours en réformation non fondé ;
partant en déboute ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par Madame … ;
condamne la partie demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 juin 2018 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 juin 2018 Le greffier du tribunal administratif 17